La proposition de résolution que je vais vous présenter fait donc la synthèse des travaux menés par Fabrice Brun, Julien Dive, Jean Louis Thiérot, Stéphane Travert, Frédéric Descrozaille, Pierre Venteau et d'autres collègues. C'est grâce au travail que nous avons mené en commun que nous avons réussi à fusionner les différentes propositions de résolution évoquées par Mme la présidente. Je pense que nous sommes parvenus à un texte de compromis, même s'il reste à examiner quelques amendements pouvant être pertinents. La présente proposition de résolution européenne est donc le symbole de la mobilisation et de l'engagement des députés, quel que soit leur bord politique, sur les questions agricoles et alimentaires et pour apporter un soutien à notre agriculture à l'échelon européen. Elle prend acte des conséquences qu'a eues la crise sanitaire sur l'agriculture française et européenne et s'inscrit dans la continuité d'un travail que j'ai mené avec André Chassaigne sur le soutien que l'Union européenne avait apporté au secteur agricole face à la pandémie – André Chassaigne, que je salue, a d'ailleurs déposé plusieurs amendements sur ce texte.
Si cette crise sans précédent a souligné la résilience et la flexibilité de notre agriculture, elle a également mis en exergue les difficultés auxquelles celle-ci était confrontée : une forte dépendance aux importations, une démographie agricole décroissante et l'existence de distorsions de concurrence au sein du marché commun. Cette proposition de résolution s'inscrit dans le cadre des négociations en cours à l'échelon européen en vue de définir la nouvelle politique agricole commune (PAC). Il y a deux semaines, les ministres européens de l'agriculture ont trouvé un accord qui assure, d'une part, le maintien du budget de la politique agricole commune, d'autre part, l'harmonisation des normes environnementales pour l'ensemble des agriculteurs de l'Union européenne, à travers notamment la généralisation des echo-scheme – éco-dispositifs –, à un taux minimum de 20 %. Ces deux décisions vont dans le bon sens. Dans un marché commun, en effet, les agriculteurs doivent se conformer aux mêmes règles.
L'objet du présent texte est d'émettre des propositions en vue des négociations sur la future politique agricole commune, en tirant les conséquences d'une crise sanitaire sans précédent. Le texte mentionne les sujets dont il nous semble impératif que l'Union européenne se saisisse pour soutenir les différentes filières agricoles européennes. Il souhaite réorienter la politique agricole commune suivant plusieurs axes.
Le premier a trait à la stratégie Farm to Fork (« de la ferme à la table ») présentée par la Commission européenne et qui a vocation à provoquer des changements structurels très importants pour notre agriculture, en particulier pour ce qui concerne les intrants. La stratégie prévoit en effet une réduction drastique de l'utilisation des produits phytosanitaires, fertilisants et antimicrobiens, non seulement dans les élevages, mais dans l'ensemble des exploitations agricoles. Si cette évolution obéit à une logique de verdissement de notre agriculture réclamée par les consommateurs européens, elle doit impérativement être conditionnée à un accompagnement des agriculteurs. La transition agroécologique ne pourra se faire sans eux. Si l'on admet les bonnes intentions de la Commission européenne et l'impérieuse nécessité de réduire notre dépendance aux intrants, on peut toutefois s'interroger sur l'absence d'étude d'impact ; il est urgent d'évaluer les gains et les coûts que de telles mesures auraient pour nos agriculteurs. C'est une première étape indispensable avant de s'orienter vers des méthodes alternatives.
La proposition de résolution aborde également la question du renouvellement générationnel de nos agriculteurs. Elle incite à soutenir plus massivement les jeunes agriculteurs et les reprises d'exploitation. La stratégie de renouvellement générationnel proposée par la Commission européenne en 2018 est insuffisante. Il est urgent d'enrayer la chute démographique des agriculteurs, phénomène que l'on constate partout en Europe. Le renouvellement générationnel est indispensable pour garantir la souveraineté agricole et agroalimentaire européenne. À ce jour, plus d'un tiers des exploitations agricoles européennes sont gérées par des agriculteurs de plus de 65 ans et un agriculteur sur trois en France partira à la retraite d'ici deux ans. S'il existe déjà un paiement découplé additionnel pour les jeunes agriculteurs, ses critères d'attribution sont trop contraignants pour inciter les jeunes à s'installer. C'est pourquoi nous proposons d'appliquer un bonus substantiel aux aides du premier pilier de la politique agricole commune. Cette mesure, à destination tant des jeunes agriculteurs que des primo-installants et des repreneurs d'exploitation, devrait permettre d'étendre le champ des bénéficiaires et d'encourager les reprises.
Le suivi de la concurrence est un des sujets brûlants de la politique agricole commune. Si l'on veut mieux valoriser nos produits et nos producteurs, il est indispensable d'inciter les producteurs à se regrouper pour peser davantage. Le renforcement des prérogatives des organisations de producteurs est une des actions envisagées à cette fin. La proposition de résolution suggère qu'une partie des aides du premier pilier, voire du second pilier soit subordonnée à l'adhésion à une organisation de producteurs. Le constat est le même à l'échelle européenne et en France : pour avoir du poids, les agriculteurs doivent se rassembler. Cela suppose qu'ils ne se retrouvent pas victimes d'une concurrence déloyale, avec des produits de qualité sous-rémunérés.
C'est pourquoi la proposition de résolution préconise d'exclure des traités de libre-échange les filières les plus exposées à la déflation, notamment les filières ovine et bovine. Cela répondrait en outre à la demande croissante de qualité et de proximité de la part des consommateurs. L'exclusion de certaines filières fait écho à l'audit que la Commission européenne a mené sur le bétail canadien et qui fait état de nombreuses failles dans la traçabilité de la viande. Dans le même sens, la proposition de résolution appelle à étendre à l'échelle européenne la mesure prévue à l'article 44 de la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi EGALIM – dont je fus le rapporteur –, à savoir l'interdiction à la vente et à la circulation de toute denrée ne répondant pas aux normes minimales européennes : nous ne pouvons décemment pas consommer des produits aux normes sanitaires et environnementales moins strictes que celles imposées au sein de notre marché commun. Il est donc demandé un moratoire sur l'ensemble des accords de libre-échange en cours de négociation. Nous ne sommes plus aujourd'hui dans la même situation qu'avant la crise sanitaire ; les mandats qui ont été donnés il y a plus de dix ans à la Commission doivent être révisés en profondeur.
Enfin, la crise a montré que les circuits courts étaient plébiscités par des consommateurs en quête de traçabilité et de qualité. En dépit de cet engouement, l'Union européenne s'est fort peu souciée de cette nouvelle tendance, alors qu'il s'agit incontestablement d'un levier qui permettrait aux agriculteurs de reprendre la main sur la valeur de leurs produits et de limiter le transport des denrées. En 2015, 15 % des agriculteurs seulement ont vendu la moitié de leur production en circuit court. De son côté, la politique agricole commune n'incite que très peu à valoriser les productions de proximité. Nous appelons donc à agir par l'intermédiaire de la commande publique et à modifier la directive de 2014/24 relative à la passation des marchés publics, en vue d'assouplir le droit des marchés publics, dans l'objectif de permettre aux établissements de restauration collective de se fournir plus facilement auprès des exploitations pratiquant les circuits courts.
Une modification de la directive 2006/112 permettrait en outre de jouer sur les produits et services pouvant bénéficier d'un taux réduit de TVA. C'est pourquoi, tout en étant conscients de la nécessité d'un consensus pour prendre ce type de mesures, nous proposons d'étudier la possibilité d'appliquer un taux de TVA spécifique aux denrées agricoles qui seraient produites à l'extérieur des territoires et en fonction des kilomètres parcourus.
La proposition de résolution livre donc une vision claire et nette de la position des parlementaires en faveur d'une politique agricole commune plus protectrice, plus durable et plus juste. Elle réaffirme la nécessité d'une souveraineté alimentaire européenne. Pour cela, il ne faut pas mettre notre agriculture en concurrence avec des agricultures « moins-disantes » d'un point de vue social et environnemental.