Intervention de Christian Lequesne

Réunion du mercredi 6 octobre 2021 à 15h30
Commission des affaires européennes

Christian Lequesne, président du groupe de travail sur la Francophonie et le multilinguisme au sein des institutions européennes :

Bien des points que vous évoquez convergent avec le rapport que je remettrai aux deux secrétaires d'État des affaires européennes et de la francophonie le 20 octobre prochain. Je voudrais saluer votre initiative, dans le cadre de la préparation de la présidence française. Il y a eu une volonté de faire appel à une expertise extérieure de la société. Cette démarche pourrait être développée davantage dans notre pays.

Le rapport que notre groupe présentera comporte vingt-six recommandations opérationnelles. Avant de vous exposer les points importants, je dois souligner que vous avez mentionné des points qui nous semblent essentiels. Je pense par exemple au lien entre la diversité linguistique et la citoyenneté. N'oublions pas que la diversité linguistique fait partie de la citoyenneté européenne. Dès lors, dans un monde où nous avons cette coupure entre les élites et le peuple, exploitée politiquement, il ne faut pas oublier que la diversité linguistique a une signification pour les peuples.

De la même manière, vous avez dit qu'il ne fallait pas remplacer un monolinguisme par un autre. Notre groupe partage cette approche. La promotion du français passe par la promotion de la diversité linguistique. Le travail d'auditions et entretiens que j'ai mené montre que cette préoccupation de la diversité linguistique est réelle chez nos voisins espagnols, italiens mais aussi polonais.

J'ai récemment eu l'occasion d'assister à un colloque en Allemagne sur les langues romanistiques, j'en retiens un grand questionnement sur la diversité linguistique et des inquiétudes sur la baisse de l'enseignement de ces langues. Nous trouvons l'équivalent en France avec la diminution de l'enseignement de l'allemand.

Concernant nos recommandations, elles se divisent en deux groupes. D'un côté, celles qui évoquent un renouveau du multilinguisme dans l'Union européenne et de l'autre, des recommandations pour améliorer l'environnement multilingue au niveau européen.

Le premier groupe de recommandations relève de nombreux points que vous avez mis en avant. Nous pensons qu'il ne faut pas réviser le règlement 1/58 : il garantit le multilinguisme. La pratique déroge au droit dans les faits. En outre, une révision suppose l'unanimité, ce qui complique sa mise en œuvre. Nous demandons à ce que la Commission européenne commence par produire un rapport annuel sur la pratique du multilinguisme, cela nous permettrait d'avoir des éléments quantifiés car nous manquons de données. Nous sommes d'accord avec la systématisation de l'interprétation d'autant que des équipes performantes de traducteurs sont installées à Bruxelles. Nous constatons aussi une baisse des budgets. Certains États membres ne sont pas favorables à la relance du multilinguisme pour éviter une hausse du budget.

Aujourd'hui plus de 85 % des documents produits par les institutions européennes sont en anglais, nous pourrions envisager une limite de 50 %. Nous proposons de systématiser une troisième langue au concours européen. J'ai bien noté les difficultés que vous évoquez pour les Français dans le cadre des concours européens. Nous ne sommes pas les seuls à rencontrer des difficultés : la Tchéquie par exemple a soulevé les mêmes interrogations concernant les concours, qui sont en outre extrêmement sélectifs.

La Cour de justice, de son côté, reste fidèle à la langue française mais de grands débats existent sur le bilinguisme pour la langue de délibéré. Ma crainte est que l'anglais finisse par s'imposer. Les juges que nous avons auditionnés demandent des formations renforcées sur le français juridique. À mon sens, les universités françaises pourraient le fournir.

Enfin, il y a un vrai enjeu à mieux exploiter le potentiel de l'intelligence artificielle. Elle pourrait faciliter l'information des citoyens dans leur langue lorsqu'ils se rendent sur les sites internet des institutions européens. Un outil existe déjà, nommé e-translation, nous portons une réflexion pour améliorer sa performance. Les start-up européennes pourraient par exemple y contribuer.

La deuxième partie, sur l'environnement multilingue, peut être résumée en trois points. Le premier consiste à promouvoir la recommandation du Conseil des ministres de l'éducation sur l'apprentissage obligatoire de deux langues vivantes durant la scolarité, en plus de la langue maternelle. Actuellement, seulement 11 États sur 27 en ont fait une obligation. Par ailleurs, il faut concrétiser les engagements de soutien à la langue partenaire prévus par le traité sur la coopération et l'intégration franco-allemandes d'Aix-la-Chapelle. Enfin, il nous paraît très important de réaffirmer l'importance, pour les États membres, d'investir dans l'apprentissage des langues étrangères dès la petite enfance. Citons notamment le « Plan français » lancé en Sarre par Mme Kramp-Karrenbauer, qui consiste à introduire l'apprentissage du français en jardin d'enfants.

Pour terminer, nous pourrions faire des efforts particuliers dans les zones frontalières. Aujourd'hui, il n'y a plus que 25 % des élèves du Bade-Wurtemberg qui apprennent le français, tandis que l'apprentissage de l'allemand diminue drastiquement en Alsace et en Moselle malgré la proximité du marché du travail allemand.

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