Je me limiterai à formuler deux remarques, qui devraient selon moi guider l'action politique de la France sur nos objectifs climatiques.
Premièrement, il est essentiel, quand on se fixe des objectifs, que l'on prévoie et que l'on se fixe les moyens permettant de parvenir. Sinon, il s'agit de communication politique. Je vois, dans les annonces de la Commission européenne, comme dans celles de la France, énormément de communication politique et très peu de moyens et d'outils efficaces.
Je ne crois pas plus aux contes de fées climatiques qu'au petit Jésus soviétique. Je ne crois pas non plus à la transsubstantiation magique du dioxyde de carbone en oxygène ou en hydrogène. Pour parvenir à 55 % de baisse de nos émissions en seulement dix ans, et a fortiori à la neutralité carbone en seulement trente ans, il faut mettre en place une vraie planification stratégique européenne, secteur d'émission par secteur d'émission, avec des contraintes réglementaires drastiques applicables aux acteurs privés comme publics. Il faut également des moyens de contrôle adaptés, des sanctions financières et pénales proportionnées à l'enjeu et des moyens financiers publics gigantesques.
Permettez-moi de penser que ce n'est pas la voie qu'emprunte la Commission européenne, puisque sa seule obsession est d'étendre les outils de marché appliqués au carbone. La France porte-t-elle, quant à elle, cette ambition d'une véritable planification, au niveau européen comme national ?
Ma deuxième remarque porte sur le fait qu'en matière climatique comme ailleurs, il ne faut pas manger son pain blanc en délaissant le pain noir qui nous pose problème. C'est précisément ce que font la France et l'Union depuis trente ans.
Une planification en matière d'énergie et de climat honnête implique de prendre en compte toutes les émissions, qu'il s'agisse des émissions intérieures, celles des ménages et activités économiques hors exportations, mais aussi les émissions associées à toutes nos importations, qui correspondent à la consommation sur notre territoire. Cet indicateur s'appelle l'empreinte carbone. Il ne fait manifestement toujours pas partie du logiciel européen, ni réellement du logiciel national. Vous y faites référence à onze reprises dans le rapport et la proposition de résolution, certes sans y consacrer de chapitre spécifique. Les données pour la période de 2015 à 2019 sont disponibles et sont catastrophiques : notre empreinte carbone progresse, faisant de la France une bien mauvaise élève climatique.
Nous le savons, il existe un découplage de plus en plus fort entre la baisse de nos émissions intérieures et la hausse spectaculaire des émissions liées à nos importations, particulièrement dans la dernière décennie. Vous conviendrez donc qu'il s'agit du résultat de quarante années de politiques néolibérales accélérant toutes les délocalisations industrielles.
L'honnêteté politique en matière d'objectifs de baisse des émissions de gaz à effet de serre commanderait de faire systématiquement référence à l'empreinte carbone. Les supposés progrès substantiels sur la voie de la transition vers un modèle moins carboné et plus favorable à la lutte contre le changement climatique de l'Union européenne, que vous mentionnez en conclusion, perdent ainsi beaucoup de leur substance si on les passe au crible de l'évaluation par l'empreinte carbone, et encore plus quand on y ajoute la substitution à une part des centrales à charbon de centrales au gaz dans la production électrique européenne.
Je souhaite vous demander pourquoi vous ne faites pas référence au travail du Haut conseil pour le climat dans son rapport d'octobre 2020, intitulé « Maîtriser l'empreinte carbone de la France ». Je ne doute pas qu'il s'agit d'un simple oubli, et non l'illustration de cette belle réplique de Molière : « Couvrez ce sein que je ne saurais voir. Par de pareils objets, les âmes sont blessées, Et cela fait venir de coupables pensées. »