Il faut effectivement des règles, mais les règles existantes ne fonctionnent pas. Il en faut donc effectivement de nouvelles. Quand elles ont été fixées, et bien qu'elles aient évolué depuis lors, la situation était complètement différente. Les taux d'intérêt étaient entre 5 et 7 %, ils sont désormais beaucoup plus bas. Le contexte économique a beaucoup changé.
Il faut tout faire pour construire le consensus sur le changement des règles. Au Parlement européen, on est proche d'une majorité en faveur de les revoir. La clause dérogatoire générale est désormais activée ; la question est de choisir le moment de la désactiver, ce qu'on ne peut pas faire d'un jour à l'autre. Il faut une trajectoire pour permettre aux Etats membres de promouvoir l'investissement et la croissance économique, à la mesure des défis auxquels nous sommes confrontés.
Les règles doivent exister. Bien sûr, les institutions européennes doivent étudier la situation des Etats dans un esprit de flexibilité. Je faisais partie du gouvernement lorsque le Portugal a été confronté à la possibilité de sanctions pour absence de respect des critères de déficit et de dette publics. C'est justement l'utilisation de la flexibilité du pacte qui a permis de le respecter. Le Portugal n'a pas été soumis à sanctions, ce qui a permis au pays d'entrer dans une situation de croissance. Le jour où les institutions ont décidé de ne pas infliger ces sanctions, les taux d'intérêt sur les marchés financiers ont baissé et la trajectoire de l'économie portugaise a complètement changé.
Un autre sujet est la gestion de la crise sur les différents continents. On ne peut pas comparer ce qui n'est pas comparable. Si l'on compare uniquement la somme du cadre financier pluriannuel et du plan de relance européen avec l'argent mis en circulation par les États-Unis, on ne parle pas de la même chose. Les institutions de l'Union européenne ont eu recours à d'autres : la BCE a agi immédiatement ; un filet de sécurité d'urgence de 540 milliards d'euros a été mis en place ; la Commission européenne a gelé le droit des aides d'État.
J'ai récemment vu que Joe Biden envisageait d'annuler ou réduire les dettes des anciens étudiants. Dans les pays européens, l'enseignement supérieur est un service public qui ne génère pas les mêmes besoins de crédits pour les étudiants.
Sur la question des ressources propres, il reste quelques obstacles pour que le plan de relance soit validé, tous les parlements nationaux n'ont pas encore voté la ratification et la Cour constitutionnelle de Karlsruhe devra se prononcer. Le plan de relance est ancré dans le budget de l'Union, ce qui se traduit par une ligne budgétaire pour le versement des intérêts et le remboursement du capital ; c'est pourquoi des ressources propres sont nécessaires. Au-delà du remboursement du plan de relance, l'enjeu est à plus long terme de modifier les sources de financement du budget de l'Union européenne.
Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières est un bon exemple, car toutes les propositions de nouvelles ressources propres sont liées à des priorités politiques de l'Union européenne. La contribution sur les emballages plastiques non recyclés, la ressource fondée sur le système d'échange de quotas d'émission et ce mécanisme d'ajustement carbone répondent à nos objectifs sur le climat, ce qui veut dire qu'ils ont vocation à diminuer dans le temps.
La mécanisme d'ajustement carbone aux frontières constitue un outil supplémentaire pour introduire la dimension climatique dans les projets d'investissement. Nous devons avoir le même niveau d'exigence avec les investisseurs et industriels européens et ceux issus des pays tiers, pour assurer un marché intérieur juste.
Le numérique doit constituer l'autre grand volet des ressources propres. Il n'est pas normal que les grandes entreprises, les GAFAM en particulier, ne paient pas d'impôts au même niveau que les autres entreprises, y compris les PME. De la même manière, pour avoir un système fiscal plus juste, il nous faut introduire une taxe sur les transactions financières. Nous pouvons prendre l'exemple français et voir dans quelle mesure nous pouvons l'étendre à l'Union.
Par ailleurs, au-delà des traités et du protocole, nous devons encore trouver un consensus sur la manière d'appréhender la dette. Elle doit pouvoir favoriser l'investissement. Il faut prendre en compte le coût du service de la dette, bien inférieur sur les nouvelles dettes, la croissance et les risques, afin de permettre des voies de réduction différenciées. Ces trajectoires de réduction différenciée de la dette résulteraient d'un compromis entre chaque État membre et les institutions européennes dans le respect des traités.
À mon sens, il convient de définir des règles que nous pouvons pleinement respecter et non pas des règles strictes que nous serions seulement en mesure de respecter grâce aux tolérances possibles dans leur mise en oeuvre : c'est la grande différence, entre ce que nous avons à présent et ce qu'il faudrait développer à l'avenir.
J'ai effectué un travail avec les rapporteurs fictifs d'auditions d'experts provenant des différentes écoles et institutions, des administrations, afin de mettre sur la table la diversité des difficultés que nous rencontrons. Nous avons tenté de faire un bilan des difficultés et y apporter des solutions.
Il faut aussi prendre en compte l'avis des familles politiques, il n'est pas toujours aisé de trouver des consensus. Néanmoins, je crois que la grande majorité de nos collègues comprend la nécessité d'avoir des règles qui promeuvent l'investissement tout en tenant compte de la stabilité de l'économie européenne et de l'euro. Pour ce qui concerne le calendrier, la Commission européenne a indiqué qu'elle entendait rouvrir ce débat public après l'été et probablement proposer un cadre législatif à la fin de l'année.
Nous avons évidemment bien conscience que les élections à venir en Allemagne puis en France conditionneront le déroulement de ce débat ainsi que les solutions qui pourront être proposées au niveau européen.
L'urgence est de clarifier la transition vers la désactivation de la clause dérogatoire générale, même si nous sommes presque sûrs qu'elle n'interviendra pas avant 2023. Il faut que la croissance économique renoue avec ses niveaux habituels pour voir dans quelles conditions et quand cette désactivation peut avoir lieu.