En ce qui concerne le ralentissement de la campagne vaccinale, la question est double : il y a, d'un côté, l'enjeu de la disponibilité des doses de vaccin et de l'approvisionnement, et, de l'autre, celui de la disponibilité des citoyens à se faire vacciner. Je veux être rassurant sur le premier point et vigilant sur le second.
Sur le plan de l'approvisionnement, le mois de juin a été exceptionnel. Nous avons fait en sorte qu'il en soit ainsi : nous avons beaucoup insisté auprès des laboratoires pour que les approvisionnements soient très importants au deuxième trimestre, notamment au mois de juin. Ce sont ainsi 30 millions de doses de vaccin environ qui ont été livrées à la France ce mois-ci. À la suite de discussions parfois difficiles avec les laboratoires, il a été acté que les approvisionnements resteraient importants au cours de l'été. Il n'y a donc pas lieu de craindre un effet de falaise, c'est-à-dire une chute massive des livraisons de doses après le mois de juin. Notre vigilance, avec Olivier Véran et Agnès Pannier-Runacher, est permanente pour que l'approvisionnement se passe bien.
Au tout début, le cadre européen a connu des difficultés – je veux parler de la période qui a précédé la signature des contrats : l'investissement dans les dernières phases de développement des vaccins n'avait pas été suffisant. Quoi qu'il en soit, les contrats ont été négociés et l'approvisionnement en doses reste important. Je n'ai pas d'inquiétude sur ce point. Le ministère de la santé donnera des informations au fur et à mesure.
Sur le second point, les choses sont plus compliquées, nous le voyons dans tous les pays européens. Au-delà de certaines réticences individuelles, nous verrons se développer, au fur et à mesure que la vaccination avance – et elle progresse significativement –, l'idée fausse selon laquelle nous en aurions fini avec le virus et la pandémie, et cette idée pourra s'accompagner d'une forme d'insouciance. Nous devons donc insister sur l'importance de rester vigilants. S'il y a un outil qui fonctionne à coup sûr contre le virus, c'est la vaccination. Si les choses vont mieux, ce n'est pas par hasard : cela est dû certes aux mesures de précaution que nous avons prises, mais surtout à la vaccination. Y compris face aux variants, il est absolument certain que les personnes ayant reçu deux doses sont très fortement protégées. On ne saurait donc se permettre de ne plus se faire vacciner ou de se contenter d'une seule dose. Nous ne pouvons ralentir nos efforts collectifs. Nous ne sommes pas tirés d'affaire, même si nous avons les outils pour que ce soit le cas. Il revient au Gouvernement de faire en sorte d'éviter la démobilisation à l'approche des vacances.
Je sais, monsieur Michels, que vous travaillez avec Mme Karamanli sur la manière dont l'Europe doit renforcer sa politique de santé. C'est une question importante. Nous avons eu l'occasion d'en parler brièvement ; peut-être le ferons-nous de nouveau dans quelques jours, quand le rapport sera finalisé. Les pistes que vous étudiez rejoignent celles sur lesquelles nous travaillons au niveau européen, même si elles n'ont pas été évoquées lors du dernier sommet.
Il y a trois enjeux autour desquels nous devons construire une véritable Europe de la santé, qui aille au-delà des slogans.
D'abord, nous n'avons pas de données partagées en Europe. Cela paraît anecdotique, mais c'est un point majeur. Nous l'avons constaté au début de la pandémie : si l'on ne dispose pas d'un centre de partage de données harmonisées, on est incapable de donner un certain nombre de lignes directrices ou d'instructions, et donc de gérer une épidémie. Force est de constater, à cet égard, que le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) n'a pas fonctionné, parce que nous n'avions jamais considéré qu'il aurait à gérer une telle pandémie. Dans le domaine du partage des données, il faut plus d'Europe et non pas moins d'Europe. C'est à cause d'un manque de données harmonisées et d'instructions communes que nous avons eu des difficultés à coopérer, qu'il s'agisse de l'ouverture des frontières ou encore de l'élaboration de consignes pour les voyages.
Deuxième sujet : une réserve commune type protection civile avec des équipements médicaux – gants, tests, respirateurs – que nous acquerrons ensemble. On a commencé, même si le processus est encore balbutiant, entre les deux vagues de la pandémie : c'est une question de solidarité et d'efficacité sanitaire européenne.
Plus importante encore sans doute est l'idée d'une agence européenne commune qui finance la recherche médicale et l'innovation en santé : on y retrouve l'enjeu de souveraineté industrielle et sanitaire. La crise a en effet mis en évidence à la fois notre très grande dépendance s'agissant d'un certain nombre d'éléments médicaux élémentaires – je prends toujours l'exemple du paracétamol – et nos dépendances européennes accumulées. S'il y a bien un échec européen, auquel il nous faut remédier, c'est bien notre incapacité commune à innover et à prendre des risques de façon massive, contrairement aux Américains avec leur Biomedical Advanced Research and Development Authority (BARDA).
Tout le monde reproche a posteriori à l'Europe d'avoir manqué d'un tel outil et donc de réactivité : nous avons donc besoin dans ce domaine de plus d'Europe, puisque n'est pas l'achat des vaccins qui s'est avéré problématique en matière d'efficacité collective, mais l'étape précédente.
Si la proposition de la Commission de créer sur le modèle américain l'Autorité pour la réaction aux urgences sanitaires, la Health Emergency Response Authority (HERA), est donc fondamentale, elle est très insuffisante : on ne peut pas attendre un an et demi pour qu'elle commence à fonctionner, ni se satisfaire d'un budget compris entre 150 et 200 millions d'euros. Il faudrait au moins dix fois, et sans doute cent fois plus, puisque les Américains ont débloqué une quinzaine de milliards de dollars au début de la pandémie pour la dernière phase de développement des vaccins.
Nous ne disposions pas d'outil, national ou européen, comparable : il nous en faut un pour anticiper la crise d'après la covid-19, sachant que nous aurons également besoin à court terme de ces investissements européens pour l'adaptation aux variants ou pour d'éventuels rappels vaccinaux.
Mme Marietta Karamanli m'a interrogé sur l'objectif de 70 % de la population adulte vaccinée à la fin de l'été – qui me semble tenable même si c'est désormais une question de mobilisation collective et plus d'approvisionnement industriel – ainsi que sur les écarts européens de taux de vaccination, qui sont réels.
Tout oppose en effet de ce point de vue Malte, petit pays à la population limitée qui a bénéficié de la solidarité européenne et qui a été très efficace dans le déploiement de sa campagne vaccinale, et la Bulgarie, dont la campagne vaccinale connaît un problème très spécifique que je ne sais pas expliquer dans la mesure où elle a bénéficié des mêmes livraisons, proportionnellement à sa population, que tout le monde.
Au total, le taux moyen de la plupart des États membres est assez proche, à deux ou trois points près : c'est tant mieux, car au-delà des cas exceptionnels, sans la solidarité européenne les écarts seraient sans doute de un à cent, ce qui poserait évidemment problème tant en termes de solidarité européenne que d'image de l'Europe et de sécurité sanitaire pour nous tous.
Même si l'on peut mieux faire, tous les États membres ont reçu proportionnellement à leur population les mêmes doses de vaccin au même moment, avec les mêmes consignes de l'EMA. Nous avons donc sur ce point bien harmonisé les choses au niveau européen.
Comment faire pour mobiliser autour de la conférence sur l'avenir de l'Europe, qui est un pari puisque c'est la première fois que l'on mène un exercice d'une telle ampleur ? Nous devons tous essayer, après la crise, de provoquer un intérêt pour la réforme de l'Europe chez nos concitoyens : il peut être réussi si on arrive à se mobiliser. Une plate-forme européenne fonctionne depuis deux mois, même si le nombre de contributions, de l'ordre de 20 000, est objectivement quelque peu insuffisant.
La France a lancé au mois de mai une plate-forme nationale avec l'entreprise Make.org, qui a pour mission contractuelle, en démarchant notamment sur les réseaux sociaux, de toucher environ 50 000 jeunes afin de recueillir leur avis sur les grandes priorités de réforme européenne. Elle marche très bien, puisqu'elle a touché plus de jeunes de moins de 30 ans que la plate-forme européenne au sein de toute l'Union. Je rendrai compte devant la commission, d'ici la fin de l'été, de cet objectif que nous aurons alors, je crois, atteint.
Nous tirerons également au sort, au travers d'un protocole organisé et confié à un prestataire spécialisé, avec des garants chargés d'en vérifier la solidité et la robustesse méthodologique, dans chacune des régions, y compris dans les Outre-mer, cinquante citoyens, représentatifs en termes d'âge, de genre et de catégorie socioprofessionnelle.
Ils se réuniront pendant le dernier week-end de septembre en vue d'émettre un certain nombre de priorités, de critiques et de propositions que nous intégrerons dans le programme de la présidence française de l'Union européenne et dans la contribution française centrale – qui pourrait sans doute être complétée par celle de votre assemblée et probablement par celle du Sénat – que le Gouvernement transmettra sans filtre à la conférence sur l'avenir de l'Europe.
Ces initiatives multiples nous permettront d'essayer d'intéresser et de rassembler sur ce sujet.
Monsieur le député Didier Quentin, nous avons en effet pris l'initiative avec l'Allemagne d'essayer de réengager l'Union européenne sur la Russie. Il s'agit également d'un pari, car si nous n'avons pas de recette magique, notre conviction est qu'il nous fallait essayer d'ajuster la stratégie européenne, qui ne fonctionne pas : des sanctions renouvelées de manière un peu automatiques mais impossibles à supprimer ou à durcir parce que l'on n'ose pas, sans canal de dialogue politique, alors même que nous en disposons paradoxalement avec d'autres États qui posent des problèmes, comme la Chine. Il faut le faire avec prudence, dans le dialogue.
Le rapport du Haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, est fondé sur un triptyque, que nous soutenons : riposter, quand c'est nécessaire et comme nous l'avons fait dans le cas biélorusse lors du détournement de l'avion ; contraindre, parce que nous devons dans la durée être capables d'exercer une pression politique et économique sur la Russie – notamment au moyen de sanctions – ; et dialoguer, car on manque aujourd'hui d'un outil européen pour le faire.
En effet, ne pas discuter des crises régionales, de l'Ukraine, de ce qui se passe en Libye ou des rapports avec la Turquie serait une erreur et amoindrirait notre capacité d'action.
La proposition franco-allemande vise justement sur ce point à essayer, sans être naïf, de trouver des points d'appui, car nous en avons très peu dans la société russe aujourd'hui : l'Europe n'a pas su nouer des contacts avec la société civile, avec des universitaires ni avec des responsables politiques différents de ceux du gouvernement ou soutenir un certain nombre d'ONG.
Nous disposons paradoxalement de moins de relais au sein de cette société qu'au temps de la guerre froide ! L'idée est donc d'amorcer ce réengagement sélectif, ferme et collectif, car il n'y a pas aujourd'hui de stratégie commune européenne à l'égard de la Russie, mais seulement des éléments d'un dialogue germano-russe ou d'une discussion franco-russe.
Oui, je pense franchement que nous sommes moins seuls au Sahel. Après la décision roumaine, dix pays, dont la France, font partie de la Task Force Takuba, dont certains pour lesquels – en raison de leur tradition politique et de leur géographie – cela n'avait rien d'évident. Que la République tchèque, la Roumanie ou l'Estonie – qui a été un des premiers pays à nous y soutenir et qui compte cent membres des forces spéciales engagés dans des opérations difficiles, dans lesquelles ils risquent leur vie – s'engagent au Sahel n'a rien de naturel compte tenu de leur éloignement du théâtre sahélien.
Les Estoniens en particulier ont pris conscience que leur sécurité, au-delà de la menace russe qui pèse sur eux – la France les soutient, d'ailleurs, puisque des soldats français sont alternativement présents en Estonie et en Lituanie dans le cadre d'une mission de l'OTAN –, se joue également sur le théâtre malien. Tous ces pays ont des intérêts de sécurité au titre de l'Europe et de la lutte contre le terrorisme au Sahel.
Si une telle prise de conscience, qui prend nécessairement du temps, est plus récente et plus difficile chez nos partenaires que chez nous, elle progresse réellement, ce qui explique également que le Président de la République ait voulu évoquer le Sahel lors de ce Conseil européen : la contrepartie de l'engagement que nous demandons est aussi, bien sûr, d'informer tant sur nos intentions que sur notre analyse de la situation et sur notre propre engagement.
S'agissant de nos relations avec la Turquie, nous ne sommes pas dans une logique d'apaisement qui serait également dictée par une forme de naïveté : j'ignore si elles sont à un point bas, mais elles sont difficiles. Il est vrai qu'au cours de l'année 2020, l'Europe a ouvert les yeux sur sa stratégie qui n'est pas que passagère mais complète, et sans doute durable, d'affirmation – et parfois de provocation – en Méditerranée orientale et dans les grandes crises régionales, comme on l'a vu dans le conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, visant à tester la fermeté européenne et à jouer de notre dépendance à son égard.
Il faut faire les choses progressivement : oui, la pression que nous avons exercée a conduit à des gestes de désescalade de la part de Turquie, comme en Méditerranée orientale, ce qui ne signifie pas qu'ils sont définitifs et que nous les prenons pour argent comptant. Un réengagement est en cours avec la Grèce, ce dont je me félicite : une discussion – signe qui ne met pas fin, à l'évidence, aux tensions entre les deux pays – a eu lieu entre le Premier ministre grec et le président Erdoğan en marge du sommet de l'OTAN.
De la même façon, même si elles sont loin d'avoir abouti, les discussions ont repris sur Chypre et un dialogue s'installe. Nous devons en tenir compte en ne désamorçant pas notre capacité de réaction et quand c'est nécessaire de sanction – nous avons agi dans ce sens à deux reprises en 2019. Tel est l'équilibre que nous avons décrit de manière claire à l'attention de la Turquie depuis le Conseil européen de décembre : c'est à elle de faire le choix de la coopération ou de l'escalade.
Si nous préférons évidemment la désescalade, nous sommes prêts à réagir dans les deux cas, c'est-à-dire à émettre quelques signaux positifs proportionnés quand l'apaisement est choisi et à réagir ou à sanctionner si l'escalade est de nouveau retenue comme stratégie par les Turcs.
L'accord avec la Turquie qui existe depuis 2016, c'est-à-dire avant notre arrivée aux responsabilités, sur la question des réfugiés est imparfait puisqu'il organise ou prend acte de notre dépendance à son égard. Si je préférerais ne pas nous voir soumis à la pression migratoire organisée par la Turquie, c'est aujourd'hui, et sans doute encore pour les mois – voire pour les années – qui viennent, un fait : elle héberge sur son sol et prend en charge quatre millions de réfugiés, auxquels nous devons apporter un soutien humanitaire élémentaire, notamment en matière d'éducation, ce qui va dans le sens de notre intérêt de sécurité et de notre intérêt global d'Européens.
C'est à ce titre, et à ce titre seulement, que nous avons prolongé notre engagement financier auprès de la Turquie qui est conditionné au fait que cet argent soit utilisé au bénéfice des réfugiés.
Monsieur Quentin, il me semble que vous avez fait référence, s'agissant des travailleurs hautement qualifiés, à un sujet européen qui fait l'objet de discussions récurrentes : ce que l'on appelle, sans référence monétaire aucune, la carte bleue européenne, qui détermine les conditions d'entrée et de séjour s'agissant des emplois qualifiés dans l'Union européenne. Après certaines remarques techniques et des discussions assez longues, la France a apporté son soutien à cet accord, avec une ligne rouge : préserver les importants dispositifs nationaux.
Je pense au « passeport talent » que nous avons mis en place il y a cinq ans : il ne s'agit donc pas d'écraser de tels dispositifs d'attractivité qui font leurs preuves au profit de la carte bleue européenne. Nous conservons donc notre capacité d'appréciation nationale sur l'arrivée sur notre territoire de personnes qualifiées, car nous avons un bon équilibre. Faut-il plus largement une politique européenne d'attractivité vis-à-vis des travailleurs qualifiés ? Je le crois, mais il ne faut pas lâcher la proie pour l'ombre.
Tout européen que je suis, je suis pragmatique sur ce sujet : une telle politique doit, comme celles de nos grands concurrents internationaux, être efficace : il ne s'agit pas de casser le bon outil qu'est le « passeport talent » tant qu'une politique européenne n'est pas pleinement attractive en la matière. Que l'on ait s'agissant de la « French Tech » un régime impatrié dont on dispose déjà pour les hauts cadres internationaux, notamment lorsqu'il s'agit de créer sa start-up, qui soit progressivement européanisé, mais dans le sens des dispositifs qui marchent le mieux aujourd'hui, cela irait dans le sens de notre intérêt collectif. Nous avons donc encore un peu de travail sur ce sujet.
Les couloirs de migration, c'est-à-dire les voies légales de prise en charge directe de personnes ayant droit à l'asile, nécessitent une protection internationale. C'est utile, et nous le faisons déjà dans des cas ciblés, notamment avec Sant'Egidio, l'association italienne qui organise cela de manière très professionnelle et très protectrice ; à ma connaissance, l'Italie le fait aussi. Cette initiative, dont on peut envisager l'extension, concerne quelques centaines de personnes, venant notamment de Syrie. C'est mieux pour elles car cela leur évite de tenter des voies de migration illégales et de risquer leur vie, alors qu'elles ont d'évidence un droit à la protection internationale. Pour nous, c'est aussi plus rapide, plus efficace et donc, in fine, plus protecteur. Nous respectons ainsi notre devoir en matière d'asile ; je n'ai aucun doute là-dessus.
Ne soyons pas naïfs : la question de l'immigration économique se posera cet été pour le sauvetage de personnes sur les bateaux en Méditerranée, le plus souvent entre la Libye et l'Italie. Nous devons rappeler l'équilibre que nous avons trouvé en 2018 : la protection du droit maritime, avec le principe du débarquement dans le port sûr le plus proche, et une prise en charge collective. L'Italie a en effet raison de nous dire que si son devoir est de sauver, elle ne peut pas prendre à sa charge toutes les personnes qui arrivent ainsi en Europe. Peu de personnes, en réalité, arrivent par ce canal, à savoir sur des bateaux sauvés en Méditerranée. Cela représente quelques milliers de personnes au maximum depuis 2018 ; ce n'est donc pas l'essentiel du phénomène migratoire, loin de là. Nous devons trouver, avec l'Italie et l'Allemagne en particulier, une solution de répartition de la prise en charge pour cet été ; nous y travaillons avec Gérald Darmanin.
Sur un plan plus structurel, nous devons arriver à une politique européenne d'asile et de migration. Le pacte sur la migration et l'asile proposé par la Commission européenne est un bon équilibre entre solidarité et responsabilité : il permettrait de mieux protéger nos frontières, de lutter davantage contre l'immigration illégale et de faire preuve de solidarité dans la prise en charge des personnes qui ont droit à l'asile au sein de l'Union européenne. Mais j'ai peu d'espoir que ce pacte soit adopté, parce qu'il est très compliqué – il regroupe plus de huit textes – et extrêmement sensible pour des raisons de posture politique de certains pays. Nous devons d'ores et déjà réfléchir, notamment en vue de la présidence française de l'Union européenne, à des solutions plus ciblées en matière de solidarité et de responsabilité. Nous devons être plus créatifs dans ce domaine.
Faut-il mettre la Russie autour de la table concernant le sujet migratoire ? Je vais être très honnête : à court terme, je ne le crois pas. Bien sûr, des discussions doivent être menées avec la Russie dans la définition de notre relation avec la Turquie. Toutefois, je vous le dis tel que je le ressens, je ne nous vois pas trouver une solution au problème migratoire en invitant la Russie dans la discussion. Je n'y suis pas hostile par principe, mais je ne pense pas que cela soit de nature à faciliter les choses.
Nous avons besoin, dans un certain nombre de cas, de migration légale, organisée, par exemple concernant les personnes hautement qualifiées. Le phénomène migratoire européen actuel est très différent de celui que nous avons connu en 2015 et 2016 : alors que, il y a six ans, les flux étaient majoritairement constitués de personnes éligibles à l'asile, l'immigration est désormais économique, parfois à plus de 90 % pour certains pays. Je ne voudrais pas que, parce que nous avons besoin de travailler avec les pays de transit en matière d'immigration économique – il faut l'assumer –, nous remettions en cause le droit d'asile. Si je me suis montré ferme sur la position prise par le Danemark, qui entretient la confusion, c'est d'abord pour des raisons humanitaires : le droit d'asile, qui ne représente qu'une petite partie des flux migratoires, est l'honneur de nos pays. On ne va pas l'affaiblir ou le casser alors qu'il vient en aide à des gens qui subissent des persécutions politiques, religieuses, en raison de leur orientation sexuelle ou de leurs opinions. L'asile, loin de provoquer une déferlante migratoire, est en réalité très limité. On ne va pas non plus être démagogue au point de faire croire que la conclusion d'un accord avec des pays africains – et bon courage pour en conclure plus d'un ! – visant à renvoyer les migrants dans des pays qui sont parfois encore plus en difficulté que le pays de départ, permettra de résoudre le problème. Ce n'est pas en alourdissant le fardeau de l'Afrique que l'on va tarir le phénomène migratoire. Non seulement la réforme danoise pose des problèmes juridiques et humanitaires, mais elle est de plus inefficace. Ne mêlons pas migration économique et asile.
S'agissant des pays de transit, nous retravaillerons sur ce sujet à l'automne avec les pays des Balkans occidentaux, qui le sont de fait. Le chancelier autrichien a eu de longues discussions avec ces pays pour essayer de trouver avec eux, le cas échéant par un soutien financier, des mécanismes d'incitation pour qu'ils ne deviennent pas des pays de passage « ouverts ». Le but est d'éviter de se retrouver avec des phénomènes migratoires très importants à la frontière autrichienne ou allemande. Notre intérêt est donc de traiter avec les pays des Balkans occidentaux et d'y renforcer notre implantation afin de lutter contre l'immigration illégale.
Concernant la fiscalité internationale, je suis optimiste sur la possibilité d'un accord. Il y aura une discussion au G20, les 9 et 10 juillet, et à l'OCDE. Nous aurons plus de 130 pays à convaincre mais l'impulsion donnée par le G7 et demain, je l'espère, par le G20 sera très importante et créera une très forte pression politique au sein de l'Union européenne. Il faudra ensuite se montrer constructif, créatif et rapide pour que l'Union européenne traduise cet accord en législation. Nous aurons besoin d'un règlement ou d'une directive européenne que nous intégrerons ensuite dans le droit français. Nous allons devoir adapter nos projets pour que la taxation numérique européenne traduise le nouvel accord international trouvé au G7. Celui-ci porte sur les GAFA et sur les grandes entreprises numériques – c'est là que le cœur de l'injustice fiscale se trouve –, mais il va également plus loin en promouvant la juste taxation des multinationales. Nous devrons donc, dans les prochains mois, traduire dans les règles européennes cette juste taxation, au-delà du seul secteur numérique, en espérant l'aboutissement sous la présidence française de l'Union européenne.
La politique menée à l'égard de la Turquie n'est pas plus incitative : l'approche que défend la France, c'est une politique spécifique de soutien des réfugiés et de leur prise en charge sur le sol turc. Ce n'est pas une récompense donnée à la Turquie pour quelques signes d'apaisement qui, bien que réels, ne sont pas suffisants pour parler d'une nouvelle phase dans les relations avec ce pays. Nous assumons cet engagement malgré des épisodes extrêmement difficiles avec le président Erdoğan, mais nous faisons cela avec notre besace remplie de mesures. S'il y a demain une nouvelle escalade turque, nous serons prêts à réagir. Le Conseil européen du mois de décembre 2020 a défini cette approche à l'unanimité : ouverture et dialogue s'il y a désescalade, réaction et sanctions en cas de nouvelles provocations en Méditerranée orientale, en soutien à l'Azerbaïdjan ou sur d'autres théâtres d'intervention ou d'opérations.
La stratégie vaccinale de la Chine et de la Russie, c'est « plus de bruit que de doses », en particulier en Afrique. Nous devons nous interroger, en tant qu'Européens, car nous souffrons parfois d'un manque de visibilité de notre action. Nous sommes le premier exportateur et le premier donateur de doses au monde, devant même des alliés Ô combien développés comme les États-Unis. L'Union européenne exporte près de la moitié de la production réalisée sur son territoire, soit plus de 300 millions de doses, dont certaines sont données. Nous sommes encore à ce jour – j'espère que les États-Unis nous rattraperont – les premiers donateurs au mécanisme international COVAX – plus de 100 pays ont reçu 90 millions de doses dans ce cadre. La Chine n'exporte qu'un quart des doses produites et, plus intéressant encore, la Russie n'a livré que 2 % des doses promises – données ou le plus souvent vendues – aux autres pays, soit moins de 20 millions sur les 800 millions promis. Je ne considère donc pas que le vaccin russe permettra de sauver le monde. Il sera peut-être autorisé un jour, sur des critères purement scientifiques. Si la géopolitique n'intervient pas dans l'autorisation des vaccins, elle joue dans la communication. Or, la réalité, c'est que le vaccin russe est très peu produit, très peu livré. Deux pays européens l'ont utilisé : la Hongrie, de façon assez significative, et la Slovaquie, qui a signé un contrat de deux millions de doses avec la Russie mais qui n'en a reçu que moins de 200 000. Même les engagements pris ne sont pas honorés. L'Union européenne agit plus qu'elle ne parle : c'est sans doute une qualité mais, dans le grand choc des puissances mondiales, nous devrions parfois parler davantage de ce que nous faisons.