COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mercredi 23 juin 2021
Présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente de la Commission
La séance est ouverte à 16 heures.
Chers collègues, notre réunion aujourd'hui porte sur la prochaine présidence française du Conseil de l'Union européenne au 1er janvier 2022.
Pour discuter des futures priorités françaises, nous accueillons le président et trois membres du comité de réflexion sur la présidence française de l'Union. En prévision de cette présidence, le gouvernement a institué le 5 mars 2020 un comité composé de personnalités du monde académique dans différents domaines pour formuler des propositions sur les grandes orientations de la présidence française. Ces réflexions s'articulent autour de trois grands enjeux définis par les termes « relance, puissance, appartenance » auxquels il est nécessaire de donner corps.
Tout d'abord, Thierry Chopin, professeur de science politique à l'université catholique de Lille et conseiller spécial à l'institut Jacques Delors et président du comité de réflexion, va présenter les activités du comité. Dominique Schnapper, sociologue, directrice d'étude à l'école des hautes études en sciences sociales, et membre honoraire du Conseil constitutionnel nous présentera le résultat de ses réflexions sur le terme de l'appartenance. Michel Foucher, géographe et diplomate titulaire de la chaire de géopolitique appliquée à la fondation de la maison des sciences de l'homme, va présenter la notion de puissance. Jean-François Jamet, économiste et conseiller du directoire de la Banque centrale européenne présentera la réflexion du comité sur le thème de la relance.
Je vous remercie d'être parmi nous. Notre commission a organisé un colloque sur la thématique Europe urgence, Europe espoir pour déterminer la direction vers laquelle nous voulons aller. L'Union doit faire face aujourd'hui à un changement de paradigme : elle s'est créée pour faire face à ses divergences internes mais doit aujourd'hui se positionner par rapport au monde extérieur.
Bonjour à tous, je vous remercie pour cette invitation.
Ce comité est composé de manière paritaire, et d'experts qui ont le plus souvent une expérience au sein des institutions. Ces membres proviennent d'horizons disciplinaires divers : économique, sociale, géographes et historiens. Cette diversité constitue un apport. Ce comité est composé également d'Allemands et d'Italiens et n'est donc pas seulement français mais ouvert aux autres États membres.
Il faut rappeler les trois objectifs principaux qui sont assignés à ce comité. Le premier est de mettre en perspective les principaux enjeux de la présidence française dans le temps, à court terme mais aussi à moyen et long terme compte tenu du contexte et des défis multiples qui sont lancés, depuis plusieurs années, aux Européens.
Par ailleurs, au-delà des enjeux qui sont directement liés à l'horizon de la présidence française, nos travaux s'inscrivent dans le cadre de la réflexion qui a été lancée avec la Conférence sur l'Avenir de l'Europe.
Enfin, la présidence française s'inscrit dans un rapport particulier entre les Français et l'Europe. La France est le pays de l'Union où l'euroscepticisme est le plus fort avec l'Italie. À cet égard, la PFUE pourrait être l'occasion de réfléchir et de faire des propositions sur les voies permettant de favoriser la réappropriation par l'opinion publique française de l'échelon européen et de sa réalité.
Ce comité doit réfléchir aux conditions dans lesquelles le discours qui sera porté par nos autorités sera audible et partagé par nos partenaires. Il y a toujours un risque que le discours porté en matière européenne soit trop franco-français.
Un autre élément de méthode et d'approche qui nous paraît important, est de distinguer les objectifs de court terme et ceux de moyen terme. Une présidence dure six mois. Toutefois, la présidence française se caractérisera par une durée plus courte de trois mois utiles jusqu'au conseil européen de printemps en raison de la campagne pour les élections présidentielles françaises qui s'ouvrira peu après.
L'approche du comité se veut complémentaire de celle de l'administration. Nos réflexions et propositions s'articulent avec celles conduites par les services de l'État. Ainsi, nous avons des liens quasi quotidiens avec le cabinet du secrétaire d'État aux affaires européennes, le centre d'analyse et de prévision du Quai d'Orsay, le Secrétariat général des affaires européennes ainsi que le Secrétariat général de la présidence française.
Troisième point, il est clair que nos réflexions sont orientées par les grandes thématiques qui ont été indiquées par le Secrétaire d'État lors de sa communication en conseil des ministres en novembre dernier : « relance, puissance et appartenance ».
Enfin, nos travaux sont très ouverts aux parlementaires, car nous sommes très attentifs au point de vue de la représentation nationale, ainsi qu'aux acteurs associatifs et territoriaux et aux autres pays membres de l'Union européenne. Nous avons des contacts avec des ambassades, nous auditionnons des experts et universitaires venant de divers pays membres, condition sine qua non pour que le discours de la France lors de sa présidence du Conseil soit audible et partagé par nos partenaires.
M. Thierry Chopin m'a chargé de faire des propositions sur la thématique de l'appartenance. Nous sommes partis de la réflexion que l'Europe a créée aujourd'hui entre les pays européens des liens objectifs très étroits, notamment de nature économique. Deux épisodes récents ont montré la solidarité existante entre pays européens : l'unité des pays européens au moment du Brexit et les actions communes qui ont été lancées face à la pandémie, notamment au niveau budgétaire.
Il existe toutefois un décalage entre ces liens objectifs et la baisse du sentiment d'appartenance à l'Europe. Or, on ne construit pas une entité politique, qui ait un sens, uniquement sur la vigueur des échanges économiques. Il faut aussi une volonté politique et un grand récit.
La volonté politique existait au début de la construction européenne puisque les Européens étaient mus par la nécessité d'éviter une réédition des combats fratricides de la Seconde guerre mondiale et par la volonté de résister à l'impérialisme soviétique. On se plaint que l'État n'ait pas de frontière claire, mais avant la chute du mur, le mur de Berlin donnait une frontière à l'Europe. Cette volonté politique depuis la chute du mur de Berlin a été remise en question puisque les Européens ne semblent pas avoir d'ennemis clairs contre lesquels construire cette identité. Le grand récit de la réconciliation des peuples européens autour des valeurs démocratiques n'a plus le même poids pour les générations qui n'ont pas vécu, ni n'ont le souvenir de la guerre. Le projet proprement politique s'est affaibli, les frontières sont moins claires et l'intégration des anciens pays communistes n'a pas été facile.
À partir de ce cadre, nous avons essayé de faire des propositions concrètes sur les mesures qui pourraient être prises sous présidence française afin de contribuer à la reconstitution d'un grand récit.
La première est de proposer un « grand débat trans-européen ». Le New Deal n'a pas seulement été économique mais aussi culturel. Il est suggéré d'organiser un grand débat européen entre intellectuels par-delà les frontières qui pourrait contribuer l'élaboration d'un récit ayant du sens. Une autre proposition serait de lancer l'élaboration d'un manuel d'histoire commun à tous les pays européens.
La seconde proposition est de créer des « cafés Europa » comme lieux de débat et de rencontre au niveau national, dans les villes mais aussi jusque dans la profondeur des territoires. Ces cafés porteraient des débats européens jusqu'à un niveau très proche des populations.
La troisième proposition est de développer le programme Erasmus qui a été un grand succès puisqu'il est l'occasion pour les étudiants de faire des rencontres et de suivre des cours dans des universités situées dans un autre État membre. C'est un moment personnel et intellectuel important. Un des grands regrets de mes collègues britanniques est la fin du programme Erasmus pour leurs étudiants. Il faudrait que ce programme d'échange soit élargi à l'enseignement primaire, secondaire et professionnel. Ce serait un pari sur la possibilité, pour la jeunesse, d'entrer en relation personnelle et intellectuelle à travers les différents pays européens
Ces trois suggestions pourraient contribuer à ce que l'Europe ne soit pas seulement une réalité économique et juridique mais qu'elle prenne conscience des valeurs communes qui l'animent.
Je souhaiterais éviter le terme de puissance qui n'est partagé par personne car nous ne sommes pas prêts à agir dans un monde marqué par les rivalités entre grandes puissances. Nous sommes condamnés au double standard, puisqu'on ne négocie pas de la même façon entre Paris et Berlin et entre Paris, Berlin et Moscou ou Pékin.
Vous disiez Madame la Présidente, et comme géographe j'apprécie, que la question actuelle, c'est le changement d'échelle. L'Union européenne, c'est l'échelle carolingienne, le carolingien élargit depuis 1991, ce qui a bien fonctionné. Mais aujourd'hui, il faut repenser ou compléter, j'ajoute une échelle, les raisons d'être de cet effort commun à l'échelle du monde.
Il est donc nécessaire d'ajouter une dimension territoriale dans un monde compliqué où l'engagement américain de Biden est en réalité une situation provisoire, si on raisonne sur la longue durée puisque Trump a eu 74 millions d'électeurs. Ainsi, on va se retrouver tout seul, ce qui n'est pas une mauvaise chose, puisque cela a fait bouger les Allemands depuis quelques années.
Mais nous ne sommes pas encore prêts à affronter ce monde, et pourtant, on pourrait revenir à 45-50, l'Union européenne ce n'est pas seulement Schuman, Adenauer, Monnet, de Gasperi, c'est aussi la Guerre froide, Staline, l'encouragement des diplomates américains qui poussent Schuman à se réconcilier avec l'Allemagne (il y a beaucoup documents là-dessus). On a toujours été le produit d'un contexte international, sur lequel on ne pouvait pas grand‑chose. Il faut également rajouter la décolonisation dans le cas de la France. L'Union européenne c'est un club de vaincus, c'est pour ça que les Anglais ont toujours eu une distance, ils ont été du côté des vainqueurs.
Par conséquent, notre problème aujourd'hui est de se prendre en charge. Je reste persuadé qu'on attend de notre pays de mettre des idées dans le débat européen mais aussi de faire le « service après-vente ». Or, on ne le fait pas généralement parce qu'en France on a une culture littéraire qui consiste à considérer quand on a mis sur le marché un très beau concept et que le problème est réglé. Ce n'est pas une critique c'est presque une autocritique.
Il ne faut pas parler du terme puissance, c'est ce qu'on va dire au secrétaire d'État même si c'est l'un des trois thèmes retenus au Conseil des ministres. La souveraineté ça marche puisque que les Allemands l'ont adopté. L'ambassadeur d'Allemagne auditionné par la commission parallèle du Sénat en février n'hésite plus à parler de souveraineté européenne. Autonomie stratégique cela bute encore chez les plus engagés.
Nous proposons avec Thierry que la stratégie soit un peu élargie, qu'on sorte des questions militaires et qu'on envisage d'autres domaines notamment la technologie, les investissements étrangers, les secteurs critiques, les climats de migrations. La conception élargie de l'autonomie stratégique doit passer.
Par ailleurs, nous devons avoir tout un travail de pédagogie à faire pendant cette très courte présidence de l'Union européenne ; je rappelle d'ailleurs qu'on a toujours des beaux schémas, Madame Merkel avait un grand projet avec la Chine, à Leipzig, elle a dû l'annuler avec la pandémie. Tony Blair, très ambitieux, a eu un démarrage en fanfare le 1er juillet 2005, et le 7 juillet surviennent deux attentats à l'aube, avec un bilan de 160 morts. Sarkozy démarre la présidence française précédente, et fait face à la crise géorgienne. Il discute avec Poutine à Pékin.
Non seulement on a trois mois, mais tout le monde sait qu'on a trois mois autour de nous. Ensuite les Européens savent qu'il y a les élections en France. Il y a une forte attente à l'égard de la France. Puisqu'il y aura des aléas, il peut y avoir un gros problème à Taïwan, par exemple. Il faut qu'on ait comme chez les militaires un plan B de noyau dur de propositions qu'il faut absolument faire passer si on ne peut pas suivre tout le programme.
Il y a un autre sujet tout aussi fondamental, ce n'est non pas la France en Europe mais l'Europe en France. Les médias publics français ne consacrent que 2.5 % de leurs sujets au sujet européen. La couverture sanitaire par l'Europe, distribution de vaccins etc., n'a fait l'objet que de 5 sujets sur 365 jours en 2020. Les rédacteurs des chaînes de télévisions françaises ont décidé que l'Europe n'intéressait pas les Français, c'est un peu la même chose à l'Éducation nationale notamment chez les historiens. On enseigne trop tard l'Europe. On a un gros déficit d'informations, ce n'est même pas du militantisme ou de la propagande, c'est de l'information de base, ce qui explique que les grands bénéficiaires des fonds structurels européens notamment la PAC votent largement pour le rassemblement national.
Nous sommes en train de croiser les cartes avec Thierry pour voir comment avancer dans le domaine. Je ne suis pas sûr que notre gouvernement ait suffisamment les pieds sur terre sur cette dimension-là. Il ne s'agit pas d'européaniser les programmes français, il s'agit de faire connaître aux Français l'usage détaillé, communauté de communes après communauté de communes via les régions, des 27 milliards de fonds structurels et de PAC. Il n'y a pas de documents de synthèses.
Je laisse cela de côté mais il me semble que le raisonnement sur l'Europe en France est beaucoup plus important pour l'avenir de notre pays et pour notre capacité de faire passer des idées que des vraies réflexions sur la défense européenne, la puissance etc. C'est un point sur lequel on va travailler cet été. Donc l'idée de souveraineté européenne s'installe, elle ne fait plus peur à personne, même pas au département d'État.
Deuxièmement, je parlais du double standard, l'enjeu pour nous c'est comment devenir un centre de pouvoir, je ne parle pas de puissance, mais de centre de pouvoir, tout en restant le plus grand espace démocratique du monde, ce que nous sommes (État de droit, régulation etc.). Qu'est-ce qu'on met en quelque sorte dans la bagarre des idées. On a des atouts : le pouvoir économique, la régulation, les Américains nous imitent sur la régulation, Janet Yellen a repris l'idée de la taxation des multinationales, on a une monnaie commune, on a des capacités de défense, des capacités d'influence, etc.
Donc on a un vrai enjeu autour de cette articulation, autour de l'ouverture. Madame Vestager parle de souveraineté européenne ouverte, elle a évolué sur ce sujet. Ouverture interne c'est la démocratie, l'information des citoyens, ouverture externe c'est commerce, coopération, aide au développement. Donc là on a une stratégie à élaborer, nous faisons à ce titre plusieurs propositions.
D'abord, il faut que les Français apprennent à travailler autrement, notamment à Bruxelles, où on arrive à l'heure aux réunions, on ne part pas avant la fin des réunions ministérielles, on fait des comptes rendus, on fait des efforts en anglais et en allemand c'est un premier point. Mais sur ce point-là, on a perdu la bataille malheureusement.
Deuxièmement, la première proposition est qu'on ait une méthode un peu plus conviviale, coopérative dans les institutions européennes et notamment au Parlement européen. Ce n'est pas toujours les meilleurs qu'on envoie au Parlement, si on compare avec d'autres notamment les pays où j'ai été ambassadeur. Les Pays-Bas envoient leurs meilleurs éléments au Parlement européen ce qui fait qu'on les retrouve aujourd'hui dans toutes les instances européennes, à commencer par la secrétaire générale de la Commission, le vice-président de la Commission européenne ou encore à l'OTAN.
La deuxième proposition est qu'on cesse de courir après l'autonomie stratégique, elle existe déjà. Merci à Donald Trump. On n'a pas lâché sur la COP21, on n'a pas lâché sur l'accord E3/UE avec l'Iran, on n'a pas lâché sur les fonds européens réservés aux Européens : sur la fiscalité des GAFAM, le marché numérique européen avec la double réglementation du mois de décembre 2020, le projet de taxe carbone aux frontières et l'accord avec la Chine qui ne sera pas ratifié mais sur lequel on a avancé. Ainsi, nous sommes en avance sur les États‑Unis. La ville de New-York a adopté l'équivalent du RGPD. On a besoin d'une alliance américaine mais là j'irais en position de force.
Troisièmement, la défense bien sûr mais j'ai tendance à considérer que la défense c'est très compliqué parce que vous avez l'orgueil des ingénieurs dans les industries d'armement. Il est donc très difficile de s'entendre, même si on a progressé notamment avec l'avion du futur malgré d'âpres négociations car ces sujets techniques échappent quelques peu aux États puisque ce sont des logiques d'entreprises.
En revanche, il y a un domaine sur lequel on doit être extrêmement vigilant c'est la souveraineté technologique. Comme nous ne sommes pas capables de nous défendre tout seul sans les États-Unis, on est complétement dépendant en terme technologique. La souveraineté technologique a été clairement définie, Madame la Présidente, lorsque les Allemands ont vu que Kuka, le fleuron de leur robotique est passé aux mains des Chinois sans que personne ne s'en rende compte et au bout de six mois le PDG était viré. Il y eut un réveil en Allemagne, Peter Altmaier favorisant beaucoup les choses avec le Président et la Chancelière.
Qu'est-ce que c'est que la souveraineté technologique ? Comment être indépendant ou autonome technologiquement dans une situation où on est fondamentalement interdépendant ? On dépend des microprocesseurs de Taïwan par exemple, donc on ne peut pas être complétement indépendant en matière technologique. En revanche, cela reste un bon laboratoire de la réflexion sur notre rapport au monde moderne. La définition qui est donnée par l'institut de Karlsruhe c'est « l'aptitude d'un État ou d'une fédération d'États à fournir les technologies qu'il juge critiques pour les populations, la compétitivité de l'économie, sa capacité à agir, ainsi que celle de développer ses technologies ou de se les procurer dans d'autres aires économiques sans dépendance structurelle unilatérale. C'est un sujet très subtil.
Quels sont les domaines où il faut absolument être souverain ? La santé, je crois que tout le monde l'a compris, les infrastructures de télécommunications, l'intelligence artificielle, le numérique, les technologiques porteuses de gros marché, qui soutiennent tous les secteurs numériques y compris l'éducation numérique (la France est le dernier de la classe si j'ose dire au sein de l'OCDE) et tout ce qui est activité régalienne et services publics.
Un autre élément qu'on développe dans le rapport mais je n'y insiste pas, c'est l'Europe de la santé. On sait que ce n'était pas une compétence européenne et maintenant on y a beaucoup progressé.
Dernier élément important qui est évident c'est le voisinage. Sans avoir eu le temps de tout analyser, nous sommes reçus bientôt avec Thierry, par Karim Amellal, ambassadeur en charge des questions méditerranéennes. Il faut que nous sortions d'une logique centre‑périphérie. Le mot voisinage n'est pas très bon, il a une connotation méprisante. Les voisins sont turbulents, nous envoient des migrants, sont islamistes etc. Il faut changer d'approche, il faut accepter que la Turquie devienne une puissance régionale avec l'Iran, Israël, les Émirats, que l'Algérie prenne plus de responsabilité en Lybie ou dans le Sahel. Il faut qu'on délègue un peu plus, on ne peut plus tout faire de toute façon cela ne marche pas.
La Russie est très compliquée, j'ai été cinq ans avec Hubert Védrine, et à chaque fois qu'on revenait de Moscou, on donnait, on faisait des concessions mais on n'avait rien en retour. Nous n'aurons jamais rien en retour parce que les Russes sont plutôt dans le symbolique, dans le statut. La rencontre de Genève c'était formidable pour la photo, la parité retrouvée, l'illusion des « deux superpuissances nucléaires » selon les dires de Poutine. Cessons d'avoir une obsession russe, il faut être dans un rapport de force, et se rappeler que les États‑Unis c'est right and might, le droit et la puissance, la Russie c'est might and might, la puissance et la puissance, et l'Europe c'est right and right, le droit et le droit.
Toutefois, il y a toujours des choses qu'on peut faire avec la Russie, mais il faut être en position de force avec ce pays.
Par conséquent, il s'agit d'avoir véritablement d'autres approches avec le Maroc, l'Algérie, l'Égypte, la Turquie. On a besoin d'Erdogan contre Poutine, contrepoids dans l'OTAN. On a besoin de renouveler notre approche et accepter cette autonomie. Après tout si c'est l'Iran et la Turquie qui mettent de l'ordre en Syrie tant mieux pour nous.
Nous, on doit se concentrer sur ce qui nous menace directement. C'est la ligne du Président de la République en Russie. La difficulté avec la Russie c'est qu'elle n'accepte pas la réalité géopolitique de l'Union. Vous avez vu comment Lavrov a traité Borrell, c'était volontaire, il voulait même rappeler l'ambassadeur Tchijov à Bruxelles, et souhaitait rompre les relations. Or, Poutine a dit non, car il a une autre vision des choses.
On a une difficulté avec la Russie, c'est qu'ils n'acceptent pas l'Union européenne, ils préfèrent traiter avec Berlin pour Nord Stream, avec la France, avec l'Italie, etc. donc il faut imposer à la Russie un dialogue euro-russe, et non pas franco-russe ou germano-russe. Imposer quelque chose et essayer de montrer qu'une relation pacifiée avec la Russie est dans l'intérêt de tout le monde y compris de mes amis baltes et polonais.
Le rapport est en cours, c'est immense mais je retiens Mme la Présidente votre formule « il faut qu'on repense notre rapport au monde à l'échelle du monde », dans un monde comme disait Clémenceau qui a l'inconvénient d'être, sur lequel on a très peu de prises sauf l'accès au marché et les règles.
En revanche, cela suppose aussi qu'on change notre conception. C'est l'histoire du grand marché : le caddy bon marché rempli de produits importés contre le bulletin de paie. On a joué les importations bon marché pour ne pas augmenter les salaires. Or, cela ne fonctionne plus, on ne peut plus avoir comme objectif dans l'Union européenne d'avoir le marché le plus parfait du monde, une concurrence libre et non faussée. Ce n'est plus le but. De toute façon, cela va être démenti par la hausse des prix qui s'annonce avec l'inflation qui s'annonce en 2023‑2024. Donc il faut qu'on change d'objectifs, on ne peut plus penser la construction européenne à l'échelle du monde uniquement en termes de marché intérieur.
Je vous remercie M. Foucher. Je retiens particulièrement votre insistance sur l'importance d'user de la bonne terminologie. Je crois qu'il s'agit là d'une question très importante. On ne prend pas suffisamment en considération le fait que les définitions des mots peuvent varier d'un État membre à un autre. À titre d'exemple, je sais que mes collègues allemands se sont posé de nombreuses questions à propos de l'usage du terme « souveraineté», qui est plutôt connoté d'une manière juridique. Entre-temps, ils se sont, en quelque sorte, ralliés à notre conception. Néanmoins, il est vrai que nous devons nous mettre d'accord sur les termes usités : puissance, souveraineté, autonomie stratégique.
Madame la Présidente, si vous permettez, dans le groupe de travail, il y a Daniela Schwarzer de Berlin qui dirigeait la DGAP (Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik). C'est elle qui m'a dit : le mot « souveraineté stratégique » n'est plus tabou au ministère des affaires étrangères allemand, mais il est vrai que c'est récent.
Au début, les collègues allemands se sont posé beaucoup de questions par rapport à cela, d'où l'importance de mettre le même sens derrière les mots.
Sur le sujet de la relance, l'objectif du groupe est d'analyser les perspectives économiques de la zone euro et de l'Union européenne, et de formuler, sur cette base, des recommandations, d'une part pour soutenir la relance de l'économie européenne, et d'autre part, de façon plus structurelle, pour la rendre plus dynamique et mieux à même de répondre aux crises futures.
Je souhaiterais débuter par quelques éléments de constat et de cadrage. D'une part, l'économie européenne est entrée dans la crise affaiblie : la crise de la zone euro a provoqué une récession plus longue et plus profonde qu'ailleurs. L'Union européenne a eu moins de temps pour rebondir avant l'arrivée de la pandémie. D'autre part, la crise a touché l'économie européenne plus que d'autres économies avancées. À la fin du premier trimestre de cette année, le PIB était encore de 5 % inférieur à son niveau précédant la crise. De plus, des facteurs structurels sont aussi à l'œuvre et provoquent un recul de la part de l'économie européenne dans l'économie mondiale. Il faut avoir ici à l'esprit les dynamiques européennes plus faibles en matière de démographie et d'investissement, qui contrastent avec le rattrapage chinois.
Cela étant dit, nous sommes dans une situation où tout n'est pas négatif. Au cours des vingt dernières années, le revenu par habitant a augmenté d'un tiers dans l'Union européenne, c'est moins rapide qu'en Chine, mais c'est en réalité similaire aux États-Unis, et plus rapide qu'au Japon.
Néanmoins, et c'est un sujet qui a été beaucoup discuté récemment, les années qui ont suivi la crise de la zone euro ont conduit à un recul du rôle international de l'euro. Ce dernier reflète, en réalité, les fragilités de la zone euro : l'absence d'un budget commun, la fragmentation de ses marchés de capitaux et de ses marchés bancaires, et un doute qui demeure sur sa capacité à réagir de façon unie face aux crises.
Toutefois, il existe des raisons de penser qu'aujourd'hui la situation est différente grâce à la réponse apportée à la crise. Cette réponse a été à la fois plus rapide et plus forte, et elle est dotée non seulement d'une dimension conjoncturelle, de court terme, mais aussi d'une dimension plus structurelle.
Cette réponse est venue en rupture avec les précédentes, grâces aux différents éléments qui la composent, mais aussi à l'intervention de la Banque centrale européenne qui a permis d'assurer la continuité du financement de l'économie, et au soutien budgétaire considérable apporté par les États membres. Toutefois, la rupture la plus forte demeure la décision d'émettre une dette commune pour financer la réponse à la pandémie et la relance, avec d'un côté un soutien aux mesures de protection de l'emploi (plan SURE), et surtout, le plan de relance, NextGenerationEU, et ses 750 milliards d'euros.
Finalement, on peut penser que la réponse apportée par l'Union européenne est plus forte cette fois-ci. De plus, je souhaite insister aussi sur le fait que, contrairement à certaines craintes soulevées concernant les risques de la dette, il importe de garder à l'esprit que la baisse des taux d'intérêt dans la zone euro a permis une baisse sensible de la charge de la dette. Par ailleurs, si on compare la situation de la dette publique dans la zone euro par rapport à la situation au Japon ou aux États-Unis, nous sommes, dans la zone euro, désormais sensiblement en deçà par rapport à ces deux pays. La Chine a quasiment rattrapé la zone euro concernant le ratio dette sur PIB.
Cela étant dit, en dépit de ces progrès indéniables, il reste que l'amélioration plus tardive de la situation sanitaire, et le degré de soutien budgétaire pourvu, impliquent à ce stade des perspectives de reprise qui restent plus lentes dans la zone euro que dans les autres économies avancées, en particulier aux États-Unis.
Le risque identifié dans notre travail est qu'à l'occasion de cette crise, l'économie européenne perde encore du terrain. Les risques sont d'ailleurs encore asymétriques au sens où une reprise plus timide, où incomplète, qui pourrait laisser des traces durables sur l'activité, pourrait avoir des effets non seulement importants (un point de croissance qui n'est pas repris, c'est un million d'emplois perdus dans la zone euro), mais aussi une influence plus durable, du fait des investissements qui ne seraient pas réalisés, notamment en R&D.
Il y a des fragilités qui demeurent. L'économie européenne reste, à ce stade, en perfusion. Il y a des groupes sociaux qui ont été particulièrement touchés : les jeunes, les mères célibataires.
Il faut éviter que le rebond technique qui est attendu, à partir de cette année, crée une sorte d'illusion d'optique, et engendre une pression accrue pour retirer les mesures de soutien, ce qui serait prématuré. Il est clair que les craintes d'un retour de l'inflation sont de cette nature. À ce stade, il semble essentiel d'éviter de reproduire l'erreur de la période 2011/2012 où le retrait des mesures de soutien aux premiers signes de reprise avait en réalité plonger l'économie européenne dans la récession.
Sur cette base-là, le travail que nous avons accompli vise à définir quelques principes d'action. Le premier d'entre eux, c'est que la politique budgétaire et la politique monétaire doivent continuer à fonctionner ensemble pour remettre l'économie sur les rails au plus vite.
Cela implique de mettre en ordre, au plus vite, le plan de relance, d'avoir de la visibilité sur les règles budgétaires européennes, et par ailleurs, d'obtenir le soutien budgétaire qui permettrait de retrouver la trajectoire de croissance précédant la pandémie, dès l'année prochaine.
Néanmoins, les politiques budgétaires dont il est question doivent également permettre la modernisation de l'économie et son adaptation, à la suite des transformations que la pandémie ne manquera pas d'apporter.
Enfin, pour que la modernisation de l'économie soit possible, ces mesures doivent être financées, et cela implique de se poser la question de la fiscalité, mais aussi du financement de la transformation, y compris de la transformation numérique, et de la transformation environnementale.
Avant d'indiquer quelques-unes des propositions retenues, je souhaiterais évoquer un point qui est important dans le cadre français spécifiquement. En effet, concernant l'opinion publique, nous avons, là encore, des raisons d'être optimistes. Si on regarde le soutien à l'euro, par exemple, il atteint des niveaux records, y compris en France.
Toutefois, lorsque l'on s'intéresse au plan de relance pour l'Europe, on se rend compte que le degré d'adhésion est plus faible en France que dans les autres États membres. Il est même le plus faible d'Europe, à égalité avec la Finlande.
D'autre part, il y a un pessimisme français, qui est encore plus accentué qu'au niveau européen. Ce pessimisme n'est pas exclusif à la France. Finalement beaucoup d'Européens pensent que, même si les perspectives de reprise sont présentes, l'économie ne se remettra pas avant 2023 ou plus tard. Cela correspond à cette perception selon laquelle l'économie européenne se remet plus lentement qu'ailleurs.
La communication sur ce sujet-là sera importante, pour redonner confiance et communiquer les raisons d'être optimistes sur la base des réponses qui ont été apportées dans le débat français.
Ensuite, nous avons essayé d'identifier des propositions plus précises. Je vous donne quelques-unes de ces directions. On pourra, bien entendu, les développer si vous le souhaitez.
La première d'entre elles, c'est de réaliser un effort additionnel en matière budgétaire. Il s'agit, par cette mesure, de retrouver le sentier de croissance précédant la pandémie dès l'an prochain, et nous n'en sommes pas très loin. Il suffirait de réaliser un effort budgétaire additionnel de l'ordre de 1,6 %, et qui serait en réalité moins fort si l'on prend en compte la croissance qu'il permettrait de générer.
De plus, il faudrait utiliser les instruments créés à l'occasion de la pandémie pour faciliter également la transformation de l'économie et l'adaptation du marché du travail. Il s'agirait, par exemple, de favoriser la mobilité professionnelle, en gardant à l'esprit que certains secteurs ont été plus impactés et ne récupéreront pas complètement. Il s'agit aussi de faciliter l'insertion des jeunes sur le marché du travail.
Les dispositifs comme le plan SURE, et les prêts qui sont prévus dans le contexte du plan de relance pour l'Europe, pourraient être utilisés à cette fin-là, et l'instrument SURE pourrait être prolongé et adapté pour faciliter cette transition sociale qui va devoir accompagner la transformation de l'économie.
Le troisième point consiste à éviter un retrait trop prématuré des mesures de soutien exceptionnelles et favoriser des mesures d'accompagnement. À titre d'exemple, le cadre temporaire des aides d'État, qui autorise le gouvernement à transformer des prêts en aides directes ou participations, est en vigueur jusqu'en juin 2021, et il serait souhaitable de l'étendre jusqu'à l'année prochaine. Cela serait cohérent avec la décision de maintenir l'activation de la clause de sauvegarde concernant les règles budgétaires jusqu'à l'année prochaine. Cette décision a été prise, et elle est la bienvenue pour donner les perspectives nécessaires en matière budgétaire.
De plus, une autre proposition que nous formulons consiste à renforcer l'union budgétaire au niveau européen. Nous examinons les manières d'y parvenir. À minima, cela devrait conduire à un engagement selon lequel les remèdes mis en œuvre face à cette crise devraient être de nouveau utilisés à l'occasion de crises futures.
Je souhaiterais évoquer désormais un point un peu plus spécifique. Je disais, auparavant, que l'union des marchés de capitaux reste incomplète au niveau de la zone euro, ce qui pèse sur le rôle international de l'euro, et ce qui pèse sur le financement de l'économie. Il y a des progrès à faire sur ce plan, et ils peuvent être faits selon trois grands axes.
Un premier axe consiste à renforcer le cadre pour la gestion des crises bancaires et à réduire la fragmentation des marchés bancaires en Europe.
Un second point réside dans la réponse à apporter au développement du numérique sur le marché des paiements. Il y a eu une amende, et des précisions très importantes sur la réglementation des crypto-actifs, la réglementation en matière environnementale, et également sur les perspectives de développement d'un euro numérique, et sur les moyens de rendre les services de paiement compétitifs face aux concurrents américains, et notamment aux GAFA.
Enfin, le troisième axe important concernant le volet financier : c'est le développement de la finance durable. Il s'agit de faire la meilleure utilisation possible des bases législatives qui ont commencé à être posées, sur la comptabilité, en matière de durabilité par les entreprises, pour que l'Europe, qui est en avance à ce stade en matière de finance durable, puisse affirmer son leadership.
Enfin, et je conclurai ainsi cette introduction, il faut aussi penser l'Europe dans un cadre global, et c'est le sens de ce que disait Michel Foucher auparavant. Il faut se poser la question de la contribution de l'économie européenne à la relance de l'économie mondiale. À ce sujet, la première contribution est de relancer l'économie européenne, mais il faut aussi prendre en compte, qu'il y a de nombreuses économies émergentes, et en développement, qui ont été fragilisées.
Nous n'évoluons pas dans un monde nécessairement coopératif. Il sera important de ne pas laisser sans réponse la stratégie d'expansion chinoise par les prêts bilatéraux. La Chine est devenue, et c'est quelque chose qui n'est peut-être pas assez su, de loin le principal créancier de la planète pour les prêts bilatéraux, souvent au travers d'entreprises contrôlées par l'État. Elle utilise ces prêts à des fins d'expansion, en prenant comme collatéral des ressources naturelles ou en apportant des financements, à des conditions avantageuses pour ensuite disposer de leviers d'influence. Cela a posé des difficultés dans les discussions internationales qui ont eu lieu récemment sur la restructuration de la dette, car la Chine se comporte comme un passager clandestin.
Pour faire le lien avec la présentation précédente, celle de Michel Foucher, il s'agit là d'une réflexion qui doit être engagée au niveau européen pour des raisons à la fois géopolitique et économique.
Votre approche sur la relance prend-elle en compte l'évolution démographique ? Ce sujet n'est souvent pas assez pris en compte dans nos différents politiques. Or, dans le cadre de la relance tout particulièrement, nos entreprises ont besoin de pouvoir recruter ; d'un point de vue de l'innovation, nous ne pouvons pas laisser partir des gens en capacité de travailler ailleurs. Ces éléments doivent aussi être abordés.
L'Europe est matière à réflexion, et c'est ce que vous évoquez à travers la question du « sentiment d'appartenance à l'Europe ». Votre mission intervient dans un moment décisif : face à la Covid-19 et au défi environnemental ; face à l'ambition chinoise et l'allié américain, l'Europe doit changer d'échelle.
Au cœur de cette crise, l'ampleur du plan de relance a permis de redonner un souffle au projet européen ; la rapidité de l'action et l'ampleur des fonds débloqués ont démontré la capacité de mobilisation des décideurs européens.
L'Europe est forte, certes, mais l'Europe se cherche. Dans ce contexte, la Présidence française de l'Union prévoit un travail autour de trois grandes notions :
– La relance tout d'abord implique la transformation de notre outil industriel en vue d'une Europe numérique et verte pourvoyeuse des emplois de demain et séduisante pour la génération future.
– La puissance passe par l'affirmation d'une stratégie ambitieuse pour donner à nos jeunes les clés d'une Europe souveraine.
– Enfin, l'appartenance fait référence à la réappropriation de l'outil politique européen pour que nos jeunes s'y projettent.
Je vous partage ainsi ma compréhension de la feuille de route française et je vous pose la question, notamment en vue de la Conférence sur l'avenir de l'Europe : quel message voulons-nous faire passer à notre jeunesse ? Je m'engage par ailleurs à faire deux réunions sur la Conférence de l'avenir de l'Europe au sein de ma circonscription.
La deuxième question est la suivante : à l'occasion de la présidence française, quelles solutions souhaitons-nous apporter à cette jeunesse ?
Ce qui risque de poser problème, c'est que nous retrouvons des thèmes qui existent depuis des années. Mon rapport a donné lieu à un livre, sorti en 2005, intitulé « La fracture européenne : 40 propositions concrètes pour mieux informer sur l'Europe. » Je voudrais citer une réalisation très concrète de l'une des recommandations de ce rapport, qui était de mettre le drapeau européen sur le fronton du Quai d'Orsay ; sur les bâtiments publics et à l'Assemblée nationale, alors qu'il n'y était pas. Il y a eu d'autres réalisations mais celle-ci est particulièrement symbolique.
Dans le cadre de cette présidence, nous disposerons seulement de trois mois « utiles », et ce dans un contexte tout à fait particulier qui est celui de la présidentielle. La dernière présidence française du Conseil de l'Union européenne est intervenue en 2008, la prochaine devrait également se dérouler dans treize ans.
Un élément me préoccupe particulièrement : il va y avoir abondance de propositions dans ce cadre, toutes de grande qualité. Va-t-on les mettre en œuvre ? Ne faudrait-il pas avoir un plan B consistant à définir un "noyau dur" permettant de mettre en œuvre un certain nombre de propositions concrètes dont on assurerait le suivi ?
Ce que vous avez indiqué au sujet de la distance entre nos concitoyens et l'Europe existe depuis longtemps, j'aimerais que vous nous expliquiez les raisons pour lesquelles c'est en France que l'euroscepticisme est le plus large. La question que vous abordez sur le fait que les médias ne parlent pas assez de l'Europe se pose de longue date, et tout le monde en est responsable, les médias comme nous, les élus, aussi bien les députés que les maires. De la même façon, quelle est la place de l'Union européenne aujourd'hui dans les programmes scolaires ?
Nous devrions nous donner comme objectif de définir certaines propositions, pas en trop grand nombre, mais que l'on s'assure de les mettre en œuvre, et qu'un suivi soit assuré par un comité de suivi, composé notamment de parlementaires.
Nous sommes tous responsables : les enseignants, les médias, les responsables politiques, les parlementaires. J'ai écouté Mme Schnapper avec grand intérêt, notamment sur le manque d'un grand récit : écrivons-le, mais écrivons-le ensemble, car sinon il y aura toujours cette distance croissante entre nos concitoyens et l'Europe. Il faut parler de l'Europe en France, c'est vrai, mais tous les responsables politiques doivent agir en ce sens : les parlementaires, et les ministres qui prennent des décisions à Bruxelles au nom de leur gouvernement.
Toutes ces réflexions se résument à un cahier des charges limité autour de quelques propositions essentielles, dont tous les responsables seraient comptables de la mise en œuvre.
Les parlementaires nationaux devraient beaucoup plus s'impliquer à ce titre dans leur circonscription, car nous nous sentons plus proches d'un élu local que d'un élu européen. Nous avons pris de nombreuses initiatives pour organiser de grands débats en séance plénière, notamment en amont des conseils européens.
J'aimerais commencer par citer une anecdote : au sein de mon territoire, en Artois, il existe une maison de l'Europe. Le président avait sollicité le président de l'agglomération de l'Artois pour une aide financière, mais la présidente de la communauté d'agglomération a répondu que ce n'était pas dans les compétences de l'agglomération.
Nous attachons une très forte importance à la notion d'appartenance. j'ai moi-même réalisé un rapport sur Erasmus il y a deux ans, dans lequel je préconisais un élargissement du programme Erasmus aux étudiants en apprentissage, et aux plus jeunes dès l'école primaire. J'ai également publié un rapport sur le socle européen des droits sociaux, et je voulais interroger Mme Schnapper à ce sujet. Nous nous réjouissons que le gouvernement français ait intégré le concept d'appartenance au triptyque pour la présidence du Conseil. Dans un contexte de crise économique, sociale et sanitaire il est indispensable de renforcer le sentiment d'appartenance européen. Cela est d'autant plus vrai que l'Union européenne et ses États membres traversent aussi une crise politique. En témoignent le Brexit, les remises en cause de l'État de droit en Hongrie et en Pologne ainsi que l'abstention électorale de plus en plus alarmante, comme nous l'avons vu dimanche dernier. Face à ces défis, nous devons nous interroger en tant qu'Européens sur ce qui nous assemble. Au moment de la crise du Covid-19, notre modèle social s'est révélé être un fort élément fédérateur à l'échelle européenne qui nous distingue sur la scène mondiale.
Mme Schnapper, dans vos travaux vous constatez que la citoyenneté moderne et démocratique a toujours été pensée dans un cadre national. La citoyenneté européenne, supranationale, est donc une exception historique.
Si la mise en place de la citoyenneté de l'Union avec le traité de Maastricht constitue un succès historique, l'Europe peine à générer une véritable identité collective. Ce déficit en matière d'appartenance constitue un véritable frein à l'avancement de l'intégration européenne y compris en matière sociale.
Si le modèle social dans chacun des États membres reste très lié à l'histoire et à des perceptions nationales, la définition de normes et de droit sociaux communs peut donner plus de substance au sentiment d'appartenance européen. À titre d'exemple, la mise en place du socle européen des droits sociaux peut compléter de manière très concrète la Charte des droits fondamentaux de l'Union. Compte tenu de ces éléments, l'Europe sociale peut-elle être un levier pour renforcer le sentiment d'appartenance européen ? Quelles préconisations pouvez-vous nous donner pour renforcer l'identité européenne en nous appuyant sur la singularité européenne en matière sociale ?
Je voudrais parler de l'écho que rencontre la question européenne auprès de notre jeunesse en France : l'abstention massive de dimanche dernier nous fait craindre le pire par rapport à ces réflexions sur la Conférence sur l'avenir de l'Europe.
J'aimerais savoir comment vous voyez l'articulation de vos propres travaux avec ceux de la Conférence sur l'avenir de l'Europe, puisqu'il y a une volonté au niveau de la présidence française future de s'enrichir des travaux sur la Conférence sur l'avenir de l'Europe. Dans ce cadre, associer la jeunesse française et plus largement la jeunesse européenne me semble particulièrement important. J'ai retenu les propositions de Mme chnapper sur les moyens permettant de développer Erasmus pour l'ensemble de notre jeunesse, afin que cette Europe ne soit pas seulement celle des élites.
Le deuxième point que je voudrais évoquer concerne les enjeux relatifs à la souveraineté européenne, associés à la question de la relance. La crise nous a montré l'importance pour l'Europe de travailler de manière unie. Il faut à ce titre souligner que la politique d'achats de vaccins en commun par l'Union européenne a été une excellente chose : elle a permis de vacciner tous les Européens indifféremment de leur appartenance à un pays grand ou petit, pauvre ou riche.
Comment, dans vos réflexions, prenez-vous en compte un élément qui semble indispensable, à savoir la relocalisation d'une partie de nos moyens industriels, notamment dans le domaine de la santé ? Quels moyens d'action et de réflexion allez-vous proposer dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne ?
Quel est l'objectif du Président de la République ? Il faut en choisir un seul sinon nous courrons le risque de nous disperser.
Par ailleurs, je crois que le rapport entre les États membres et l'Union européenne ressemble de plus en plus au bloc communal. Je crains une dispersion des compétences, une perte de légitimité qu'il faut éviter. Nous allons créer un bloc nation-Europe, qui se structure déjà avec les compétences budgétaires qui ressemble au bloc communal. Il faudrait éviter ce scénario.
La partie budgétaire est un aussi un sujet primordial à mon sens. J'avais déjà proposé au Gouvernement de travailler sur la cohérence du budget de l'État et celle du budget de l'Union pour éviter une multiplication des politiques publiques et une superposition des fonds. Nous devons mener une réflexion sur ce point puisqu'il nous faudra soit rembourser la dette soit développer des moyens supplémentaires pour mener de véritables politiques publiques. Une réflexion sur ce point doit être menée.
L'Allemagne va changer d'exécutif et la France également, ce qui aura une influence sur nos travaux.
Je m'intéresse en particulier à l'Europe sociale, que le Secrétaire d'État a récemment relevé comme un des sujets clés pour la présidence française de l'Union. L'Europe sociale englobe les thématiques de solidarité et de construction d'une Europe de la santé.
Pour ma part, je vois trois grands sujets :
– la proposition de directive sur le salaire minimum, dont le vote devrait se dérouler en fin d'année bien que les négociations soient difficiles. Les co-rapporteurs en commission emploi du Parlement européen ont une approche ambitieuse du sujet, par exemple sur la couverture des travailleurs par les conventions collectives. Nous devrions commencer le trilogue sous la présidence française.
– les conditions de travail des travailleurs des plateformes numériques – sur lequel je prépare un rapport d'initiative. Il s'agit d'un sujet compliqué qui met en jeu la protection de ces travailleurs, l'avenir du travail. Le rapport devrait être présenté en commission emploi au Parlement européen en juillet, mais n'aura sans doute pas abouti sous la présidence française.
– la proposition de directive sur la transparence salariale avec l'objectif de réduire les écarts salariaux entre les femmes et les hommes en Europe. Ce sujet pourrait aboutir, pour le moins en trilogue, lors de la présidence française.
Je pense que ces sujets sociaux sont particulièrement importants pendant cette sortie de crise.
M. Chopin, pouvez-vous nous dire comment vos travaux vont s'articuler avec cet agenda européen ? Nous ne sommes pas tout à fait libres de choisir nos sujets puisque dans le cadre de la troïka, notre présidence est dépendante des résultats de la présidence portugaise et slovène. Nous travaillons aussi avec la Tchéquie et la Suède et dépendons également des propositions législatives de la Commission européenne.
Nous sommes attentifs à l'articulation entre notre réflexion d'un côté et le travail législatif déjà engagé d'autre part. J'évoquais les contacts avec les autres ambassades des pays membres, nous sommes attentifs à ce qui se passe ailleurs.
Notre réflexion porte sur des enjeux de très court terme. Notre objectif dans cette réflexion sera de restreindre sur ce qui nous semble être prioritaire pour répondre aux attentes des citoyens français et européens.
Les élections en Allemagne joueront un rôle effectivement.
Sur la défiance des Français vis-à-vis de l'Europe, il y a un enjeu de culture politique. Bien que la France ait été à l'origine de la construction européenne, elle a aussi été à l'origine de coups d'éclats marquants. L'ambivalence française est notable. Elle s'explique par le fait que la logique politique majeure, c'est une politique de projection ; nous projetons ce que nous sommes à l'échelle supérieure, ce qui pose des difficultés certaines. Il y a un déficit d'incarnation de l'Union qui est plus sévèrement jugé en France.
De plus, nous ne sommes pas un pays libéral alors que l'Europe est d'abord un marché. Notre rapport est très orthogonal par rapport à ce qu'est l'Union européenne. Par ailleurs nous sommes mal à l'aise face à la question de l'élargissement depuis toujours.
L'ensemble crée un trouble et un malaise culturel français vis-à-vis de la construction européenne. Comment le surmonter ainsi que la méfiance qui en découle ?
M. Michel Herbillon a fait des propositions sur l'importance de l'information et du rôle des médias et le rôle des parlementaires. Je pense qu'effectivement les parlementaires joueront un rôle central pendant cette présidence, celui d'amener l'Europe vers les citoyens et les territoires.
J'ajouterai un dernier axe, déjà mentionné et qui me tient à cœur, celui de l'éducation. L'année dernière j'ai conduit un rapport sur la place de l'Union européenne dans l'enseignement secondaire français en géographie, en éducation civique et morale et dans l'apprentissage des langues vivantes. Il faut profiter de la présidence française pour pousser cet agenda éducatif qui dépend de nous.
La volonté du secrétaire d'État chargé des affaires européennes est d'avoir une approche multicanaux, c'est-à-dire d'organiser cette présidence française à la fois avec les services de l'État et aussi avec d'autres acteurs, ce comité de réflexion en est un exemple, la Conférence sur l'avenir de l'Europe à laquelle les jeunes doivent participer aussi.
Ma crainte sur la Conférence sur l'avenir de l'Europe serait que nous passions trop de temps à discuter de la gouvernance au détriment de la substance.
Il y aura un développement spécifique sur les questions politiques et institutionnelles, sur la place de l'exécutif européen, dans notre rapport qui sortira l'année prochaine. Nous avons bien constaté qu'il y avait un manque de réactivité face aux circonstances exceptionnelles et au choc.
Je suis tout à fait en accord avec M. Thierry Chopin et je voudrais seulement reprendre deux idées centrales.
En premier lieu, depuis quinze ans les mêmes thèmes sont abordés, avec les mêmes idées mais sans réponse concrète. Il faut ainsi voir comment les recommandations sont suivies et appliquées. Pour la présidence française, il faut essayer de faire un choix très limité de recommandations, puisqu'il n'y a que trois mois d'action possible. Parmi les options que nous avons, il faut donc mettre l'accent sur les solutions faisables, et s'assurer de leur suivi.
En second lieu, je voudrais revenir sur l'articulation entre les Nations et l'Europe. L'Union est une renonciation à une partie de la souveraineté nationale, au profit d'une entité plus large, sans y être contraint par la guerre. C'est à ce titre une exception historique. Néanmoins aujourd'hui, il y a une fragilité démocratique au niveau national, qui ne peut que rejaillir au niveau européen, de façon encore plus forte puisqu'il n'y a pas les institutions d'un pouvoir exécutif. Mon inquiétude tient à la possibilité de développer l'Union au regard de l'affaiblissement des démocraties nationales. Il ne suffit pas de dire qu'entre tous les pays européens il existe une culture commune : c'est toujours avec les pays plus proches que les relations sont les plus difficiles. Il ne suffit pas d'avoir des choses en commun pour construire une entité supérieure. Il faut avoir la conscience de l'appartenance et la volonté de construire : il faut donc choisir les quelques thèmes qui nous regroupent, très peu nombreux, essayer de les suivre et c'est sur ce point que nous pouvons espérer avoir une certaine utilité.
La méthode doit en effet être de sélectionner quatre ou cinq points. Il faut hiérarchiser. Nous avons par exemple pris le parti d'insister plus sur la souveraineté technologique que sur les questions de défense, où il y a moins de marge de manœuvre.
La conscience européenne sort renforcée depuis deux ans : on ne sait pas assez qu'on a produit plus de vaccins que les autres continents, qu'on a également davantage vacciné. Il y a eu un financement à hauteur de 2,5 milliards d'euros pour six laboratoires de recherche. La santé n'était pas une compétence européenne : c'est la raison pour laquelle dans les 5 propositions sur la souveraineté, la puissance et l'autonomie, il y a un point sur la santé. On essaie de donner du contenu à cette idée de sécurité sanitaire : la santé doit devenir une compétence partagée. Il faut avoir des stocks stratégiques, voir dans quelle mesure on peut relocaliser des chaînes d'approvisionnement, renforcer l'agence européenne de contrôle des maladies et travailler davantage sur le partenariat public-privé.
Depuis un an, on a progressé hors traité, sans parler d'une réforme des traités : en cas d'urgence, les Etats sont capables de se coordonner, mais les citoyens ne le savent pas assez.
Il faut donc répondre de manière pragmatique aux défis collectifs, par exemple en matière de santé ou de technologies. Pour les technologies, le système français a failli : dans le cadre de l'éducation en visioconférence, les bandes passantes étaient insuffisantes, les rectorats ont donné des informations contradictoires, les élèves n'étaient pas équipés. Il y a une marge de manœuvre considérable dans le domaine des technologies.
Il faut donc faire des propositions très précises, hors traité, en sortant des sentiers battus.
Le travail pour la relance économique peut être résumé en trois points.
Le premier est qu'il ne faut pas baisser la garde : on est au début de la reprise et des fragilités sont encore là, notamment sur le plan social. Au moment de la présidence française, ce sera toujours une phase de rattrapage.
Le deuxième est l'accompagnement des Européens et des entreprises européennes face aux transformations de l'économie en cours, que ce soit dans le domaine numérique, ou pour une meilleure insertion de la jeunesse sur le marché de l'emploi. Il faut ainsi utiliser les instruments pour accompagner la mobilité professionnelle et l'insertion des jeunes.
Le troisième point est l'investissement dans les biens communs : il faut identifier les défis communs et investir dedans. On peut en identifier trois : la culture européenne, avec la formation des jeunes, le bilinguisme et l'enseignement ; la souveraineté technologique ; la sécurité commune qui passe aussi par la sécurité sanitaire, liée à la reprise économique.
La séance est levée à 17 heures 55.
Membres présents ou excusés
Le relevé des présents est suspendu en raison de la crise sanitaire.