COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mercredi 7 avril 2021
Présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente de la Commission
La séance est ouverte à 16 h 05.
Nous accueillons aujourd'hui Mme Margarida Marques, députée européenne, sur le sujet de la réforme de la gouvernance économique et budgétaire européenne, objet d'un projet de rapport qu'elle a publié le 11 mars dernier et qui sera discuté prochainement à la commission des Affaires économiques et monétaires du Parlement européen.
Ce sujet des règles budgétaires, qui devrait être une priorité de la présidence française de l'Union européenne, fait l'objet de nombreux débats actuellement, débats ouverts par la Commission européenne en février 2020. En effet, les règles du pacte de stabilité et de croissance (PSC) font l'objet de nombreuses critiques : complexité, manque d'effectivité et caractère pro-cyclique. Si les débats ont été suspendus le temps de la pandémie et de l'activation de la clause dérogatoire générale, qui sera appliquée jusqu'à fin 2022, il semble évident qu'un retour aux règles passées est difficilement concevable. Non seulement les critiques précitées sont toujours valables mais la pandémie a entraîné une dégradation considérable des finances publiques des États membres, faisant apparaître les critères de Maastricht en décalage complet avec la réalité. Selon les prévisions de la Commission européenne, publiées avant la troisième vague, la dette publique de la zone euro sera supérieure à 100 % du PIB, et même à 120 % s'agissant des pays méditerranéens.
Nous sommes très intéressés par vos propositions, Mme la députée, pour rendre le cadre budgétaire européen soutenable malgré la crise et favorable à la croissance et à la transition climatique. Vous proposez notamment d'exclure de la règle en matière de dépenses les dépenses d'investissement durable. Toutefois, comment les définir, car certains y incluent les dépenses d'éducation, par exemple. Vous proposez également d'évaluer la soutenabilité de la dette en prenant en compte de nouveaux critères comme l'écart entre le taux de croissance et le taux d'intérêt ou la démographie. Je m'interroge toutefois sur l'équilibre entre l'importance du « cousu main » adapté à chaque pays et la nécessité de règles claires et simples qui laissent peu de place à l'arbitraire.
Enfin, je vous serais reconnaissante de nous éclairer sur l'ambiance au Parlement européen sur ce sujet de la réforme de la gouvernance économique et budgétaire, les lignes de fractures entre les pays, s'il y en a, et l'accueil réservé à vos propositions.
Je vous remercie pour l'opportunité que vous me donnez de débattre aujourd'hui avec vous de la gouvernance économique et budgétaire de l'Union européenne.
Les citoyens européens et ceux du monde entier attendent avec impatience les vaccins, qui protègent la vie, permettent d'espérer éradiquer la pandémie et créent les conditions de la reprise économique européenne et globale. Le soutien budgétaire national et européen s'est avéré décisif pour soutenir les familles, les entreprises et l'emploi et améliorer les perspectives économiques. Des signaux de reprise, certes faibles, apparaissent mais les risques de divergences augmentent, à la fois entre les pays et, au sein des pays, entre les secteurs économiques et entre les catégories sociales.
Si, d'après certains économistes, les pertes attendues de cette crise sont inférieures à celles de la crise financière de 2008, c'est en raison des réponses différentes qui lui ont été apportées. Toutefois, il n'en reste pas moins que l'impact de cette crise est et sera considérable. La politique monétaire accommodante, associée au soutien budgétaire, ont joué un rôle majeur et doivent être poursuivis. Il faut en tirer les leçons pour le futur et accélérer la mise en œuvre des plans nationaux de relance. Cela implique la ratification, dans les plus brefs délais, de la décision sur les ressources propres. La France et le Portugal l'ont déjà ratifiée, démontrant par là leur engagement en faveur du nouvel instrument de relance Next Generation EU.
Vous avez rappelé, Mme la présidente, que juste avant la pandémie, la Commission européenne avait lancé une consultation publique sur la révision de la gouvernance économique et budgétaire. Si l'activation de la clause dérogatoire générale a été une décision nécessaire et intelligente, qui a donné aux Etats membres la pleine capacité de répondre à la crise, elle a néanmoins eu pour conséquence de suspendre le débat. Celui-ci a repris mais c'est une entreprise de longue haleine. Il est toutefois difficile de dissocier l'avenir de la gouvernance économique de la reprise économique et il apparaît d'ores et déjà que ce serait une erreur que de s'appuyer, pour l'avenir, sur des règles qui se sont révélées inadéquates dans le passé et le sont encore aujourd'hui. À mesure que la reprise interviendra, je pense que nous devrions lancer un vaste débat sur cette question de la réforme de la gouvernance, sur ses principes, sur ses objectifs, mais celle-ci ne se fera qu'avec un capital politique fort que les Etats membres devront être en mesure de mobiliser. En attendant, la politique budgétaire doit continuer à soutenir les familles, les entreprises et l'emploi, afin que la reprise soit robuste, plus juste, plus verte et plus inclusive. Une fois celle-ci bien engagée, le soutien devra se poursuivre, mais de manière plus flexible et ciblé sur les personnes les plus vulnérables, avec des mesures de qualification ou de reconversion, et les entreprises viables, en passant d'un soutien à la liquidité à un soutien à la solvabilité.
Pour répondre à ces défis, il faut utiliser toute la flexibilité de la boîte à outils actuelle. Je préconise donc dans mon rapport de prioriser la reprise par rapport à la réforme des règles. Nous avons besoin d'un accord qui, de mon point de vue, reconnaisse les différentes voies de reprise dans les Etats membres et mette en avant l'importance de la conception des politiques budgétaires.
Ce débat sur la révision du PSC ne fait que commencer et s'achèvera qu'après les élections allemandes, voire françaises. Il doit permettre une meilleure compréhension commune des défis auxquels nous sommes confrontés et reposer sur des propositions réalistes et efficaces.
Nous avons besoin de règles budgétaires qui soient crédibles, applicables, flexibles et qui servent leur objectif : une croissance durable, inclusive et numérique. Il faut tout d'abord reconnaître que les circonstances ont changé. Le paradigme économique sur lequel reposent les traités est très différent de celui que nous vivons aujourd'hui. Ces changements se sont développés avant même la pandémie. L'Europe était alors déjà dans une position de fragilité. Comme d'autres économies avancées, l'Europe a été embourbée dans une stagnation séculaire et figée dans un équilibre de faible croissance et d'inflation. L'investissement public net était proche de zéro en moyenne pendant la majeure partie de la dernière décennie. Nous avons donc besoin d'un cadre qui crée les conditions de la poursuite d'une politique propice à la croissance verte, inclusive et numérique. Ce cadre doit être bien défini, transparent, simple, flexible et applicable. Il doit aussi être crédible et démocratique, en lien avec les priorités politiques à long terme de l'Union européenne, toujours en tenant compte de la diversité et de la spécificité des Etats membres.
Je propose une analyse de la soutenabilité de la dette, en passant de variables non observables à des variables plus contrôlées par les décideurs politiques. Cette nouvelle règle devrait être fondée sur des trajectoires d'endettement à moyen terme et sur un objectif opérationnel unique. La règle linéaire d'un vingtième d'ajustements annuels est trop exigeante dans la situation actuelle et serait contreproductive voire d'une exigence absurde. Je propose donc des trajectoires d'ajustement différenciées, tenant compte des spécificités des Etats membres. L'investissement public est une pièce centrale de ce puzzle, pour fournir des services publics plus efficaces, pour soutenir une transformation durable et inclusive et pour favoriser la résilience. L'amélioration de la qualité des dépenses publiques stimulera la croissance potentielle des économies de l'Union européenne. Je trouve très important de dépenser à l'avenir dans l'éducation pour augmenter le capital humain et réduire les inégalités, dans la recherche pour favoriser l'innovation et la productivité, dans la transition écologique pour atténuer les effets du changement climatique, dans les infrastructures digitales pour augmenter la capacité de la production et dans l'investissement social pour soutenir les plus vulnérables.
Le soutien budgétaire extraordinaire pour réagir à cette crise a placé les dettes publiques à leur plus haut niveau historique. Récemment, le commissaire européen chargé des affaires économiques a indiqué que la moyenne des dettes publiques au niveau européen dépassait désormais 100 %. Néanmoins, la dette publique de la zone euro se situait déjà à des niveaux très élevés, avant même la crise. Entre 1999 et 2019, les dettes publiques ont augmenté en moyenne de 20 points du PIB dans les Etats membres de la zone euro, avec cependant une forte hétérogénéité.
Nous devons donc évoluer vers une évaluation plus large et transparente de la viabilité de la dette, intégrant le coût du service de la dette et la croissance. Cela doit permettre de créer des voies de réduction différenciée de la dette. Le rapport de la commission sur l'avenir des finances publiques de M. Jean Arthuis est également un élément important pour ce débat.
Une plus grande transparence est un enjeu crucial. L'une des mesures proposées est justement d'approfondir le débat parlementaire afin d'assurer une large appropriation démocratique des enjeux des finances publiques. Nous devons également approfondir l'Union économique et monétaire. L'Union monétaire est aujourd'hui mieux équipée. Pour ce qui est de l'Union économique, bien que les initiatives récentes, notamment SURE et Next Generation EU, aient été envisagées comme temporaires, les concepts sous-jacents à leur conception doivent rester dans notre boîte à outils pour l'avenir. La crise a mis en évidence le besoin de disposer d'une capacité budgétaire permanente.
Pour conclure, le semestre européen est le principal cadre de coordination des politiques économiques et sociales. Il doit soutenir le Pacte vert européen en tant que nouvelle stratégie de croissance durable de l'Union européenne. Il doit intégrer pleinement le socle européen des droits sociaux. Par ailleurs, la facilité pour la reprise et la résilience se mettra en place dans le cadre du semestre européen. Certains traditionalistes hésitent encore à inclure la dimension de durabilité dans le semestre. Or, le changement climatique est un problème mondial et nous devons intégrer les politiques climatiques dans les politiques macroéconomiques.
Le manque d'appropriation a été une des principales faiblesses du semestre ces dernières années. Le plan de relance européen et les plans nationaux permettront sans doute de tirer des enseignements permettant une amélioration du semestre européen, en augmentant la participation au niveau national. Le semestre devrait inclure des recommandations sur les grandes priorités politiques de l'Union et aider les Etats membres à déterminer leurs politiques nationales, dans le cadre d'un dialogue politique ouvert et inclusif, entre les institutions européennes et les Etats membres. Le Parlement européen joue son rôle dans la définition des objectifs prioritaires et exerce un contrôle démocratique avec les parlements nationaux. Le contrôle du semestre est exercé par les parlements. Mais il ne suffit pas de dire que les parlements nationaux ont leur mot à dire. De véritables pouvoirs d'implications et de débats au sein des parlements nationaux devraient être envisagés.
Il faut également mentionner le dialogue social, nécessaire pour renforcer cette appropriation, la confiance et la légitimité démocratique. J'aimerais voir le dialogue macroéconomique au niveau européen revigoré, en impliquant des représentants des gouvernements et des syndicats des Etats membres. En outre, il faut prévoir aux niveaux national et européen un échange régulier avec la BCE et les banques centrales nationales. Tout en abordant la reprise, il est temps de réfléchir à notre gouvernance économique. La pandémie devrait nous sensibiliser aux défauts de l'Union économique et monétaire. Ne gâchons pas cette opportunité, pour mieux nous préparer à des crises futures éventuelles. Notre débat peut aider à clarifier et à créer des consensus.
Le 27 mai 2020, suite à la crise de la Covid-19, la Commission européenne a proposé un plan de relance européen, baptisé « Next Generation EU ». Il a été approuvé par les Etats membres lors du Conseil européen du 21 juillet. Ce plan constitue un tournant dans l'histoire économique européenne. Fixé à 750 milliards d'euros, avec 360 milliards d'euros de prêts et 390 milliards d'euros de subventions, il est financé par une mutualisation des dettes des Etats membres. Il est accompagné d'un budget européen pluriannuel fixé à 1 074,3 milliards d'euros.
S'il paraît ambitieux, ce plan est la cible de nombreuses critiques lorsqu'on le compare aux plans de relance américain et japonais par exemple. Le président Biden a en effet débloqué 2 000 milliards de dollars pour investir immédiatement dans l'économie américaine, tandis que le Japon a engagé un plan de relance de 584 milliards d'euros pour une économie quatre fois plus petite que celle de l'Union.
De votre point de vue, l'Europe a-t-elle manqué d'ambition ? Pouvez-vous partager avec nous des éléments de comparaison permettant de rétablir la vérité sur la réalité de l'engagement global et massif des Etats membres ? De plus, vous avez abordé la question de la suspension du pacte de stabilité et de croissance et sa réforme éventuelle à long terme. Quelles sont les opinions qui vont s'affronter dans ce débat et cette réforme n'est-elle pas un vœu pieux ?
. Alors que tous les intervenants semblent être unanimes sur l'urgence d'un plan de relance durable, inclusif et équitable, la question de la stabilité budgétaire et financière pose question. Comment concilier l'urgence de la politique européenne de relance et l'impératif du Pacte de Stabilité ? Dans quelles mesures une réforme des règles européennes de stabilité économique est-elle possible ?
Je tiens à vous remercier pour votre excellent rapport qui souligne l'importance de construire une vision commune du Parlement européen quant à une réforme du cadre de gouvernance économique européen. Je partage l'avis du comité budgétaire européen quant à l'importance de disposer d'une trajectoire claire de réforme du cadre budgétaire avant de désactiver la clause dérogatoire générale. Nous avons appris qu'un retrait prématuré des politiques de soutien serait très coûteux sur les plan politique, social et économique.
Vous avez souhaité que l'orientation budgétaire accompagne la reprise. Comment pensez-vous articuler les objectifs de viabilité budgétaire et d'économie verte et inclusive ? Vous mentionnez l'urgence d'accroître et de diversifier les recettes de l'Union. Comme vous, je pense qu'il faut diversifier les ressources propres tout en favorisant l'accélération de la transition écologique. La mise en place d'un ajustement carbone aux frontières permettra de faire peser l'impact économique sur les gros pollueurs et les entreprises transnationales. Le plan de relance ne doit pas non plus se traduire par une augmentation des émissions des gaz à effet de serre. Quels autres mécanismes fiscaux pourraient contribuer à atteindre nos objectifs d'une croissance verte durable ?
Dans votre rapport, vous mentionnez un ancrage unique de la dette. Pourriez-vous préciser cette proposition ?
Vous évoquez également la logique de limiter l'augmentation des dépenses publiques. En France, nous avons dépassé les 120 % d'endettement, ce qui n'est pas anodin. Avez-vous commencé à définir ce pourcentage, que ce soit pour votre pays ou d'autres pays de l'Union européenne ?
Enfin, vous avez évoqué les règles budgétaires dures et inadaptées. Il nous faut tout de même des règles qui soient structurelles et structurées, pas des règles trop différentes entre les pays ; la convergence passe aussi par les règles et par le semestre européen.
Il faut effectivement des règles, mais les règles existantes ne fonctionnent pas. Il en faut donc effectivement de nouvelles. Quand elles ont été fixées, et bien qu'elles aient évolué depuis lors, la situation était complètement différente. Les taux d'intérêt étaient entre 5 et 7 %, ils sont désormais beaucoup plus bas. Le contexte économique a beaucoup changé.
Il faut tout faire pour construire le consensus sur le changement des règles. Au Parlement européen, on est proche d'une majorité en faveur de les revoir. La clause dérogatoire générale est désormais activée ; la question est de choisir le moment de la désactiver, ce qu'on ne peut pas faire d'un jour à l'autre. Il faut une trajectoire pour permettre aux Etats membres de promouvoir l'investissement et la croissance économique, à la mesure des défis auxquels nous sommes confrontés.
Les règles doivent exister. Bien sûr, les institutions européennes doivent étudier la situation des Etats dans un esprit de flexibilité. Je faisais partie du gouvernement lorsque le Portugal a été confronté à la possibilité de sanctions pour absence de respect des critères de déficit et de dette publics. C'est justement l'utilisation de la flexibilité du pacte qui a permis de le respecter. Le Portugal n'a pas été soumis à sanctions, ce qui a permis au pays d'entrer dans une situation de croissance. Le jour où les institutions ont décidé de ne pas infliger ces sanctions, les taux d'intérêt sur les marchés financiers ont baissé et la trajectoire de l'économie portugaise a complètement changé.
Un autre sujet est la gestion de la crise sur les différents continents. On ne peut pas comparer ce qui n'est pas comparable. Si l'on compare uniquement la somme du cadre financier pluriannuel et du plan de relance européen avec l'argent mis en circulation par les États-Unis, on ne parle pas de la même chose. Les institutions de l'Union européenne ont eu recours à d'autres : la BCE a agi immédiatement ; un filet de sécurité d'urgence de 540 milliards d'euros a été mis en place ; la Commission européenne a gelé le droit des aides d'État.
J'ai récemment vu que Joe Biden envisageait d'annuler ou réduire les dettes des anciens étudiants. Dans les pays européens, l'enseignement supérieur est un service public qui ne génère pas les mêmes besoins de crédits pour les étudiants.
Sur la question des ressources propres, il reste quelques obstacles pour que le plan de relance soit validé, tous les parlements nationaux n'ont pas encore voté la ratification et la Cour constitutionnelle de Karlsruhe devra se prononcer. Le plan de relance est ancré dans le budget de l'Union, ce qui se traduit par une ligne budgétaire pour le versement des intérêts et le remboursement du capital ; c'est pourquoi des ressources propres sont nécessaires. Au-delà du remboursement du plan de relance, l'enjeu est à plus long terme de modifier les sources de financement du budget de l'Union européenne.
Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières est un bon exemple, car toutes les propositions de nouvelles ressources propres sont liées à des priorités politiques de l'Union européenne. La contribution sur les emballages plastiques non recyclés, la ressource fondée sur le système d'échange de quotas d'émission et ce mécanisme d'ajustement carbone répondent à nos objectifs sur le climat, ce qui veut dire qu'ils ont vocation à diminuer dans le temps.
La mécanisme d'ajustement carbone aux frontières constitue un outil supplémentaire pour introduire la dimension climatique dans les projets d'investissement. Nous devons avoir le même niveau d'exigence avec les investisseurs et industriels européens et ceux issus des pays tiers, pour assurer un marché intérieur juste.
Le numérique doit constituer l'autre grand volet des ressources propres. Il n'est pas normal que les grandes entreprises, les GAFAM en particulier, ne paient pas d'impôts au même niveau que les autres entreprises, y compris les PME. De la même manière, pour avoir un système fiscal plus juste, il nous faut introduire une taxe sur les transactions financières. Nous pouvons prendre l'exemple français et voir dans quelle mesure nous pouvons l'étendre à l'Union.
Par ailleurs, au-delà des traités et du protocole, nous devons encore trouver un consensus sur la manière d'appréhender la dette. Elle doit pouvoir favoriser l'investissement. Il faut prendre en compte le coût du service de la dette, bien inférieur sur les nouvelles dettes, la croissance et les risques, afin de permettre des voies de réduction différenciées. Ces trajectoires de réduction différenciée de la dette résulteraient d'un compromis entre chaque État membre et les institutions européennes dans le respect des traités.
À mon sens, il convient de définir des règles que nous pouvons pleinement respecter et non pas des règles strictes que nous serions seulement en mesure de respecter grâce aux tolérances possibles dans leur mise en oeuvre : c'est la grande différence, entre ce que nous avons à présent et ce qu'il faudrait développer à l'avenir.
J'ai effectué un travail avec les rapporteurs fictifs d'auditions d'experts provenant des différentes écoles et institutions, des administrations, afin de mettre sur la table la diversité des difficultés que nous rencontrons. Nous avons tenté de faire un bilan des difficultés et y apporter des solutions.
Il faut aussi prendre en compte l'avis des familles politiques, il n'est pas toujours aisé de trouver des consensus. Néanmoins, je crois que la grande majorité de nos collègues comprend la nécessité d'avoir des règles qui promeuvent l'investissement tout en tenant compte de la stabilité de l'économie européenne et de l'euro. Pour ce qui concerne le calendrier, la Commission européenne a indiqué qu'elle entendait rouvrir ce débat public après l'été et probablement proposer un cadre législatif à la fin de l'année.
Nous avons évidemment bien conscience que les élections à venir en Allemagne puis en France conditionneront le déroulement de ce débat ainsi que les solutions qui pourront être proposées au niveau européen.
L'urgence est de clarifier la transition vers la désactivation de la clause dérogatoire générale, même si nous sommes presque sûrs qu'elle n'interviendra pas avant 2023. Il faut que la croissance économique renoue avec ses niveaux habituels pour voir dans quelles conditions et quand cette désactivation peut avoir lieu.
Effectivement, nous allons suivre de près les propositions, même s'il est vrai que le calendrier électoral peut influencer les décisions prises sur ce sujet. Je suis d'accord que le statu quo ne peut durer éternellement et des solutions doivent être trouvées.
Je souhaite revenir sur la conférence interparlementaire sur la stabilité, la coordination et la gouvernance économique dans l'Union, prévue par l'article 13 du TSCG, qui a eu lieu le 22 février 2021.
En préambule, je voudrais vous faire part de quelques regrets. Le premier est qu'il est souvent difficile d'avoir des vrais échanges dans ces enceintes, compte tenu du grand nombre de participants et la brièveté du temps de parole accordé à chacun. De plus, le recours à la visioconférence ne contribue pas à la vivacité des échanges. Il est en outre regrettable que, comme à chaque édition de cette conférence, la diversité des points de vue ne soit pas réellement représentée. La plupart des intervenants étaient issus des grands pays comme la France, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne, ainsi que du Portugal qui co-organisait la réunion avec le Parlement européen. Leurs points de vue reflètent souvent les positions défendues par la France.
Je voudrais revenir sur les interventions des personnalités qui nous ont fait part de leur analyse de la situation économique et des enjeux de la relance.
Le Président du Parlement européen a souligné que la crise issue de la pandémie était la conséquence directe d'un système économique fondé sur l'exploitation maximale des ressources et qu'elle mettait en lumière le caractère non durable de ce modèle économique. Ensuite, il a ajouté que le budget européen et une refonte des outils de gouvernance économique, notamment la procédure de déficit excessif ainsi que le pacte de stabilité et de croissance, seraient des facteurs importants pour la relance et la transformation économique de l'Union.
Le président du parlement portugais, M. Rodrigues, a renchéri sur la nécessité de revoir les outils de gouvernance économique afin d'éviter de tuer la relance de l'Union, selon ses propres termes. Il a également souligné la nécessité de progresser – et il a été le seul à le faire – sur la mise en œuvre du socle européen des droits sociaux, affirmant que la pandémie avait exacerbé l'exclusion sociale.
Le secrétaire général des Nations Unies, M. Guterres, a pour sa part évoqué les dangers d'une reprise inégale au niveau mondial et même européen, dont on voit déjà les prémisses dans les inégalités en matière d'accès à la vaccination. Il a également rappelé que la menace du changement climatique n'avait pas disparu. À cet égard, il a rappelé l'objectif et la nécessité collective d'atteindre la neutralité carbone en 2050, ce qui fait écho aux débats que nous avons actuellement en séance publique.
Pour sa part, la directrice générale du FMI, Mme Georgieva, a mis en garde contre les redressements inégaux entre pays. Elle a affirmé qu'ils pourraient entraîner de grandes divergences en 2021 et donc une plus lente convergence pour les économies européennes. Comme nous l'avons rappelé, certaines de ces divergences commencent déjà à se faire sentir. Par ailleurs, elle a mis en garde contre une réduction prématurée des politiques accommodantes. Nous partageons cette vision en France, le nécessaire maintien de ces politiques après la crise fait partie des sujets que nous abordons régulièrement dans nos échanges avec le Ministre de l'Économie. Mme Georgieva a également insisté sur le rôle des autorités financières au niveau mondial et européen. L'intervention de ces autorités, notamment de la BCE dans l'Union, permet d'atténuer les effets de la crise.
Elle a aussi évoqué que l'objectif 2021, en matière industrielle, était celui de la vaccination, avec trois éléments : plus de production, plus d'homogénéité et plus de financement.
Le cinquième intervenant, Charles Michel, a évoqué les deux piliers climatiques et numériques, qui doivent servir de base pour la construction des économies de demain. Il a également insisté sur l'impératif de concevoir les politiques publiques pour faire face à la pandémie en fonction des besoins des jeunes générations, qui ont joué un rôle crucial pour réveiller nos consciences climatiques et voient aujourd'hui leurs vies chamboulées. De ses propres mots, c'est un tournant économique qui a eu lieu en 2020 et 2021 dans le monde entier et dans l'Union Européenne.
La sixième intervenante est la présidente de la Commission, Mme Von der Leyen, qui a souligné le rôle essentiel du plan de relance européen pour façonner des économies plus vertes, plus numériques et plus inclusives. Elle a également ajouté que les parlements nationaux avaient un rôle à jouer pour transformer les fonds européens en croissance locale.
Enfin, la dernière intervenante Christine Lagarde, présidente de la BCE, a souligné l'importance de continuer à protéger les économies, tout en travaillant à leur transformation. On ne doit pas rester dans l'état actuel du fonctionnement à la fois du système européen et des systèmes des Etats. Elle a ciblé plusieurs développements, en particulier dans le domaine de l'industrie, des jeunes et de l'emploi. Elle a également souhaité une amélioration de la qualité des dépenses publiques, sujet que nous connaissons bien en France.
Ces sept interventions de personnalités internationales sont toutes allées dans le même sens. Il restait une quarantaine de minutes pour discuter de l'élaboration des plans nationaux pour la reprise et la résilience, ce qui était un peu limité. Je retiens trois axes dans les différentes interventions.
Le premier était les appels à ratifier rapidement la décision sur les ressources propres pour les pays qui ne l'ont pas encore fait. À ce stade, seize pays ont ratifié. Le deuxième élément est le fait que de nombreux pays, comme la France, pour leur plan national pour la reprise et la résilience, vont piocher dans le plan de relance national déjà présenté, pour bénéficier du financement européen. Le troisième élément est l'importance accordée aux réformes qui doivent faire des plans nationaux des outils stratégiques : l'objectif est de ne pas se disperser et de bien se projeter vers l'avenir. J'ai également noté qu'un collègue italien avait insisté sur la nécessité de remédier aux problèmes structurels de l'économie italienne et de moderniser l'administration.
J'ai pu intervenir en séance plénière pour insister sur trois objectifs : premièrement, il faut veiller à la cohérence entre les plans nationaux pour renforcer le développement intrinsèque de l'Union. En clair, il faut que le développement soit intra‑européen pour pouvoir aboutir à une nouvelle croissance, base de recettes. Le deuxième sujet est d'éviter la dispersion des investissements en les concentrant sur les deux grandes priorités, verte et numérique. Le troisième sujet est de coordonner les budgets nationaux et européens sur les politiques sectorielles. Ce peut être un sujet pour le cadre financier pluriannuel futur.
Enfin, même si ce n'était pas le cœur du sujet, j'ai relevé l'intervention de notre collègue allemand Berghegger, de la CDU, qui a exprimé l'importance accordée par son parti au rétablissement de règles visant à assurer le sérieux budgétaire une fois le pic de la crise passé. Il a également fermé la porte au débat sur l'annulation des dettes publiques détenues par la BCE.
Après la plénière cette année, nous nous sommes répartis en quatre commissions. Avec Laurent Saint-Martin, nous sommes intervenus à la commission des budgets sur le thème : instrument européen pour la relance, CFP et des ressources propres : de nouveaux champs de compétences partagés entre le Parlement européen et les parlements nationaux.
Le commissaire en charge du budget, Johannes Hahn et les eurodéputés ont à nouveau exhorté les députés des pays qui ne l'ont pas encore fait à ratifier dès que possible la décision sur les ressources propres, afin de déployer le plus rapidement possible le plan de relance.
Les parlementaires nationaux, qui ont pu parler plus longuement dans cette séance, ont plaidé pour un rôle accru de leurs institutions. avec le budget à long terme de l'Union Européenne complété par le plan de relance, qui est financé par des emprunts sur les marchés et par de nouvelles ressources propres.
Le commissaire Hahn nous a également donné quelques éléments sur la stratégie de financement que la Commission mettra en œuvre, qui s'inspirera de celle des gros émetteurs comme la France et reposera sur la diversification et la réponse aux attentes des investisseurs. Il a estimé que la Commission serait prête pour mettre en place l'ensemble de ces émissions à partir du mois de juin, selon un plan prévisionnel qui nous sera proposé.
Notre collègue Laurent Saint-Martin s'est interrogé sur le rôle Parlement européen dans la mise en œuvre du plan de relance, en particulier en matière de contrôle et d'évaluation. Il s'est également réjoui du calendrier fixé pour l'introduction de nouvelles ressources propres.
Quant à moi, j'ai incité nos collègues à aiguillonner leur gouvernement pour que les plans nationaux pour la reprise et la résilience soient présentés le plus vite possible. J'ai ensuite insisté, comme je l'ai fait dans mon rapport sur le CFP, sur la logique de compétence-responsabilité-finance qui doit guider l'articulation entre budget national et budget européen pour éviter les redondances, le cumul des dépenses publiques et l'augmentation des déficits qui sera un frein au développement des politiques publiques.
De manière synthétique, on peut dégager trois grandes idées. La première est le soutien par la stabilité bancaire et la stabilité financière. La deuxième est l'investissement et la relance notamment à travers les ressources propres et la mise en place des plans nationaux. La troisième est l'avenir et recouvre trois éléments : le développement de l'Union européenne avec le vert et le numérique, le maintien de la convergence au niveau de l'Union et les travaux sur le futur pacte de stabilité et de croissance.
Je retiens que l'on a besoin d'une méthode de déclinaison des investissements, que vous avez évoquée. Il faut en effet de la coordination et éviter la dispersion des investissements. Cette déclinaison doit être prolongée jusque dans nos territoires : or, il est très difficile de faire le lien entre le niveau européen et les objectifs locaux.. Par ailleurs, est-ce que les aides d'État ont été évoquées ?
Sur le travail de coordination, c'est un sujet récurrent. Il y a un élément qui va changer la donne : la cohérence entre les plans nationaux et le plan européen. Ce qui a été demandé est de coordonner les fonds européens et les fonds nationaux. Ce travail va être beaucoup plus intensif sur le plan national de relance et de résilience.
Il y a un autre élément sur la coordination : le semestre européen et le plan national de résilience peuvent être réunis en un seul document.
Les aides d'État n'ont pas été évoquées. Toutefois, on voit bien dans les interventions des députés nationaux, les différences entre les pays.
Sur le rapport de la Présidente Sabine Thillaye, la Commission a examiné des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.
Aucune observation n'ayant été formulée, la Commission a pris acte des textes suivants :
Budget de l'union européenne
- Proposition de décision d'exécution du conseil autorisant Malte à appliquer une mesure particulière dérogatoire à l'article 287 de la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ( COM(2021) 147 final - E 15624).
Commerce extérieur
- Proposition de décision du conseil relative à la conclusion, au nom de l'Union européenne, de l'accord sous forme d'échange de lettres entre l'Union et la République argentine concernant la modification des concessions pour l'ensemble des contingents tarifaires de la liste CLXXV de l'UE à la suite du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne ( COM(2021) 107 final - E 15579).
Environnement dont santé environnementale
- Recommandation de décision du conseil autorisant la Commission à négocier, au nom de l'Union européenne, des amendements à la convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe (convention de Berne) ( COM(2021) 136 final - E 15622).
Politique agricole commune
- Règlement (UE) de la commission modifiant les annexes II, III et IV du règlement (CE) n° 396/2005 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les limites maximales applicables aux résidus d'acéquinocyl, d'acibenzolar-S-méthyle, de Bacillus subtilis, souche IAB/BS03, d'émamectine, de flonicamide, de flutolanil, de fosétyl, d'imazamox et d'oxathiapiproline présents dans ou sur certains produits ( D063854/04- E 15616).
Politique économique, budgétaire et monétaire
- Proposition de virement de crédits No DEC 03/2021 à l'intérieur de la section III -du budget général pour l'exercice 2021 ( DEC 03/2021- E 15619).
- Proposition de virement de crédits n°DEC 05/2021 à l'intérieur de la section III -Commission -du budget général pour l'exercice 2021 ( DEC 05/2021- E 15620).
La Commission a également pris acte de la levée tacite de la réserve parlementaire, du fait du calendrier des travaux du Conseil, pour les textes suivants :
Politique étrangère et de sécurité commune (PESC)
- Décision du conseil modifiant la décision (PESC) 2020/489 portant nomination du représentant spécial de l'Union européenne pour le dialogue entre Belgrade et Pristina et les autres questions régionales concernant les Balkans occidentaux ( 5819/21 LIMITE- E 15586).
Recherche
- Proposition de décision du Parlement européen et du Conseil établissant le programme spécifique d'exécution du programme-cadre pour la recherche et l'innovation "Horizon Europe" ( COM(2018) 436 final- E 13176).
Sur le rapport de la Présidente Sabine Thillaye, la Commission a déclaré conforme au principe de subsidiarité le texte suivant transmis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-6 de la Constitution :
Espace de liberté de sécurité et de justice
- Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à un cadre pour la délivrance, la vérification et l'acceptation de certificats interopérables de vaccination, de test et de rétablissement afin de faciliter la libre circulation pendant la pandémie de COVID-19 (certificat vert numérique) ( COM(2021) 130 final- E 15614).
Santé
- Proposition de règlement du parlement européen et du conseil relatif à un cadre pour la délivrance, la vérification et l'acceptation de certificats interopérables de vaccination, de test et de rétablissement destinés aux ressortissants de pays tiers séjournant ou résidant légalement sur le territoire des États membres pendant la pandémie de COVID-19 (certificat vert numérique) ( COM(2021) 140 final- E 15618).
La séance est levée à 17 heures 45.
Membres présents ou excusés
Le relevé des présents est suspendu en raison de la crise sanitaire.