Intervention de Hubert Wulfranc

Réunion du mercredi 2 juin 2021 à 16h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHubert Wulfranc, rapporteur :

Je vous remercie de m'accueillir dans cette commission et d'avoir, au moins dans l'intention, convergé sur la problématique électrique au travers de votre proposition de résolution. Je présente aujourd'hui devant vous en tant que rapporteur et cosignataire de la proposition de résolution européenne relative à la reconnaissance d'une « exception énergétique » au sein de l'Union européenne.

La proposition de résolution que nous défendrons en séance le 17 juin part d'un constat, que vous avez largement partagé : le bilan de la libéralisation du marché de l'électricité est décevant. L'ouverture de ce marché à la concurrence date de plus de 25 ans maintenant, avec des directives dans les années 1990 et 2000.

La première partie de mon propos s'attachera à montrer la défaillance du marché.

Les promesses de la libéralisation du marché étaient une diminution de la facture d'électricité pour les consommateurs et une meilleure incitation à l'innovation, tant pour l'opérateur historique que pour les opérateurs alternatifs, afin de parvenir à la création d'une énergie propre à faible coût. Néanmoins, le constat à ce jour est que ces objectifs ambitieux n'ont pas été atteints, et que les gains escomptés n'ont pas été concrétisés.

En premier lieu, les consommateurs n'ont pas tiré le bénéfice attendu de la libéralisation du marché de l'électricité. Les prix ont globalement explosé, et dans cette trajectoire la diminution pour les clients finaux a été particulièrement ténue, de l'ordre de 6 à 7 % de leur facture. Cette trajectoire s'explique par le fait que les opérateurs ont des coûts fixes importants et identiques, liés à l'approvisionnement nucléaire, et à l'utilisation du réseau de transport et de distribution. Il faut également souligner que l'augmentation des taxes sur l'électricité, dédiées notamment au développement des énergies renouvelables, ont fortement augmenté, contribuant à renforcer le coût de l'électricité pour les consommateurs. Au-delà de cette situation préjudiciable, les consommateurs ont été confrontés à l'apparition de pratiques commerciales agressives, qui se manifestent par un démarchage abusif, et par la présentation trompeuse d'offres par les opérateurs alternatifs. Le rapport du médiateur de l'énergie en 2019 faisait état d'une hausse de 65 % en 3 ans de ces pratiques désagréables et attentatoires aux droits des consommateurs.

En second lieu, l'innovation est restée limitée sur le marché de la production d'électricité. Là encore, cette déception s'explique par les caractéristiques propres du marché en cause : l'électricité n'implique pas de variété subjective, ni de variété d'usage, mais est un bien de première nécessité auquel l'ensemble des citoyens ont recours de la même manière. L'incitation à innover est donc moindre pour les entreprises. L'électricité est en outre distribuée par un réseau unique centralisé : le fournisseur ne peut donc pas proposer une électricité spécifique au consommateur qui le souhaiterait, constituant un frein important au développement d'énergies vertes.

Une autre explication tient au mécanisme de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, dit mécanisme ARENH, qui oblige l'entreprise EDF à vendre à ses concurrents, à bas coût, l'énergie nucléaire qu'elle produit. Paradoxalement, ce dispositif n'a pas permis de stimuler la concurrence : les opérateurs alternatifs ne bénéficient pas de cet avantage pour augmenter leurs investissements dans la production d'électricité, mais en profitent pour augmenter leurs marges à court terme. La formule de M. Julien Tchernia, fondateur de l'entreprise EkWater, opérateur alternatif pour la fourniture d'électricité, est ainsi éloquente : « Nous ne sommes pas plus énergéticiens qu'Amazon est libraire. Nous sommes avant tout des commerçants digitaux ».

Pour l'ensemble de ces motifs, le secteur de l'électricité n'a pas connu la rupture technologique qui était attendue avec la libéralisation.

En dernier lieu, la conséquence collatérale de la libéralisation a été une dégradation de la situation financière de l'entreprise EDF, principalement à cause du mécanisme de l'ARENH. Ce constat est unanime : la présidente Mme. Sabine Thillaye a ainsi relevé le caractère asymétrique et inéquitable de l'ARENH pour l'entreprise EDF. Or la situation structurellement déficitaire d'EDF est particulièrement préjudiciable, en particulier au regard de la nécessité d'investissement, d'environ 15 milliards d'euros par an, pour la construction de nouvelles capacités productives et la maintenance des capacités existantes.

Ces premiers éléments de bilan plaident ainsi pour une évaluation plus large, au niveau européen, de la dérégulation du secteur de l'énergie en Europe. L'électricité est en effet un bien de première nécessité : la qualité du service public dans ce domaine ne peut donc pas être remise en cause au nom d'impératifs de concurrence. Avant de prendre de nouvelles orientations, ou d'approfondir la libéralisation, un bilan de l'état du marché de l'électricité 25 ans après son ouverture à la concurrence est donc essentiel. C'est le sens de la première demande de la proposition de résolution européenne « exception énergétique » qui vous est soumise aujourd'hui.

Toutefois, les premiers éléments d'évaluation disponibles nous incitent à aller plus loin que la seule demande d'un bilan : la situation des usagers et de l'opérateur historique se dégrade en effet sur le marché de l'électricité. Dans ce contexte, la création d'une « exception électrique » dans le droit de l'Union européenne paraît pleinement justifiée.

Deux solutions alternatives peuvent conduire, sur le plan juridique, à créer une exception électrique.

La première option consiste, au regard des caractéristiques économiques du marché de l'électricité, à créer dans les traités et dans le droit dérivé européen, une dérogation aux règles de concurrence qui s'appliquent sur le marché intérieur. L'ensemble des segments du marché de l'électricité sont concernés : la production et la fourniture d'une part, au regard des éléments de bilan que je viens de développer ; le transport et la distribution d'autre part, qui reposent sur infrastructures de réseau, en situation de monopole naturel.

La reconnaissance de l'exception électrique implique une modification du droit dérivé, voire des traités européens : il faut ainsi exclure le marché de l'électricité de la législation sur les aides d'État, en particulier de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). La création d'une dérogation de principe au droit de la commande publique est également nécessaire, en particulier pour l'énergie hydraulique : la France et une dizaine d'autres Etats membres de l'Union européenne, ont en effet été mis en demeure par la Commission en 2019, de mettre en concurrence les concessions des barrages hydroélectriques exploités par les opérateurs historiques. Pour exclure le marché de la production d'électricité des règles de la concurrence, il est dès lors nécessaire de prévoir une exception au champ d'application de la directive « Concessions » de 2014, par sa révision. L'exemple de l'Allemagne, qui a obtenu une dérogation pour les concessions dans le secteur de l'eau lors de la négociation de cette directive doit être suivi en matière électrique.

La seconde demande de la proposition de résolution européenne invite ainsi le Gouvernement à se rapprocher de ses partenaires européens afin d'exclure explicitement le marché de l'électricité du champ de la réglementation sur les aides d'État et de la commande publique.

Je souhaite également relever ici qu'il existe une deuxième option, qui consisterait en la création, à droit constant, d'un service d'intérêt économique général bas-carbone, ou SIEG bas-carbone, concernant la production d'électricité. Cette activité remplit en effet tous les critères de qualification d'un SIEG, au sens des textes européens : il s'agit d'une activité économique, pour laquelle la puissance publique impose des obligations de service public listées par le code de l'énergie, notamment en matière d'approvisionnement, et qui revêt un caractère d'intérêt général. La reconnaissance d'un SIEG bas carbone, qui engloberait les activités de production d'énergie nucléaire, renouvelable et hydraulique, serait en outre conforme aux objectifs européens en matière climatique, renforcés par le Pacte Vert pour l'Europe de la nouvelle Commission européenne. La création de ces trois énergies provoque en effet une émission quasi-nulle de gaz à effet de serre. Or, les SIEG sont, selon une résolution du Parlement européen de 2011, essentiels pour la lutte contre les inégalités au sein de la société, ainsi que, de plus en plus, pour le développement durable. Partant, la création d'un SIEG bas carbone correspondrait ainsi non seulement aux orientations juridiques, mais aussi politiques des institutions européennes.

La reconnaissance d'un SIEG bas carbone permettrait d'octroyer des compensations aux obligations de service public des entreprises productrices d'électricité, et ainsi de fonder une dérogation aux règles de la concurrence. Ce SIEG bas carbone compléterait le SIEG de distribution d'électricité, déjà reconnu par les Etats membres et les institutions européennes : le marché de l'électricité serait ainsi en grande partie extrait des règles de la concurrence. Ce serait dès lors la seconde option pour la reconnaissance d'une « exception électrique » au niveau de l'Union Européenne.

Quelle que soit l'option retenue, le message principal porté par cette proposition de résolution européenne, que je soutiens pleinement, est que les règles de la concurrence et du marché telles qu'elles se sont instaurées sont difficilement applicables au secteur de l'électricité, qui revêt des caractéristiques particulières par sa structure et par le service offert, l'électricité étant incontestablement un bien de première nécessité.

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