Intervention de Clément Beaune

Réunion du mardi 15 décembre 2020 à 18h00
Commission des affaires européennes

Clément Beaune, Secrétaire d'État auprès du Ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargées des affaires européennes :

Je suis heureux que nous puissions nous retrouver après le Conseil européen de jeudi et vendredi derniers, en attendant de le faire dans un autre format, plus agréable – je l'espère en tout cas. Il était toutefois important que nous puissions échanger, vous rendre compte de ce dernier conseil de l'année, qui était effectivement chargé et important, dans son menu comme dans ses résultats.

Trois sujets principalement ont fait l'objet d'avancées importantes, voire majeures : la Turquie, le climat et la question budgétaire ainsi que celle, liée, de l'État de droit.

La question budgétaire est apparue la première à l'ordre du jour de ce conseil des chefs d'État et de gouvernement. Elle a trouvé un épilogue très satisfaisant au niveau européen – ou du moins un quasi-épilogue, la dernière étape étant entre vos mains.

J'en avais pris l'engagement devant l'Assemblée comme devant le Sénat, au nom du Gouvernement : nous ne comptions céder ni sur l'impératif de la relance – c'est une magnifique nouvelle et réussite européenne que nous devions faire aboutir, sans aucun rabot ni amoindrissement, et nous y sommes parvenus –, ni sur le respect de nos valeurs, la défense de l'État de droit donc, en particulier, sur le règlement tel qu'il avait été négocié par le Parlement européen, le Conseil et la Commission.

Je veux à ce propos saluer l'action des députés européens de différentes sensibilités, qui ont permis ce succès : nous leur devions, comme à l'Europe et à nos concitoyens, de faire aboutir ce mécanisme nouveau, qu'il faudra certes compléter à l'avenir, mais qui est une avancée importante, dans la mesure où le règlement adopté établit désormais un lien entre les versements européens, la solidarité budgétaire et le respect de nos valeurs essentielles, en particulier l'indépendance de la justice. Et contrairement à ce que l'on a pu entendre à la suite de certaines confusions, d'interrogations, voire de mauvaises interprétations, parfois délibérées, le Conseil européen n'a pas remis en cause une virgule de ce règlement sur l'État de droit – il n'en avait d'ailleurs pas le pouvoir –, de même qu'il n'a pas rouvert les discussions sur le plan de relance ou le budget européen. Mais il n'a certainement pas remis en question le travail des colégislateurs : c'était essentiel pour nous, comme pour d'autres pays.

Nous avons produit, dans les conclusions du Conseil européen, une forme de déclaration politique, qui rappelle des éléments qui préexistaient, notamment le droit de tout État membre à saisir la Cour de justice de l'Union européenne sur tout texte européen. Ce droit n'a pas été créé par le Conseil européen – qui n'en avait, là non plus, pas le pouvoir ; il est simplement formalisé, explicité dans la déclaration. La Commission a pris l'engagement politique de préciser le règlement par des lignes directrices, ce qui est normal, et de laisser le temps à une éventuelle saisine de la Cour de justice de l'Union européenne, ce que ne manqueront pas de faire la Pologne ou la Hongrie, pour affiner ces lignes directrices et appliquer l'éventuel mécanisme de sanction à l'issue de cette procédure juridictionnelle.

Concrètement, on ne crée pas de droits, on ne remet pas en cause le règlement européen – du reste, à supposer que la Commission européenne se mette, demain ou à partir du 1er janvier, à enquêter, à investiguer sur de possibles atteintes à l'État de droit, cela prendrait plusieurs mois. Autrement dit, cette clarification politique ne remet aucunement en cause la portée de ce mécanisme ; la Cour de justice est du reste tout à fait libre d'accélérer, si elle le souhaite, ses procédures et son calendrier de décisions : c'est son choix souverain.

On a donc un cadre robuste, qui, je l'espère, sera confirmé par la Cour de justice, et qui, je le répète, ne remet en cause ni le fond ni la forme – nous restons dans le cadre de la majorité qualifiée – d'un règlement âprement négocié par le Parlement européen et le Conseil.

Nous avons tenu bon, et tenu l'engagement que nous devions au Parlement et à nos concitoyens, de préserver la relance comme nos valeurs.

Nous avons aussi eu une discussion sur la coordination sanitaire face à la pandémie ; je n'en reprendrai pas tous les aspects. La question des vaccins a été discutée et saluée : c'est une vraie réussite européenne, qui nécessitait d'être confirmée et consolidée. Nous avons convenu d'un cadre européen pour l'acquisition des vaccins, avec six grands laboratoires, six candidats vaccins : il permettra d'acquérir au moins 1,5 milliard de doses donc de couvrir la population européenne, selon une stratégie phasée, d'ores-et-déjà à peu près identique d'un pays à l'autre.

Dans d'autres domaines, il nous faut encore progresser en termes de coordination européenne et particulièrement sanitaire, notamment sur la reconnaissance mutuelle des tests rapides antigéniques – le Président de la République a insisté sur ce point. Le problème ne se pose probablement pas aujourd'hui dans la mesure où nous sommes encore dans des situations de confinement ou de couvre-feu, selon les cas, assez strictes, mais il en ira tout autrement lorsque la circulation redeviendra normale après la réouverture progressive de nos pays et de nos économies : il ne faudra pas revivre ce que l'on a vécu à l'été et au début de l'automne avec des critères qui variaient d'un pays à l'autre. La reconnaissance mutuelle de nos tests sera un des outils très importants de bonnes coopérations européenne dans les semaines qui viennent. Il faut s'y préparer dès maintenant. La Commission a été invitée par le Conseil à faire des recommandations dans ce sens et donc à définir un cadre commun.

À propos des vaccins, une précision importante : l'Agence européenne des médicaments a annoncé aujourd'hui même qu'elle avançait sa réunion et donc probablement sa décision sur l'autorisation d'un premier vaccin, le Pfizer-BioNTech, au 21 décembre, avant Noël, comme la France, l'Allemagne et d'autres pays le souhaitaient, dans le respect évidemment des exigences scientifiques et de sécurité. L'Agence européenne a accepté de travailler plus vite : c'est une bonne chose quand on voit que d'autres grandes puissances, d'autre pays avancent.

La question climatique, autre point essentiel, avait déjà donné lieu à un premier tour de table, assez rapide, lors du Conseil européen d'octobre. Lors de ce sommet des 10 et 11 décembre, qui nous a occupés une large partie de la nuit, nous avons rapidement trouvé un accord européen pour rehausser très significativement notre ambition climatique pour 2030. Il y a exactement un an, nous avions adopté l'objectif d'une neutralité carbone à l'horizon 2050 – la France avait déjà été motrice, tout au long de l'année 2019, pour atteindre cette ambition européenne ; cette fois-ci, en cohérence avec cette trajectoire, nous avons rehaussé nos objectifs de réduction d'émissions à moins 55 % pour 2030. Certains éléments restent à clarifier, notamment sur la différenciation des objectifs, mais celui de l'Union européenne est acté. Il pourra d'ailleurs être notifié en vue de la prochaine Conférence des parties (COP). Comme cela est obligatoire aux termes de l'accord de Paris, nous allons notifier une nouvelle contribution. C'était un signal indispensable à la veille du cinquième anniversaire de l'accord de Paris.

Cet objectif acté est conforté non seulement par certains éléments de nature financière – le plan de relance et le budget européen eux-mêmes qui, pour 30 % au moins, seront consacrés aux dépenses climatiques, à la transition écologique –, mais aussi par des mécanismes tout à la fois justes et efficaces, notamment celui de l'ajustement carbone ou taxe carbone aux frontières de l'Union européenne. Ce principe permet d'aligner le prix du carbone, au moins sur certains produits sensibles, entre l'Europe et les exportateurs étrangers vers l'Europe, afin d'éviter que nos efforts climatiques ne soient pas réduits à néant par des comportements moins vertueux, et que nos producteurs, nos entreprises, qui font des efforts considérables ne soient pas livrés à une concurrence inéquitable.

Cet outil important est très soutenu par le Parlement européen, dont je veux saluer le travail. La feuille de route qu'il a négociée autour du budget européen comporte un engagement de calendrier : la Commission européenne présentera au premier semestre 2021 un texte législatif – cela devient très concret ; le Conseil et le Parlement se sont engagés à ce que l'on mette en place le mécanisme d'ici au début de 2023. C'est un engagement politique important et négociation législative ira donc rapidement. Nous devons y pousser, notamment lorsque la France exercera la présidence de l'Union européenne.

La sécurité et la lutte contre le terrorisme étaient également au menu de ce Conseil européen. Elles ont été traitées de manière non pas superficielle mais rapide à ce stade, parce que nous devons encore faire des propositions – la Commission en a présenté certaines la semaine dernière –, y compris sur la réforme de Schengen, comme l'a souhaité le Président de la République, pour affiner nos outils et les renforcer dans les prochains mois.

La lutte contre la haine en ligne ne figurait pas au programme bien que le sujet soit très important, et que la France et nombre de ses parlementaires, nationaux et européens, se soient battus pour cette cause. Un règlement européen sur le retrait des contenus terroristes en ligne a trouvé son aboutissement entre le Parlement européen et le Conseil jeudi 9 décembre après-midi. Il prévoit un retrait dans un délai d'une heure, sur injonction de tout État en Europe. C'est une avancée concrète, majeure, pour la protection de nos concitoyens.

La Commission européenne a présenté les textes dits Digital Services Act (DSA) et Digital Markets Act (DMA), qui renforceront aussi nos outils de lutte contre la haine en ligne. C'est majeur dans la lutte contre le terrorisme. Nous en avons d'autres, comme l'accélération de la mise en œuvre de nos bases d'information ou le renforcement du contrôle de nos frontières extérieures. Ces orientations ont été confortées ou confirmées à l'occasion du Conseil européen.

La Présidente de la Commission européenne a également fait un point sur la négociation entre l'Union européenne et le Royaume-Uni : ce point a été très brièvement discuté, non parce qu'il n'est pas important, mais d'abord parce qu'il est encore en cours à l'heure même où nous parlons. Personne du reste n'a souhaité ouvrir un débat sur notre mandat, nos priorités : elles sont claires, connues, confirmées à vingt-sept, notamment celles données à la pêche, aux conditions de concurrence équitable, à un mode de gouvernance qui nous permette de réagir s'il y avait des distorsions de concurrence dans la future relation. Aucun doute, ni dissensus ne se sont exprimés parmi les vingt-sept lors du Conseil européen. Cette absence de controverse ou de débat mérite d'être soulignée, car c'est ce qui fait notre force dans cette négociation, qui se poursuit.

Les chefs d'État et de gouvernement ont évoqué au dîner – c'est souvent le cas dans ces formats – des questions de politique étrangère, notamment celle de la Turquie. Nous nous étions donné rendez-vous après le Conseil européen du mois d'octobre – j'en avais rendu compte à la représentation nationale –, pour voir le choix stratégique que faisait la Turquie. En octobre, nous l'avions laissée face à une alternative : reprendre le chemin du dialogue et faire des gestes de coopération, d'apaisement – nous aurions été satisfaits de cette situation, pour réengager une discussion – ou continuer dans des actions « unilatérales et provocatrices », pour reprendre les termes agréés par l'ensemble des Vingts-Sept. C'est malheureusement le choix qu'a fait la Turquie.

Face à ce constat, sur différents théâtres, nous avons dû réagir. Vous le savez, il y a eu un débat européen, et, à l'unanimité, des sanctions ont été adoptées, sans un immense débat, je dois le dire. Il y a eu quelques difficultés mais le principal a été acté assez vite, dans le cadre d'un régime existant, celui de la Méditerranée orientale, en donnant aussi, au-delà de cette première étape importante de crédibilité et de fermeté de l'Union européenne, mandat au Haut Représentant de l'Union, M. Borell, pour faire d'autres propositions d'ici au mois de mars et élargir potentiellement le champ des sanctions si la Turquie persistait dans cette attitude provocatrice.

Cela est très important. Est-ce suffisant ? Sans doute pas. La fermeté européenne doit‑elle être renforcée, consolidée ? Sûrement. Là aussi, nous étions face à un test de crédibilité. Nous l'avons passé. Il n'était pas évident de se mettre d'accord, à l'unanimité, sur un ensemble de sanctions importantes, dont la désignation exacte, individuelle, sera précisée dans les prochaines semaines par les ministres des affaires étrangères.

La relation transatlantique a été brièvement évoquée, pour rappeler la nécessité non seulement de recréer un agenda commun, mais aussi de continuer le chemin de l'autonomie européenne, qui reste pertinent et nécessaire malgré les changements politiques à Washington.

Les chefs d'État et de gouvernement ont évoqué la question du voisinage au sud de l'Europe, et, sous l'impulsion de la France, de l'Espagne et de quelques autres pays, la nécessité de renforcer la coopération en Méditerranée.

Quelques autres questions internationales, que je ne fais que mentionner, ont été brièvement discutées, parmi lesquelles la situation en Libye ou de la centrale nucléaire biélorusse d'Astraviets.

À noter qu'un point a été acté, juste avant le sommet, par les ministres des affaires étrangères : l'adoption d'un régime mondial de sanctions de l'Union européenne en matière de droits de l'homme, dont le Conseil européen s'est félicité. Il avait été acté juridiquement trois jours avant la réunion des chefs d'État et de gouvernement.

Enfin, vendredi matin s'est tenu une séquence importante dans le cadre de notre relance économique : le sommet de la zone euro, qui a permis d'abord de prendre acte des progrès importants réalisés par les ministres des finances quelques jours auparavant, en particulier l'adoption de la réforme du mécanisme européen de stabilité, un outil de réponse d'urgence aux crises financières ou de financement des États de la zone euro en cas de besoin. Nous l'avons musclé, renforcé. C'était, on s'en souvient, un acquis de l'accord franco-allemand de Meseberg, il y a deux ans, mais qui avait traîné dans les ratifications nationales. C'est désormais chose faite.

Nous avons à cette occasion accéléré la mise en place d'une étape essentielle de l'union bancaire et de la protection des épargnants – c'est un peu technique mais c'est important – en mettant en place un filet de sécurité au Fonds de résolution unique européen, à travers l'argent du mécanisme européen de stabilité.

C'est une étape. Il faut continuer sur la voie de l'union bancaire, notamment avec un système européen de garantie des dépôts, qui complétera nos dispositifs nationaux. C'est une ambition que la France a toujours défendue ; nous n'y sommes pas encore, mais l'Allemagne se montre plus ouverte sur cette voie aussi. Il était important, à travers ce sommet de la zone euro, de relancer ce chantier, au-delà du sujet économique du moment et du plan de relance, qui est si essentiel.

J'ai été le plus exhaustif possible, mais suis à votre entière disposition pour préciser ces sujets ou évoquer d'autres points.

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