COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mardi 9 mars 2021
Présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente de la Commission et de M. Jean-Louis Bourlanges, Président de la commission des affaires étrangères
La séance est ouverte à 17 heures 15.
Nous déclarons, Mme Sabine Thillaye et moi-même, la séance ouverte. M. Dombrovskis, permettez-moi de vous accueillir à cette réunion conjointe à la commission des affaires étrangères, que je préside, et à la commission des affaires européennes, présidée par Mme Sabine Thillaye. Nous serons heureux de vous entendre avec M. Riester, ministre délégué chargé du commerce extérieur et de l'attractivité, sur la politique commerciale de l'Union européenne (UE), et j'espère que de cette confrontation, comme de deux silex que l'on frotte, jaillira l'étincelle de la vérité.
Nous débattrons de la politique commerciale de l'Union européenne sur la base de la récente communication, portant sur le réexamen de celle-ci, établie par la Commission européenne et rédigée dans le style courant des textes émanant de la Commission européenne, et que je qualifierais d'« aimablement théologique ». Ce document met en exergue quatre nouveaux défis – la Chine, le numérique, l'unilatéralisme et la technologie ; la pandémie pourrait y être ajoutée – qui bouleversent en profondeur les relations commerciales mondiales. Il utilise plusieurs concepts et s'inscrit dans la stratégie « autonome » et « ouverte » de la Commission européenne. Les mots employés sont intéressants : la notion d'« ouverture » est bien connue, car elle constitue une constante de la Commission ; la « stratégie » répond à une demande des citoyens et des gouvernants des pays de l'Union européenne, mais également du Parlement européen ; l' « autonomie » est une revendication apparue avec une force nouvelle dans le cadre de la crise sanitaire.
La Commission européenne propose dans ce document plusieurs objectifs. Elle invite à mettre en place une politique commerciale ouverte, « volontariste » (un terme traduit de l'anglais « assertive » que je considère, en tant que professeur de français, comme une faute, et qui devrait être remplacé par « volontaire ») et durable. Ces trois notions ne sont pas pondérées de manière identique. Nous constatons dans le document 60 allusions au « durable » (ce qui montre une véritable préoccupation sur ce point, que nous partageons), 40 à l'« ouverture » et 10 au « volontarisme stratégique ». Il reste donc un effort à réaliser un effort pour mettre ce dernier au cœur des préoccupations de la Commission européenne.
La Commission européenne définit des objectifs à long terme et des objectifs intermédiaires, que vous pourrez nous présenter. Toutefois, nous sommes préoccupés par un certain nombre d'enjeux concrets, et en premier lieu l'accord avec le Marché commun du Sud (Mercosur), qui, selon le ministre français, ne saurait être ratifié en l'état. La Commission européenne a donné le sentiment qu'un certain nombre de modifications pourraient y être apportées. D'une manière générale, les membres de la commission des affaires étrangères ont émis plusieurs objections aux accords de ce type, et certaines sont liées au contexte géopolitique et environnemental, notamment au Brésil.
En deuxième lieu, des incertitudes demeurent vis-à-vis de l'accord global d'investissements UE-Chine. Nous percevons l'effort réalisé pour réduire l'asymétrie des relations entre la Chine et l'Union européenne, mais restons sceptiques vis-à-vis de la volonté réelle des Chinois, qui donnent aujourd'hui l'impression de fouler aux pieds un certain nombre de libertés et de droits fondamentaux (au Xinjiang ou à Hong-Kong), de respecter leurs engagements en matière de droit de travailleurs, de travail des enfants, de respect des règles de l'Organisation internationale du travail (OIT), etc.
En outre, les membres de la commission des affaires étrangères ont exprimé des inquiétudes vis-à-vis de la méthode employée. En effet, nous sommes troublés par l'idée qu'un accord ait été proclamé comme conclu en décembre 2020 alors qu'il est toujours annoncé comme en cours de négociation par ailleurs. Cela rappelle les viols dans les romans de Faulkner : nous sommes toujours avant ou après le viol, mais nous ne savons jamais quand celui-ci a eu lieu. Certes, il est question ici d'un accord et non d'un viol, mais la situation reste étrange. Nous ne savons pas aujourd'hui si nous devrons nous prononcer sur le texte réel. La question de la transparence se pose donc.
En troisième et dernier lieu, nous nous interrogeons sur la réforme de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et sur l'incidence de la nouvelle administration américaine sur les relations commerciales entre les États-Unis et l'Europe. Ce dernier point renvoie au caractère inadmissible du caractère extraterritorial du droit américain, qui constitue une préoccupation d'ordre plus structurel. Nous souhaitons savoir si la Commission européenne est décidée à prendre à bras-le-corps ce problème.
Monsieur le vice-président et monsieur le ministre, je vous remercie d'être présents aujourd'hui pour répondre à nos questions. La crise sanitaire que nous traversons, mais également les crises que nous avons connues au cours des dernières années, sont révélatrices de nos ambiguïtés, de nos forces et de nos faiblesses.
Je ne répéterai pas les questions soulevées par le président Jean-Louis Bourlanges. Toutefois, je me demande comment peuvent être conciliées les tensions entre ouverture et fermeture, souveraineté et dépendance, développement économique et développement durable, bilatéralisme et multilatéralisme, qui pèsent sur le libre étrange et les accords commerciaux, et comment les considérations politiques et géopolitiques sont prises en compte dans l'application des règles relatives au commerce.
Nous constatons des évolutions profondes sur ces différents points, et tous les États membres ne semblent pas être sur la même ligne, ce qui peut susciter certaines tensions même au sein de l'Union européenne. Par exemple, l'Allemagne craint une surenchère protectionniste, et a mis en avant lors de sa présidence de la Commission européenne l'accord avec la Chine, tandis que d'autres États membres se montrent plus réticents ou plus prudents. Comment les négociations progressent-elles, et comment pouvons-nous utiliser notre puissance commerciale, au travers des accords commerciaux, pour renforcer notre autonomie stratégique ?
Je suis honoré de l'occasion qui m'est offerte de débattre avec M. Riester de la nouvelle stratégie pour la politique commerciale de la Commission européenne. Je suis convaincu que cette nouvelle approche peut soutenir la reprise économique de la France tout en servant de nombreux autres objectifs géopolitiques essentiels pour votre pays et pour l'Union européenne.
J'ai récemment appris l'existence du label français « Entreprise du Patrimoine vivant ». Près de 1 400 entreprises de toutes les régions de France l'ont obtenu. 88 % d'entre elles sont des petites et moyennes entreprises (PME). Ces entreprises dotées d'un savoir-faire unique sont déjà une réussite économique en soi. Leurs marchés d'exportation sont en expansion et s'étendent du Japon et de la Corée du Sud jusqu'aux États-Unis.
Dans le cadre de son plan « France Relance », le gouvernement français souhaite étendre le rayonnement mondial de ces entreprises. La qualité de leurs produits et la réputation du label « Entreprise du Patrimoine vivant » les rendent très attractives sur les marchés mondiaux. Comment la politique commerciale européenne peut-elle les aider à rencontrer encore plus de succès à l'exportation ?
Nous disposons du meilleur réseau d'accords commerciaux au monde. En effet, nous avons conclu 46 accords avec 78 pays. Bon nombre de ces marchés représentent des bassins de consommateurs en croissance rapide, ce qui en fait des cibles idéales pour les produits européens de qualité.
Avec sa nouvelle stratégie commerciale, l'Union européenne met tout en œuvre pour tirer le meilleur parti de ses accords commerciaux. Cette tâche sera celle du premier responsable européen du respect des règles du commerce, le Français Denis Redonnet. Il porte un mandat spécifique pour aider nos entreprises, en particulier nos PME, à mieux utiliser et tirer profit des accords commerciaux existants.
Nous savons que les PME ne disposent souvent que peu de ressources à dédier à la croissance à l'international. C'est pourquoi nous avons récemment lancé un portail en ligne dénommé Access2Markets, un guichet unique pour aider nos PME à accéder à de nouveaux marchés.
Ces PME ont également besoin d'un soutien approprié lorsqu'elles sont confrontées à des barrières commerciales injustes à l'étranger. Nous avons donc créé un nouveau système de plaintes plus simple et plus efficace.
Il s'agit là de mesures concrètes et accessibles qui soutiennent les PME françaises et européennes, et notamment les « Entreprises du Patrimoine vivant ».
Par ailleurs, l'Europe est le premier exportateur mondial de produits agroalimentaires. Notre excédent commercial agricole net a été multiplié par huit depuis 2009, atteignant 60 milliards d'euros en 2019. Aucun pays n'est mieux placé que la France, en tant que première agriculture européenne, pour engranger les bénéfices de ces performances à l'exportation. La qualité et la réputation hors pair de ses produits alimentaires parlent d'elles-mêmes, et les agriculteurs et producteurs français ont la chance que la classe moyenne mondiale, en constante augmentation, préfère les produits de haute qualité.
Le succès de notre stratégie est déjà clairement visible : depuis l'entrée en vigueur provisoire de notre accord commercial bilatéral avec le Canada, les exportations agroalimentaires françaises ont augmenté de 21 %.
En outre, grâce à notre accord de partenariat économique, le Japon a récemment rapproché ses normes vinicoles de celles de l'Union, ce qui facilitera les exportations de vins français vers le Japon, et 25 vins, spiritueux et fromages français tels que le Beaujolais et le Roquefort sont désormais protégés contre l'imitation sur le marché chinois.
L'Europe et la France ont besoin de ces opportunités. La crise de la COVID-19 a durement frappé nos économies. 85 % de la croissance mondiale aura lieu en dehors de l'Union au cours de la prochaine décennie. Nous ne pouvons donc pas nous permettre de nous replier sur nous-mêmes.
C'est pourquoi notre nouvelle stratégie commerciale réaffirme avec force notre engagement en faveur d'un commerce ouvert, équitable et fondé sur des règles, et nous sommes allés plus loin, en particulier en publiant un calendrier détaillé pour la réforme de l'OMC, parce que le commerce mondial nécessite des règles mondiales.
Pour autant, notre nouvelle stratégie ne se limite pas au commerce et à l'économie. Pour la première fois, nous mettons la durabilité au cœur de la politique commerciale. L'accord de Paris sur le climat sera désormais un élément essentiel de toute nouvelle négociation. Nous avons également proposé une initiative sur le commerce et le climat à l'OMC, la recherche d'un accord sur la neutralité climatique dans nos traités commerciaux et d'investissement avec les pays du G20, et la pleine utilisation de nos accords commerciaux pour accélérer la coopération en matière d'action pour le climat, de biodiversité et de durabilité alimentaire.
La politique commerciale doit également favoriser notre transformation numérique. L'Union doit jouer un rôle central dans la mise en place de règles appropriées pour le commerce numérique, tant au niveau de l'OMC qu'en étroite collaboration avec nos partenaires, notamment les États-Unis.
Nous coopérerons activement avec nos partenaires mondiaux dans tous ces domaines, car c'est ainsi que l'Europe obtient des résultats.
Ainsi, notre rapprochement avec les États-Unis a conduit à une suspension tarifaire de 4 mois dans le cadre du différend Airbus-Boeing, qui constitue une avancée majeure qui aide nos exportateurs, et en particulier la filière viticole française, et qui nous donne le temps de trouver une solution négociée définitive à ce litige de longue date.
Enfin, nous renforçons notre capacité à défendre nos intérêts et à faire respecter nos droits. Nous avons besoin de nos propres outils (y compris des outils autonomes si nécessaire) pour protéger nos intérêts stratégiques et nos valeurs. Nous sommes parmi les utilisateurs les plus actifs des instruments de défense commerciale. Ces dernières années, nous avons pris 180 mesures de défense, dont un grand nombre en matière d'antidumping.
En cas de non-respect des engagements de la part de nos partenaires, nous sommes prêts à activer les dispositions relatives au règlement des différends dans le cadre de nos accords commerciaux. Nous le faisons dans le cadre de l'OMC et ces dernières années, nous avons également commencé à le faire dans le cadre de nos accords bilatéraux.
Nous avons récemment eu gain de cause dans deux de ces différends bilatéraux, dont le dernier concernait la Corée qui n'avait pas respecté ses engagements en matière de droits du travail. L'Assemblée nationale coréenne a ratifié trois conventions de l'OIT le mois dernier, ce qui montre que notre approche produit des résultats.
Nous mettons également en œuvre le mécanisme de coordination de l'Union pour le filtrage des investissements directs étrangers, mais nous devons aussi améliorer notre « boîte à outils » d'instruments juridiques pour le respect des règles commerciales. De nombreux chantiers sont en cours, et la Commission présentera des propositions importantes cette année. En outre, 2022, l'année de la présidence française de l'Union, sera une année décisive pour le commerce sur le front législatif.
Mes services travaillent déjà à l'élaboration d'un instrument anti-coercition visant à protéger l'Europe lorsque notre ouverture est soumise à des attaques déloyales. Nous examinons également la possibilité d'une stratégie de l'Union en matière de crédits à l'exportation. Nous présenterons bientôt des propositions législatives sur les subventions étrangères au sein du marché unique, et nous collaborerons avec nos partenaires pour lutter contre les subventions dommageables et un certain nombre d'autres problèmes liés à l'inégalité des conditions de concurrence au niveau mondial (et notamment ceux découlant du modèle du capitalisme d'État chinois).
Notre récent accord global d'investissement avec la Chine a été conçu pour remédier aux déséquilibres de nos relations commerciales. Il constitue également un levier pour amener Pékin à s'engager au respect des droits fondamentaux du travail.
Toutefois, il est évident que nous devrons faire plus. C'est pourquoi nous mettons au point une législation sur le devoir de diligence, qui prévoit notamment une lutte résolue contre le travail forcé, en Chine et ailleurs.
Dans les années à venir, la politique commerciale peut agir comme un multiplicateur de la prospérité et des valeurs de l'Europe. Notre nouvelle stratégie montre la voie à suivre, mais une politique européenne n'est forte que si elle bénéficie du soutien de la part des États membres et si nous parlons d'une seule voix.
Montesquieu estimait que « le commerce est la chose du monde la plus utile à l'État ». Je partage cette opinion et ajouterais même : « le commerce est la chose du monde la plus utile à l'Union ».
J'invite la France à apporter son puissant concours à cette nouvelle approche. Celle‑ci sera bénéfique pour la France, pour l'Union européenne et pour notre planète.
Merci d'avoir organisé cette audition en commun avec M. Dombrovskis, que je remercie pour le travail qu'il a réalisé avec ses équipes ces derniers mois, en particulier sur deux sujets essentiels : la révision de la politique commerciale de l'Union européenne et le contentieux entre Airbus et Boeing. La suspension des tarifs douaniers qui ont impacté depuis plus d'un an tant le secteur de l'aéronautique que celui des vins et spiritueux constitue une excellente nouvelle. Elle est le fruit de l'affirmation de la souveraineté européenne : en novembre 2020, nous avons décidé, avec l'autorisation de l'OMC, d'appliquer de nouveaux tarifs douaniers aux produits américains. Au travers de cette décision, l'Europe affirmait sa souveraineté et sa volonté souhait d'être considérée par d'autres puissances comme une égale.
En outre, nous avons décidé de faire passer un message clair aux Américains, à savoir que nous souhaitions la désescalade. Nous avons toujours recherché des solutions à ce contentieux, et nous devrons les trouver durant ces quatre mois qui nous séparent de la fin de la période de suspension des tarifs douaniers. Je compte sur les services de la Commission européenne et de notre administration pour identifier les voies de sortie par le haut de ce contentieux.
Enfin, l'administration américaine a récemment changé, et la nouvelle administration a envoyé des signaux forts, avec le retour des États-Unis dans l'accord de Paris, la levée du veto sur la nomination de la directrice générale de l'OMC, Docteur Ngozi, le fait que Mme Janet Yellen, la secrétaire au trésor, se soit déclarée favorable à une fiscalité internationale des services numériques, ou encore le fait que Catherine Tai, la nouvelle United States Trade Representative (USTR, l'équivalent du ministre du commerce extérieur) ait annoncé lors de son audition au Sénat qu'elle souhaitait une résolution positive au contentieux entre Airbus et Boeing. Aujourd'hui, nous devons aller au terme de la négociation, mais je remercie M. Dombrovskis d'avoir su saisir la main tendue par les Américains pour parvenir à la suspension des tarifs douaniers.
D'autres sujets seront à évoquer dans le cadre de la relation transatlantique : l'extraterritorialité du droit américain, l'aluminium et l'acier, ou encore la modernisation du commerce mondial pour qu'il soit plus durable et équitable.
Un travail important a été réalisé sur la révision de la politique commerciale de l'Union européenne. Lors d'un récent conseil des ministres européens du commerce, j'ai réaffirmé combien cette révision allait dans la bonne direction. L'Union européenne doit s'engager pour promouvoir un commerce ouvert qui soit source de croissance et de relance économique, mais également, dans un contexte commercial tendu et ne favorisant pas la coopération, pour muscler nos outils de protection, afin que notre politique commerciale soit moins naïve et intègre en tant qu'éléments essentiels les enjeux du développement durable. Nous partageons la conviction que nous devons, par exemple, travailler sur la mise en place d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, lutter contre la déforestation importée, et faire du respect de l'accord de Paris une clause essentielle de nos futurs accords de libre-échange comme cela a été le cas de l'accord sur la relation future entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.
Pour autant, au-delà des volontés affichées, nous devons aboutir rapidement s'agissant des instruments évoqués par M. Dombrovskis en lien aussi bien avec le développement durable qu'avec le renforcement de notre défense commerciale par rapport à d'autres pays ou d'autres zones. Par exemple, nous devons, pour faire face aux pratiques déloyales, faire en sorte de disposer d'un outil permettant une meilleure réciprocité dans l'accès aux marchés publics, d'un outil anti-coercition et d'un outil pour gérer les subventions déloyales que peuvent octroyer certains États à leurs entreprises.
En ce qui concerne le développement durable, nous devons mettre en œuvre le plan d'actions en 15 points de l'Union européenne, qui doit nous permettre d'imposer des sanctions en dernier ressort. Aujourd'hui, nous manquons d'outils pour sanctionner les pratiques de nos partenaires qui ne respectent pas leurs engagements. En ce sens, la nomination d'un procureur commercial en charge de la bonne application des accords va dans le bon sens. Il est important de nous doter non seulement de nouveaux outils, mais également des moyens nécessaires pour les mettre en œuvre.
Nous devons également aller plus loin s'agissant du travail forcé. Je soutiens la proposition de la Commission européenne de profiter du travail réalisé dans le cadre du devoir de vigilance des entreprises pour nous doter de dispositifs nous permettant d'aller jusqu'au blocage de l'importation de produits fabriqués en tout ou partie au travers du travail forcé, dispositifs qui sont du reste de plus en plus demandés par l'opinion publique.
En outre, nous devons réformer l'OMC. Le changement d'attitude de l'administration américaine et la volonté de nombreux pays de disposer d'une réponse unilatérale aux enjeux du commerce international constituent une opportunité que nous devons saisir. La nomination de la nouvelle directrice générale, Docteur Ngozi, nous permettra d'engager les différents chantiers de cette réforme et de la réactivation de l‘OMC, en particulier en matière de règlement des différends.
En ce qui concerne l'accord sur les investissements avec la Chine, il existe une différence entre un accord de principe et un accord définitif qui doit être validé par le Conseil puis le Parlement européen. Le diable se trouve souvent dans les détails. Nous devons donc rester vigilants, pour que les engagements de la Chine soient concrets et s'inscrivent dans un calendrier clairement déterminé. Vis-à-vis de la Chine, nous avons besoin de nous montrer déterminés, ambitieux, mais également pragmatiques. En ce sens, nous avons salué l'accord sur les indications géographiques, car il permet de protéger un certain nombre de nos produits. Dans le cadre de l'accord sur les investissements, la Chine a accepté pour la première fois des éléments ne relevant pas uniquement des investissements ou du commerce, mais également de domaines auxquels nous sommes très attachés comme le développement durable, l'environnement ou les droits humains comme le travail forcé. Ces leviers sont pour la première fois inscrits dans des accords commerciaux avec la Chine, et nous devrons veiller à ce qu'ils soient les plus ambitieux possible.
Nous constatons, au travers de vos interventions, que les changements en cours sont profonds, et pour partie positifs. Je donne maintenant la parole aux représentants des groupes politiques.
Dans le contexte actuel, il était indispensable que l'Union européenne redéfinisse sa feuille de route commerciale. Sa nouvelle stratégie montre une réelle évolution de la Commission européenne depuis 2017. J'en retiendrais quatre idées-forces qui font écho à nos préoccupations : le caractère essentiel du commerce ; le nouveau principe d'autonomie stratégique ouverte ; le choix d'un juste échange respectueux de nos préférences collectives concernant l'environnement, la santé et les choix de sociétés ; le renforcement de notre capacité à défendre nos intérêts.
Nous soutenons ces évolutions, car nous avons payé le prix des guerres commerciales menées au cours des dernières années par les États-Unis et la Chine. Je félicite également la Commission européenne pour l'arrêt des sanctions vis-à-vis d'Airbus et du secteur des vins et des alcools.
Nous avons subi l'asphyxie des organes de l'OMC planifiée par Donald Trump et le pillage technologique de la Chine. Nous devons encore subir l'extraterritorialité des lois américaines et la domination des GAFA. Une réaction était nécessaire. Cette nouvelle politique est avant tout le reflet des nouveaux choix des Européens. L'Europe renforce son camp de base autour du pacte vert et de la relance européenne. Elle affirme une ambition forte dans les mécanismes de défense commerciale, et les mécanismes anti-subvention et anti-coercition. Il était temps.
Toutefois, ces orientations générales ne sont pas réellement engageantes. Des demandes de précisions ont été soumises par la France, en particulier sur le renforcement des mesures miroirs et la révision des tolérances à l'importation dans les domaines sanitaire et alimentaire. Le caractère contraignant des chapitres relatifs au développement durable aurait également dû se traduire par des conditionnalités tarifaires et un mécanisme de règlement des différends pouvant aboutir à des sanctions.
Enfin, la question du lien entre cette stratégie et les accords en cours de négociation se pose. La France refuse aujourd'hui la ratification de l'accord avec le Mercosur pour trois raisons principales : le respect des engagements de l'accord de Paris, la fragilité de l'agriculture et l'accélération de la déforestation. M. Dombrovskis, acceptez-vous de le renégocier pour le rendre compatible avec cette nouvelle stratégie ?
Il est proposé d'améliorer la coopération avec le Mercosur en matière de développement durable et de déforestation. Cette coopération aura-t-elle un caractère contraignant ? Plus largement, cette stratégie s'applique-t-elle aux accords en cours de négociation avec l'Australie, la Nouvelle-Zélande, l'Indonésie, les Philippines et la Chine ?
En conclusion, j'adresserai une mise en garde à la Commission européenne. Il est très difficile de faire accepter ces accords par nos populations. Si le Conseil passe en force, ou scinde les accords pour éviter de passer par les parlements nationaux, vous ferez face à un rejet des Européens, et vous risquez que plus aucun accord ne puisse être conclu dans le futur. Ce n'est pas ce que souhaite La République en Marche. Nous souhaitons la signature d'accords commerciaux et la relance de l'OMC, mais dans le respect de nos valeurs collectives.
Je souhaite pour ma part poser quatre questions. Dans un rapport remis au premier ministre français en septembre 2020 sur les effets de l'accord entre l'Union européenne et le Mercosur, une commission d'experts estime que l'application de ce texte risquerait d'aggraver la déforestation en Amérique du Sud, et aurait des conséquences graves sur la biodiversité et le climat de la région. Face à ce constat, le gouvernement français a confirmé son opposition à cet accord. M. Dombrovskis, quelle est la position de la Commission européenne sur cet accord commercial ? M. Riester, pourriez-vous préciser sur quels éléments repose le refus français ?
Par ailleurs, pourriez-vous présenter un premier bilan des avantages et des inconvénients du Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA), l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada, quatre ans après sa mise en vigueur ?
Alors que la crise de la COVID-19 frappe durement l'Union européenne et le monde occidental, la Commission européenne a annoncé le 30 décembre 2020 la conclusion d'un accord de principe sur l'accord global d'investissement entre l'Union européenne et la Chine. Était-il importun d'ouvrir de telles négociations au moment du retour des États-Unis dans les organisations multilatérales ?
Enfin, quelles pourraient être les conséquences sur l'évolution du commerce international de la croissance modérée, voire de la décroissance, prônée par certains écologistes à la suite de la pandémie mondiale ?
Nous sommes confrontés à deux défis, un défi de fond et un défi de forme. Sur le fond, nous passons d'une ère dans laquelle les accords commerciaux constituaient des leviers de développement de la prospérité à une ère où ils doivent être des leviers pour la lutte contre le réchauffement climatique. Il s'agit d'un changement de paradigme profond car, dans l'ancien modèle, le développement du commerce international était toujours compatible avec celui de la prospérité. Avec le dérèglement climatique, ce n'est plus le cas.
Sur la forme, les accords mixtes nous placent dans une situation hypocrite. D'une part, la Commission européenne a l'impression que les parlements nationaux peuvent « prendre en otage » les accords sous le prétexte qu'ils sont mixtes. D'autre part, les parlements nationaux ont le sentiment d'être court-circuités dès lors que les accords ne sont pas mixtes.
Au regard de ces défis, il semble nécessaire de sortir l'accord avec le Mercosur de l'ambiguïté. La réponse est nécessairement binaire : soit nous nous opposons à sa rédaction en l'état, soit nous la conservons. La Commission européenne compte-t-elle imposer d'une manière ou d'une autre l'accord dans sa rédaction actuelle ?
Pendant la période du premier confinement, notre commission a conduit de nombreuses auditions sous la direction de notre regrettée présidente, Mme de Sarnez, et la question de la relocalisation d'un certain nombre de productions stratégiques s'est souvent présentée. Nous pouvons lire dans la communication de la Commission européenne au Parlement européen cette conviction naïve des bienfaits supposés d'un libre-échange forcené, notamment dans la volonté affichée de conclure hâtivement l'accord avec le Mercosur en dépit des oppositions qu'il suscite au regard du développement durable, de la déforestation ou du respect des engagements de l'accord de Paris.
Quelles actions la Commission européenne est-elle prête à engager afin de faciliter les relocalisations et d'incarner la nécessité d'une « Europe qui protège » ? En fait-elle assez contre la concurrence des pays à bas coûts ? Se défend-elle suffisamment face au géant chinois et n'est-elle pas allée trop loin dans l'ouverture ?
La semaine dernière, Bpifrance et le groupe AFD ont signé un partenariat destiné à renforcer la complémentarité de leurs interventions en France et à l'international. Cet engagement doit favoriser l'influence économique de la France par l'accompagnement et le financement de nos entreprises à l'international, ainsi que le développement durable. Nous ne pouvons que nous réjouir de ce renforcement des relations entre ces deux opérateurs français d'importance, mais pourquoi ne pas imaginer de telles alliances entre des opérateurs européens pour aborder la relation économique avec l'Afrique ?
En effet, notre rapport à l'Afrique doit évoluer, pour ne plus s'articuler autour de la seule thématique du développement, mais intégrer de nouveaux partenariats qui se fonderaient sur les relations économiques, la croissance, le développement durable, etc. Ainsi, il nous appartient de valoriser les dispositifs lorsqu'ils existent, à l'image, par exemple, du dispositif Averroès porté par Proparco et Bpifrance, destiné à soutenir le développement du marché du capital-investissement, d'abord en Afrique du Nord puis, depuis 2015, sur l'ensemble du continent. Il a permis de drainer près de 1,2 milliard d'euros dans une vingtaine de fonds de capital-investissement, et a permis d'aider plus de 150 entreprises réparties dans 40 pays africains.
Notre réseau économique à l'international doit être agile et ingénieux, et doit se recentrer sur notre voisinage immédiat, avec lequel nous partageons bien plus d'intérêts commerciaux et culturels qu'avec d'autres aires géographiques dans le monde. En ce sens, je dirais « Tanger et Alger, plutôt que Taipei et Bombay ».
Quand et comment la France et l'Europe comptent-elles procéder au retour sur le pourtour méditerranéen de nos entreprises ? Comment pouvons-nous mettre en place des guichets uniques pour les visas Schengen en Afrique, comme je le propose avec la députée Mme Sira Sylla, afin de mutualiser notre capacité de délivrance de visas et de permettre aux entreprises du nord et du sud de circuler plus facilement ?
La Commission européenne a pris des engagements climatiques ambitieux au travers du pacte européen vert, qui prévoit notamment la neutralité carbone en 2050. Aujourd'hui, au Parlement européen, les députés votent un rapport sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Ce mécanisme imposerait une taxe carbone sur les importations de l'Union européenne, qui représentent plus de 20 % des émissions de CO2 de l'Union. L'Union devrait présenter une proposition de directive sur ce sujet dès le second trimestre 2021 dans le cadre du « green deal ».
Ces projets nous semblent intéressants et ambitieux, mais sont en totale contradiction avec d'autres projets portés par la Commission européenne, et en particulier les accords commerciaux TAFTA, CETA et avec le Mercosur. Comment la Commission européenne peut-elle déclarer vouloir porter l'écologie alors que dans le même temps elle tente de mettre en œuvre des accords commerciaux néfastes pour la planète ?
Un rapport remis au premier ministre français en 2019 a montré que l'accord avec le Mercosur comportait des risques majeurs d'aggravation de la déforestation en Amérique du Sud. Un sondage réalisé dans quatre pays européens (France, Allemagne, Pays-Bas et Espagne) en septembre 2020 a montré que 78 % des répondants demandaient le rejet de l'accord avec le Mercosur. Le président de la République a déclaré le 14 décembre dernier devant les membres de la Commission citoyenne pour le climat que la France ne signerait pas un accord avec le Mercosur. Pourtant, un document de travail circule, laissant entendre que la France pourrait lever son veto. Quelle est votre position, monsieur le ministre, sur cet accord ?
Avec celui-ci, le CETA et le TAFTA, nous sommes embarqués dans une machine à remonter le temps. Au siècle dernier, il était possible de se convaincre que le commerce assurerait la paix, la prospérité et la démocratie. Aujourd'hui, l'urgence climatique nous impose de penser autrement, car c'est le libre-échange, entre autres choses, qui est l'origine des problèmes écologiques qui sont devant nous, et la crise pandémique nous alerte sur les risques relatifs aux zoonoses qui en sont la conséquence.
Nous n'avons pas mesuré les conséquences de ces traités quand les premières négociations ont été engagées. N'est-il pas temps de les suspendre ou les reconsidérer ? La négociation des accords commerciaux doit être centrée sur la sauvegarde de la souveraineté européenne et des États membres ainsi que la protection des droits des citoyens européens, qui ne peuvent être sacrifiés sur l'autel du marché concurrentiel.
L'Europe fait face à une perte de sens, et est en quête de repères. Le Brexit en est l'une des illustrations. Il est essentiel de nous retrouver autour de valeurs communes et d'un projet fédérateur. L'environnement devrait être la pierre angulaire d'un nouveau modèle de croissance. Nous avons une bataille culturelle à mener. Nous devons proposer une autre vision du monde, projeter un imaginaire désirable de l'avenir. Il nous faut revenir à la sobriété et à la régionalisation, à rebours des ravages de la mondialisation.
Mardi dernier, le Front Polisario a de nouveau contesté l'accord commercial entre l'Union européenne et le Maroc qui permet à Rabat d'exporter en Europe à un tarif douanier préférentiel des poissons des eaux territoriales du Sahara occidental occupé. Une audience s'est tenue pendant deux jours et un verdict doit être rendu dans quelques mois. Après l'arrêt de 2018 qui a replacé le droit international au centre des débats, la Cour de justice de l'Union européenne reprend un dossier sahraoui pollué par des tentatives de contournement du droit dans l'unique but de permettre au Maroc d'affirmer sa légitimité et sa souveraineté sur ce territoire au statut non autonome. Ce dernier a pourtant de belles ressources (phosphate, poisson, agriculture, etc.) et il est temps que l'Union européenne pèse dans la balance pour débloquer la situation.
Depuis 45 ans, l'existence du Sahara occidental est niée. Des individus dorment dans des camps de réfugiés en Algérie. Les puissants se moquent d'eux et les méprisent, en signant avec la puissance occupante un accord visant à piller les ressources naturelles qui leur reviennent. L'Union européenne est complice de ces violations du droit international.
Il est nécessaire d'envisager une conclusion à cet insupportable problème d'occupation. L'Union européenne a la force de s'y attaquer concrètement. Plusieurs entreprises ont refusé de continuer à travailler au Sahara occidental tant que le statut international de cet espace ne serait pas clarifié. Il reste toutefois beaucoup de chemin à faire. Selon la Commission européenne, le Maroc exporte vers l'Union européenne pour près de 450 millions d'euros de produits issus du Sahara occidental occupé et, en retour, l'Union européenne verse 52 millions d'euros pour que le Maroc contribue à l'emploi au Sahara occidental et limite les migrations en partance de ce territoire.
Vous avez appelé dans vos interventions au respect des accords de Paris et des engagements en matière de travail des enfants et du droit des travailleurs, et avez mis en avant le devoir de vigilance des entreprises. Comptez-vous en appeler au respect du droit international ?
Je demanderai à nos invités de se focaliser sur une question qui a été posée par plusieurs représentants des groupes politiques. Estimez-vous possible, au regard de l'hostilité des opinions européennes – et de l'opinion française en particulier – vis-à-vis de l'accord avec le Mercosur, que celui-ci puisse être adopté et mis en œuvre dans des délais rapides ?
Je vous remercie pour le soutien de la plupart des groupes politiques à notre nouvelle stratégie commerciale, qui repose sur le concept d'autonomie stratégie ouverte et se concentre sur le renforcement de la durabilité et la réforme de l'OMC.
S'agissant de l'amélioration de l'application des dimensions environnementales inscrites dans les accords commerciaux, nous avons accéléré l'examen du plan d'action en 15 points, et avons ramené son délai d'application à 2021 plutôt que 2023 afin d'être en mesure d'identifier rapidement les meilleures pratiques en vigueur au niveau international et de les mettre en œuvre.
En ce qui concerne les mesures miroirs, il est évident que toutes les importations en Europe doivent respecter les normes et les règlements de l'Union européenne. Les règles internationales doivent permettre de mettre en place pour les échanges un cadre non discriminatoire qui protège les droits de chaque pays, dans le respect des préférences des sociétés. Toutefois, certaines problématiques peuvent nous amener à modifier les règlements relatifs aux importations, en fonction des nécessités de protéger l'environnement ou pour répondre à des préoccupations d'ordre éthique. Pour autant, ces modifications peuvent se faire en dehors des règles de l'OMC, et nous mettons déjà en œuvre de telles mesures. Par exemple, à compter de janvier 2022, nous interdirons l'importation de viandes à partir de pays tiers qui continuent à autoriser les antibiotiques comme promoteurs de croissance.
Plusieurs questions ont été posées sur l'accord avec le Mercosur. Cet accord est important à la fois sur le plan économique et stratégique car il permet de créer un lien avec cette région au PIB de 2 200 milliards d'euros et qui compte 260 millions de consommateurs. Son potentiel n'est pas aujourd'hui exploité, et ce marché est l'un des plus protégés dans le monde. Il est donc essentiel pour nous de disposer d'un accord. L'accord en cours de négociation est l'accord commercial le plus important pour l'Union européenne car il devrait générer 4 milliards d'euros de gains tarifaires par an, soit quatre fois plus que l'accord avec le Japon et huit fois plus que celui avec le Canada. Il s'agit également du premier accord que le Mercosur a négocié avec un partenaire international d'importance, ce qui constitue un avantage pour l'Union européenne par rapport aux États-Unis ou la Chine.
La France serait le deuxième bénéficiaire, après l'Allemagne, de cet accord. Aujourd'hui, en dépit de barrières significatives, 100 000 emplois en France dépendent des exportations vers le Mercosur, qui est le 11e partenaire commercial du pays. Plus de 4 600 entreprises françaises (dont 80 % sont des PME) exportent déjà vers le Mercosur, pour une valeur de 9 millions d'euros en 2018. En outre, 63 indications géographiques françaises seront protégées par l'accord. La France est, en Europe, le premier exportateur de produits laitiers et de préparations alimentaires vers le Mercosur, le deuxième de gluten, et le troisième de vins et de spiritueux. Elle exporte également des biscuits et de nombreux autres produits. L'accord offre donc des opportunités importantes pour le secteur agroalimentaire français, qui seront calibrées par des mesures tarifaires adaptées.
Nous sommes conscients des inquiétudes soulevées vis-à-vis de la durabilité et de la déforestation, et nous les partageons. Nous devrons y répondre. Pour cette raison, nous n'accélérons pas la ratification de l'accord, mais travaillons avec les autorités du Mercosur sur les engagements complémentaires qu'elles pourraient prendre, en particulier sur le respect de l'accord de Paris et la déforestation. La forme juridique précise de ces engagements reste à déterminer, et à ce stade, nous ne disposons pas de calendrier précis, car le travail continue avec les pays du Mercosur.
S'agissant du CETA, nous constatons des résultats positifs concrets. En 2019, le commerce entre le Canada et l'Union européenne a augmenté de 25 %. La balance commerciale de l'Union est positive de 17,6 milliards d'euros. Des tendances similaires sont constatées en ce qui concerne le commerce entre la France et le Canada. Les flux commerciaux ont représenté 6 milliards d'euros en 2019, et la balance commerciale de la France a été positive de 1,1 milliard d'euros. Les importations de produits français au Canada ont augmenté : celles des véhicules et des pièces détachées ont progressé de 200 % et celles des parfums de 60 %. L'accord a également eu des conséquences positives pour le secteur de l'agriculture. La crainte d'importations massives de viande canadienne ne s'est pas concrétisée, alors que les exportations de nourriture française au Canada ont augmenté de 25 %. Le CETA a libéralisé l'accès des produits européens au marché canadien, mais protège 143 indications géographiques européennes, dont 30 indications françaises.
Par ailleurs, l'accord sur les investissements entre l'Union européenne et la Chine vise avant tout à répondre au déséquilibre qui existe aujourd'hui dans les relations commerciales. Les États membres et la Commission européenne appellent à cette réponse depuis longtemps. L'accord reprend des engagements importants pour la Chine en matière d'accès au marché et de respect des règles relatives à la concurrence équitable. En outre, pour la première fois, la Chine a pris des engagements en matière de développement durable dans le cadre d'un accord commercial, à une hauteur similaire aux engagements inscrits dans les accords de libre-échange précédemment conclu par l'Union européenne. Nous devrons nous assurer que ces engagements seront respectés, et nous avons prévu un système de règlement des différends.
Nous préparons également une législation sur le devoir de vigilance, afin de nous assurer que les biens et les services produits qui impliquent des violations majeures de l'environnement ou des droits humains ne sont pas vendus sur le marché européen ou par des entreprises européennes. En ce sens, le système européen de sanction en cas de violation des droits de l'homme est en vigueur depuis septembre 2020. Ainsi, l'accord sur les investissements ne constitue que l'un des éléments d'une « boîte à outils » plus vaste qui nous sera utile dans le cadre de nos relations avec la Chine.
Le calendrier de l'accord a également été évoqué. Au printemps 2019, lors du sommet Chine-Union européenne, les États membres avaient prévu de finaliser l'accord fin 2020. Nous avons respecté cet objectif. Aujourd'hui, l'Union européenne est seule économie d'importance à ne pas disposer d'accord avec la Chine. Les États-Unis ont signé la phase 1 d'un accord, et la Chine a conclu des accords avec le Japon et d'autres pays d'Asie. Nous ne devons pas nous tenir à l'écart de ces négociations, sachant que 30 % de la croissance mondiale des cinq années à venir proviendra de la Chine.
En ce qui concerne le lien entre le commerce et le climat, nous réalisons des efforts importants pour rendre plus écologique notre politique commerciale. Ainsi, la durabilité et l'écologie ont une place prépondérante dans notre nouvelle stratégie commerciale, et sont plus importantes que les questions d'ouverture. Les remarques liminaires de cette politique définissent un certain nombre d'initiatives concrètes. Il sera important de les poursuivre et de rendre nos politiques commerciales plus écologiques.
Par ailleurs, nous étudions les questions de la relocalisation des productions et de nos dépendances stratégiques dans le cadre du réexamen de notre politique industrielle. Nous envisageons de mettre en place de nouveaux outils afin de favoriser les relocalisations et la diversification des chaînes d'approvisionnement.
Il m'a également été demandé si l'Union européenne était trop ouverte. Je pense que non. L'Union est le plus grand commerçant du monde, et son excédent commercial est très important. Si nous nous refermons sur nous-mêmes, notre situation économique ne fera qu'empirer.
Le développement commercial avec nos voisins, et en particulier l'Afrique, constitue une priorité. Nous développerons nos relations avec ces régions, et organiserons des partenariats économiques avec les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP). Nous pourrions également travailler sur la mise en place d'une zone de libre-échange continental au niveau de l'Afrique.
S'agissant du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, le travail est en cours, et nous présenterons en juin une proposition au Parlement européen sur le sujet.
En ce qui concerne la situation au Sahara occidental, la Cour de justice de l'Union européenne a récemment rendu un certain nombre de décisions, et les accords avec le Maroc ont été revus pour en refléter les conclusions, afin de nous assurer que le Sahara occidental tire réellement profit de ces accords. Nous avons également l'intention de présenter prochainement au Parlement européen une proposition sur le sujet.
S'agissant de l'accord avec le Mercosur, la position de la France est claire. L'accord ne pourra être signé en l'état. Pour autant, nous avons intérêt à accroître les échanges avec cette région du monde. Cela pourra passer par la signature d'un accord de libre-échange, mais pas à n'importe quel prix, notamment en matière de déforestation, et de respect de l'accord de Paris et des normes sanitaires et phytosanitaires. Nous ne pouvons nous contenter de déclarations politiques et d'engagements théoriques. Nous nous montrons fermes sur ce point, et notre position est suivie par un certain nombre de pays. Nous avons besoin de garanties objectivables, tangibles, quantifiables et contraignantes. Obtenir ces garanties prendra plus que quelques mois. Par exemple, la mise en place d'un instrument de lutte contre la déforestation importée au sein de l'Union européenne nécessitera du temps. Nous avons également avancé d'autres propositions, qui nourrissent le travail de la Commission européenne en lien avec les États membres et les pays du Mercosur, afin d'obtenir ces garanties.
La France a également indiqué qu'elle ne souhaitait pas que l'accord soit scindé. Il doit conserver sa dimension mixte, afin de ne pas donner l'impression de dessaisir les parlements nationaux. Nous continuerons à travailler sur l'accord dans les mois à venir, afin de garantir qu'il n'aura pas de conséquences négatives en matière de déforestation, de réchauffement climatique ou de respect des normes sanitaires et phytosanitaires.
Toutefois, le CETA a montré que les accords de libre-échange pouvaient avoir des effets positifs. M. Dombrovskis a communiqué un certain nombre de chiffres. Nos exportations vers le Canada, y compris de produits agricoles, évoluent de manière favorable. Cependant, nous restons attentifs à un certain nombre de points, et notamment au suivi des audits sanitaires et phytosanitaires, afin de nous assurer que les engagements pris par le Canada sont respectés. Nous devons encore renforcer ces audits, et améliorer la transparence de leurs résultats, de manière à sécuriser nos consommateurs sur la qualité des produits importés.
Par ailleurs, le calendrier relatif à l'accord entre l'Union européenne et la Chine est le fruit d'un processus initié lors du sommet de 2019, au cours duquel nous nous étions donnés comme objectif d'aboutir à un accord fin 2020. Certes, des élections ont eu lieu aux États-Unis, mais l'Europe, si elle entretient les meilleures relations possibles avec ce partenaire et cet allié, n'a pas à subir les calendriers américains pour prendre des décisions dans le cadre d'accords de libre-échange ou plus largement en matière de commerce. Les décisions de l'Union européenne sont souveraines, ce qui renvoie à la question de l'extraterritorialité du droit américain.
L'autonomie stratégique européenne constitue également un point important. Nous y travaillons au niveau européen et au niveau de la France. Nous devrons diversifier nos approvisionnements et peut-être constituer des stocks stratégiques. Nous souhaitons également étudier la possibilité, dans certains cas, de relocaliser ou de « colocaliser » – c'est-à-dire d'installer à proximité de l'Union européenne – des productions ou des chaînes de valeur afin de renforcer notre indépendance. La politique commerciale de l'Union peut contribuer à renforcer cette autonomie stratégique. En matière de relocalisation, la France a des ambitions très fortes dans le cadre son plan de relance, en particulier vis-à-vis de certains produits stratégiques pharmaceutiques.
En ce sens, les propos de M. M'jid El Guerrab me semblent pertinents. Nous devons envisager de refonder, comme l'a proposé le président de la République lors de son discours de Ouagadougou en 2017, la relation avec l'Afrique, en déployant des politiques de développement et des partenariats économiques complémentaires. Dans ce cadre, la question de la relocalisation d'une partie des chaînes des valeurs en « near shoring » ou en « colocalisation » dans certains pays d'Afrique du Nord a tout son sens. Je me suis rendu au Maroc il y a quelques mois, et j'y retournerai prochainement, car nous avons un certain nombre de leviers à activer (le fonds Averroès, mais également certains outils de Bpifrance, de Business France, ou de la direction générale du Trésor) afin de renforcer nos partenariats avec les entreprises africaines. Un sommet France-Afrique est également prévu en juillet à Montpellier. Il sera précédé par le forum économique Choose Africa qui aura vocation à rapprocher les entrepreneurs et les entreprises, et notamment les PME françaises, européennes et africaines, dans le but de développer de nouveaux partenariats.
Monsieur le commissaire, monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur les enjeux de la régulation bancaire en Europe. Les différents dispositifs micro et macro-prudentiels (les accords de Bâle III) déployés après la crise des subprimes ont largement permis de garantir la solidité de notre système financier, alors que nous subissons une pandémie sans pareille.
Cependant, un risque de dumping réglementaire persiste pour les banques européennes. En effet, les banques américaines sont moins contraintes sur le plan normatif. Par exemple, alors que les banques de la zone euro se voient imposer un ratio de « common equity tier » (qui correspond au ratio de fonds propres) de 10,4 %, ce ratio n'est que de 7 % aux États-Unis. Notre réglementation, indispensable au demeurant, risque donc de pénaliser nos banques qui sont confrontées à la concurrence internationale.
Quel regard portez-vous sur cette problématique ? Le projet de transposition dans la réglementation des accords de Bâle IV n'impose-t-il de se mobiliser sur cette question ? Il ne faudrait pas fragiliser notre système de financement européen, cette fragilisation se faisant nécessairement au profit de nos concurrents américains.
Nous nous félicitons de l'accord entre l'Union européenne et les États-Unis annoncé le 5 février dernier sur le contentieux entre Airbus et Boeing, qui suspend pour quatre mois les taxes douanières américaines en particulier pour la filière des vins et ouvre des perspectives meilleures. La taxe de 25 % imposée en octobre 2019 par les États‑Unis – qui constituent le premier marché pour les vins français – a coûté 500 millions d'euros à la filière en 2020. Cette taxe a été étendue par Donald Trump au cognac et à l'armagnac en janvier 2021. Cette perte s'ajoute aux conséquences de la crise de la COVID‑19. L'année 2020 aura alors été particulièrement difficile. Les exportations de vins français ont diminué de 14 %, pour un chiffre d'affaires de 12 milliards d'euros. Aujourd'hui, l'export est vital pour la relance de la filière des vins français.
Le moratoire de quatre mois doit être mis à profit pour trouver une solution définitive au conflit relatif à l'aéronautique et aboutir à un accord plus large, de manière à sécuriser nos entreprises sur le marché américain. Quelles sont les pistes de réflexion pour que le commerce entre l'Europe et les États-Unis soit le plus fluide possible ? Un nouvel accord transatlantique qui sanctuarisait le principe de souveraineté européenne, en fonction des filières stratégiques qui auront été identifiées afin de mieux préserver nos intérêts commerciaux communautaires et d'éviter des déboires comparables à ceux que nous venons de connaître, est-il envisageable ?
Plus de 36 millions d'emplois au sein de l'Union, dont 3 millions en France, dépendent directement des exportations vers le reste du monde. Le commerce joue ainsi un rôle déterminant dans l'économie française. La révision de la politique commerciale de l'Union européenne intervient à un moment crucial, marqué par la hausse des tensions internationales, une crise du multilatéralisme, la crise sanitaire du COVID‑19 et l'urgence du défi climatique.
Il est essentiel d'adapter rapidement notre politique commerciale commune au système commercial mondial, et France doit contribuer pleinement au défi de résilience auquel l'Union fait face, en particulier en matière environnementale, climatique et sanitaire. La contribution de la France à la révision de la politique commerciale de l'Union s'articule autour de quatre axes : construire une autonomie stratégique pour l'Union européenne, renforcer et mieux utiliser les instruments de stratégie, moderniser l'organisation mondiale du commerce, et mettre en œuvre un agenda bilatéral cohérent avec nos intérêts stratégiques et nos attentes en matière de développement durable. Ces orientations nourriront les priorités que la France portera dans le cadre de sa présidence du conseil des ministres de l'Union européenne au 1er semestre 2022.
Comment renforcer la résilience de l'économie s'agissant des produits de santé entre les périodes de demande normale et les périodes de crise sanitaire ? Par quels moyens pouvons-nous construire une stratégie d'approvisionnement robuste permettant d'aboutir à une véritable autonomie, en particulier pour ces produits, et de diversifier leur approvisionnement ?
La communication de la Commission européenne du 18 février dernier sur la politique commerciale de l'Union souligne l'importance de l'autonomie stratégique ouverte de l'Union européenne, qui nécessite « l'intensification de la coopération à l'échelle mondiale ». Je viens de quitter une réunion avec la communauté d'affaires française en Chine. Les attentes de cette communauté d'affaires vis-à-vis de l'accord sur les investissements sont très importantes. Malheureusement, les opinions publiques, incarnées par les parlements, ne sont plus favorables à ces accords. La notion même d'accord suscite une forte défiance. Quelles initiatives entendez-vous alors prendre pour rassurer nos concitoyens, voire les convaincre ?
En outre, la balance commerciale française connaît un déficit structurel, et repose trop sur nos grands groupes et insuffisamment sur nos PME et nos entreprises de taille intermédiaire. La Team France Export s'attache à rattraper notre retard sur ce point, mais les entrepreneurs français à l'étranger ne sont pas toujours bien identifiés. Par conséquent, nous avons déposé une proposition de loi visant à répertorier ces entrepreneurs français à l'étranger, qui participent à nos chaînes d'exportation en en étant le dernier maillon. Pouvons-nous compter votre soutien, M. Riester, pour que la majorité se saisisse du sujet et pour que cette proposition soit discutée ?
Dans le contexte actuel, nous mesurons combien le ralentissement international a des conséquences sur les économies et les citoyens. La nouvelle politique commerciale de l'Union européenne aborde avec lucidité de nombreuses questions telles que le nécessaire « verdissement » des échanges, les impacts du numérique, l'attitude des Européens vis-à-vis des attaques contre le multilatéralisme, la réforme de l'OMS ou encore la concurrence déloyale.
Étant élue d'une circonscription qui englobe une importante partie de l'Afrique, je me réjouis que la question des échanges avec le continent soit abordée. S'il est évident que les États-Unis et la Chine restent des partenaires commerciaux incontournables, nos échanges auraient un intérêt à être bien plus redirigés vers le continent africain. Certains pays le pensent déjà, comme l'Allemagne, qui a beaucoup accru ses parts de marché en Afrique. Nous assistons également à une montée en puissance des acteurs extra‑européens comme la Turquie, l'Inde et la Chine, dont l'omniprésence commence à inquiéter les Africains.
Vous avez évoqué la perspective d'un accord commercial intercontinental, mais il me semble compliqué à envisager, car l'Afrique compte plusieurs communautés économiques régionales. Comment l'Europe peut-elle accroître ses parts de marché sur ce continent, tout en ne nuisant pas au développement africain ? Beaucoup accusent les accords de pêche conclus entre l'Union européenne et certains pays d'Afrique de ruiner l'économie halieutique locale, voire de provoquer des migrations de populations. D'une manière générale, avez-vous l'impression que l'Afrique, en tant que partenaire commercial, est perçue comme prioritaire dans tous les pays de l'Union européenne, ou seulement dans ceux qui en sont proches par leur histoire ou leur localisation géographique ?
Nous travaillons à l'heure actuelle sur une proposition destinée à finaliser les accords de Bâle III. Notre intention est de respecter nos engagements, et de mettre en œuvre l'ensemble des aspects de ces accords tout en tenant compte des spécificités européennes. Cette proposition ne devrait pas entraîner de renforcement significatif des exigences en matière de ratios de capitaux. En outre, une période de transition sera prévue. Par exemple, les aides aux PME seront maintenues. De plus, la France a proposé la mise en œuvre de l'approche « parallel stack » ; bien qu'elle ne convainque pas tous les acteurs de la communauté de la réglementation, ses impacts potentiels seront évalués.
En ce qui concerne le contentieux entre Airbus et Boeing, les taxes douanières ont été levées pour quatre mois, mais nous devrons parvenir à leur levée définitive. Nous devons réussir à résoudre les différents litiges en cours dans le monde de l'aéronautique. La Commission européenne est prête à travailler sur le sujet, mais nous avons besoin de la coopération des États membres, et notamment de ceux où Airbus est implanté (dont la France). Nous travaillons en étroite collaboration avec les gouvernements sur cette question, et nous espérons parvenir à une conclusion satisfaisante dans un avenir proche.
L'autonomie stratégique ouverte et la résilience des chaînes d'approvisionnement sont des sujets en cours d'évaluation dans le cadre du réexamen de notre politique industrielle. Nous étudions en particulier comment les chaînes d'approvisionnement se sont comportées dans le cadre de la crise sanitaire. Il apparaît que la résilience de ces chaînes est suffisante, mais en parallèle, nous avons été confrontés à une augmentation imprévue de la demande sur certains produits comme les masques. Nous travaillerons donc au renforcement de la résilience des chaînes d'approvisionnement, et sur nos capacités de réaction en cas de crise.
Par ailleurs, nous cherchons à nous assurer que nous répondons aux attentes de la communauté des affaires et nous créons les conditions permettant une croissance économique qui profite aux PME européennes. Toutefois, il est nécessaire de rassurer nos concitoyens et les différentes parties prenantes quant à la direction que prend notre politique stratégique, ce qui impose d'intensifier notre communication. En ce sens, dans le cadre de la révision de notre stratégie commerciale, nous avons lancé une campagne de communication et organisé des consultations avec les citoyens européens.
En outre, l'Afrique constituera l'un des continents prioritaires dans le cadre de cette politique. Cependant, nous devons nous assurer que celle-ci ne mine pas le développement en Afrique. Nous devons continuer à lui proposer des offres préférentielles, au travers de diverses initiatives. En ce sens, nous réaliserons une analyse des différents dispositifs préférentiels déjà existants, et proposons aux pays d'Afrique une initiative d'investissement durable, afin de faciliter les investissements, mais de manière responsable et durable. Nous continuerons donc à coopérer étroitement avec ce continent.
Je vous remercie pour vos questions et vos remarques. J'ai tâché de vous faire comprendre que notre nouvelle approche était destinée à aider l'Europe et la France à se relever de la crise qu'elles connaissent. Nous favorisons toujours une politique commerciale ouverte et ferme, et le multilatéralisme. Nous agirons de manière multilatérale lorsque cela sera possible, et de manière unilatérale lorsque cela sera nécessaire. J'espère qu'ensemble, avec les États membres et les différentes parties prenantes, nous serons en mesure de faire de notre nouvelle politique commerciale un succès.
M. Valdis Dombrovskis quitte la séance.
En tant que rapporteure sur le projet de loi « Climat et résilience » pour la commission des affaires européennes, je souhaite vous interroger sur la dimension écologique de la politique commerciale de l'Union européenne. M. Dombrovskis a déclaré que cette politique devait soutenir les transformations écologiques de notre économie. Monsieur le ministre, vous avez insisté sur l'importance d'une parfaite articulation entre l'agenda commercial de l'Union et ses objectifs environnementaux, conformément au pacte vert. Dans le cadre de sa présidence de l'Union européenne en 2022, la France envisage-t-elle de se saisir de la question de la déforestation importée, étant donné qu'un nouvel acte législatif est en préparation sur ce point ?
Le Royaume-Uni, puisqu'il ne fait plus partie de l'Union européenne depuis le 1er janvier 2021, n'est plus soumis aux réglementations européennes, au code douanier de l'Union, à la directive sur le détachement des travailleurs, etc., mais uniquement à sa propre réglementation.
Le Brexit a également mis fin à l'appartenance du pays au système commun de TVA, ce qui suscite de nombreuses interrogations sur les règles mises en place par le Royaume-Uni en matière de TVA. Les PME européennes qui exportent au Royaume-Uni sont moins bien armées que les grandes entreprises pour répondre à ces changements. Pourriez-vous nous indiquer les règles qui s'appliquent à ces entreprises ? Peuvent-elles obtenir le remboursement de la TVA payée au Royaume-Uni ? Comment le seuil de 135 livres sterling s'applique-t-il ? Est-ce la typologie du client livré en Grande-Bretagne (particulier, société immatriculée ou autoentrepreneur) qui compte, ou le mode d'acheminement (services postaux, transporteurs classiques, etc.) ?
Je souhaitais sensibiliser M. Dombrovskis sur la question la déforestation importée, qui constitue une préoccupation importante des citoyens partagée par les parlementaires. L'article n° 66 du projet de loi « Climat et résilience » facilitera le partage des données douanières avec le ministère de la Transition écologique, et prévoit la mise en place d'un mécanisme d'alerte destiné aux entreprises qui importent des produits issus des zones qui pratiquent la déforestation. Cet outil est intéressant, mais le serait d'autant plus s'il était créé au niveau européen, car les produits importés comme le cacao ou la viande bovine peuvent passer par plusieurs pays d'Europe avant d'arriver en France, et leur traçabilité est parfois difficile à assurer par les autorités douanières françaises. Ainsi, je souhaitais interroger M. Dombrovskis sur les mesures qu'il comptait mettre en place pour lutter contre la déforestation importée, et s'il n'était pas nécessaire d'introduire des clauses en la matière plus strictes dans l'accord sur le Mercosur.
M. Riester, la France envisage-t-elle de présenter des propositions sur ce sujet dans le cadre de sa présidence du Conseil européen à venir, car il est essentiel de parvenir à une convergence des politiques françaises et européennes sur le sujet ?
La question de la déforestation a été évoquée à plusieurs reprises. Elle était au cœur des avis que j'ai rendus en tant que rapporteur budgétaire de notre commission des affaires étrangères sur la mission Écologie, mobilité et développement durable. Je proposais alors de rehausser le niveau d'exigence des certifications agricoles au travers de la notion de certification de territoire, de manière à ce que les consommateurs bénéficient d'une information complète et transparente sur l'exploitation des zones forestières. Monsieur le ministère, seriez-vous prêt à accompagner une démarche de cet ordre ?
Par ailleurs, dans le cadre de la nouvelle stratégie commerciale de l'Union européenne qui consacre pour la première fois et de manière explicite la durabilité comme un pilier central, quelle est la place des émissions dites importées ?
En tant que député de la Gironde, je suis attaché aux secteurs viticoles et aéronautiques. En Gironde, nous préférons naturellement le CETA aux taxes mises en place par Donald Trump. Les États-Unis et l'Union européenne ont décidé le vendredi 5 mars de suspendre bilatéralement les sanctions mises en œuvre dans le cadre du litige entre Airbus et Boeing. Après 18 mois de tensions intenses sur la scène internationale, nous nous réjouissons de cette mesure. Toutefois, elle n'est que temporaire. Qu'entendez-vous faire durant les quatre mois de suspension ? En outre, les viticulteurs se demandent à partir de quelle date cette mesure est effective.
Par ailleurs, la question du régime fiscal suspensif à l'exportation se pose. En effet, la plupart de nos vins sont stockés à Londres. Il est aujourd'hui beaucoup question de climat et de durabilité, et je ne peux qu'être choqué lorsque je constate que notre vin part systématiquement à l'étranger, alors que 20 % reviennent ensuite en France, uniquement pour des raisons de dumping fiscal. Comment comptez-vous travailler sur ce point, de manière à réduire les émissions polluantes dans les transports ? Il serait préférable que notre vin parte du port maritime de Bordeaux.
S'agissant du développement durable, je ne bouderai pas mon plaisir que ce thème mis en exergue par le président de la République – il était au cœur de son discours à la Sorbonne –, le gouvernement et la majorité soit mieux pris en compte dans les politiques commerciales. Nous voyons dans le document produit par la Commission européenne et dans les déclarations de M. Dombrovskis à quel point cette dimension est aujourd'hui importante.
Nul doute que le non-papier récemment rédigé par les Pays-Bas et la France a nourri le travail de la Commission européenne pour que la durabilité du commerce internationale soit prise en compte dans la stratégie de l'Union européenne. Le respect de l'accord de Paris sera une clause essentielle des accords commerciaux à venir, et nous ferons également pression pour que le plan en 15 points soit réellement mis en œuvre dans toutes ses dimensions. De plus, à la demande de la France, un procureur commercial, M. Denis Redonnet, a été nommé, et veillera à ce que les engagements liés à l'environnement et au développement durable soient respectés.
Nous souhaitons également progresser rapidement sur la mise en place d'un instrument pour lutter contre la déforestation importée, qui s'appliquera aux échanges avec l'ensemble des pays avec lesquelles l'Union européenne a des relations commerciales, au-delà du Mercosur. En outre, nous créerons de nouveaux dispositifs en matière de devoir de vigilance des entreprises. La France a été précurseur en la matière avec la loi Potier, qui concerne les entreprises de plus de 5 000 salariés. Le fait que l'Europe se saisisse de cette question permettra de renforcer le suivi des entreprises en matière de respect du développement durable et plus généralement de responsabilité sociétale des entreprises.
En ce qui concerne l'accord avec le Mercosur, la Commission européenne travaille depuis longtemps sur le sujet, et j'admets la nécessité de continuer à signer des accords de libre-échange. Toutefois, avant d'aller plus loin, nous devons nous assurer que ceux que nous avons déjà conclus sont mis en œuvre correctement, et que nos partenaires respectent leurs engagements. Je le répète, nous ne signerons pas l'accord sur le Mercosur en l'état. S'il était présenté au Conseil européen aujourd'hui, la France s'y opposerait. Nous ne nous satisferons pas d'engagements uniquement politiques négociés en parallèle de l'accord. Nous avons besoin d'engagements quantifiables, objectivables et contraignants, et les obtenir prendra du temps.
Nous souhaitons également travailler sur des clauses miroirs. M. Dombrovskis a évoqué le fait qu'à compter de 2021, une clause miroir s'appliquera quant à l'utilisation des antibiotiques comme hormones de croissance. Nous souhaitons travailler dans un esprit similaire, de manière à ce que les obligations que nous imposons à nos producteurs agricoles soient aussi appliquées aux producteurs de nos pays partenaires, et en particulier ceux du Mercosur. Ce travail prendra du temps, mais cela ne doit pas nous démotiver, car les démarches engagées autour de l'accord du Mercosur viendront nourrir les accords futurs. Ainsi, nous définirons les nouveaux fondamentaux des accords de libre-échange que nous mettrons en place à l'avenir.
S'agissant de la TVA au Royaume-Uni, la question de Mme Clapot est très précise, et nous lui transmettrons une réponse d'ordre technique. Le Royaume-Uni est aujourd'hui un état tiers de l'Union européenne. Il applique ses propres règles en matière de TVA. Pour autant, les équipes des ambassades, des douanes et de Business France sont à la disposition des PME pour les accompagner et les aider à faire face à cette nouvelle réalité. Il est aujourd'hui plus difficile de faire du commerce avec le Royaume-Uni que lorsque celui-ci faisait partie de l'Union européenne. Notre rôle est de veiller à ce que nos exportateurs puissent continuer à vendre sur les marchés britanniques avec le moins de contraintes possibles, même si le Brexit en impose nécessairement de nouvelles.
Mme Genetet, j'étudierai votre proposition de loi sur les entrepreneurs français à l'étranger. Ils constituent une partie de nos fantassins à l'international. Même si leurs entreprises relèvent du droit étranger, ce qui complique l'application de certains dispositifs d'accompagnement, tous les dispositifs qui permettent de favoriser le développement des entreprises qui appartiennent à des Français participent au rayonnement de la France et de ses ressortissants.
Par ailleurs, l'accord d'investissements Union européenne-Chine constitue avant tout une réponse à l'enjeu de réciprocité vis-à-vis de la Chine, en particulier en matière d'investissements. Nous avons déjà ouvert nos marchés aux investissements chinois. La Chine doit, de la même manière, s'ouvrir aux investisseurs européens, sans pratiquer de concurrence déloyale comme cela était le cas jusqu'à présent, en imposant des obligations de transfert de technologie ou de mise en place de joint-ventures à majorité chinoise. Le renforcement de la réciprocité nous semble constituer une avancée positive, d'autant que nous saisissons de cet accord pour faire levier auprès de la Chine sur des préoccupations auxquelles nous sommes attachés, comme le développement durable, les droits humains, le travail forcé ou l'environnement. Dans les mois à venir, nous devrons nous montrer exigeants sur le calendrier et le caractère vérifiable des engagements chinois. Certes, cela ne sera pas simple, en raison de la puissance et de la taille de la Chine.
La suspension des taxes américaines dans le cadre du contentieux entre Airbus et Boeing est quant à elle le fruit de notre détermination à assumer notre souveraineté. C'est parce que nous avons appliqué en novembre 2020 des tarifs douaniers sur les produits américains que nous avons été en mesure de trouver une solution. Avant même la désignation de Joe Biden à la présidence des États-Unis, l'administration américaine est revenue à la table des négociations pour identifier une solution à ce contentieux. Nous y travaillerons dans les semaines et mois à venir. Un travail important a déjà été réalisé pour que l'accompagnement d'Airbus par l'Union européenne et de Boeing par les États-Unis soit organisé de manière transparente dans le cadre de l'OMC, dans le respect des intérêts de chacun, et la volonté réciproque de trouver une solution nous permettra de progresser.
L'entrée en vigueur de la suspension des taxes nécessite un acte d'exécution de la Commission européenne, que nous attendons dans les jours à venir. L'urgence est de mise, car cette suspension a d'ores et déjà été annoncée.
Enfin, l'Afrique constitue pour nous une priorité. Nous soutenons la création de la zone de libre-échange continentale africaine et nous l'accompagnons sur le plan technique. Les accords de partenariat économique existants constituent les étapes d'un rapprochement entre l'Union européenne et l'Afrique. Ils doivent être approfondis, dans l'intérêt de toutes les parties impliquées, tout en respectant le développement du continent. M. Jean-Yves Le Drian l'a rappelé lors de la discussion du projet de loi de programmation sur le développement solidaire et la lutte contre les inégalités mondiales. Les accords de pêche ont quant à eux pour objectif d'assurer une gestion plus durable des stocks de poisson.
Merci. Je suis pour ma part restée sur ma faim au regard de la question que je vous ai posée. J'aurais souhaité connaître la position des différents États membres sur les accords de libre-échange.
Les positions françaises sont de plus en plus suivies par nos partenaires. La Commission européenne a proposé une nouvelle stratégie commerciale, car elle a compris que les États membres se montrent de plus en plus exigeants en matière de développement durable et de prise en compte dans la politique de l'Union européenne des dimensions favorisant les biens communs de l'humanité. En ce sens, les Pays-Bas, qui sont perçus traditionnellement comme attachés au libre-échange, ont insisté sur l'intégration du développement durable dans la politique commerciale.
La sortie du Royaume-Uni contribue également à ce changement d'état esprit. Un certain nombre d'États membres qui s'abritaient derrière la Grande-Bretagne sont aujourd'hui plus sensibles aux positions de la France, des Pays-Bas ou de l'Allemagne. Celle-ci est attachée au développement durable, même si elle est favorable au libre-échange et au développement du commerce. Du reste, nous avons aussi intérêt à développer nos échanges commerciaux et à présenter une politique commerciale ambitieuse, même si elle ne doit pas être déployée au prix d'une dégradation du climat ou de la biodiversité.
S'agissant de l'accord avec le Mercosur, nous sommes soutenus dans notre position par la Belgique, le Luxembourg, la Grèce, l'Autriche et la Pologne. D'autres pays comme l'Espagne, le Portugal et l'Italie préféreraient une signature plus rapide de l'accord, en raison de la proximité historique et culturelle très forte qui existe entre la péninsule ibérique et les pays du Mercosur. Pour autant, nous ne sommes pas seuls dans notre position vis-à-vis de l'accord, et la Commission européenne l'a bien compris.
Enfin, nous étudierons la question du stockage des vins du Médoc au Royaume‑Uni. La sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne ne doit pas entraîner la création de zones de dumping, et nous vérifierons s'il existe une faiblesse sur ce point s'agissant des vins, sachant que des mesures compensatoires sont toujours envisageables.
Nous vous remercions pour vos éclairages sur les positions de la France. Nous pouvons constater que des changements très rapides sont en cours. Toutefois, ils semblent modelés en profondeur par les préoccupations de la France. Nous étions considérés il y a quelques années comme des « ringards », notre pays étant perçu comme colbertiste, protectionniste, antilibéral, et ne comprenant pas le libre‑échange. Aujourd'hui, si le destin économique de la planète reste unifié, nos partenaires découvrent que la globalisation ne peut se faire dans n'importe quelles conditions, et à n'importe quel prix. D'aucuns disent que le lièvre de l'ouverture économique ne doit pas être accompagné d'une tortue de la régulation politique, mais dans la fable, c'est la tortue qui gagne.
La séance est levée à 19 heures 30.
Présents. - M. Patrice Anato, M. Philippe Benassaya, M. Jean-Louis Bourlanges, Mme Marguerite Deprez-Audebert, M. Jean-Claude Leclabart, Mme Nicole Le Peih, M. Patrick Loiseau, M. Xavier Paluszkiewicz, M. Jean-Pierre Pont, M. Didier Quentin, M. Benoit Simian, Mme Liliana Tanguy, Mme Sabine Thillaye
Excusés. - Mme Frédérique Dumas, Mme Constance Le Grip, M. Thierry Michels