Je vous remercie pour l'opportunité que vous me donnez de débattre aujourd'hui avec vous de la gouvernance économique et budgétaire de l'Union européenne.
Les citoyens européens et ceux du monde entier attendent avec impatience les vaccins, qui protègent la vie, permettent d'espérer éradiquer la pandémie et créent les conditions de la reprise économique européenne et globale. Le soutien budgétaire national et européen s'est avéré décisif pour soutenir les familles, les entreprises et l'emploi et améliorer les perspectives économiques. Des signaux de reprise, certes faibles, apparaissent mais les risques de divergences augmentent, à la fois entre les pays et, au sein des pays, entre les secteurs économiques et entre les catégories sociales.
Si, d'après certains économistes, les pertes attendues de cette crise sont inférieures à celles de la crise financière de 2008, c'est en raison des réponses différentes qui lui ont été apportées. Toutefois, il n'en reste pas moins que l'impact de cette crise est et sera considérable. La politique monétaire accommodante, associée au soutien budgétaire, ont joué un rôle majeur et doivent être poursuivis. Il faut en tirer les leçons pour le futur et accélérer la mise en œuvre des plans nationaux de relance. Cela implique la ratification, dans les plus brefs délais, de la décision sur les ressources propres. La France et le Portugal l'ont déjà ratifiée, démontrant par là leur engagement en faveur du nouvel instrument de relance Next Generation EU.
Vous avez rappelé, Mme la présidente, que juste avant la pandémie, la Commission européenne avait lancé une consultation publique sur la révision de la gouvernance économique et budgétaire. Si l'activation de la clause dérogatoire générale a été une décision nécessaire et intelligente, qui a donné aux Etats membres la pleine capacité de répondre à la crise, elle a néanmoins eu pour conséquence de suspendre le débat. Celui-ci a repris mais c'est une entreprise de longue haleine. Il est toutefois difficile de dissocier l'avenir de la gouvernance économique de la reprise économique et il apparaît d'ores et déjà que ce serait une erreur que de s'appuyer, pour l'avenir, sur des règles qui se sont révélées inadéquates dans le passé et le sont encore aujourd'hui. À mesure que la reprise interviendra, je pense que nous devrions lancer un vaste débat sur cette question de la réforme de la gouvernance, sur ses principes, sur ses objectifs, mais celle-ci ne se fera qu'avec un capital politique fort que les Etats membres devront être en mesure de mobiliser. En attendant, la politique budgétaire doit continuer à soutenir les familles, les entreprises et l'emploi, afin que la reprise soit robuste, plus juste, plus verte et plus inclusive. Une fois celle-ci bien engagée, le soutien devra se poursuivre, mais de manière plus flexible et ciblé sur les personnes les plus vulnérables, avec des mesures de qualification ou de reconversion, et les entreprises viables, en passant d'un soutien à la liquidité à un soutien à la solvabilité.
Pour répondre à ces défis, il faut utiliser toute la flexibilité de la boîte à outils actuelle. Je préconise donc dans mon rapport de prioriser la reprise par rapport à la réforme des règles. Nous avons besoin d'un accord qui, de mon point de vue, reconnaisse les différentes voies de reprise dans les Etats membres et mette en avant l'importance de la conception des politiques budgétaires.
Ce débat sur la révision du PSC ne fait que commencer et s'achèvera qu'après les élections allemandes, voire françaises. Il doit permettre une meilleure compréhension commune des défis auxquels nous sommes confrontés et reposer sur des propositions réalistes et efficaces.
Nous avons besoin de règles budgétaires qui soient crédibles, applicables, flexibles et qui servent leur objectif : une croissance durable, inclusive et numérique. Il faut tout d'abord reconnaître que les circonstances ont changé. Le paradigme économique sur lequel reposent les traités est très différent de celui que nous vivons aujourd'hui. Ces changements se sont développés avant même la pandémie. L'Europe était alors déjà dans une position de fragilité. Comme d'autres économies avancées, l'Europe a été embourbée dans une stagnation séculaire et figée dans un équilibre de faible croissance et d'inflation. L'investissement public net était proche de zéro en moyenne pendant la majeure partie de la dernière décennie. Nous avons donc besoin d'un cadre qui crée les conditions de la poursuite d'une politique propice à la croissance verte, inclusive et numérique. Ce cadre doit être bien défini, transparent, simple, flexible et applicable. Il doit aussi être crédible et démocratique, en lien avec les priorités politiques à long terme de l'Union européenne, toujours en tenant compte de la diversité et de la spécificité des Etats membres.
Je propose une analyse de la soutenabilité de la dette, en passant de variables non observables à des variables plus contrôlées par les décideurs politiques. Cette nouvelle règle devrait être fondée sur des trajectoires d'endettement à moyen terme et sur un objectif opérationnel unique. La règle linéaire d'un vingtième d'ajustements annuels est trop exigeante dans la situation actuelle et serait contreproductive voire d'une exigence absurde. Je propose donc des trajectoires d'ajustement différenciées, tenant compte des spécificités des Etats membres. L'investissement public est une pièce centrale de ce puzzle, pour fournir des services publics plus efficaces, pour soutenir une transformation durable et inclusive et pour favoriser la résilience. L'amélioration de la qualité des dépenses publiques stimulera la croissance potentielle des économies de l'Union européenne. Je trouve très important de dépenser à l'avenir dans l'éducation pour augmenter le capital humain et réduire les inégalités, dans la recherche pour favoriser l'innovation et la productivité, dans la transition écologique pour atténuer les effets du changement climatique, dans les infrastructures digitales pour augmenter la capacité de la production et dans l'investissement social pour soutenir les plus vulnérables.
Le soutien budgétaire extraordinaire pour réagir à cette crise a placé les dettes publiques à leur plus haut niveau historique. Récemment, le commissaire européen chargé des affaires économiques a indiqué que la moyenne des dettes publiques au niveau européen dépassait désormais 100 %. Néanmoins, la dette publique de la zone euro se situait déjà à des niveaux très élevés, avant même la crise. Entre 1999 et 2019, les dettes publiques ont augmenté en moyenne de 20 points du PIB dans les Etats membres de la zone euro, avec cependant une forte hétérogénéité.
Nous devons donc évoluer vers une évaluation plus large et transparente de la viabilité de la dette, intégrant le coût du service de la dette et la croissance. Cela doit permettre de créer des voies de réduction différenciée de la dette. Le rapport de la commission sur l'avenir des finances publiques de M. Jean Arthuis est également un élément important pour ce débat.
Une plus grande transparence est un enjeu crucial. L'une des mesures proposées est justement d'approfondir le débat parlementaire afin d'assurer une large appropriation démocratique des enjeux des finances publiques. Nous devons également approfondir l'Union économique et monétaire. L'Union monétaire est aujourd'hui mieux équipée. Pour ce qui est de l'Union économique, bien que les initiatives récentes, notamment SURE et Next Generation EU, aient été envisagées comme temporaires, les concepts sous-jacents à leur conception doivent rester dans notre boîte à outils pour l'avenir. La crise a mis en évidence le besoin de disposer d'une capacité budgétaire permanente.
Pour conclure, le semestre européen est le principal cadre de coordination des politiques économiques et sociales. Il doit soutenir le Pacte vert européen en tant que nouvelle stratégie de croissance durable de l'Union européenne. Il doit intégrer pleinement le socle européen des droits sociaux. Par ailleurs, la facilité pour la reprise et la résilience se mettra en place dans le cadre du semestre européen. Certains traditionalistes hésitent encore à inclure la dimension de durabilité dans le semestre. Or, le changement climatique est un problème mondial et nous devons intégrer les politiques climatiques dans les politiques macroéconomiques.
Le manque d'appropriation a été une des principales faiblesses du semestre ces dernières années. Le plan de relance européen et les plans nationaux permettront sans doute de tirer des enseignements permettant une amélioration du semestre européen, en augmentant la participation au niveau national. Le semestre devrait inclure des recommandations sur les grandes priorités politiques de l'Union et aider les Etats membres à déterminer leurs politiques nationales, dans le cadre d'un dialogue politique ouvert et inclusif, entre les institutions européennes et les Etats membres. Le Parlement européen joue son rôle dans la définition des objectifs prioritaires et exerce un contrôle démocratique avec les parlements nationaux. Le contrôle du semestre est exercé par les parlements. Mais il ne suffit pas de dire que les parlements nationaux ont leur mot à dire. De véritables pouvoirs d'implications et de débats au sein des parlements nationaux devraient être envisagés.
Il faut également mentionner le dialogue social, nécessaire pour renforcer cette appropriation, la confiance et la légitimité démocratique. J'aimerais voir le dialogue macroéconomique au niveau européen revigoré, en impliquant des représentants des gouvernements et des syndicats des Etats membres. En outre, il faut prévoir aux niveaux national et européen un échange régulier avec la BCE et les banques centrales nationales. Tout en abordant la reprise, il est temps de réfléchir à notre gouvernance économique. La pandémie devrait nous sensibiliser aux défauts de l'Union économique et monétaire. Ne gâchons pas cette opportunité, pour mieux nous préparer à des crises futures éventuelles. Notre débat peut aider à clarifier et à créer des consensus.