Ma proposition de résolution européenne a débuté sur un fait curieux : après le Brexit, l'Union européenne utilisait la langue anglaise alors que parmi les 24 langues officielles, plus aucun pays n'avait l'anglais comme seule langue officielle. En ce qui concerne Malte et l'Irlande, il faut préciser que l'anglais n'est pas la seule langue officielle car le maltais et l'irlandais sont également des langues officielles. Ces pays avaient la possibilité de garder l'une de leurs deux langues sans passer par l'anglais. Les auditions réalisées nous ont conduits à évoluer sur notre position car la proposition de faire du français la seule langue officielle était un « produit d'appel ». Un appauvrissement culturel majeur est en train de se produire parce que la langue est une richesse. Je l'ai vu en tant qu'auditeur au sein de l'Organisation des Nations unies. J'ai constaté comment au nom de l'efficacité nous avions sacrifié le multilinguisme. Cela a débouché sur une Direction de l'interprétariat et de la traduction composée uniquement de traducteurs ayant l'anglais pour langue maternelle. De ce fait, une institution qui parle au monde, produisait des rapports sur les violences faites aux femmes publiés uniquement en anglais.
La diversité linguistique est une complexité. La simplification au nom de l'utilité conduit à une Conférence sur l'avenir de l'Europe ouverte à tous les citoyens mais qui est un appauvrissement car elle leur parle dans une langue qui n'est pas forcément compréhensible pour eux. Il s'agit également d'un problème d'identité européenne car l'identité de l'Union européenne comprend le multilinguisme. De plus, l'anglais utilisé dans les institutions européennes n'est pas l'anglais utilisé en Grande-Bretagne. C'est le langage de la mondialisation et la raison pour laquelle les étudiants n'apprennent pas le français ou l'allemand, c'est peut-être parce que la jeune génération rêve davantage de Tokyo, de Brasilia ou de New-York que de Berlin, de Barcelone ou de Paris. L'horizon a changé avec la nouvelle génération et nous avons besoin que la nécessité de langue coïncide avec le besoin d'Europe. La langue est également un véhicule de culture et de pensée, de droit et de concept. Je me souviens d'un mot qui était utilisé aux Nations Unies et que je n'ai pas pu traduire, gender mainstreaming. Dans le dictionnaire publié par les Nations Unies dans toutes les langues, le gender mainstreaming signifie « politique sexo-spécifique », ce qui en français ne veut rien dire. Le problème est qu'un concept intellectuel et politique, pensé dans une langue, ne résonne pas dans le milieu culturel de ces voisins. Nous avons le même problème au sein de l'Union européenne avec le service public. Ce concept traduit dans les autres langues ne donne pas exactement la même chose.
Pour ces raisons, la France ne doit pas hésiter à oser son langage. En effet, il y a trop souvent une forme de défaitisme intériorisé des Français qui ne sont pas forcément les premiers à défendre leur langue. Ce sont plutôt des Belges, des Luxembourgeois, des Allemands ou des Grecs qui nous rappellent que notre langue est belle et qu'elle mérite d'être défendue. La langue est aussi le reflet d'un rapport de force et de sa propre influence car c'est un véhicule de puissance.