Madame Liliana Tanguy, le simple objectif de consacrer 30 % de notre plan de relance au climat garantit-il que nous atteindrons nos cibles, tant en 2030 qu'en 2050 ? Évidemment non, même si c'est un élément central.
Nous mettons au service de la transition écologique, comme la France l'avait demandé cet été lors de la négociation du paquet budgétaire, 1 800 milliards d'euros au total – provenant à la fois du budget ordinaire 2021-2027 et, à hauteur de 750 milliards d'euros, du plan de relance –, dont au moins 30 % iront très directement aux dépenses climatiques. La présidente de la Commission européenne a même émis le souhait que nous passions la barre des 37 % : je pense que nous y parviendrons, le plan français étant tout à fait en ligne avec un tel objectif.
Autre défi très important pour le budget européen : le principe do not harm – ne pas nuire, ce qui signifie qu'il ne doit, pas plus que les plans de relance nationaux, contenir de dépenses néfastes pour le climat et la transition écologique – que le Conseil européen a fixé et dont la Commission européenne vérifie en ce moment l'application dans les différents projets qui lui sont soumis.
Nous disposons en outre d'autres outils. Pour commencer, cet objectif sera décliné dans les législations sectorielles : c'est là tout l'enjeu du Green Deal de la Commission européenne qui sera discuté dans les prochains mois ainsi que l'un de ceux de la réforme du système des ETS (Emissions Trading System) inscrite dans les conclusions du Conseil européen. Si nous devons mener ce travail ciblé, secteur par secteur, d'autres régulations plus spécifiques viseront à atteindre l'objectif qui sera fixé et rendu contraignant dans une loi pour le climat.
Des mécanismes financiers – le fonds pour une transition juste et le fonds pour la modernisation – permettent également d'accompagner les pays pour lesquels la transition est la plus difficile et la plus coûteuse, mais également les échanges entre l'Europe et le reste du monde : à cet égard le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières revêt une grande importance car il garantit que les efforts européens sont tout à la fois justes, supportables et efficaces. Sans oublier la Banque européenne d'investissement (BEI), dont la direction a fait un véritable effort : l'engagement du Président de la République d'en faire la banque du climat devient réalité puisqu'au moins 50 % de ses dépenses y seront consacrées d'ici 2025. Ce changement de modèle, déjà bien avancé, accompagnera également la transition énergétique et écologique.
D'autres outils de financement privés encouragés par la régulation publique, peuvent être mentionnés, comme le travail en cours sur la taxonomie, qui vise à définir l'investissement vert : on ne se contente donc pas du seul objectif budgétaire de 30 % ou de celui de réduire les émissions de carbone de 55 % en 2030.
Le parquet européen se met en place. Nous avons à peu près rempli nos obligations à l'échelon national – je crois savoir que la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif au parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée, qui se réunissait aujourd'hui, a été conclusive –, et il va pouvoir commencer à travailler. Il dispose d'une cheffe, Mme Kövesi, dont la France avait soutenu la candidature lors du compromis final, et sera opérationnel dans les prochaines semaines.
Faut-il élargir ses compétences ? Je crois que, dans un premier temps, il convient de le faire fonctionner et qu'il fasse ses preuves, car il s'agit d'une nouveauté juridique majeure. La France a déclaré, notamment par la voix du Président de la République lors de son discours de la Sorbonne, qu'elle était favorable à une extension progressive des compétences du parquet européen à tout ce qui comporte une dimension transfrontalière, à commencer par les infractions terroristes. Soyons clairs : cela ne se fera pas dans les prochains mois ; il faudra encore quelques années. Il reste que nous avons créé avec le parquet européen un outil qui pourra s'élargir et s'enrichir.
Pour ce qui concerne la pêche, je vous comprends, monsieur Pont : la situation est très frustrante et, d'une certaine manière, angoissante. Lors de son déplacement à Boulogne, le Premier ministre a annoncé que nous allions mettre en place, en plus des mesures consacrées à la filière halieutique dans le plan de relance, un plan d'accompagnement. Nous sommes en train d'en définir les montants et les modalités. Car vous avez raison : quoi qu'il arrive, le 1er janvier, ce ne sera plus comme avant. Il faudra donc apporter rapidement et durablement un soutien à la filière. Nous y travaillons, et le Gouvernement indiquera dans les tout prochains jours ce qu'il en est.
Ne voyez pas là une manière pour moi de botter en touche. Je sais – certes peut-être un peu moins que vous, qui êtes davantage sur le terrain – combien cette période est difficile, et je veux expliquer de la manière la plus honnête et la plus transparente possible pourquoi nous nous efforçons à poursuivre, malgré tout, malgré l'angoisse liée à l'incertitude, les négociations. J'espère que dans quelques jours tout cela ne sera qu'un mauvais souvenir et que nous serons tous rassurés par un bon accord qui préservera au maximum nos intérêts et ceux de nos pêcheurs.
Concernant la Turquie, madame Le Grip, la ligne qu'a défendue le Gouvernement français fut, au sein de l'Union européenne, l'une des plus fermes, si ce n'est la plus ferme. Et cette fermeté n'était pas que tactique ; elle répond au diagnostic que vous avez posé, et que nous partageons : il y a de la part de la Turquie une attitude systématiquement provocatrice – c'est le moins que l'on puisse dire – et agressive. Cela ne concerne d'ailleurs pas que la Méditerranée orientale ; d'où le mandat confié à Josep Borrell : ce n'est pas une manière de gagner du temps, c'est au contraire un moyen d'étendre le dispositif de sanctions. Je crois que les Européens réalisent enfin, sous l'impulsion notamment de la France, que c'est bien une stratégie d'ensemble que mène la Turquie : son action en Méditerranée orientale en est un aspect, mais il se passe la même chose dans le Caucase, en Libye, en Syrie ou dans les Balkans. Nous devons répondre à chacun de ces aspects ; et nous ne devons pas le faire uniquement par le moyen de sanctions : on l'a vu cet été, lorsque la France s'est mobilisée en Méditerranée orientale, la présence militaire – non pas la guerre ou le conflit, évidemment, mais une présence militaire dissuasive – est une des composantes de la ligne de fermeté que nous avons adoptée avec d'autres pays européens, mais pas tous, malheureusement.
Peut-on mobiliser d'autres outils ? Toutes les options sont ouvertes, dès lors que ces outils sont efficaces. Par exemple, la réduction des activités de la Banque européenne d'investissement en Turquie, engagée il y a quelques mois, se poursuit ; comme je l'ai dit en réponse à une question au Sénat, nous examinons aussi l'éventualité d'une réduction plus importante de l'activité de l'Agence française de développement dans ce pays, car il n'y a aucune raison que nous soutenions des projets liés au gouvernement turc. Nous veillons en outre à ce que le soutien financier apporté dans le cadre de la facilité de l'Union européenne pour les réfugiés en Turquie consiste seulement en des aides directes aux ONG et aux organisations internationales d'aide aux réfugiés – l'humanité le commande, mais c'est notre intérêt aussi – et qu'il ne passe pas, ou seulement très marginalement, par le canal du gouvernement turc ; nous avons donc réduit tous les autres dispositifs.
L'aide de pré-adhésion est, de mémoire, de 160 millions d'euros en 2020, ce qui représente déjà une baisse de plus de 75 % en trois ans – baisse que nous avons, ainsi que l'Allemagne, soutenue. Elle est aujourd'hui presque exclusivement dirigée vers des domaines liés à l'État de droit, à la démocratie et à la société civile, et ne transite plus, si ce n'est très marginalement, par les autorités turques.
Tous ces dispositifs ont donc été réduits et sont ciblés sur des bénéficiaires qui ne sont pas, pour être clair, M. Erdoğan et son gouvernement. Devons-nous aller plus loin ? Nous sommes prêts à examiner la question, qui figure d'ailleurs à l'agenda du Haut représentant.
Il nous arrive de ressentir sur ce point aussi une certaine frustration. La position européenne, qui fut longtemps d'ouverture, a mis du temps à changer. Je remercie Nicole Le Peih d'avoir évoqué un « effet waouh » : c'est vrai, je crois, dans beaucoup de domaines – quoique l'expression, employée à propos de la Turquie, pourrait être jugée de mauvais goût. Néanmoins, il y a aussi eu de la part de l'Union européenne une prise de conscience et une affirmation. Depuis le début de l'année, l'attitude collective à l'égard de la Turquie a complètement changé. Les choses ont commencé à évoluer lorsque, à la suite des provocations effectuées en février par M. Erdoğan, qui avait « envoyé » – il n'y a pas d'autre mot – des migrants à la frontière grecque en testant la résistance européenne, nous avons tenu bon ; la France a été, je crois, le fer de lance de cette résistance : avec le président du Conseil européen et la présidente de la Commission, nous avons décidé de soutenir matériellement la Grèce, y compris par l'intermédiaire de l'agence Frontex, et avons déclaré que nous ne céderions pas à cette provocation – et cette attitude collective de fermeté s'est progressivement installée dans le paysage européen. Ce n'est pas encore suffisant, j'en conviens, et nous devons continuer à œuvrer en ce sens ; tel est aussi le sens de la mission confiée à Josep Borrell.
Je partage votre combat en faveur de Strasbourg, monsieur Michels, même si je ne suis pas aussi fortement ancré que vous dans cette ville. C'est un combat qui dépasse largement la ville et sa région, et qui est d'intérêt national, voire européen. Le Président de la République et le Premier ministre ont eu l'occasion de le rappeler : au-delà de la question de Strasbourg, une Europe exclusivement bruxelloise ne serait pas celle que nous voulons – et ce n'est en rien une attaque contre la Belgique ou contre Bruxelles. Les débats, parfois instrumentalisés, sur les coûts et les difficultés, nous devons y répondre de manière pragmatique. À ce titre, je vous redis, au cas où l'annonce n'aurait pas été claire, que le nouveau contrat triennal « Strasbourg, capitale européenne » sera signé au tout début de l'année 2021, sans doute sous l'autorité du Président de la République ; quant à l'hommage qui sera rendu à Valéry Giscard d'Estaing le 2 février dans l'hémicycle du Parlement européen, il sera lui aussi un symbole important de la dimension européenne de Strasbourg.
Si la conférence sur l'avenir de l'Europe n'a pu encore se tenir, ce que je déplore, c'est lié en grande partie à la crise sanitaire, et un peu – pour être parfaitement transparent – aux difficultés que nous rencontrons concernant le choix de sa présidence ; mais elle aura bien lieu. Elle associera les parlements nationaux et sera la plus ouverte possible. Elle devrait s'ouvrir au début de l'année 2021, ce qui nous laissera une année jusqu'à la présidence française de l'Union européenne pour débattre et ouvrir des perspectives de réformes européennes.
S'agissant de l'épidémie de covid-19, j'ai déjà évoqué certaines actions de coordination européenne, notamment concernant le vaccin. Nous avions avancé auparavant dans d'autres domaines, comme la définition de critères sanitaires communs pour réaliser une carte des zones à risque. Nous avions fixé à l'époque comme seuil de risque un taux d'incidence de 50 cas pour 100 000 habitants, ce qui paraît quelque peu dépassé aujourd'hui, alors que nous sommes en pleine deuxième vague, particulièrement douloureuse : on aimerait bien enregistrer un tel taux partout en Europe ! Nous serons néanmoins appelés à y revenir ; à ce moment-là, il ne faudra pas retomber dans les mêmes ornières qu'à la fin de l'été ou au début de l'automne, lorsque nous n'avons pas été capables de bien coordonner nos approches. Très concrètement, je crois que le point sur lequel nous devons nous efforcer d'aboutir dans les semaines qui viennent, c'est la reconnaissance mutuelle des tests rapides, car ils seront l'outil qui permettra d'ouvrir les déplacements en Europe dans les prochaines semaines ou les prochains mois.
Monsieur Pont, nous nous refusons à confondre relations bilatérales entre la France et le Royaume-Uni et négociation du Brexit. Cela étant, je comprends la préoccupation que vous exprimez tout à fait légitimement, d'autant qu'elle est, par-delà les différences de sensibilité politique, partagée par beaucoup dans la région : le Royaume-Uni ne peut pas faire étalage de sa marine militaire en espérant que nous serons de bons élèves coopératifs. J'espère que qu'il ne s'agissait là que d'un épisode malheureux. Si l'on veut un bon cadre de coopération européenne bilatérale, on ne se comporte pas ainsi. Vous avez raison de le souligner : la France fait des efforts vraiment considérables – contrairement à ce que laissent entendre certaines déclarations publiques malheureuses du côté britannique – pour aider les Britanniques dans la gestion de la crise migratoire, les habitants de Calais et de la région sont bien placés pour le savoir ! Quand bien même ce serait aussi notre intérêt, nous le faisons pour être de bons et loyaux voisins. Cela doit donc fonctionner dans les deux sens, et vous avez raison de dire que, dans le cadre d'une relation bilatérale, on doit se comporter avec un minimum d'éthique et de décence. Je souhaite que l'on dépasse rapidement ces mauvaises querelles.
Le renforcement d'Europol fait partie des pistes qu'a présentées la Commission européenne la semaine dernière, madame Degois. La France y est favorable, même si ce n'est pas le seul outil à utiliser : le parquet européen en est un autre, de même que l'accélération de la mise en place de nos bases de données afin de contrôler les entrées et les sorties dans l'espace Schengen, enregistrer tous les mouvements et identifier les personnes qui présentent une menace pour la sécurité. Ce que la Commission préconise, c'est un renforcement du mandat d'Europol pour pouvoir traiter et échanger les données plus rapidement. C'est une piste à explorer, et cela fait partie, avec le renforcement parallèle de la coopération judiciaire, des éléments que nous aurons à évaluer dans les prochains mois.
Madame Loiseau, je n'ai vraiment aucun doute sur la vigilance que vous exercez, à titre personnel comme de manière collective, au Parlement européen, sur le respect de l'état de droit. C'est très rassurant.
Je salue aussi le travail accompli sur le fonds européen de la défense ; vous avez bien fait de le rappeler, car c'est d'actualité. On peut toujours voir le verre à moitié vide ou à moitié plein mais, en l'espèce, il est quand même bien plein – et on le remplira davantage encore, j'en suis sûr, sous l'effet de votre action à la tête de la sous-commission sécurité et défense du Parlement européen. Ce n'est qu'un embryon, mais ce budget destiné à financer des dépenses de défense, suivant des règles, que vous avez contribué à fixer, strictes à l'égard des pays tiers, est un nouvel outil d'autonomie européenne, encore impensable il y a encore quelques mois. Merci donc pour ce travail que vous avez engagé depuis le bureau d'où je vous parle aujourd'hui et que vous poursuivez, avec la même énergie, au Parlement européen.
Faut-il arrêter les horloges du Brexit ? La question a été soulevée hier au Comité des représentants permanents (COREPER) et fait l'objet d'une discussion entre la Commission et le Parlement européen. L'idée me paraît assez risquée car, comme je le disais tout à l'heure, on ne peut pas non plus prolonger l'incertitude – on prolonge déjà les négociations, avec la même date limite. Même si c'est pour un bon motif, à savoir que la procédure démocratique s'effectue dans de bonnes conditions, je crois que cela ne devrait être utilisé qu'en dernier recours. Pour l'heure, je préférerais qu'on ne l'envisage pas : il faut que chacun prenne ses responsabilités, à commencer par nos amis britanniques, qui ont souhaité que le Brexit soit effectif le 1er janvier. Il me semble que cette date doit rester ferme.
Madame Le Peih, concernant la trajectoire climatique, il est normal de procéder en trois temps. La Commission a d'abord fait une étude d'impact pour évaluer ce que représenterait l'effort collectif de l'Union européenne d'une réduction d'au moins 55 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030. Le deuxième temps, ce fut la décision du Conseil européen : nous avons considéré que cet objectif était ambitieux, mais atteignable – le Parlement européen voulait même aller plus loin. Nous devrons ensuite – ce sera le troisième temps – décliner l'objectif par secteur et par pays ; nous nous sommes donné rendez-vous au printemps pour ce faire, en mettant en place ce qu'on appelle un cadre facilitateur, c'est-à-dire un certain nombre de principes et d'outils qui permettront d'atteindre la cible commune et de faire en sorte qu'un maximum d'États membres s'en approchent le plus possible. Il s'agit notamment d'outils d'accompagnement financier, comme le fonds pour la modernisation, qui existe depuis le précédent paquet énergie-climat et dont on devra sans doute redéfinir certains paramètres, ou le fonds pour une transition juste – un outil majeur –, ainsi que d'autres instruments sectoriels, juridiques ou de marché, comme la réforme du système européen d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre, avec un partage de l'effort par secteur.
Ce n'est donc pas, une fois encore, une façon d'évacuer le débat – même si la discussion sur les objectifs nationaux sera de toute évidence compliquée. Il était important de commencer par fixer un engagement qui lie tout le monde. J'ajoute que le mécanisme de conditionnalité auquel est soumis le plan de relance européen comporte aussi un volet climatique : pour bénéficier du fonds pour une transition juste, du moins pour ce qui concerne la moitié de son enveloppe, il faudra montrer de manière crédible que l'on s'engage vers la neutralité carbone à l'horizon 2050. C'était évidemment un point important pour faire monter à bord les pays les plus récalcitrants – je pense notamment à notre partenaire polonais.