Sur le sujet de la relance, l'objectif du groupe est d'analyser les perspectives économiques de la zone euro et de l'Union européenne, et de formuler, sur cette base, des recommandations, d'une part pour soutenir la relance de l'économie européenne, et d'autre part, de façon plus structurelle, pour la rendre plus dynamique et mieux à même de répondre aux crises futures.
Je souhaiterais débuter par quelques éléments de constat et de cadrage. D'une part, l'économie européenne est entrée dans la crise affaiblie : la crise de la zone euro a provoqué une récession plus longue et plus profonde qu'ailleurs. L'Union européenne a eu moins de temps pour rebondir avant l'arrivée de la pandémie. D'autre part, la crise a touché l'économie européenne plus que d'autres économies avancées. À la fin du premier trimestre de cette année, le PIB était encore de 5 % inférieur à son niveau précédant la crise. De plus, des facteurs structurels sont aussi à l'œuvre et provoquent un recul de la part de l'économie européenne dans l'économie mondiale. Il faut avoir ici à l'esprit les dynamiques européennes plus faibles en matière de démographie et d'investissement, qui contrastent avec le rattrapage chinois.
Cela étant dit, nous sommes dans une situation où tout n'est pas négatif. Au cours des vingt dernières années, le revenu par habitant a augmenté d'un tiers dans l'Union européenne, c'est moins rapide qu'en Chine, mais c'est en réalité similaire aux États-Unis, et plus rapide qu'au Japon.
Néanmoins, et c'est un sujet qui a été beaucoup discuté récemment, les années qui ont suivi la crise de la zone euro ont conduit à un recul du rôle international de l'euro. Ce dernier reflète, en réalité, les fragilités de la zone euro : l'absence d'un budget commun, la fragmentation de ses marchés de capitaux et de ses marchés bancaires, et un doute qui demeure sur sa capacité à réagir de façon unie face aux crises.
Toutefois, il existe des raisons de penser qu'aujourd'hui la situation est différente grâce à la réponse apportée à la crise. Cette réponse a été à la fois plus rapide et plus forte, et elle est dotée non seulement d'une dimension conjoncturelle, de court terme, mais aussi d'une dimension plus structurelle.
Cette réponse est venue en rupture avec les précédentes, grâces aux différents éléments qui la composent, mais aussi à l'intervention de la Banque centrale européenne qui a permis d'assurer la continuité du financement de l'économie, et au soutien budgétaire considérable apporté par les États membres. Toutefois, la rupture la plus forte demeure la décision d'émettre une dette commune pour financer la réponse à la pandémie et la relance, avec d'un côté un soutien aux mesures de protection de l'emploi (plan SURE), et surtout, le plan de relance, NextGenerationEU, et ses 750 milliards d'euros.
Finalement, on peut penser que la réponse apportée par l'Union européenne est plus forte cette fois-ci. De plus, je souhaite insister aussi sur le fait que, contrairement à certaines craintes soulevées concernant les risques de la dette, il importe de garder à l'esprit que la baisse des taux d'intérêt dans la zone euro a permis une baisse sensible de la charge de la dette. Par ailleurs, si on compare la situation de la dette publique dans la zone euro par rapport à la situation au Japon ou aux États-Unis, nous sommes, dans la zone euro, désormais sensiblement en deçà par rapport à ces deux pays. La Chine a quasiment rattrapé la zone euro concernant le ratio dette sur PIB.
Cela étant dit, en dépit de ces progrès indéniables, il reste que l'amélioration plus tardive de la situation sanitaire, et le degré de soutien budgétaire pourvu, impliquent à ce stade des perspectives de reprise qui restent plus lentes dans la zone euro que dans les autres économies avancées, en particulier aux États-Unis.
Le risque identifié dans notre travail est qu'à l'occasion de cette crise, l'économie européenne perde encore du terrain. Les risques sont d'ailleurs encore asymétriques au sens où une reprise plus timide, où incomplète, qui pourrait laisser des traces durables sur l'activité, pourrait avoir des effets non seulement importants (un point de croissance qui n'est pas repris, c'est un million d'emplois perdus dans la zone euro), mais aussi une influence plus durable, du fait des investissements qui ne seraient pas réalisés, notamment en R&D.
Il y a des fragilités qui demeurent. L'économie européenne reste, à ce stade, en perfusion. Il y a des groupes sociaux qui ont été particulièrement touchés : les jeunes, les mères célibataires.
Il faut éviter que le rebond technique qui est attendu, à partir de cette année, crée une sorte d'illusion d'optique, et engendre une pression accrue pour retirer les mesures de soutien, ce qui serait prématuré. Il est clair que les craintes d'un retour de l'inflation sont de cette nature. À ce stade, il semble essentiel d'éviter de reproduire l'erreur de la période 2011/2012 où le retrait des mesures de soutien aux premiers signes de reprise avait en réalité plonger l'économie européenne dans la récession.
Sur cette base-là, le travail que nous avons accompli vise à définir quelques principes d'action. Le premier d'entre eux, c'est que la politique budgétaire et la politique monétaire doivent continuer à fonctionner ensemble pour remettre l'économie sur les rails au plus vite.
Cela implique de mettre en ordre, au plus vite, le plan de relance, d'avoir de la visibilité sur les règles budgétaires européennes, et par ailleurs, d'obtenir le soutien budgétaire qui permettrait de retrouver la trajectoire de croissance précédant la pandémie, dès l'année prochaine.
Néanmoins, les politiques budgétaires dont il est question doivent également permettre la modernisation de l'économie et son adaptation, à la suite des transformations que la pandémie ne manquera pas d'apporter.
Enfin, pour que la modernisation de l'économie soit possible, ces mesures doivent être financées, et cela implique de se poser la question de la fiscalité, mais aussi du financement de la transformation, y compris de la transformation numérique, et de la transformation environnementale.
Avant d'indiquer quelques-unes des propositions retenues, je souhaiterais évoquer un point qui est important dans le cadre français spécifiquement. En effet, concernant l'opinion publique, nous avons, là encore, des raisons d'être optimistes. Si on regarde le soutien à l'euro, par exemple, il atteint des niveaux records, y compris en France.
Toutefois, lorsque l'on s'intéresse au plan de relance pour l'Europe, on se rend compte que le degré d'adhésion est plus faible en France que dans les autres États membres. Il est même le plus faible d'Europe, à égalité avec la Finlande.
D'autre part, il y a un pessimisme français, qui est encore plus accentué qu'au niveau européen. Ce pessimisme n'est pas exclusif à la France. Finalement beaucoup d'Européens pensent que, même si les perspectives de reprise sont présentes, l'économie ne se remettra pas avant 2023 ou plus tard. Cela correspond à cette perception selon laquelle l'économie européenne se remet plus lentement qu'ailleurs.
La communication sur ce sujet-là sera importante, pour redonner confiance et communiquer les raisons d'être optimistes sur la base des réponses qui ont été apportées dans le débat français.
Ensuite, nous avons essayé d'identifier des propositions plus précises. Je vous donne quelques-unes de ces directions. On pourra, bien entendu, les développer si vous le souhaitez.
La première d'entre elles, c'est de réaliser un effort additionnel en matière budgétaire. Il s'agit, par cette mesure, de retrouver le sentier de croissance précédant la pandémie dès l'an prochain, et nous n'en sommes pas très loin. Il suffirait de réaliser un effort budgétaire additionnel de l'ordre de 1,6 %, et qui serait en réalité moins fort si l'on prend en compte la croissance qu'il permettrait de générer.
De plus, il faudrait utiliser les instruments créés à l'occasion de la pandémie pour faciliter également la transformation de l'économie et l'adaptation du marché du travail. Il s'agirait, par exemple, de favoriser la mobilité professionnelle, en gardant à l'esprit que certains secteurs ont été plus impactés et ne récupéreront pas complètement. Il s'agit aussi de faciliter l'insertion des jeunes sur le marché du travail.
Les dispositifs comme le plan SURE, et les prêts qui sont prévus dans le contexte du plan de relance pour l'Europe, pourraient être utilisés à cette fin-là, et l'instrument SURE pourrait être prolongé et adapté pour faciliter cette transition sociale qui va devoir accompagner la transformation de l'économie.
Le troisième point consiste à éviter un retrait trop prématuré des mesures de soutien exceptionnelles et favoriser des mesures d'accompagnement. À titre d'exemple, le cadre temporaire des aides d'État, qui autorise le gouvernement à transformer des prêts en aides directes ou participations, est en vigueur jusqu'en juin 2021, et il serait souhaitable de l'étendre jusqu'à l'année prochaine. Cela serait cohérent avec la décision de maintenir l'activation de la clause de sauvegarde concernant les règles budgétaires jusqu'à l'année prochaine. Cette décision a été prise, et elle est la bienvenue pour donner les perspectives nécessaires en matière budgétaire.
De plus, une autre proposition que nous formulons consiste à renforcer l'union budgétaire au niveau européen. Nous examinons les manières d'y parvenir. À minima, cela devrait conduire à un engagement selon lequel les remèdes mis en œuvre face à cette crise devraient être de nouveau utilisés à l'occasion de crises futures.
Je souhaiterais évoquer désormais un point un peu plus spécifique. Je disais, auparavant, que l'union des marchés de capitaux reste incomplète au niveau de la zone euro, ce qui pèse sur le rôle international de l'euro, et ce qui pèse sur le financement de l'économie. Il y a des progrès à faire sur ce plan, et ils peuvent être faits selon trois grands axes.
Un premier axe consiste à renforcer le cadre pour la gestion des crises bancaires et à réduire la fragmentation des marchés bancaires en Europe.
Un second point réside dans la réponse à apporter au développement du numérique sur le marché des paiements. Il y a eu une amende, et des précisions très importantes sur la réglementation des crypto-actifs, la réglementation en matière environnementale, et également sur les perspectives de développement d'un euro numérique, et sur les moyens de rendre les services de paiement compétitifs face aux concurrents américains, et notamment aux GAFA.
Enfin, le troisième axe important concernant le volet financier : c'est le développement de la finance durable. Il s'agit de faire la meilleure utilisation possible des bases législatives qui ont commencé à être posées, sur la comptabilité, en matière de durabilité par les entreprises, pour que l'Europe, qui est en avance à ce stade en matière de finance durable, puisse affirmer son leadership.
Enfin, et je conclurai ainsi cette introduction, il faut aussi penser l'Europe dans un cadre global, et c'est le sens de ce que disait Michel Foucher auparavant. Il faut se poser la question de la contribution de l'économie européenne à la relance de l'économie mondiale. À ce sujet, la première contribution est de relancer l'économie européenne, mais il faut aussi prendre en compte, qu'il y a de nombreuses économies émergentes, et en développement, qui ont été fragilisées.
Nous n'évoluons pas dans un monde nécessairement coopératif. Il sera important de ne pas laisser sans réponse la stratégie d'expansion chinoise par les prêts bilatéraux. La Chine est devenue, et c'est quelque chose qui n'est peut-être pas assez su, de loin le principal créancier de la planète pour les prêts bilatéraux, souvent au travers d'entreprises contrôlées par l'État. Elle utilise ces prêts à des fins d'expansion, en prenant comme collatéral des ressources naturelles ou en apportant des financements, à des conditions avantageuses pour ensuite disposer de leviers d'influence. Cela a posé des difficultés dans les discussions internationales qui ont eu lieu récemment sur la restructuration de la dette, car la Chine se comporte comme un passager clandestin.
Pour faire le lien avec la présentation précédente, celle de Michel Foucher, il s'agit là d'une réflexion qui doit être engagée au niveau européen pour des raisons à la fois géopolitique et économique.