Merci d'avoir organisé cette audition en commun avec M. Dombrovskis, que je remercie pour le travail qu'il a réalisé avec ses équipes ces derniers mois, en particulier sur deux sujets essentiels : la révision de la politique commerciale de l'Union européenne et le contentieux entre Airbus et Boeing. La suspension des tarifs douaniers qui ont impacté depuis plus d'un an tant le secteur de l'aéronautique que celui des vins et spiritueux constitue une excellente nouvelle. Elle est le fruit de l'affirmation de la souveraineté européenne : en novembre 2020, nous avons décidé, avec l'autorisation de l'OMC, d'appliquer de nouveaux tarifs douaniers aux produits américains. Au travers de cette décision, l'Europe affirmait sa souveraineté et sa volonté souhait d'être considérée par d'autres puissances comme une égale.
En outre, nous avons décidé de faire passer un message clair aux Américains, à savoir que nous souhaitions la désescalade. Nous avons toujours recherché des solutions à ce contentieux, et nous devrons les trouver durant ces quatre mois qui nous séparent de la fin de la période de suspension des tarifs douaniers. Je compte sur les services de la Commission européenne et de notre administration pour identifier les voies de sortie par le haut de ce contentieux.
Enfin, l'administration américaine a récemment changé, et la nouvelle administration a envoyé des signaux forts, avec le retour des États-Unis dans l'accord de Paris, la levée du veto sur la nomination de la directrice générale de l'OMC, Docteur Ngozi, le fait que Mme Janet Yellen, la secrétaire au trésor, se soit déclarée favorable à une fiscalité internationale des services numériques, ou encore le fait que Catherine Tai, la nouvelle United States Trade Representative (USTR, l'équivalent du ministre du commerce extérieur) ait annoncé lors de son audition au Sénat qu'elle souhaitait une résolution positive au contentieux entre Airbus et Boeing. Aujourd'hui, nous devons aller au terme de la négociation, mais je remercie M. Dombrovskis d'avoir su saisir la main tendue par les Américains pour parvenir à la suspension des tarifs douaniers.
D'autres sujets seront à évoquer dans le cadre de la relation transatlantique : l'extraterritorialité du droit américain, l'aluminium et l'acier, ou encore la modernisation du commerce mondial pour qu'il soit plus durable et équitable.
Un travail important a été réalisé sur la révision de la politique commerciale de l'Union européenne. Lors d'un récent conseil des ministres européens du commerce, j'ai réaffirmé combien cette révision allait dans la bonne direction. L'Union européenne doit s'engager pour promouvoir un commerce ouvert qui soit source de croissance et de relance économique, mais également, dans un contexte commercial tendu et ne favorisant pas la coopération, pour muscler nos outils de protection, afin que notre politique commerciale soit moins naïve et intègre en tant qu'éléments essentiels les enjeux du développement durable. Nous partageons la conviction que nous devons, par exemple, travailler sur la mise en place d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, lutter contre la déforestation importée, et faire du respect de l'accord de Paris une clause essentielle de nos futurs accords de libre-échange comme cela a été le cas de l'accord sur la relation future entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.
Pour autant, au-delà des volontés affichées, nous devons aboutir rapidement s'agissant des instruments évoqués par M. Dombrovskis en lien aussi bien avec le développement durable qu'avec le renforcement de notre défense commerciale par rapport à d'autres pays ou d'autres zones. Par exemple, nous devons, pour faire face aux pratiques déloyales, faire en sorte de disposer d'un outil permettant une meilleure réciprocité dans l'accès aux marchés publics, d'un outil anti-coercition et d'un outil pour gérer les subventions déloyales que peuvent octroyer certains États à leurs entreprises.
En ce qui concerne le développement durable, nous devons mettre en œuvre le plan d'actions en 15 points de l'Union européenne, qui doit nous permettre d'imposer des sanctions en dernier ressort. Aujourd'hui, nous manquons d'outils pour sanctionner les pratiques de nos partenaires qui ne respectent pas leurs engagements. En ce sens, la nomination d'un procureur commercial en charge de la bonne application des accords va dans le bon sens. Il est important de nous doter non seulement de nouveaux outils, mais également des moyens nécessaires pour les mettre en œuvre.
Nous devons également aller plus loin s'agissant du travail forcé. Je soutiens la proposition de la Commission européenne de profiter du travail réalisé dans le cadre du devoir de vigilance des entreprises pour nous doter de dispositifs nous permettant d'aller jusqu'au blocage de l'importation de produits fabriqués en tout ou partie au travers du travail forcé, dispositifs qui sont du reste de plus en plus demandés par l'opinion publique.
En outre, nous devons réformer l'OMC. Le changement d'attitude de l'administration américaine et la volonté de nombreux pays de disposer d'une réponse unilatérale aux enjeux du commerce international constituent une opportunité que nous devons saisir. La nomination de la nouvelle directrice générale, Docteur Ngozi, nous permettra d'engager les différents chantiers de cette réforme et de la réactivation de l‘OMC, en particulier en matière de règlement des différends.
En ce qui concerne l'accord sur les investissements avec la Chine, il existe une différence entre un accord de principe et un accord définitif qui doit être validé par le Conseil puis le Parlement européen. Le diable se trouve souvent dans les détails. Nous devons donc rester vigilants, pour que les engagements de la Chine soient concrets et s'inscrivent dans un calendrier clairement déterminé. Vis-à-vis de la Chine, nous avons besoin de nous montrer déterminés, ambitieux, mais également pragmatiques. En ce sens, nous avons salué l'accord sur les indications géographiques, car il permet de protéger un certain nombre de nos produits. Dans le cadre de l'accord sur les investissements, la Chine a accepté pour la première fois des éléments ne relevant pas uniquement des investissements ou du commerce, mais également de domaines auxquels nous sommes très attachés comme le développement durable, l'environnement ou les droits humains comme le travail forcé. Ces leviers sont pour la première fois inscrits dans des accords commerciaux avec la Chine, et nous devrons veiller à ce qu'ils soient les plus ambitieux possible.