Commission des affaires européennes

Réunion du mardi 15 décembre 2020 à 18h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mardi 15 décembre 2020

Présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 18 heures 35.

I. Audition de M. Clément Beaune, Secrétaire d'État aux affaires européennes sur les résultats du Conseil européen des 10 et 11 décembre 2020

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Monsieur le secrétaire d'État chargé des affaires européennes, je vous remercie d'être parmi nous. Le Conseil européen des 10 et 11 décembre était un test pour l'Europe, avec un agenda particulièrement dense. J'ai plaisir à accueillir nos collègues députés européens, notamment Nathalie Loiseau : il est toujours très enrichissant de pouvoir échanger et j'espère que nous pourrons continuer ainsi durant l'année qui vient.

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Clément Beaune, Secrétaire d'État auprès du Ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargées des affaires européennes

Je suis heureux que nous puissions nous retrouver après le Conseil européen de jeudi et vendredi derniers, en attendant de le faire dans un autre format, plus agréable – je l'espère en tout cas. Il était toutefois important que nous puissions échanger, vous rendre compte de ce dernier conseil de l'année, qui était effectivement chargé et important, dans son menu comme dans ses résultats.

Trois sujets principalement ont fait l'objet d'avancées importantes, voire majeures : la Turquie, le climat et la question budgétaire ainsi que celle, liée, de l'État de droit.

La question budgétaire est apparue la première à l'ordre du jour de ce conseil des chefs d'État et de gouvernement. Elle a trouvé un épilogue très satisfaisant au niveau européen – ou du moins un quasi-épilogue, la dernière étape étant entre vos mains.

J'en avais pris l'engagement devant l'Assemblée comme devant le Sénat, au nom du Gouvernement : nous ne comptions céder ni sur l'impératif de la relance – c'est une magnifique nouvelle et réussite européenne que nous devions faire aboutir, sans aucun rabot ni amoindrissement, et nous y sommes parvenus –, ni sur le respect de nos valeurs, la défense de l'État de droit donc, en particulier, sur le règlement tel qu'il avait été négocié par le Parlement européen, le Conseil et la Commission.

Je veux à ce propos saluer l'action des députés européens de différentes sensibilités, qui ont permis ce succès : nous leur devions, comme à l'Europe et à nos concitoyens, de faire aboutir ce mécanisme nouveau, qu'il faudra certes compléter à l'avenir, mais qui est une avancée importante, dans la mesure où le règlement adopté établit désormais un lien entre les versements européens, la solidarité budgétaire et le respect de nos valeurs essentielles, en particulier l'indépendance de la justice. Et contrairement à ce que l'on a pu entendre à la suite de certaines confusions, d'interrogations, voire de mauvaises interprétations, parfois délibérées, le Conseil européen n'a pas remis en cause une virgule de ce règlement sur l'État de droit – il n'en avait d'ailleurs pas le pouvoir –, de même qu'il n'a pas rouvert les discussions sur le plan de relance ou le budget européen. Mais il n'a certainement pas remis en question le travail des colégislateurs : c'était essentiel pour nous, comme pour d'autres pays.

Nous avons produit, dans les conclusions du Conseil européen, une forme de déclaration politique, qui rappelle des éléments qui préexistaient, notamment le droit de tout État membre à saisir la Cour de justice de l'Union européenne sur tout texte européen. Ce droit n'a pas été créé par le Conseil européen – qui n'en avait, là non plus, pas le pouvoir ; il est simplement formalisé, explicité dans la déclaration. La Commission a pris l'engagement politique de préciser le règlement par des lignes directrices, ce qui est normal, et de laisser le temps à une éventuelle saisine de la Cour de justice de l'Union européenne, ce que ne manqueront pas de faire la Pologne ou la Hongrie, pour affiner ces lignes directrices et appliquer l'éventuel mécanisme de sanction à l'issue de cette procédure juridictionnelle.

Concrètement, on ne crée pas de droits, on ne remet pas en cause le règlement européen – du reste, à supposer que la Commission européenne se mette, demain ou à partir du 1er janvier, à enquêter, à investiguer sur de possibles atteintes à l'État de droit, cela prendrait plusieurs mois. Autrement dit, cette clarification politique ne remet aucunement en cause la portée de ce mécanisme ; la Cour de justice est du reste tout à fait libre d'accélérer, si elle le souhaite, ses procédures et son calendrier de décisions : c'est son choix souverain.

On a donc un cadre robuste, qui, je l'espère, sera confirmé par la Cour de justice, et qui, je le répète, ne remet en cause ni le fond ni la forme – nous restons dans le cadre de la majorité qualifiée – d'un règlement âprement négocié par le Parlement européen et le Conseil.

Nous avons tenu bon, et tenu l'engagement que nous devions au Parlement et à nos concitoyens, de préserver la relance comme nos valeurs.

Nous avons aussi eu une discussion sur la coordination sanitaire face à la pandémie ; je n'en reprendrai pas tous les aspects. La question des vaccins a été discutée et saluée : c'est une vraie réussite européenne, qui nécessitait d'être confirmée et consolidée. Nous avons convenu d'un cadre européen pour l'acquisition des vaccins, avec six grands laboratoires, six candidats vaccins : il permettra d'acquérir au moins 1,5 milliard de doses donc de couvrir la population européenne, selon une stratégie phasée, d'ores-et-déjà à peu près identique d'un pays à l'autre.

Dans d'autres domaines, il nous faut encore progresser en termes de coordination européenne et particulièrement sanitaire, notamment sur la reconnaissance mutuelle des tests rapides antigéniques – le Président de la République a insisté sur ce point. Le problème ne se pose probablement pas aujourd'hui dans la mesure où nous sommes encore dans des situations de confinement ou de couvre-feu, selon les cas, assez strictes, mais il en ira tout autrement lorsque la circulation redeviendra normale après la réouverture progressive de nos pays et de nos économies : il ne faudra pas revivre ce que l'on a vécu à l'été et au début de l'automne avec des critères qui variaient d'un pays à l'autre. La reconnaissance mutuelle de nos tests sera un des outils très importants de bonnes coopérations européenne dans les semaines qui viennent. Il faut s'y préparer dès maintenant. La Commission a été invitée par le Conseil à faire des recommandations dans ce sens et donc à définir un cadre commun.

À propos des vaccins, une précision importante : l'Agence européenne des médicaments a annoncé aujourd'hui même qu'elle avançait sa réunion et donc probablement sa décision sur l'autorisation d'un premier vaccin, le Pfizer-BioNTech, au 21 décembre, avant Noël, comme la France, l'Allemagne et d'autres pays le souhaitaient, dans le respect évidemment des exigences scientifiques et de sécurité. L'Agence européenne a accepté de travailler plus vite : c'est une bonne chose quand on voit que d'autres grandes puissances, d'autre pays avancent.

La question climatique, autre point essentiel, avait déjà donné lieu à un premier tour de table, assez rapide, lors du Conseil européen d'octobre. Lors de ce sommet des 10 et 11 décembre, qui nous a occupés une large partie de la nuit, nous avons rapidement trouvé un accord européen pour rehausser très significativement notre ambition climatique pour 2030. Il y a exactement un an, nous avions adopté l'objectif d'une neutralité carbone à l'horizon 2050 – la France avait déjà été motrice, tout au long de l'année 2019, pour atteindre cette ambition européenne ; cette fois-ci, en cohérence avec cette trajectoire, nous avons rehaussé nos objectifs de réduction d'émissions à moins 55 % pour 2030. Certains éléments restent à clarifier, notamment sur la différenciation des objectifs, mais celui de l'Union européenne est acté. Il pourra d'ailleurs être notifié en vue de la prochaine Conférence des parties (COP). Comme cela est obligatoire aux termes de l'accord de Paris, nous allons notifier une nouvelle contribution. C'était un signal indispensable à la veille du cinquième anniversaire de l'accord de Paris.

Cet objectif acté est conforté non seulement par certains éléments de nature financière – le plan de relance et le budget européen eux-mêmes qui, pour 30 % au moins, seront consacrés aux dépenses climatiques, à la transition écologique –, mais aussi par des mécanismes tout à la fois justes et efficaces, notamment celui de l'ajustement carbone ou taxe carbone aux frontières de l'Union européenne. Ce principe permet d'aligner le prix du carbone, au moins sur certains produits sensibles, entre l'Europe et les exportateurs étrangers vers l'Europe, afin d'éviter que nos efforts climatiques ne soient pas réduits à néant par des comportements moins vertueux, et que nos producteurs, nos entreprises, qui font des efforts considérables ne soient pas livrés à une concurrence inéquitable.

Cet outil important est très soutenu par le Parlement européen, dont je veux saluer le travail. La feuille de route qu'il a négociée autour du budget européen comporte un engagement de calendrier : la Commission européenne présentera au premier semestre 2021 un texte législatif – cela devient très concret ; le Conseil et le Parlement se sont engagés à ce que l'on mette en place le mécanisme d'ici au début de 2023. C'est un engagement politique important et négociation législative ira donc rapidement. Nous devons y pousser, notamment lorsque la France exercera la présidence de l'Union européenne.

La sécurité et la lutte contre le terrorisme étaient également au menu de ce Conseil européen. Elles ont été traitées de manière non pas superficielle mais rapide à ce stade, parce que nous devons encore faire des propositions – la Commission en a présenté certaines la semaine dernière –, y compris sur la réforme de Schengen, comme l'a souhaité le Président de la République, pour affiner nos outils et les renforcer dans les prochains mois.

La lutte contre la haine en ligne ne figurait pas au programme bien que le sujet soit très important, et que la France et nombre de ses parlementaires, nationaux et européens, se soient battus pour cette cause. Un règlement européen sur le retrait des contenus terroristes en ligne a trouvé son aboutissement entre le Parlement européen et le Conseil jeudi 9 décembre après-midi. Il prévoit un retrait dans un délai d'une heure, sur injonction de tout État en Europe. C'est une avancée concrète, majeure, pour la protection de nos concitoyens.

La Commission européenne a présenté les textes dits Digital Services Act (DSA) et Digital Markets Act (DMA), qui renforceront aussi nos outils de lutte contre la haine en ligne. C'est majeur dans la lutte contre le terrorisme. Nous en avons d'autres, comme l'accélération de la mise en œuvre de nos bases d'information ou le renforcement du contrôle de nos frontières extérieures. Ces orientations ont été confortées ou confirmées à l'occasion du Conseil européen.

La Présidente de la Commission européenne a également fait un point sur la négociation entre l'Union européenne et le Royaume-Uni : ce point a été très brièvement discuté, non parce qu'il n'est pas important, mais d'abord parce qu'il est encore en cours à l'heure même où nous parlons. Personne du reste n'a souhaité ouvrir un débat sur notre mandat, nos priorités : elles sont claires, connues, confirmées à vingt-sept, notamment celles données à la pêche, aux conditions de concurrence équitable, à un mode de gouvernance qui nous permette de réagir s'il y avait des distorsions de concurrence dans la future relation. Aucun doute, ni dissensus ne se sont exprimés parmi les vingt-sept lors du Conseil européen. Cette absence de controverse ou de débat mérite d'être soulignée, car c'est ce qui fait notre force dans cette négociation, qui se poursuit.

Les chefs d'État et de gouvernement ont évoqué au dîner – c'est souvent le cas dans ces formats – des questions de politique étrangère, notamment celle de la Turquie. Nous nous étions donné rendez-vous après le Conseil européen du mois d'octobre – j'en avais rendu compte à la représentation nationale –, pour voir le choix stratégique que faisait la Turquie. En octobre, nous l'avions laissée face à une alternative : reprendre le chemin du dialogue et faire des gestes de coopération, d'apaisement – nous aurions été satisfaits de cette situation, pour réengager une discussion – ou continuer dans des actions « unilatérales et provocatrices », pour reprendre les termes agréés par l'ensemble des Vingts-Sept. C'est malheureusement le choix qu'a fait la Turquie.

Face à ce constat, sur différents théâtres, nous avons dû réagir. Vous le savez, il y a eu un débat européen, et, à l'unanimité, des sanctions ont été adoptées, sans un immense débat, je dois le dire. Il y a eu quelques difficultés mais le principal a été acté assez vite, dans le cadre d'un régime existant, celui de la Méditerranée orientale, en donnant aussi, au-delà de cette première étape importante de crédibilité et de fermeté de l'Union européenne, mandat au Haut Représentant de l'Union, M. Borell, pour faire d'autres propositions d'ici au mois de mars et élargir potentiellement le champ des sanctions si la Turquie persistait dans cette attitude provocatrice.

Cela est très important. Est-ce suffisant ? Sans doute pas. La fermeté européenne doit‑elle être renforcée, consolidée ? Sûrement. Là aussi, nous étions face à un test de crédibilité. Nous l'avons passé. Il n'était pas évident de se mettre d'accord, à l'unanimité, sur un ensemble de sanctions importantes, dont la désignation exacte, individuelle, sera précisée dans les prochaines semaines par les ministres des affaires étrangères.

La relation transatlantique a été brièvement évoquée, pour rappeler la nécessité non seulement de recréer un agenda commun, mais aussi de continuer le chemin de l'autonomie européenne, qui reste pertinent et nécessaire malgré les changements politiques à Washington.

Les chefs d'État et de gouvernement ont évoqué la question du voisinage au sud de l'Europe, et, sous l'impulsion de la France, de l'Espagne et de quelques autres pays, la nécessité de renforcer la coopération en Méditerranée.

Quelques autres questions internationales, que je ne fais que mentionner, ont été brièvement discutées, parmi lesquelles la situation en Libye ou de la centrale nucléaire biélorusse d'Astraviets.

À noter qu'un point a été acté, juste avant le sommet, par les ministres des affaires étrangères : l'adoption d'un régime mondial de sanctions de l'Union européenne en matière de droits de l'homme, dont le Conseil européen s'est félicité. Il avait été acté juridiquement trois jours avant la réunion des chefs d'État et de gouvernement.

Enfin, vendredi matin s'est tenu une séquence importante dans le cadre de notre relance économique : le sommet de la zone euro, qui a permis d'abord de prendre acte des progrès importants réalisés par les ministres des finances quelques jours auparavant, en particulier l'adoption de la réforme du mécanisme européen de stabilité, un outil de réponse d'urgence aux crises financières ou de financement des États de la zone euro en cas de besoin. Nous l'avons musclé, renforcé. C'était, on s'en souvient, un acquis de l'accord franco-allemand de Meseberg, il y a deux ans, mais qui avait traîné dans les ratifications nationales. C'est désormais chose faite.

Nous avons à cette occasion accéléré la mise en place d'une étape essentielle de l'union bancaire et de la protection des épargnants – c'est un peu technique mais c'est important – en mettant en place un filet de sécurité au Fonds de résolution unique européen, à travers l'argent du mécanisme européen de stabilité.

C'est une étape. Il faut continuer sur la voie de l'union bancaire, notamment avec un système européen de garantie des dépôts, qui complétera nos dispositifs nationaux. C'est une ambition que la France a toujours défendue ; nous n'y sommes pas encore, mais l'Allemagne se montre plus ouverte sur cette voie aussi. Il était important, à travers ce sommet de la zone euro, de relancer ce chantier, au-delà du sujet économique du moment et du plan de relance, qui est si essentiel.

J'ai été le plus exhaustif possible, mais suis à votre entière disposition pour préciser ces sujets ou évoquer d'autres points.

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C'était effectivement un programme très dense. S'agissant de l'État de droit, on parle beaucoup de la Pologne et de la Hongrie, mais l'audition de Didier Reynders comme le rapport de la Commission sur l'État de droit relèvent également de gros problèmes en Bulgarie et en Slovénie. La question a-t-elle été évoquée ? Comment ces deux États se sont-ils comporté lors des négociations sur la conditionnalité ? D'une manière plus générale, quel regard portez-vous sur ce dernier sommet et la présidence allemande ?

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Monsieur le secrétaire d'État, votre exposé très détaillé résume à lui seul l'année qui vient de s'écouler. C'était au fond un condensé des défis que l'Europe a eu à relever en 2020 : les doutes, les divisions qui ont pu nous saisir dans un premier temps et surtout, la réaction très forte, très unie et solidaire des Européens dans la deuxième partie de la crise.

Ce sommet de fin d'année nous dit aussi beaucoup de ce qu'est devenue l'Europe aujourd'hui et des progrès qu'elle a accomplis au cours des neuf derniers mois. L'Europe a beaucoup changé, en dépit des crises auxquelles nous avons été confrontés. Nous nous sommes renforcés. Parmi l'ensemble des États membres, à quelques nuances près, évidemment, l'impératif de défense de la souveraineté européenne fait désormais consensus, de même que la capacité d'avancer ensemble sur notre sécurité, la santé de nos concitoyens, la relance de notre économie. Ce changement d'état d'esprit est fondamental. Le regard que nous portons sur nous-mêmes et sur le monde est en train de changer radicalement. Et cela, on le doit au travail inlassable que le Président de la République et vous-même avez mené ces trois dernières années.

Trois points de ce sommet résument parfaitement ce changement d'état d'esprit en Europe : c'est d'abord l'accord sur le budget européen et le plan de relance européen massif, qui a été entériné. On se rend compte qu'en l'espace de quelques mois, on est capable d'aller jusqu'à 2 000 milliards d'euros avec le cadre financier pluriannuel et le plan de relance, donc d'apporter une réponse économique suffisamment robuste pour dépasser la crise, là où, en 2008, il a fallu plusieurs mois, si ce n'est plusieurs années, pour y arriver.

Le deuxième point important, c'est évidemment la Turquie. Les Européens ont su faire preuve de fermeté en adoptant des sanctions afin qu'elle mette fin aux actions unilatérales qu'elle multipliait en Méditerranée orientale. Ce n'était pas forcément évident il y a quelques mois a vu des positions de certains États membres.

Troisième élément fondamental, le climat. L'Union européenne s'est montrée à la hauteur de son ambition climatique en se fixant des objectifs très ambitieux. C'est un changement d'état d'esprit majeur de la part de certains États membres.

Sur ce dernier point, j'aurais aimé vous interroger sur les déclarations du Président de la République, hier soir, devant la Convention citoyenne pour le climat. Il a annoncé un référendum afin de garantir la préservation de l'environnement dans la Constitution : c'est une décision fondamentale, que nous soutiendrons évidemment avec beaucoup de force. Il a également proposé d'européaniser la convention citoyenne, avec une convention citoyenne européenne. J'avais moi-même, avec d'autres, émis l'idée d'une convention citoyenne sur l'Europe, notamment dans la perspective de la présidence française, sur le modèle de la convention pour le climat. Vous y aviez réagi de manière positive. Où en est la réflexion sur ce sujet ? Plus globalement, qu'entend le Président de la République par une convention européenne ? Est-elle liée au climat, ou plus globale ?

Enfin, quel regard portez-vous sur l'année écoulée, avec le covid-19 et les progrès réalisés par les Européens ces neuf derniers mois ?

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Mes propos ne seront pas aussi laudateurs que ceux de Pieyre-Alexandre Anglade car nous n'appartenons pas au même groupe politique, même si je partage évidemment les ambitions portées par la France à l'occasion de ce conseil.

Vous avez évoqué en quelques secondes la question du Brexit. Vous étiez à Boulogne et à Calais il y a quelques jours. Je dois vous avouer que nous avons du mal à comprendre la position de la Commission, qui se laisse toujours la possibilité de continuer à négocier alors que l'heure tourne et que les douze coups de minuit du 31 décembre vont bientôt sonner. Tout cela pour aboutir soit à un accord dégradé, soit à un no deal final, c'est du temps perdu qu'on aurait pu utiliser pour anticiper, ne serait-ce que psychologiquement, ce qui va se passer.

Que les Britanniques déclarent qu'ils enverront la Royal Navy patrouiller dans les eaux de la Manche et de la mer du Nord afin d'empêcher les fileyeurs français de pêcher dans leurs eaux, ce n'est plus simplement un problème de bon voisinage : c'est quasiment un acte de guerre.

Ma question est simple : tous ces reports pourront-ils réellement aider à la conclusion d'un accord ? Une fois arrivés au 31 décembre, devons-nous, une fois de plus, faire preuve de l'inventivité dont nous usons toujours avec les Britanniques, en disant que, pour l'instant, il n'y a pas d'accord, mais, potentiellement, dans les prochains jours, semaines ou mois, nous y parviendrons… Car sur le terrain, les conséquences sont lourdes : vous l'avez vu à Boulogne pour les pêcheurs, et à Calais pour transporteurs. Ce qui nous mine, ce n'est pas la perspective du no deal, mais cette incertitude : ces discussions auront-elles une fin ?

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Le groupe MODEM se joint aux compliments formulés par M. Anglade. Le résultat du Conseil est globalement très positif ; la France obtient ici la récompense d'années d'efforts. De fait, nous sommes parvenus, en quelques mois, à triompher des réticences extrêmement fortes des États qu'on dit frugaux – et que je qualifie plus volontiers d'États radins – et de ceux qui mettent en cause les valeurs de l'Union européenne telles que nous les interprétons. Il faut donc vous féliciter, cher Clément, ainsi que le Président de la République, pour ce succès.

Ma première question a trait au mécanisme relatif au respect de l'État de droit. Il a été rappelé à nos partenaires hongrois, polonais et slovènes qu'ils avaient le droit de contester le règlement devant la Cour de justice et qu'ils ne seraient pas poursuivis avant que celle-ci ait tranché. Mais si la Cour de justice valide le règlement, nous confirmez-vous que les infractions éventuellement constatées avant cette décision pourront être sanctionnées ?

Deuxièmement, on a donné à ceux des États membres qui, en raison des particularités de leur production énergétique, rencontrent des difficultés pour réaliser leur transition énergétique, notamment la Pologne, des assurances en matière d'accompagnement financier. Mais quel est le degré exact du contrôle que nous exercerons pour les amener à respecter l'objectif d'une réduction de 55 % des émissions de CO2 ?

Troisièmement, vous avez indiqué qu'un État pourrait demander le retrait, dans un délai extrêmement bref, d'un texte incitant à la haine publié sur une plateforme en ligne. Une procédure de validation de cette demande, par la Commission par exemple, est-elle prévue ? On peut en effet supposer qu'en la matière, l'interprétation n'est pas la même à Paris, à Varsovie et à Budapest. Il ne faudrait pas qu'un texte qui nous paraît, à nous, anodin soit retiré à la demande d'un État qui aurait une opinion différente sur le sujet.

Sur la question de la pêche enfin, je ne serai pas aussi sévère que M. Dumont, mais je m'interroge. Si, en l'absence de deal, les Britanniques usaient de moyens de coercition, militaires notamment, pour empêcher les pêcheurs communautaires d'exercer leur activité dans leurs eaux, quelle serait notre action de rétorsion ? Nous disposons, dit-on, d'un atout considérable dans la mesure où le poisson britannique est vendu chez nous ; encore faut-il que cet avantage puisse être concrétisé, ce qui n'est pas évident compte tenu des règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Envisagez-vous, dans cette hypothèse, d'appliquer aux poissons que les Britanniques débarqueraient à Boulogne des droits de douane élevés ?

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Lors du Conseil européen, les dirigeants de l'Union européenne ont accueilli avec satisfaction les récentes annonces positives concernant la conclusion de contrats communs d'achat de vaccins contre la covid-19 anticipés par la Commission. Ils ont notamment souligné combien les préparatifs en vue du déploiement et de la distribution en temps utile des vaccins étaient importants si nous voulons être sûrs qu'ils seront disponibles dans les meilleurs délais et de manière coordonnée. Ils ont également insisté sur l'importance de fournir des informations factuelles claires sur les vaccins et de lutter contre la désinformation.

À propos de l'approche selon laquelle le vaccin doit être un bien public mondial, ils ont discuté des efforts déployés contre la pandémie dans le monde et affirmé que l'Union européenne poursuivrait ses efforts pour contribuer à la riposte internationale, notamment par l'intermédiaire du mécanisme COVAX, qui vise à garantir un accès équitable et abordable au vaccin. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce mécanisme et sur l'action que mènera l'Union européenne en la matière ?

Les recherches sur le vaccin sont principalement financées par des fonds publics considérables mais, une fois découverts, les vaccins et traitements deviennent la propriété des seuls groupes pharmaceutiques. Ce constat me conduit à formuler deux propositions au nom du groupe GDR. D'abord, l'accès au diagnostic, aux thérapies et aux vaccins contre la covid-19 ne doit pas être entravé par des droits de propriété intellectuelle ou des restrictions similaires : les grandes entreprises pharmaceutiques ne doivent pas tirer profit de cette pandémie alors que leurs recherches ont été financées par des fonds publics. Ensuite, les vaccins et traitements contre les pandémies doivent devenir un bien public mondial librement accessible à tous et toutes, comme cela a été demandé en mai dernier par l'Organisation mondiale de la santé. Quelle est la position de l'Union européenne sur ce point ?

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Clément Beaune, Secrétaire d'État

Monsieur Anglade, deux initiatives distinctes devraient être prises concernant les conventions citoyennes. Tout d'abord, nous souhaitons lancer rapidement la conférence sur l'avenir de l'Europe – nous avons, hélas, pris du retard car nous sommes toujours à la recherche de la personne idoine pour en assurer la présidence. Cette conférence devrait voir le jour sous la présidence portugaise et se conclure sous la présidence française. Il est prévu, conformément aux propositions du Parlement européen et de la Commission, que des panels citoyens apportent leurs contributions au même titre que les institutions, les associations et les ONG, sur des thèmes tels que la réforme des politiques européennes, notamment dans les domaines migratoire, climatique et commercial. Des citoyens européens, éclairés par des experts ou des associations, travailleront ensemble à élaborer des propositions communes. Cet exercice était inédit au niveau européen.

Par ailleurs, le Président de la République a évoqué, hier soir, la possibilité d'organiser, sous la présidence française, un exercice similaire à celui de notre convention citoyenne sur le climat. Ce sera l'occasion de défendre des propositions européennes au niveau international, notamment lors de l'événement de l'Organisation des nations unies, Stockholm + 50, qui sera, en 2022, un grand moment de débat sur les objectifs climatiques et environnementaux mondiaux.

Monsieur Dumont, je ne sais pas si cela est de nature à vous rassurer, mais je partage votre frustration et votre impatience face à tant d'incertitudes : les pêcheurs, les entreprises et les citoyens français et européens ont besoin de savoir comment les choses vont se passer. Je peux dire deux choses à sujet. Premièrement, nous savons que, pour nombre d'activités et de déplacements, des changements interviendront au 1er janvier, quoi qu'il arrive ; c'est une certitude que nous devons, tous ensemble, marteler. Nous nous y sommes préparés – c'était l'objet de la visite du Premier ministre à Boulogne et à Calais –, en renforçant les effectifs des douanes, qui bénéficieront de 700 personnels supplémentaires, les effectifs de la police aux frontières, qui bénéficiera de presque 300 personnels supplémentaires, et en recrutant plus de 300 vétérinaires chargés de contrôler le respect de nos normes alimentaires par les Britanniques dans le cadre de leurs exportations vers la France et l'Union européenne. De fait, qu'un accord ait été conclu ou non, le Royaume-Uni sera pleinement un pays tiers à partir du 1er janvier à minuit.

Deuxièmement, au-delà de ces changements inéluctables, l'incertitude demeure quant à l'activité économique, en particulier la pêche. Des droits de douane seront-ils appliqués ? Ce sera le cas si aucun accord n'est conclu.

Nous nous donnons encore quelques jours pour parvenir à un accord – tout cela a parfois des airs de grand théâtre, j'en suis conscient, mais les enjeux sont si importants. Ce faisant, nous ne faisons pas montre de faiblesse : nous avons tout intérêt à conclure un bon accord, qui respecte les intérêts de nos pêcheurs – nous les évaluerons de manière transparente – et les conditions d'une concurrence équitable. Si nous pouvons y parvenir – encore une fois, pas à n'importe quelles conditions : nous n'agissons pas sous la pression du calendrier –, comme Michel Barnier, notre négociateur, en qui nous avons une totale confiance, et la présidente de la Commission européenne elle-même l'a indiqué aux chefs d'États et de gouvernement à la fin du Conseil européen, cela vaut le coup, me semble-t-il, de poursuivre les négociations. Jusqu'à quand ? Sur ce point, je serai prudent : tous ceux qui ont fait des prédictions sur le Brexit se sont trompés… Mais cela se jouera d'ici à la fin de la semaine – la présidente de la Commission souhaitait même que ce soit un peu plus tôt. Nous sommes déjà dans le temps additionnel. Nos pêcheurs, nos entreprises, doivent savoir ce qui se passera le 1er janvier. C'est pourquoi, au-delà des questions de ratification, qui sont importantes, nous avons besoin de quelques jours de délai pour la préparation et l'organisation. Quoi qu'il soit, deal ou no deal, des dispositifs d'accompagnement financier, notamment pour la pêche, sont prévus.

Je suis conscient des frustrations ; je ne dis pas que tout va bien. Du reste, il est encore possible que nous échouions à aboutir à un accord, ce qui ne serait pas satisfaisant, notamment pour les pêcheurs. Mais si nous nous donnons encore quelques jours, c'est parce que nous pensons, malgré tout, qu'il est mieux d'essayer encore, sans pour autant céder sur le fond. J'ajoute – et ce n'est ni une excuse ni une justification – que si cet accord intervient, sa négociation aura pris moins de temps que celles qui ont précédé tous les autres accords commerciaux, bien moins ambitieux et importants, que l'Union européenne a discutés avec des partenaires bien moins importants, qu'il s'agisse du Comprehensive economic and trade agreement (CETA), de l'accord avec le Mercosur ou de l'accord avec le Vietnam. C'est aussi la raison pour laquelle nous nous donnons cette chance supplémentaire de réussir.

Je veux croire que l'évocation de la présence de la Royal Navy dans les eaux britanniques n'est qu'une provocation et une théâtralisation malvenue. Je n'imagine pas une seconde que l'Europe et le Royaume Uni en arrivent à entretenir ce type de relations. Calme et détermination donc, plutôt que provocation et théâtralisation.

Monsieur Bourlanges, nous n'avons pas remis en cause – du reste, nous ne le souhaitions pas – le mécanisme législatif relatif au respect de l'État de droit. Dans sa déclaration, le Conseil évoque essentiellement deux points. Premièrement, il rappelle un fait : tout État membre a le droit d'intenter un recours contre un texte législatif devant la Cour de justice ; je me réjouis d'ailleurs que la Pologne et la Hongrie lui accordent tant de crédit et d'importance ! Deuxièmement, la Commission définira les lignes directrices qui régiront le fonctionnement pratique du mécanisme législatif – leur élaboration prendra quelques semaines ou quelques mois – et attendra le résultat de la procédure juridictionnelle, si elle était déclenchée, pour les appliquer et, le cas échéant, proposer au Conseil une suspension des financements européens ou des sanctions. Pour être honnête, cela ne change pas grand-chose dans les faits : il faudra de toute façon compter plusieurs mois pour rassembler des faits et instruire un dossier. Le mécanisme, qui perdurera au-delà du plan de relance et du budget, ne sera donc pas ralenti ; il sera même conforté, puisque la Cour de justice se sera prononcée et la Commission aura pu engager le travail technique en attendant. Même si la Cour de justice se prononce, par exemple, le 1er janvier 2022, les atteintes à l'État de droit constatées à partir du 1er janvier 2021 pourront être sanctionnées.

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Avant l'élaboration des lignes directrices, donc. C'est un problème.

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Clément Beaune, Secrétaire d'État

La commission peut commencer à travailler, puisque le règlement est entré en vigueur. Elle devra cependant attendre la décision de la Cour de justice pour entrer dans la phase finale, celle de la recommandation de sanctions, pour des faits constatés à partir du 1er janvier 2021.

S'agissant du climat, les mécanismes d'accompagnement financier n'ont pas été précisés plus avant car ils dépendront des efforts nationaux, sur lesquels les discussions doivent encore se poursuivre. En tout état de cause, on ne paiera pas à chaque fois. Le budget adopté par le Conseil comporte d'importants et légitimes mécanismes de soutien financier en faveur de certains pays de l'est de l'Europe, notamment la Pologne, pour lesquels la transition écologique est plus coûteuse dès lors que le mix énergétique qui a pu leur être imposé sous la domination soviétique reposait essentiellement sur le charbon : je pense au fonds pour une transition juste, qui s'élève ainsi à 17,5 milliards d'euros et dont la Pologne sera la première bénéficiaire, pourvu qu'elle respecte l'engagement en faveur d'une neutralité carbone en 2050, donc la trajectoire pour parvenir à cet objectif. Je pense également à un fonds de modernisation qui a également vocation à aider en priorité les pays pour lesquels la transition énergétique est plus coûteuse.

Les mécanismes d'accompagnement financier sont donc nombreux, sans compter les fonds structurels européens, qui peuvent intervenir également dans ce domaine. Il est normal qu'un effort budgétaire de solidarité européenne soit consenti en faveur de ces pays, mais il ne me paraît pas envisageable de multiplier les fonds divers et variés à l'avenir car l'effort financier est déjà considérable. La discussion se poursuivra d'ici au printemps prochain, mais l'objectif commun d'une réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030 est d'ores et déjà acté.

S'agissant du règlement relatif aux contenus terroristes en ligne (TCO) – qui n'était pas au menu du Conseil européen, mais qui a été adopté concomitamment –, aucun filtre ne sera appliqué. Si la France, par exemple, constate qu'une grande plateforme numérique diffuse des images où sont mis en scène des crimes à caractère terroriste, elle pourra demander directement le retrait de ce contenu à ladite plateforme, qui devra s'exécuter dans un délai d'une heure. Un mécanisme de confirmation par l'État d'hébergement – l'Irlande, par exemple, puisque nombre de ces plateformes y ont leur siège – est prévu, mais il ne permettra de revenir sur la requête de l'État demandeur que dans des cas très limités. Et la demande est sans filtre et immédiatement exécutoire.

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Mais la Hongrie et la Pologne peuvent également formuler ce type de demandes.

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Clément Beaune, Secrétaire d'État

Oui, mais la plateforme ou l'État hébergeur pourra intenter un recours rapide dans le cadre du mécanisme de confirmation que je viens d'évoquer, afin d'éviter tout abus en matière de définition du contenu terroriste. Ce règlement, je le rappelle, porte spécifiquement sur ce type de contenus ; les éventuels abus pourront être sanctionnés en application du règlement lui-même et par la Cour de justice en cas de désaccord sur la définition du caractère terroriste du contenu. En la matière, la réactivité est absolument essentielle ; on l'a vu lors de l'attentat de Christchurch, dont la vidéo a été rediffusée plus d'un million de fois, ou du meurtre de Samuel Paty. Le mécanisme respecte l'équilibre entre les recours possibles et l'efficacité.

Sur la question de la pêche, soyons clairs : nous ne voulons pas d'un mécanisme dans lequel la seule mesure de rétorsion que nous pourrions prendre si les Britanniques fermaient l'accès de leurs eaux à nos pêcheurs serait l'application de droits de douane sur leurs ressources halieutiques. C'est un levier très important, puisque les deux tiers de l'activité de transformation britannique s'exercent sur le territoire de l'Union européenne, notamment à Boulogne, mais l'impact sur l'activité économique n'est pas comparable. C'est pourquoi nous disons aux Britanniques que s'ils veulent fermer l'accès de leurs eaux aux pêcheurs européens, il ne peut pas y avoir de partenariat économique. Notre marché est le plus important et, contrairement à la perception que les Britanniques semblent avoir parfois de la situation, ce sont eux qui partent, et pas nous. Il n'y a donc aucune raison que nous isolions la question de la pêche, domaine dans lequel ils ont un avantage, de la négociation économique d'ensemble, dans laquelle nous sommes plutôt favorisés compte tenu de la taille de nos marchés respectifs. Nous n'avons jamais accepté cette tactique et nous continuerons de la refuser jusqu'à la dernière heure de la négociation.

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Oui, mais les pêcheurs ne s'intéressent qu'au poisson…

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Clément Beaune, Secrétaire d'État

Bien sûr, et c'est normal. Mais si nous isolons le secteur halieutique – accès aux eaux britanniques contre tarifs douaniers –, l'impact économique ne serait pas équilibré.

Monsieur le président Chassaigne, l'Union européenne et la France investissent dans l'initiative internationale COVAX, qui permettra de financer l'achat de vaccins au profit des pays qui n'ont pas de ressources. Le statut de bien public mondial doit se traduire par des actions concrètes qui permettent l'accès aux vaccins ; c'en est une, et nous la soutenons. La présidente de la Commission a annoncé aujourd'hui même la signature d'un accord avec COVAX aux termes duquel l'Union européenne lui apporte un soutien financier de 500 millions d'euros. Par ailleurs, le Président de la République a évoqué la possibilité de dons de doses achetées par l'Union européenne dans le cadre du mécanisme commun ; on peut imaginer qu'une partie des doses soit ainsi réservée aux pays en difficulté ou en développement. À ceux qui contesteraient cette solidarité légitime, je rappelle non seulement que nous vaccinerons la population européenne en premier lieu, mais aussi que c'est notre intérêt : si le vaccin ne circule pas au niveau mondial, la pandémie ne s'arrêtera pas. Au-delà de l'humanité et de la solidarité, nous avons donc intérêt à aider les pays proches, et moins proches, dans lesquels le virus pourrait continuer à circuler.

Il s'agit d'une bonne expérience commune, car nous ne pourrons y faire face que par la solidarité européenne et internationale.

Sur les questions de propriété intellectuelle, je précise sans disposer de tous les éléments que la France s'est engagée ces derniers jours sur la responsabilité – une directive fournit un cadre juridique européen qui n'atténue en aucun cas celle, dans le cadre de contrats spécifiques, des laboratoires ou de nos cocontractants – ainsi que sur la transparence, à propos de laquelle de multiples questions se posent – règles, prix et nombre de doses.

Si nous avons confié un mandat à la Commission européenne en la matière, pour l'instant dans un relatif secret, mais on aurait tort d'y voir un complot : il n'y a là rien d'anormal puisque des négociations industrielles étaient menées dans le même temps par de grandes puissances internationales.

La phase actuelle requiert de notre part la transparence, ce qui explique notamment que les parlementaires européens auront accès, dans le respect des règles de confidentialité, à un certain nombre de documents qui leur permettront de vérifier par eux-mêmes.

Cela étant, nous pouvons sans doute aller plus loin : Olivier Véran, Agnès Pannier-Runacher et moi-même avons aujourd'hui même demandé par écrit à la Commission européenne que d'autres éléments, comme une évaluation indépendante du contenu de ces contrats, soient également communiqués afin d'assurer une transparence maximale et lever tout soupçon, sans pour autant contrevenir au respect du secret industriel. Cette négociation au niveau européen a été une très bonne chose ; mais pour qu'il n'y ait aucun doute, encore faut-il que tant les parlementaires que les citoyens soient totalement informés et éclairés.

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S'agissant de l'accord sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, l'objectif a été revu à la hausse. Mais les moyens mis en œuvre, s'ils se résument à 30 % du montant total du budget européen et du plan de relance, suffiront-ils pour l'atteindre, alors même que beaucoup jugent déjà l'action conduite insuffisamment volontariste ? Sommes-nous en mesure de relever un tel défi ?

Pour ce qui est du terrorisme, des mesures ont été effectivement prises pour intensifier la lutte. Faudrait-il selon vous aller plus loin, c'est-à-dire élargir les compétences du Parquet européen qui se mettra en place en mars 2021, sachant que le texte établi par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion sur le projet de loi doit être adopté très prochainement par notre assemblée ?

J'en viens à la pêche. Si l'on cherche à aboutir à un deal et donc à prolonger les discussions, et si, dans ma circonscription, notamment au Guilvinec, les pêcheurs sont bien conscients que rien ne sera plus comme avant, ceux-ci sont néanmoins très inquiets au sujet de leur accompagnement financier : dès le 2 janvier, ils ne pourront plus pêcher dans les eaux britanniques. Que pourrai-je leur dire ? La région Bretagne m'a indiqué que l'État s'en chargera, mais pour le moment, rien n'est clair. Quand les fonds prévus seront-ils débloqués ? Le seront-ils suffisamment rapidement ? Il suffira de trois mois d'interruption d'activité pour qu'ils se découragent, et peut-être engagent des actions violentes.

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Bon nombre de nos compatriotes sont très choqués par l'attitude du régime turc ainsi que par la politique très agressive de M. Erdoğan. Faut-il rappeler ce qui se passe en Méditerranée orientale, contre Chypre ou contre la Grèce, ou les propos extrêmement durs et méprisants qu'il a tenus à l'égard des dirigeants des États membres de l'Union européenne, à commencer par le Président de la République française, devenu sa véritable bête noire ?

Vous avez indiqué que le dernier Conseil européen avait réussi bon gré mal gré à se mettre d'un accord sur un début de commencement de sanctions à l'encontre de la Turquie : or force est de constater que cela ne va pas très loin, et que les mesures prises sont un minimum. Et si personne n'a contesté la nécessité d'une riposte aux nouvelles actions unilatérales de provocation, comme on les qualifie officiellement, commises par la Turquie, on voit bien que son contenu peine à être défini. En gros, on a renvoyé à plus tard.

Certes, le Haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité doit rendre un rapport faisant le point sur la situation régionale et sur les relations entre l'Union européenne et la Turquie, et les sanctions individuelles – qui seront vraisemblablement prises à l'encontre de responsables des opérations gazières dans les eaux territoriales chypriotes et grecques – devront être présentées par les ministres des affaires étrangères l'année prochaine. Tout cela reste cependant en deçà de ce qu'attendent nos opinions publiques, et notamment la nôtre.

Même si nombre de nos vingt-six partenaires ont des positions fluctuantes, ce qui rend les choses compliquées, quelles ont été les lignes de négociation, c'est-à-dire la position officielle de la France ?

J'appartiens à une famille politique, celle de la droite républicaine, qui milite ardemment pour que soient adoptés vis-à-vis de la Turquie tout à la fois un discours et des sanctions fermes : nous souhaitons en particulier que la France propose qu'il soit mis fin au versement à son bénéfice des crédits de pré-adhésion prélevés chaque année sur le budget de l'Union européenne.

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Je vous remercie, Monsieur le Secrétaire d'État, pour avoir effectué hier après-midi un déplacement à Strasbourg afin de participer à l'ouverture hautement symbolique de la session du Parlement européen par son président David Maria Sassoli. Ce retour à Strasbourg – une première depuis le mois de février et le début de la crise sanitaire – est signe que la mobilisation dont nous avons collectivement fait preuve porte ses fruits. Il nous invite à poursuivre nos efforts pour le retour sur place des députés et des fonctionnaires européens.

Il est question que la métropole strasbourgeoise héberge en 2021 certains événements emblématiques participant au renforcement de son statut de capitale européenne, comme l'hommage, le 2 février prochain, à ce grand européen que fut le président Valéry Giscard d'Estaing.

Monsieur le Secrétaire d'État, que pouvez-vous nous dire à propos de la tenue de la conférence sur l'avenir de l'Europe initialement prévue au mois de mai et reportée en raison de la crise sanitaire ?

J'en viens au renforcement de la coordination des vingt-sept dans la gestion de la crise sanitaire.

Que ce soit au travers de la mise en place d'un cadre commun relatif aux tests rapides de détection d'antigène, de la reconnaissance mutuelle des résultats des tests, de l'acquisition de vaccins ou encore de l'harmonisation des certificats de vaccination, le Conseil européen œuvre pour une approche coordonnée. Au-delà de cette gestion de crise, quelle perspective donnez-vous à la poursuite de la construction d'une Europe de la santé ? Quelles pourraient en être les prochaines étapes ?

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Député de Boulogne-sur-Mer, je vais évidemment vous parler Brexit et pêche : bon accord, pas d'accord, provocation ? J'ai peur que dans l'esprit de certains, un bon accord signifie que l'on ne change rien. Or ce n'est pas possible : dans un accord, chacun doit lâcher un peu de lest.

S'il n'y a pas d'accord, il ne faut pas oublier que l'ensemble de la flotte européenne se retrouverait dans les eaux françaises : des problèmes ne manqueront pas de surgir alors avec les Anglais, mais également entre pêcheurs de l'Union européenne. Ainsi la semaine dernière, les marins boulonnais ont empêché des marins hollandais d'entrer dans le port de Boulogne-sur-Mer, et, au cours du week-end dernier, des pêcheurs étaplois et boulonnais se sont frités…

Enfin, provocation pour provocation, aux quatre patrouilleurs de la Royal Navy, on peut répondre que nous avons les accords du Touquet et les contrôles. Je vous ai d'ailleurs adressé un article paru dans la presse à ce sujet : nous pourrions un peu fermer les yeux sur les migrants, et leurs patrouilleurs pourront servir à quelque chose !

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Face à une menace toujours présente, l'Union européenne a un rôle important à jouer dans la prévention de la radicalisation, notamment en ligne. Bloquer la propagande en ligne est en effet essentiel pour lutter contre la radicalisation islamique. La Commission européenne a d'ailleurs été invitée à approfondir cette question, et plus particulièrement la responsabilité des plates-formes, dans le cadre du Digital Services Act. Sur quels moyens comme l'Union européenne compte-t-elle s'appuyer – je pense notamment à Europol ? Quelle est la position défendue par la France en vue d'assurer la sécurité de nos compatriotes ?

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Nathalie Loiseau

Grâce au succès du Conseil européen de la semaine dernière, nous disposons désormais non seulement d'un plan de relance significatif, mais également de ressources propres pour l'Union européenne, avec un engagement clair, un calendrier contraignant, ainsi que d'un mécanisme assurant le respect de l'État de droit : par le fait qu'il est colégislateur du règlement concerné, on peut être sûr que le Parlement y sera particulièrement attentif et qu'il veillera à ce que la Commission en fasse très rapidement les préparatifs.

Par ailleurs, un accord a été conclu en début de semaine sur le Fonds européen de défense, au terme de très longues négociations. Certains auraient voulu plus, mais on partait de rien : 8 milliards d'euros ont été trouvés, ce qui est considérable.

Les crédits européens affectés aux capacités de défense seront en outre, en dépit des pressions qui se sont exercées sur le Conseil comme sur le Parlement européen pour en faire bénéficier des pays tiers, réservés aux seuls États membres de l'Union européenne et de l'Association européenne de libre-échange (AELE). Un tel accord constitue une bonne nouvelle pour l'autonomie stratégique européenne.

Même s'il est difficile d'en parler puisque les négociations se poursuivent, on a le sentiment s'agissant du Brexit qu'une véritable avancée a eu lieu puisque les Britanniques reconnaissent désormais la nécessité de la non-régression des standards acquis au temps où ils étaient membres de l'Union européenne. Cela étant, et même si nous sommes à deux semaines de la fin de l'année, il est beaucoup trop tôt pour savoir si nous sommes proches d'un accord. Le Parlement européen, comme les parlements nationaux, se prépare à toutes les éventualités, y compris à celle d'un no deal. Nous voterons donc vendredi des mesures d'urgence visant à permettre une circulation minimale entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, par voie ferrée et par voie aérienne, et nous proposerons un accord temporaire autorisant les pêcheurs à pêcher de part et d'autre de la Manche, sous réserve évidemment de réciprocité.

Dans la mesure où le calendrier est devenu glissant, la ratification prend elle-même un tour assez acrobatique, même si le Parlement européen est prêt à siéger entre Noël et le jour de l'An si cela en vaut la peine. Certains proposent d'arrêter les horloges quelques jours ou quelques semaines de manière à ce que la ratification puisse intervenir au début de l'année prochaine. Cette solution vous paraît-elle envisageable, juridiquement possible et politiquement souhaitable ?

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Je vous remercie, madame la ministre, d'avoir évoqué les questions de défense et rappelé que nous partions de rien.

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L'ordre du jour du dernier Conseil européen était particulièrement chargé : budget, santé, climat, Turquie, Brexit, autant de sujets de première importance sur lesquels ses conclusions ont été à la hauteur, avec un plan de relance de 750 milliards d'euros, une part d'endettement commun, un objectif de réduction des émissions de carbone de 55 % en 2030, une stratégie de certification et d'achats coordonnés de vaccins et des sanctions contre la Turquie. L'Europe a également parlé d'une voix, et d'une seule, face au Royaume-Uni.

Monsieur le Secrétaire d'État, si nous sommes souvent critiques, on ne peut aujourd'hui que vous féliciter pour ces premiers résultats : osons le dire, l'Europe atteint « l'effet waouh » !

Alors que nous nous apprêtons demain, mon collègue Bernard Deflesselles et moi-même, à rendre notre rapport sur la neutralité carbone en 2050, j'en viens aux objectifs que nous nous fixons collectivement, et non nationalement, à l'échelle de l'Union européenne et aux outils que nous nous donnons pour évaluer nos engagements.

Les budgets carbone nationaux sont utiles pour assurer une répartition équitable d'un budget carbone global : il s'agit d'outils d'une transition juste et nécessaire en vue de décliner intelligemment nos investissements, en particulier dans le cadre du plan de relance. Pourquoi le principe d'une trajectoire carbone par État membre n'a-t-il pas été validé ? Comment en outre allons-nous procéder concernant les outils de suivi ? Partagez-vous l'objectif voté par l'Assemblée nationale de créer, sur le modèle français du Haut Conseil pour le climat, une instance indépendante chargée d'évaluer la trajectoire en continu ?

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Clément Beaune, Secrétaire d'État

Madame Liliana Tanguy, le simple objectif de consacrer 30 % de notre plan de relance au climat garantit-il que nous atteindrons nos cibles, tant en 2030 qu'en 2050 ? Évidemment non, même si c'est un élément central.

Nous mettons au service de la transition écologique, comme la France l'avait demandé cet été lors de la négociation du paquet budgétaire, 1 800 milliards d'euros au total – provenant à la fois du budget ordinaire 2021-2027 et, à hauteur de 750 milliards d'euros, du plan de relance –, dont au moins 30 % iront très directement aux dépenses climatiques. La présidente de la Commission européenne a même émis le souhait que nous passions la barre des 37 % : je pense que nous y parviendrons, le plan français étant tout à fait en ligne avec un tel objectif.

Autre défi très important pour le budget européen : le principe do not harm – ne pas nuire, ce qui signifie qu'il ne doit, pas plus que les plans de relance nationaux, contenir de dépenses néfastes pour le climat et la transition écologique – que le Conseil européen a fixé et dont la Commission européenne vérifie en ce moment l'application dans les différents projets qui lui sont soumis.

Nous disposons en outre d'autres outils. Pour commencer, cet objectif sera décliné dans les législations sectorielles : c'est là tout l'enjeu du Green Deal de la Commission européenne qui sera discuté dans les prochains mois ainsi que l'un de ceux de la réforme du système des ETS (Emissions Trading System) inscrite dans les conclusions du Conseil européen. Si nous devons mener ce travail ciblé, secteur par secteur, d'autres régulations plus spécifiques viseront à atteindre l'objectif qui sera fixé et rendu contraignant dans une loi pour le climat.

Des mécanismes financiers – le fonds pour une transition juste et le fonds pour la modernisation – permettent également d'accompagner les pays pour lesquels la transition est la plus difficile et la plus coûteuse, mais également les échanges entre l'Europe et le reste du monde : à cet égard le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières revêt une grande importance car il garantit que les efforts européens sont tout à la fois justes, supportables et efficaces. Sans oublier la Banque européenne d'investissement (BEI), dont la direction a fait un véritable effort : l'engagement du Président de la République d'en faire la banque du climat devient réalité puisqu'au moins 50 % de ses dépenses y seront consacrées d'ici 2025. Ce changement de modèle, déjà bien avancé, accompagnera également la transition énergétique et écologique.

D'autres outils de financement privés encouragés par la régulation publique, peuvent être mentionnés, comme le travail en cours sur la taxonomie, qui vise à définir l'investissement vert : on ne se contente donc pas du seul objectif budgétaire de 30 % ou de celui de réduire les émissions de carbone de 55 % en 2030.

Le parquet européen se met en place. Nous avons à peu près rempli nos obligations à l'échelon national – je crois savoir que la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif au parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée, qui se réunissait aujourd'hui, a été conclusive –, et il va pouvoir commencer à travailler. Il dispose d'une cheffe, Mme Kövesi, dont la France avait soutenu la candidature lors du compromis final, et sera opérationnel dans les prochaines semaines.

Faut-il élargir ses compétences ? Je crois que, dans un premier temps, il convient de le faire fonctionner et qu'il fasse ses preuves, car il s'agit d'une nouveauté juridique majeure. La France a déclaré, notamment par la voix du Président de la République lors de son discours de la Sorbonne, qu'elle était favorable à une extension progressive des compétences du parquet européen à tout ce qui comporte une dimension transfrontalière, à commencer par les infractions terroristes. Soyons clairs : cela ne se fera pas dans les prochains mois ; il faudra encore quelques années. Il reste que nous avons créé avec le parquet européen un outil qui pourra s'élargir et s'enrichir.

Pour ce qui concerne la pêche, je vous comprends, monsieur Pont : la situation est très frustrante et, d'une certaine manière, angoissante. Lors de son déplacement à Boulogne, le Premier ministre a annoncé que nous allions mettre en place, en plus des mesures consacrées à la filière halieutique dans le plan de relance, un plan d'accompagnement. Nous sommes en train d'en définir les montants et les modalités. Car vous avez raison : quoi qu'il arrive, le 1er janvier, ce ne sera plus comme avant. Il faudra donc apporter rapidement et durablement un soutien à la filière. Nous y travaillons, et le Gouvernement indiquera dans les tout prochains jours ce qu'il en est.

Ne voyez pas là une manière pour moi de botter en touche. Je sais – certes peut-être un peu moins que vous, qui êtes davantage sur le terrain – combien cette période est difficile, et je veux expliquer de la manière la plus honnête et la plus transparente possible pourquoi nous nous efforçons à poursuivre, malgré tout, malgré l'angoisse liée à l'incertitude, les négociations. J'espère que dans quelques jours tout cela ne sera qu'un mauvais souvenir et que nous serons tous rassurés par un bon accord qui préservera au maximum nos intérêts et ceux de nos pêcheurs.

Concernant la Turquie, madame Le Grip, la ligne qu'a défendue le Gouvernement français fut, au sein de l'Union européenne, l'une des plus fermes, si ce n'est la plus ferme. Et cette fermeté n'était pas que tactique ; elle répond au diagnostic que vous avez posé, et que nous partageons : il y a de la part de la Turquie une attitude systématiquement provocatrice – c'est le moins que l'on puisse dire – et agressive. Cela ne concerne d'ailleurs pas que la Méditerranée orientale ; d'où le mandat confié à Josep Borrell : ce n'est pas une manière de gagner du temps, c'est au contraire un moyen d'étendre le dispositif de sanctions. Je crois que les Européens réalisent enfin, sous l'impulsion notamment de la France, que c'est bien une stratégie d'ensemble que mène la Turquie : son action en Méditerranée orientale en est un aspect, mais il se passe la même chose dans le Caucase, en Libye, en Syrie ou dans les Balkans. Nous devons répondre à chacun de ces aspects ; et nous ne devons pas le faire uniquement par le moyen de sanctions : on l'a vu cet été, lorsque la France s'est mobilisée en Méditerranée orientale, la présence militaire – non pas la guerre ou le conflit, évidemment, mais une présence militaire dissuasive – est une des composantes de la ligne de fermeté que nous avons adoptée avec d'autres pays européens, mais pas tous, malheureusement.

Peut-on mobiliser d'autres outils ? Toutes les options sont ouvertes, dès lors que ces outils sont efficaces. Par exemple, la réduction des activités de la Banque européenne d'investissement en Turquie, engagée il y a quelques mois, se poursuit ; comme je l'ai dit en réponse à une question au Sénat, nous examinons aussi l'éventualité d'une réduction plus importante de l'activité de l'Agence française de développement dans ce pays, car il n'y a aucune raison que nous soutenions des projets liés au gouvernement turc. Nous veillons en outre à ce que le soutien financier apporté dans le cadre de la facilité de l'Union européenne pour les réfugiés en Turquie consiste seulement en des aides directes aux ONG et aux organisations internationales d'aide aux réfugiés – l'humanité le commande, mais c'est notre intérêt aussi – et qu'il ne passe pas, ou seulement très marginalement, par le canal du gouvernement turc ; nous avons donc réduit tous les autres dispositifs.

L'aide de pré-adhésion est, de mémoire, de 160 millions d'euros en 2020, ce qui représente déjà une baisse de plus de 75 % en trois ans – baisse que nous avons, ainsi que l'Allemagne, soutenue. Elle est aujourd'hui presque exclusivement dirigée vers des domaines liés à l'État de droit, à la démocratie et à la société civile, et ne transite plus, si ce n'est très marginalement, par les autorités turques.

Tous ces dispositifs ont donc été réduits et sont ciblés sur des bénéficiaires qui ne sont pas, pour être clair, M. Erdoğan et son gouvernement. Devons-nous aller plus loin ? Nous sommes prêts à examiner la question, qui figure d'ailleurs à l'agenda du Haut représentant.

Il nous arrive de ressentir sur ce point aussi une certaine frustration. La position européenne, qui fut longtemps d'ouverture, a mis du temps à changer. Je remercie Nicole Le Peih d'avoir évoqué un « effet waouh » : c'est vrai, je crois, dans beaucoup de domaines – quoique l'expression, employée à propos de la Turquie, pourrait être jugée de mauvais goût. Néanmoins, il y a aussi eu de la part de l'Union européenne une prise de conscience et une affirmation. Depuis le début de l'année, l'attitude collective à l'égard de la Turquie a complètement changé. Les choses ont commencé à évoluer lorsque, à la suite des provocations effectuées en février par M. Erdoğan, qui avait « envoyé » – il n'y a pas d'autre mot – des migrants à la frontière grecque en testant la résistance européenne, nous avons tenu bon ; la France a été, je crois, le fer de lance de cette résistance : avec le président du Conseil européen et la présidente de la Commission, nous avons décidé de soutenir matériellement la Grèce, y compris par l'intermédiaire de l'agence Frontex, et avons déclaré que nous ne céderions pas à cette provocation – et cette attitude collective de fermeté s'est progressivement installée dans le paysage européen. Ce n'est pas encore suffisant, j'en conviens, et nous devons continuer à œuvrer en ce sens ; tel est aussi le sens de la mission confiée à Josep Borrell.

Je partage votre combat en faveur de Strasbourg, monsieur Michels, même si je ne suis pas aussi fortement ancré que vous dans cette ville. C'est un combat qui dépasse largement la ville et sa région, et qui est d'intérêt national, voire européen. Le Président de la République et le Premier ministre ont eu l'occasion de le rappeler : au-delà de la question de Strasbourg, une Europe exclusivement bruxelloise ne serait pas celle que nous voulons – et ce n'est en rien une attaque contre la Belgique ou contre Bruxelles. Les débats, parfois instrumentalisés, sur les coûts et les difficultés, nous devons y répondre de manière pragmatique. À ce titre, je vous redis, au cas où l'annonce n'aurait pas été claire, que le nouveau contrat triennal « Strasbourg, capitale européenne » sera signé au tout début de l'année 2021, sans doute sous l'autorité du Président de la République ; quant à l'hommage qui sera rendu à Valéry Giscard d'Estaing le 2 février dans l'hémicycle du Parlement européen, il sera lui aussi un symbole important de la dimension européenne de Strasbourg.

Si la conférence sur l'avenir de l'Europe n'a pu encore se tenir, ce que je déplore, c'est lié en grande partie à la crise sanitaire, et un peu – pour être parfaitement transparent – aux difficultés que nous rencontrons concernant le choix de sa présidence ; mais elle aura bien lieu. Elle associera les parlements nationaux et sera la plus ouverte possible. Elle devrait s'ouvrir au début de l'année 2021, ce qui nous laissera une année jusqu'à la présidence française de l'Union européenne pour débattre et ouvrir des perspectives de réformes européennes.

S'agissant de l'épidémie de covid-19, j'ai déjà évoqué certaines actions de coordination européenne, notamment concernant le vaccin. Nous avions avancé auparavant dans d'autres domaines, comme la définition de critères sanitaires communs pour réaliser une carte des zones à risque. Nous avions fixé à l'époque comme seuil de risque un taux d'incidence de 50 cas pour 100 000 habitants, ce qui paraît quelque peu dépassé aujourd'hui, alors que nous sommes en pleine deuxième vague, particulièrement douloureuse : on aimerait bien enregistrer un tel taux partout en Europe ! Nous serons néanmoins appelés à y revenir ; à ce moment-là, il ne faudra pas retomber dans les mêmes ornières qu'à la fin de l'été ou au début de l'automne, lorsque nous n'avons pas été capables de bien coordonner nos approches. Très concrètement, je crois que le point sur lequel nous devons nous efforcer d'aboutir dans les semaines qui viennent, c'est la reconnaissance mutuelle des tests rapides, car ils seront l'outil qui permettra d'ouvrir les déplacements en Europe dans les prochaines semaines ou les prochains mois.

Monsieur Pont, nous nous refusons à confondre relations bilatérales entre la France et le Royaume-Uni et négociation du Brexit. Cela étant, je comprends la préoccupation que vous exprimez tout à fait légitimement, d'autant qu'elle est, par-delà les différences de sensibilité politique, partagée par beaucoup dans la région : le Royaume-Uni ne peut pas faire étalage de sa marine militaire en espérant que nous serons de bons élèves coopératifs. J'espère que qu'il ne s'agissait là que d'un épisode malheureux. Si l'on veut un bon cadre de coopération européenne bilatérale, on ne se comporte pas ainsi. Vous avez raison de le souligner : la France fait des efforts vraiment considérables – contrairement à ce que laissent entendre certaines déclarations publiques malheureuses du côté britannique – pour aider les Britanniques dans la gestion de la crise migratoire, les habitants de Calais et de la région sont bien placés pour le savoir ! Quand bien même ce serait aussi notre intérêt, nous le faisons pour être de bons et loyaux voisins. Cela doit donc fonctionner dans les deux sens, et vous avez raison de dire que, dans le cadre d'une relation bilatérale, on doit se comporter avec un minimum d'éthique et de décence. Je souhaite que l'on dépasse rapidement ces mauvaises querelles.

Le renforcement d'Europol fait partie des pistes qu'a présentées la Commission européenne la semaine dernière, madame Degois. La France y est favorable, même si ce n'est pas le seul outil à utiliser : le parquet européen en est un autre, de même que l'accélération de la mise en place de nos bases de données afin de contrôler les entrées et les sorties dans l'espace Schengen, enregistrer tous les mouvements et identifier les personnes qui présentent une menace pour la sécurité. Ce que la Commission préconise, c'est un renforcement du mandat d'Europol pour pouvoir traiter et échanger les données plus rapidement. C'est une piste à explorer, et cela fait partie, avec le renforcement parallèle de la coopération judiciaire, des éléments que nous aurons à évaluer dans les prochains mois.

Madame Loiseau, je n'ai vraiment aucun doute sur la vigilance que vous exercez, à titre personnel comme de manière collective, au Parlement européen, sur le respect de l'état de droit. C'est très rassurant.

Je salue aussi le travail accompli sur le fonds européen de la défense ; vous avez bien fait de le rappeler, car c'est d'actualité. On peut toujours voir le verre à moitié vide ou à moitié plein mais, en l'espèce, il est quand même bien plein – et on le remplira davantage encore, j'en suis sûr, sous l'effet de votre action à la tête de la sous-commission sécurité et défense du Parlement européen. Ce n'est qu'un embryon, mais ce budget destiné à financer des dépenses de défense, suivant des règles, que vous avez contribué à fixer, strictes à l'égard des pays tiers, est un nouvel outil d'autonomie européenne, encore impensable il y a encore quelques mois. Merci donc pour ce travail que vous avez engagé depuis le bureau d'où je vous parle aujourd'hui et que vous poursuivez, avec la même énergie, au Parlement européen.

Faut-il arrêter les horloges du Brexit ? La question a été soulevée hier au Comité des représentants permanents (COREPER) et fait l'objet d'une discussion entre la Commission et le Parlement européen. L'idée me paraît assez risquée car, comme je le disais tout à l'heure, on ne peut pas non plus prolonger l'incertitude – on prolonge déjà les négociations, avec la même date limite. Même si c'est pour un bon motif, à savoir que la procédure démocratique s'effectue dans de bonnes conditions, je crois que cela ne devrait être utilisé qu'en dernier recours. Pour l'heure, je préférerais qu'on ne l'envisage pas : il faut que chacun prenne ses responsabilités, à commencer par nos amis britanniques, qui ont souhaité que le Brexit soit effectif le 1er janvier. Il me semble que cette date doit rester ferme.

Madame Le Peih, concernant la trajectoire climatique, il est normal de procéder en trois temps. La Commission a d'abord fait une étude d'impact pour évaluer ce que représenterait l'effort collectif de l'Union européenne d'une réduction d'au moins 55 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030. Le deuxième temps, ce fut la décision du Conseil européen : nous avons considéré que cet objectif était ambitieux, mais atteignable – le Parlement européen voulait même aller plus loin. Nous devrons ensuite – ce sera le troisième temps – décliner l'objectif par secteur et par pays ; nous nous sommes donné rendez-vous au printemps pour ce faire, en mettant en place ce qu'on appelle un cadre facilitateur, c'est-à-dire un certain nombre de principes et d'outils qui permettront d'atteindre la cible commune et de faire en sorte qu'un maximum d'États membres s'en approchent le plus possible. Il s'agit notamment d'outils d'accompagnement financier, comme le fonds pour la modernisation, qui existe depuis le précédent paquet énergie-climat et dont on devra sans doute redéfinir certains paramètres, ou le fonds pour une transition juste – un outil majeur –, ainsi que d'autres instruments sectoriels, juridiques ou de marché, comme la réforme du système européen d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre, avec un partage de l'effort par secteur.

Ce n'est donc pas, une fois encore, une façon d'évacuer le débat – même si la discussion sur les objectifs nationaux sera de toute évidence compliquée. Il était important de commencer par fixer un engagement qui lie tout le monde. J'ajoute que le mécanisme de conditionnalité auquel est soumis le plan de relance européen comporte aussi un volet climatique : pour bénéficier du fonds pour une transition juste, du moins pour ce qui concerne la moitié de son enveloppe, il faudra montrer de manière crédible que l'on s'engage vers la neutralité carbone à l'horizon 2050. C'était évidemment un point important pour faire monter à bord les pays les plus récalcitrants – je pense notamment à notre partenaire polonais.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci, monsieur le Secrétaire d'État, d'avoir répondu aussi clairement et précisément à nos questions. Je vous souhaite à tous de bonnes fêtes, en dépit du contexte sanitaire.

La séance est levée à 20 heures 20.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Jean-Louis Bourlanges, M. André Chassaigne, Mme Typhanie Degois, Mme Marguerite Deprez-Audebert, Mme Coralie Dubost, M. Pierre-Henri Dumont, Mme Valérie Gomez-Bassac, Mme Christine Hennion, Mme Constance Le Grip, Mme Nicole Le Peih, M. Thierry Michels, M. Xavier Paluszkiewicz, M. Jean-Pierre Pont, Mme Liliana Tanguy, Mme Sabine Thillaye

Excusés. – Mme Frédérique Dumas, M. Jean-Baptiste Moreau

Assistaient également à la réunion. – Mmes Nathalie Loiseau et Stéphanie Yon‑Courtin, membres du Parlement Européen