Pourquoi donc les députés communistes et les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine ont-ils inscrit à l'ordre du jour de leur niche du 2 décembre une proposition de résolution européenne relative au financement de la transition écologique ? Leur initiative découle de deux constats très largement partagés : d'une part, la réussite de la transition écologique nécessite des investissements publics massifs ; d'autre part, les règles budgétaires européennes actuelles sont incompatibles avec cet effort, a fortiori avec les niveaux de dette publique atteints par certains États membres à la suite de la pandémie.
Les médiocres résultats des négociations de la COP26 de Glasgow ont, une nouvelle fois, démontré combien la question financière et celle des moyens des États sont déterminantes pour concrétiser les engagements de lutte contre le changement climatique. Au niveau européen, la loi européenne sur le climat, le paquet climat « Paré pour 55 » – ou « Fit for 55 » – et l'accent mis sur le contenu vert du plan de relance européen placent cette question du financement au cœur du défi écologique.
Parallèlement, pour permettre aux États membres de prendre toutes les mesures nécessaires à la lutte contre la pandémie et au soutien de l'économie, l'Union européenne (UE) a activé la clause dérogatoire générale du pacte de stabilité et de croissance, ce qui a conduit de fait à suspendre l'exigence de respecter les critères de 3 % du PIB de déficit et de 60 % du PIB de dette.
Il est prévu que cette parenthèse soit refermée au 1er janvier 2023, ce qui oblige à se poser la question du contenu des règles qui seront établies à cette date. La Commission européenne a engagé une consultation pour réformer le pacte de stabilité et semble se montrer disposée à des modifications substantielles de sa ligne politique, financière et monétaire. Nous pensons que nous avons à nous saisir de cette opportunité pour réussir le défi de la transformation écologique de nos sociétés. Nous devons profiter de ces « bougers » pour changer les règles européennes qui ont causé tant de dégâts depuis leur entrée en vigueur.
Enfin, dans quelques semaines, notre pays prendra la présidence du Conseil de l'Union européenne. Cette présidence doit être utile pour faire avancer certains dossiers prioritaires, parmi lesquels doit figurer l'impératif écologique et climatique. Cette fenêtre d'opportunité doit inciter notre assemblée à se prononcer clairement sur l'enjeu fondamental des leviers financiers dont doivent pouvoir disposer les États membres pour répondre aux grands défis écologiques de notre siècle.
Commençons donc, chers collègues, par l'estimation des besoins.
Bien des chiffres circulent sur le niveau d'investissement nécessaire pour réussir notre transformation écologique. « La prévision est difficile surtout lorsqu'elle concerne l'avenir », disait Pierre Dac. Elle l'est d'autant plus lorsque l'on parle d'une échéance de plusieurs décennies et que les montants avancés ne portent pas toujours sur le même périmètre. En matière climatique, certaines estimations ne se concentrent que sur les mesures d'atténuation du réchauffement. D'autres incluent également les mesures d'adaptation aux conséquences déjà irréversibles : montée des eaux, baisse des rendements agricoles, impact sanitaire ou sur l'aménagement du territoire.
Les experts sont toutefois unanimes pour constater que les investissements nécessaires sont gigantesques. La Cour des comptes européenne a évoqué un montant de 1 000 milliards d'euros d'investissements par an, publics et privés, sur la période allant de 2021 à 2050, pour atteindre la neutralité carbone dans l'Union européenne. La Commission, quant à elle, a récemment évalué à 520 milliards d'euros par an les besoins d'investissements annuels supplémentaires, sans tenir compte des besoins futurs en matière d'adaptation au changement climatique.
Une partie de ces investissements devra être réalisée par le secteur privé, surtout si ce dernier est incité à les faire par une tarification du carbone, une fiscalité spécifique et des contraintes réglementaires strictes. Cela ne vous étonnera pas si je vous dis que l'on ne peut pas s'en remette uniquement à la main invisible du marché. À ma grande satisfaction, cette analyse est de plus en plus largement partagée par les économistes, voire par les institutions européennes. Les limites du marché, l'absence de prise en compte réelle des impacts environnementaux par la sphère financière, la pression permanente des actionnaires pour la rentabilité à court terme, l'absence de rentabilité de certains investissements indispensables ne permettent pas de se reposer sur le seul investissement privé. Aussi l'investissement public jouera-t-il un rôle essentiel.
À cet égard, dans une note transmise au ministre des finances pour le conseil ECOFIN de septembre, l'institut Bruegel, dont on peut difficilement taxer les membres de dangereux communistes, a estimé que les investissements publics devraient, dans le meilleur des cas, être accrus de 100 milliards d'euros par an dans l'Union européenne – dans le meilleur des cas, c'est-à-dire si la rentabilité des investissements privés augmente.
À très court terme, la clause dérogatoire générale du pacte et le plan de relance européen permettent d'augmenter substantiellement les investissements publics. Mes chers collègues, il faut préparer l'avenir, c'est-à-dire la fin de la clause dérogatoire générale en 2023 et la fin du plan de relance en 2026. Il est impératif que les États européens puissent continuer à investir après 2026. Nous n'avons pas le choix : ces investissements, il faudra les faire, quel que soit leur coût, car ce dernier sera toujours bien moins élevé que celui de l'inaction, ce que personne ne conteste.
J'en viens au problème posé par le pacte de stabilité, problème qui doit vraisemblablement vous faire frémir. Selon les dernières prévisions de la Commission européenne, en 2023, date envisagée pour la levée de la clause dérogatoire générale, une dizaine de pays devraient encore avoir un déficit supérieur à 3 % du PIB et la moitié devraient dépasser le plafond de 60 % de la dette, dont six avec une dette supérieure à 100 % du PIB. L'application stricte des règles du pacte de stabilité imposerait que les États dont la dette dépasse 60 % réduisent l'écart d'au moins un vingtième par an. Ce serait à l'évidence impensable pour les pays les plus endettés. J'ose espérer que les leçons des cures d'austérité mortifères qui ont suivi la crise de 2008 ont été tirées, y compris par vous-mêmes, chers collègues… mais je n'en doute pas !
Le niveau de la dette publique ne doit pas se transformer en fétichisme politique, alors même que la soutenabilité de la dette ne dépend pas de son niveau mais de la capacité de l'État à assumer sa charge. Le poids de la charge de la dette dans le PIB n'a cessé de diminuer depuis le début du siècle, tandis que le niveau de la dette augmentait considérablement. Nous voyons bien aujourd'hui combien la problématique de la dette publique et de son niveau dépend directement des politiques monétaires et de crédit, conduites au plan européen. Le rapport d'information provisoire sur l'avenir des dettes publiques, présenté tout récemment par les sénateurs Éric Bocquet et Sylvie Vermeillet, réaffirme combien nous devons faire de la dette une question politique et sortir d'une vision technique et réglementaire. J'ajouterai : sortir d'une vision fétichiste.
En outre, l'expérience des précédentes périodes d'austérité budgétaire montre que dès que l'on diminue les dépenses d'investissement à court terme, on réduit directement la création des richesses à plus long terme et, par conséquent, la soutenabilité même de la dette. Nous le savons, une réforme d'ensemble du pacte de stabilité est indispensable. C'est une bataille difficile ; huit ministres des finances européens ont déjà publié une lettre commune pour réclamer le rétablissement des règles budgétaires en 2023. Je pense que Caroline Janvier nous exposera un panorama complet des pistes possibles lorsqu'elle nous présentera son rapport sur la révision des règles budgétaires.
Je reviens donc au cœur de notre proposition de résolution européenne. Elle consiste à exclure du calcul du déficit public pour l'application des règles budgétaires européennes les dépenses d'investissement dans la transition écologique. Je précise « seulement les dépenses d'investissement dans la transition écologique », parce que nous sommes bien conscients de la difficulté d'aboutir à un accord au niveau européen, mais aussi au sein de notre assemblée, voire au sein même de notre commission. Nous nous sommes donc limités à la proposition qui nous paraît la plus susceptible de faire consensus – d'abord parce qu'il s'agit d'une adaptation limitée des règles budgétaires, ensuite parce que la nécessité d'investissements lourds dans la transition écologique est reconnue par tous et que certains États membres particulièrement attachés à la discipline budgétaire sont également très sensibles aux questions environnementales.
Il s'agit d'investir dans l'avenir. Je ne prétends pas que la mise en œuvre de cette exception soit très simple, mais que la difficulté n'est pas insurmontable. Le plan de relance nous a montré qu'il était possible de se mettre d'accord assez rapidement sur un dispositif de financement des investissements verts et numériques. Aujourd'hui, les Européens sont tout aussi capables de définir collectivement ce qui relève des investissements en faveur de la transition écologique.
Je soutiens, pour ma part, qu'il faut impérativement intégrer dans cette définition les investissements qui concourent le plus efficacement à faire baisser nos consommations énergétiques et nos émissions de CO2. Je pense en particulier au levier déterminant de la rénovation thermique des logements et bâtiments publics pour atteindre, dans les faits et pas seulement dans des paroles, le rythme de rénovation compatible avec nos propres engagements pour le climat. Je pense également à l'ensemble des investissements en faveur des infrastructures de transport ferroviaire, de transport public urbain ou des mobilités douces, secteurs qui souffrent si cruellement d'une insuffisance de moyens publics disponibles alors même que les besoins et les attentes des citoyens et des acteurs de la mobilité dans les territoires sont immenses.
Nous ne sortons pas cette proposition de notre chapeau. Elle a été émise par de nombreux économistes et acteurs de la société civile, en France comme en Europe. Elle a même été discutée par les ministres des finances. De nombreux intellectuels, experts et scientifiques engagés pour la transition énergétique et climatique, en France comme en Europe, placent cette exigence au cœur de leurs propositions dans le débat public. C'est pour que notre assemblée insiste sur la nécessité de prendre ce sujet à bras-le-corps que je vous invite à voter cette proposition de résolution européenne.