Intervention de Liliana Tanguy

Réunion du mercredi 24 mars 2021 à 16h15
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLiliana Tanguy, rapporteure :

Je commence par répondre à la question de Mme la Présidente, sur la compatibilité des mesures nationales avec le cadre européen qui est mouvant ? Il faut travailler en lien avec l'Union pour s'assurer de la conformité des mesures en amont. Je recommande de pousser les positions françaises au niveau européen. Je prends l'exemple de l'affichage environnemental pour lequel nous ne sommes pas en retard en termes de propositions. Celles-ci pourraient avoir une répercussion au niveau de la réglementation européenne en la matière. L'article 1er du projet de loi prévoit la création d'un dispositif pour améliorer l'information du consommateur sur l'impact carbone du produit. Nous voulons rendre cette mesure obligatoire.

En parallèle de cette initiative, la Commission a également proposé un plan pour l'économie circulaire en 2020. C'est encore un exemple de politique pour laquelle nous souhaitons améliorer l'information des consommateurs, à la fois concernant l'impact carbone mais aussi sur la durée de vie du produit et les possibilités de réparation. Plusieurs paramètres seront choisis pour renvoyer cet article 1er à un décret, ils devront s'articuler avec la solution européenne.

Notre attention est constamment portée sur le fait que les mesures prises au niveau national doivent être cohérentes avec celles retenues au niveau européen.

Aujourd'hui, le projet de loi prévoit qu'une information sur l'impact carbone des biens et services soit mise en avant, mais la volonté de la Commission est de s'assurer que dans un premier temps, ce dispositif d'affichage environnemental soit compatible avec le droit européen. La France doit avoir la force de conviction pour exporter son dispositif au niveau européen. D'après mes informations, l'objectif serait bien d'avoir un affichage environnemental qui pourrait s'inspirer de la proposition française. Nous espérons être force de proposition pour que la cohérence entre droit européen et droit national soit assurée.

Concernant la question posée par Mme de Courson, il est vrai que de nombreux textes doivent permettre la mise en œuvre des propositions de la convention citoyenne pour le climat. Effectivement, le projet de loi climat et résilience ne reprend que 46 des 149 propositions. Néanmoins, toutes les dispositions ne pouvaient pas être reprises dans la loi. Certaines mesures relèvent d'une mise en œuvre au niveau européen. Je prends par exemple le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, que la France pousse depuis dix ans : pour être compatible avec les règles de l'OMC, il ne doit pas être de nature protectionniste ou discriminatoire, c'est là la difficulté. Il ne doit pas fausser la concurrence. La Commission européenne doit faire une proposition sur ce point en juin 2021 pour une mise en œuvre en 2023.

La création de ce mécanisme est une proposition de la convention citoyenne pour le climat qui ne peut être mise en œuvre qu'au niveau européen. Ce mécanisme doit permettre de limiter la part des émissions de gaz à effet de serre importées. En 2019, elles représentaient 20 % des gaz à effet de serre au niveau européen. Ce projet de loi conduit à accroître les standards de protection du climat et de l'environnement en France. Pour éviter que les entreprises françaises ne soient victimes d'un dumping environnemental, ce mécanisme doit être complémentaire aux mesures du projet de loi. La position française à ce sujet existe de longue date et fait davantage consensus au niveau européen. Je préconise dans le rapport que ce mécanisme soit une priorité de la présidence française de l'Union européenne en 2022.

Concernant la question de Mme Bono-Vandorme, sur la conciliation que fait ce projet de loi entre le pacte vert européen et les attentes des citoyens : le pacte vert propose en effet la révision de nombreux textes européens, la législation sur l'environnement existe au niveau européen depuis les années 1970. Le pacte vert amène de nouvelles évolutions.

Je crois que le projet de loi permet à la fois de traduire fidèlement les propositions des membres de la Convention Citoyenne pour le Climat, tout en anticipant le Pacte Vert pour l'Europe.

Le projet de loi « Climat et résilience » a pour objectif, à travers plusieurs dispositions touchant divers secteurs d'activité (transport, bâtiment…) de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Il doit permettre d'atteindre les objectifs de la « loi européenne sur le climat ». Cette proposition de règlement doit en effet être adoptée définitivement d'ici la fin de l'année 2021 et prévoit deux objectifs au niveau européen : la réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55 % à l'horizon 2030 par rapport à leur niveau de 1990 (cet objectif a été validé par le Conseil européen le 11 décembre 2020), et la neutralité carbone à l'horizon 2050.

Pour atteindre ces objectifs, le projet de loi s'articule avec les différentes stratégies sectorielles prévues par le Pacte Vert. Il s'agit par exemple de la stratégie « De la ferme à la table », ou encore de la stratégie « Biodiversité » en matière agricole, « Mobilité durable » en matière de transports, ou « Vague de rénovation » en matière de logement. Celles-ci définissent les propositions d'évolution de la législation européenne dans les domaines qui intéressent le projet de loi.

Je pourrais citer quelques exemples. Ainsi, le titre III du projet de loi, intitulé « Se déplacer », intervient également dans un champ de réglementation susceptible d'évoluer, du fait de la mise en œuvre de la stratégie « Mobilité durable » de la Commission. Cette stratégie prévoit de réduire de 90 % les émissions de gaz à effet de serre dues aux transports d'ici 2050. Le titre III du projet de loi, en proposant une évolution vers des mobilités propres et durables (fin de commercialisation des véhicules neufs émetteurs à l'article 25, taxation du gazole routier à l'article 30 par exemple) adopte des objectifs alignés avec ceux présentés dans la stratégie européenne.

De plus, le titre IV du projet de loi, intitulé « Se loger », s'articule aussi avec les stratégies du Pacte Vert. En effet, la stratégie « Vague de rénovations » de la Commission européenne a non seulement pour objectif de doubler le taux de rénovation des bâtiments résidentiels et non résidentiels dans l'Union Européenne au cours des dix prochaines années, mais aussi de s'assurer que ces rénovations conduisent à une meilleure efficacité énergétique. Dans le projet de loi « Climat et résilience », les articles 41 et 42 prévoient l'interdiction de location des passoires thermiques et la création d'un niveau de performance minimal des logements. Ces dispositions doivent ainsi contribuer à l'atteinte des objectifs de cette stratégie.

Le titre V du projet de loi, intitulé « Se nourrir », s'articule également avec la stratégie « De la ferme à la table » de la Commission européenne, qui fixe plusieurs objectifs environnementaux, comme la garantie d'une production alimentaire durable. Ainsi, le projet de loi qui prévoit la taxation des engrais azotés, doit aussi permettre d'atteindre plusieurs objectifs environnementaux afin de garantir une production alimentaire durable.

Ainsi, je crois que le projet de loi permet de respecter un double objectif : respecter la transcription des souhaits des citoyens et dans le même temps anticiper la mise en œuvre du Pacte Vert.

Je souhaiterais répondre désormais à la question posée par M. Thierry Michels, concernant les modalités d'un accompagnement juste et inclusif, et relative aux leviers possibles pour obtenir une véritable harmonisation européenne concernant ces mesures d'accompagnement.

Le projet de loi propose en effet une transition énergétique et environnementale ambitieuse. Pour être efficace, j'ai la conviction que la transition écologique et climatique doit s'appuyer sur l'acceptabilité des nouvelles normes par les citoyens. Ainsi, comme vous le soulignez, un accompagnement juste et inclusif est nécessaire.

Plusieurs types d'aides sont prévus en ce sens pour permettre l'accompagnement de l'ensemble des acteurs économiques et des citoyens, secteur par secteur. Je pourrais citer deux exemples à partir des articles 62 et 30 du projet de loi.

L'article 62 prévoit la taxation des engrais azotés. Pour accompagner cette mesure, le système des éco-régimes, prévu par la nouvelle politique agricole commune (PAC) à partir de 2023, permettra aux agriculteurs qui utilisent moins d'intrants polluants de bénéficier de compléments de revenus.

L'article 30 prévoit quant à lui le renforcement de la taxation sur le gazole routier. Pour accompagner cette évolution, l'article prévoit également un renforcement des aides au développement de l'offre de véhicules lourds à motorisation alternative au gazole. Cette aide existe déjà, par ailleurs, avec une déduction exceptionnelle pour les entreprises utilisant des véhicules lourds peu polluants en France.

Il faut aussi souligner le rôle du plan de relance, dont 30 milliards sont consacrés à la transition énergétique au niveau national. Ces fonds doivent également permettre un accompagnement de nos concitoyens vers un modèle de société plus durable. L'objectif de ce projet, et madame la ministre Barbara Pompili l'a souligné à plusieurs reprises, c'est un changement des modes de vie, de consommation, et de mobilité. Il faut que ces mesures puissent s'inscrire dans la vie quotidienne. Par exemple, les aides du plan de relance pourront particulièrement concerner la rénovation énergétique des logements. Je veux d'ailleurs souligner que les mesures de rénovation énergétique des logements permettent à la fois d'atteindre des objectifs écologiques et de justice sociale, en luttant contre la précarité énergétique. La problématique des passoires énergétiques concerne en effet particulièrement les personnes ayant des faibles revenus. Nous avons récemment obtenu les conclusions du rapport « Sichel » qui avait été demandé par la ministre et qui prévoit justement une politique d'accompagnement modulée en fonction des revenus des ménages, de telle sorte que les personnes ayant le plus de difficultés n'aient pas un reste à charge trop important pour pouvoir rénover leur logement.

Enfin, de façon générale, je pense que la France doit exercer son influence de façon très diffuse en adoptant des normes ambitieuses en matière climatique et environnementale, mais en s'affirmant aussi comme un État membre de référence sur ces sujets, et donc en jouant ce rôle de laboratoire d'observation. Concernant l'affiche environnemental, la France pourrait inciter les autres États et les autres institutions européennes à reprendre des mesures qu'elle a inspirées. La France peut véritablement jouer un rôle et entretenir un dialogue avec le Parlement européen et la Commission autour de la mise en œuvre de ces normes qui sont en réalité des standards que nous espérons pouvoir faire adopter au niveau européen, mais aussi à l'échelle plus large de l'économie des échanges internationaux.

Je souhaiterais répondre désormais à la question de Mme Marguerite Deprez-Audebert, qui portait sur l'objectif européen de 55 % de réduction des gaz à effet de serre défini, et sur la problématique de la déforestation importée.

La Convention citoyenne pour le climat a travaillé sur un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % en 2030 par rapport à leur niveau de 1990. Cet objectif a été revu à la hausse par le Conseil européen du 10 et 11 décembre 2020 : l'objectif de réduction est désormais de 55 % par rapport aux niveaux de 1990.

Toutefois, cet objectif n'est pas compris comme un objectif absolu pour chaque État membre. En réalité, l'objectif des 55 % constitue une moyenne. L'objectif tient compte de l'absorption des émissions par les puits de carbone. Il est exprimé de façon globale pour l'ensemble des États membres de l'Union Européenne, selon la méthodologie définie par le GIEC. En réalité, en prenant en compte ces puits de carbone, l'effort de diminution des émissions est plutôt de 53 % pour ce qui concerne la France.

L'objectif de 55 % est compris au niveau européen, et non comme un objectif absolu pour chaque Etat membre. Certains pays devront ainsi réaliser plus d'efforts que d'autres. Je pense notamment aux pays d'Europe centrale qui ont une économie très carbonée, parce qu'ils utilisent beaucoup de charbons. Ceux-là seront sûrement contraints à un effort plus conséquent.

La répartition de la diminution entre les secteurs couverts par le marché de quotas de carbone et les secteurs non couverts n'est pas encore déterminée. Selon les secteurs, l'objectif fixé à la France sera plus ou moins important. L'objectif qui sera assigné à la France en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre n'est donc pas encore précisément chiffré.

Les mesures du projet de loi climat et résilience doivent permettre de contribuer à la réduction de ces émissions de gaz à effet de serre. Il faut ajouter à cela la question des émissions importées. Je voudrais désormais en venir à la question de la politique forestière et de la déforestation importée.

Effectivement, à l'article 64, des dispositions sont prévues en lien avec cette politique forestière, qui visent à lutter contre la déforestation importée. Cette question-là n'est pas présente dans le projet de loi, mais la Commission européenne et la France agissent contre le phénomène de déforestation importée. Ainsi, en 2021, la Commission européenne devrait publier une nouvelle stratégie forestière. En conséquence, la France devrait attendre que cette stratégie soit rendue publique afin de pouvoir s'inscrire dans le cadre défini par celle-ci.

Toutefois, la France ne reste pas en retrait dans ce domaine. Elle devrait selon moi, et c'est l'objet de l'une de mes recommandations, jouer un rôle moteur dans la définition de cette stratégie, notamment concernant la déforestation, qui fait en France l'objet d'une stratégie de lutte nationale. Pour être plus précise, cette stratégie nationale de lutte contre la déforestation a été engagée par la France en 2018. Elle devrait, conduire en 2030, à l'interdiction d'importation de produits forestiers non durables, et qui contribuent à la déforestation dans les filières du cacao, du soja, de l'huile de palme, ou encore du bois. La France souhaite véritablement jouer un rôle moteur dans ce domaine, en proposant une initiative de ce type. L'objectif serait d'aller au-delà de l'article 64 qui prévoit uniquement la communication de données douanières nécessaires pour la mise en place de mécanismes d'alerte auprès des ministères de l'environnement, et à destination des entreprises lorsqu'elles importent des denrées en provenance de zones déforestées.

Ce sont des mesures qui doivent permettre de lutter contre la déforestation importée. Toutefois, ce ne sont pas les seules, puisque nous disposons aussi d'une stratégie, qui va, en outre, être renforcée. Nous souhaitons, en effet, être force de proposition à l'échelle européenne.

La commission a ensuite autorisé le dépôt du rapport en vue de sa publication.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.