Intervention de Dominique Schnapper

Réunion du mercredi 23 juin 2021 à 16h00
Commission des affaires européennes

Dominique Schnapper, sociologue, Directrice d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) :

M. Thierry Chopin m'a chargé de faire des propositions sur la thématique de l'appartenance. Nous sommes partis de la réflexion que l'Europe a créée aujourd'hui entre les pays européens des liens objectifs très étroits, notamment de nature économique. Deux épisodes récents ont montré la solidarité existante entre pays européens : l'unité des pays européens au moment du Brexit et les actions communes qui ont été lancées face à la pandémie, notamment au niveau budgétaire.

Il existe toutefois un décalage entre ces liens objectifs et la baisse du sentiment d'appartenance à l'Europe. Or, on ne construit pas une entité politique, qui ait un sens, uniquement sur la vigueur des échanges économiques. Il faut aussi une volonté politique et un grand récit.

La volonté politique existait au début de la construction européenne puisque les Européens étaient mus par la nécessité d'éviter une réédition des combats fratricides de la Seconde guerre mondiale et par la volonté de résister à l'impérialisme soviétique. On se plaint que l'État n'ait pas de frontière claire, mais avant la chute du mur, le mur de Berlin donnait une frontière à l'Europe. Cette volonté politique depuis la chute du mur de Berlin a été remise en question puisque les Européens ne semblent pas avoir d'ennemis clairs contre lesquels construire cette identité. Le grand récit de la réconciliation des peuples européens autour des valeurs démocratiques n'a plus le même poids pour les générations qui n'ont pas vécu, ni n'ont le souvenir de la guerre. Le projet proprement politique s'est affaibli, les frontières sont moins claires et l'intégration des anciens pays communistes n'a pas été facile.

À partir de ce cadre, nous avons essayé de faire des propositions concrètes sur les mesures qui pourraient être prises sous présidence française afin de contribuer à la reconstitution d'un grand récit.

La première est de proposer un « grand débat trans-européen ». Le New Deal n'a pas seulement été économique mais aussi culturel. Il est suggéré d'organiser un grand débat européen entre intellectuels par-delà les frontières qui pourrait contribuer l'élaboration d'un récit ayant du sens. Une autre proposition serait de lancer l'élaboration d'un manuel d'histoire commun à tous les pays européens.

La seconde proposition est de créer des « cafés Europa » comme lieux de débat et de rencontre au niveau national, dans les villes mais aussi jusque dans la profondeur des territoires. Ces cafés porteraient des débats européens jusqu'à un niveau très proche des populations.

La troisième proposition est de développer le programme Erasmus qui a été un grand succès puisqu'il est l'occasion pour les étudiants de faire des rencontres et de suivre des cours dans des universités situées dans un autre État membre. C'est un moment personnel et intellectuel important. Un des grands regrets de mes collègues britanniques est la fin du programme Erasmus pour leurs étudiants. Il faudrait que ce programme d'échange soit élargi à l'enseignement primaire, secondaire et professionnel. Ce serait un pari sur la possibilité, pour la jeunesse, d'entrer en relation personnelle et intellectuelle à travers les différents pays européens

Ces trois suggestions pourraient contribuer à ce que l'Europe ne soit pas seulement une réalité économique et juridique mais qu'elle prenne conscience des valeurs communes qui l'animent.

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