Intervention de Didier Reynders

Réunion du lundi 7 décembre 2020 à 16h00
Commission des affaires européennes

Didier Reynders, commissaire européen à la justice :

En réponse à la question de Mme Janvier, je voudrais revenir sur ce qu'on qualifie de discours de haine ou d'appel à l'extrémisme violent. Ce sujet, que nous traiterons dans le cadre du Digital Services Act (DSA), a fait l'objet de débats dans plusieurs États membres, à l'échelle de l'Union européenne, mais aussi sur le plan international, notamment au niveau des Nations unies.

Nous tentons depuis plusieurs années de lutter contre les discours de haine en ligne dans le cadre d'un code de conduite. Depuis 2016, les principales plateformes ont accepté de nouer un dialogue avec l'Union européenne sur la façon de gérer les discours de haine et de retirer certains contenus. Le code de conduite restera en application et renforcera, d'une certaine manière, la réglementation que nous mettrons en place, notamment dans le cadre du DSA. On doit faire en sorte que toutes les plateformes aient des obligations et des responsabilités et être certain qu'elles s'engagent bien, y compris celles qui ont pris des engagements volontaires, dans un renforcement de la lutte contre la prolifération des discours de haine en ligne.

Nous le ferons en imposant aux plateformes des obligations, comme celle consistant à assurer, pour leurs utilisateurs, un suivi des notifications concernant les discours haineux : nous renforcerons et même nous créerons, dans certains cas, des obligations en matière de transparence. La législation européenne rendra applicable à toutes les plateformes ce qui relève jusqu'à présent d'un engagement volontaire de certaines d'entre elles et fera, bien entendu, peser sur elles une responsabilité.

Nous travaillerons, en outre, à l'inscription dans les traités d'un nouveau crime européen, relatif aux discours de haine, qui viendra s'ajouter aux eurocrimes que l'on connaît déjà. Vous savez que nous avons commencé par le terrorisme, ainsi que le racisme et la xénophobie ; nous voulons étendre notre action. Nous avons tous été marqués par les actes récents de terrorisme, notamment l'attaque odieuse dont Samuel Paty a été la victime, et cela fait déjà un certain temps que nous voyons se développer sur les plateformes des appels à la haine ou à l'extrémisme violent. Il s'agit d'aller plus loin en s'appuyant non seulement sur des engagements volontaires et des échanges avec les plateformes mais aussi sur des obligations qui figureront dans le nouvel instrument sur les services numériques.

Mme Jacquier-Laforge m'a interrogé sur la possibilité d'agir dans le cadre d'équipes communes. Cette démarche existe déjà à l'échelle européenne, dans certains domaines d'investigation, et nous souhaitons la renforcer. Il faudra notamment engager un débat avec le collège des procureurs du Parquet européen afin de déterminer dans quel cadre un renforcement peut avoir lieu.

Par ailleurs, nous sommes très attentifs au respect des droits et des libertés prévus au sein des législations nationales. La question de savoir qui peut prendre les mesures restrictives les plus fortes se pose : vous avez évoqué les discussions sur ce point dans le cadre de la législation française. Il faut évidemment protéger les citoyens contre les mesures les plus restrictives en matière de libertés. Prévoir l'intervention d'un magistrat distinct du procureur européen délégué est probablement une initiative qui va dans la bonne direction.

M. Molac m'a posé une question sur la fraude à la TVA hors Union européenne. Le Parquet européen travaillera non seulement avec les vingt-deux États membres participants mais aussi avec les autres. Nous conclurons des arrangements permettant aux autorités nationales d'agir ensemble. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles l'indépendance des systèmes judiciaires dans tous les États membres est l'une de nos préoccupations majeures. Le Parquet européen devra aussi conclure des accords avec des pays tiers afin de lutter contre les fraudes, les abus et les actes de corruption ou de blanchiment commis dans le cadre de l'utilisation des budgets européens. Nous sommes animés par la volonté de travailler non seulement à l'intérieur du périmètre de compétence du Parquet européen mais aussi dans l'ensemble de l'Union et au-delà. Nous préparons déjà la mise en place d'arrangements. Bien entendu, l'idéal serait que d'autres États membres participent au Parquet européen, ce qui accroîtrait l'efficacité de son action.

Mme Karamanli m'a interrogé sur les poursuites engagées devant la CJUE et les possibilités d'action si on applique un principe de conditionnalité.

Nous continuerons à utiliser tous les instruments dont dispose la Commission européenne. Les procédures d'infraction devant la CJUE peuvent être efficaces : on l'a vu, en matière d'indépendance de la justice, s'agissant de procédures disciplinaires à l'égard de magistrats polonais. Les actions engagées devant la Cour, dont certaines portaient sur des mesures provisoires, ont permis d'interrompre des procédures. Nous venons également d'agir en ce qui concerne une autre partie de la législation polonaise – des procédures permettant de lever l'immunité des magistrats dans le cadre pénal – et nous continuerons à le faire. Si nous mettons en cause, notamment par le biais de la procédure prévue par l'article 7 du TUE, l'indépendance de certaines juridictions, telles que le Tribunal constitutionnel de la Pologne, c'est parce qu'il y a évidemment un lien avec des décisions qui sont prises, par exemple en matière de droit à l'avortement. La régression dramatique pour les droits des femmes qui a eu lieu démontre qu'il faut continuer à se préoccuper de l'État de droit et de l'indépendance des autorités judiciaires par rapport au pouvoir en place.

S'agissant de la conditionnalité, les dispositions approuvées par le Parlement européen et le Conseil, à la majorité qualifiée, prévoient que la Commission pourra tenir compte de tous les éléments. Le rapport annuel sur l'État de droit dans l'Union européenne et les décisions de la CJUE pourront servir de base pour démontrer l'existence de déviations, au regard de l'État de droit, dans le cadre de l'utilisation des budgets européens. Les textes sont très clairs. La Commission fera une analyse tout à fait impartiale, puis le Conseil prendra une décision à la majorité qualifiée. Bien entendu, elle pourra être contestée devant la CJUE, conformément aux principes de l'État de droit auxquels nous sommes attachés et qui s'appliquent aux décisions prises par les institutions européennes.

L'adhésion de l'Union à la Convention européenne des droits de l'homme, que M. Houbron a également évoquée, est une priorité. Elle fait l'objet d'un débat complexe, compte tenu de certaines réactions, notamment celle de la CJUE. Les négociations ont repris le 29 septembre dernier à Strasbourg, dans le cadre du Conseil de l'Europe. L'adhésion à la CEDH est une étape importante pour la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans toute l'Union. Les négociations devraient permettre de répondre aux préoccupations exprimées par la CJUE dans son avis 2/13 du 18 décembre 2014 – il ne s'agit pas d'un débat récent…

L'adhésion à d'autres conventions du Conseil de l'Europe est également très importante. L'Union souhaite, par exemple, ratifier la convention d'Istanbul, ce que certains États membres n'ont pas fait, malheureusement. Je précise que nous réfléchissons à d'autres méthodes pour lutter contre les violences domestiques au sein de l'Union si l'ensemble des États membres ne ratifient pas cette convention.

S'agissant de la conditionnalité et des veto opposés par certains États membres, je n'ai pas à me prononcer sur l'intérêt de ces derniers à recevoir des fonds européens : c'est à leurs autorités de s'exprimer. Ce que je peux dire, c'est que les pays les plus touchés par la pandémie sont très demandeurs de ces fonds, à juste titre. Nous avons choisi de travailler dans le cadre d'une véritable solidarité. Non seulement certains États membres ont été plus touchés que d'autres mais ils disposent, en outre, de moindres capacités de réaction sur le plan budgétaire. C'est notamment le cas dans le sud de l'Europe. Il est important de venir en aide à ces États membres, à la fois dans le cadre financier pluriannuel et avec l'instrument Next Generation EU, doté de 750 milliards d'euros complémentaires.

Toutes les possibilités sont à l'étude. J'ai notamment évoqué à plusieurs reprises, ces dernières semaines, le recours à un accord intergouvernemental. M. Houbron a parlé des questions budgétaires, et il y a aussi le cas des accords de Schengen, qui ont vu le jour sous la forme d'une anticipation avant d'être intégrés dans les textes de l'Union européenne. On peut également imaginer une coopération renforcée. Pour l'heure, la priorité de la présidence allemande est néanmoins de convaincre tous les États membres, Hongrie et Pologne comprises, de participer au processus.

L'équilibre à trouver entre la sécurité et la liberté fait l'objet d'un débat permanent, comme le démontrent notamment les discussions en cours sur d'importantes dispositions législatives en France. La publication annuelle du rapport sur l'État de droit apportera une contribution. Lorsque des événements tragiques surviennent – nous en avons vécu, malheureusement, dans de nombreux États membres, notamment en France –, le balancier a tendance à pencher du côté de la sécurité, puis on réintègre peut-être davantage la question des libertés individuelles. Je demeure convaincu qu'il faut en permanence veiller à assurer un équilibre. La sécurité des citoyens est une préoccupation importante ; elle doit aller de pair avec la protection de leurs droits individuels. Il est vrai que cet équilibre est particulièrement complexe à atteindre dans le cadre des débats législatifs qui ont lieu régulièrement.

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