Intervention de Didier Reynders

Réunion du lundi 7 décembre 2020 à 16h00
Commission des affaires européennes

Didier Reynders, commissaire européen à la justice :

Je vous remercie, notamment pour l'appel à un débat dans les parlements nationaux.

En ce qui concerne le Parquet européen, que Mme Tanguy et Mme Avia ont évoqué, nous avons d'abord désigné la procureure en chef, Mme Kövesi, et les vingt-deux procureurs nationaux. Le collège, qui est maintenant bien installé, a commencé ses travaux depuis plusieurs mois et nous sommes entrés dans la phase de désignation des 140 procureurs délégués – leur nombre est important –, dont cinq en France.

Plusieurs États membres, notamment l'Allemagne, sont prêts : leurs procureurs délégués pourront commencer leurs travaux le 15 janvier, je l'ai dit. J'ai insisté non seulement auprès de l'ensemble des ministres de la justice mais aussi en bilatéral, auprès de certains d'entre eux, pour que l'on accélère les procédures. Je suis heureux de constater que c'est le cas à peu près partout, y compris en France, même s'il reste quelques points à régler. J'espère que vous pourrez le faire au niveau législatif. Je pense notamment aux contributions sociales qui doivent être versées pour les procureurs délégués. Ces aspects doivent être traités, comme cela a été fait dans beaucoup d'autres États membres, pour que nous soyons à même de démarrer les opérations concrètes le 1er mars, au plus tard, après tous les tests qui auront lieu en début d'année.

Parmi les autres États membres de l'Union, seule la Suède semble avoir pour l'instant des velléités de rejoindre le Parquet européen – un débat est en cours. D'autres pays, notamment l'Irlande et le Danemark, restent traditionnellement en dehors de telles coopérations. Quant à la Hongrie et la Pologne, je n'ai pas vu récemment de volonté de leur part de rejoindre le Parquet européen. Nous continuerons néanmoins à plaider en ce sens.

S'agissant de l'extension du rôle du parquet aux discours de haine, nous ferons tout pour franchir les étapes que vous avez mentionnées, Madame Avia. Le code de conduite est un très bel outil mais il ne permet de travailler qu'avec certaines plateformes et il n'y a pas de garantie qu'elles l'appliquent complètement. Nous franchirons une étape grâce à une réglementation, l'acte sur les services numériques, qui s'appliquera à toutes les plateformes et renforcera leurs responsabilités.

Lorsque le discours de haine sera considéré comme un crime dans les traités européens, ce sera d'abord aux autorités nationales, en particulier judiciaires, de réaliser les investigations et les poursuites. Nous n'avons pas d'objection à une extension des compétences du Parquet européen, que ce soit pour les nouveaux crimes qui pourraient être inscrits dans les traités européens ou s'agissant de la lutte contre le terrorisme transfrontalier – nous en avons déjà parlé à plusieurs reprises. Pour le moment, nous nous efforçons de constituer le Parquet européen et de lui permettre de fonctionner – tous les États membres, j'insiste sur ce point, doivent nous aider à rendre ses opérations possibles dès le 1er mars. Si nous y parvenons, nous ferons ensuite une évaluation de son fonctionnement.

Si on veut étendre les compétences du Parquet européen, il faudra avoir un débat sur son organisation, sur le type de personnel à recruter si on inclut d'autres compétences que la lutte contre la fraude au budget européen et, le cas échéant, sur le budget qui devra être prévu. Ce sujet est très présent dans les échanges entre la Commission, les États membres et le Parlement européen. C'est dans l'ordre des choses : on a déjà annoncé à plusieurs reprises qu'on regarderait comment on pourrait éventuellement étendre les compétences du Parquet européen.

Je remercie de nouveau Mme Delbos-Corfield pour son appel à un débat. Il a lieu dans les institutions européennes. J'ai eu l'occasion de présenter le rapport sur l'État de droit devant la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen, comme en plénière. J'ai également participé à des débats au sein du conseil des affaires générales sur l'ensemble du rapport, puis à propos des cinq États membres – la Belgique, la Bulgarie, la République tchèque, le Danemark et l'Estonie –, qui ont fait l'objet d'un premier examen au mois de novembre. Par ailleurs, nous avons eu un débat avec les ministres de la justice, sur le volet du rapport qui concerne plus directement ce sujet.

Le débat se poursuivra sous les présidences suivantes. La présidence portugaise s'est ainsi engagée à organiser des débats sur les cinq États membres, dont la France et l'Allemagne, qui feront partie du prochain volet des discussions, pays par pays.

Il est important que le débat ait lieu dans les États membres de l'Union, à travers les parlements nationaux. Je vous remercie de permettre la tenue d'un dialogue aujourd'hui. Je ferai de même dans les vingt-sept États membres, car il faut développer partout une telle culture du dialogue.

J'ai eu l'occasion de constater que, durant des années, nous avons effectivement travaillé beaucoup plus sur les volets touchant aux budgets des États membres et aux réformes structurelles. J'ai siégé dans les conseils spécialisés en la matière durant douze ans comme ministre des finances : j'ai donc bien connu ces thématiques. Puis j'ai vu pendant les huit années au cours desquelles j'ai été ministre des affaires étrangères et européennes qu'il était beaucoup plus compliqué d'ouvrir le débat sur les valeurs.

Il y a eu un changement. Ce débat a lieu non seulement à la Commission, à la Cour de justice et au Parlement européen mais aussi au Conseil – ce qui est un phénomène nouveau –, en particulier s'agissant du mécanisme de conditionnalité budgétaire.

Les volets nationaux du rapport doivent être examinés : vingt-sept chapitres concernent les différents États membres. Il est important que ces chapitres fassent l'objet d'un examen au sein des parlements nationaux et avec les sociétés civiles.

Les événements qui se sont produits récemment dans certains États membres, notamment la France, feront naturellement l'objet d'une analyse dans le deuxième rapport, que nous avons déjà commencé à préparer avec les points de contact nationaux. Un cycle annuel est prévu : chaque année, nous reviendrons sur les évolutions constatées, qu'elles soient positives ou négatives.

La situation des journalistes dans l'Union européenne nous préoccupe. Des meurtres ont eu lieu dans certains États membres : nous souhaitons que les enquêtes sur ces faits soient menées à leur terme. Il existe aussi des attaques plus diffuses, notamment sur les réseaux sociaux ou par des actions en justice, qui sont multiples. Nous voulons soutenir les journalistes et d'autres acteurs des médias qui subissent ces attaques. Il convient, bien entendu, de vérifier la crédibilité des critiques et des commentaires qui peuvent être formulés par des journalistes ou des lanceurs d'alerte, mais la première démarche doit être de leur venir en aide. Il faut également pouvoir mener le débat sur ces questions au plan national.

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