Chers collègues, il y a un peu plus d'un an, la Commission présentait son Pacte sur la migration et l'asile. Aujourd'hui, nous constatons à quel point une réforme en profondeur de notre politique migratoire européenne est essentielle. Nous avons tous ici été meurtris et indignés du naufrage récent du bateau dans la manche transportant vingt-sept femmes, hommes et enfants qui aspiraient simplement à une autre vie. Nous sommes également préoccupés par la tentative de déstabilisation à laquelle nous assistons aux frontières extérieures de l'Union européenne de la part du dictateur biélorusse Alexandre Loukachenko. Ce dernier cherche manifestement à diviser l'Europe en instrumentalisant la misère de personnes qui se battent pour une vie meilleure. Nous savons tous ici que l'instabilité croissante du voisinage immédiat de l'Union nous expose à des mouvements migratoires de grande ampleur, comme nous l'ont déjà prouvé les crises des réfugiés de la décennie passée.
Nous sommes dans un contexte international de grandes mutations, la situation en Afghanistan nous l'a montré. Cela exige de la part des Européens une réponse commune et harmonisée. Disons-le clairement, sans une politique d'asile et de migration, c'est tout l'édifice de la libre circulation au sein de l'espace Schengen qui est menacé. Sans une telle politique, nous resterons en tant qu'européens à la merci des autocrates de ce monde, à l'image de Poutine, Erdoğann ou Loukachenko. Si nous souhaitons demeurer ce continent des valeurs humanistes et respectueuses des droits de l'homme, si nous voulons être fermes par rapport à ceux qui exploitent la misère, alors il faut construire notre politique migratoire commune. Or, l'expérience nous le montre, le cadre actuel n'est plus adapté et le statut quo n'est plus tenable.
C'est ce à quoi le pacte asile et migration de la Commission tente de répondre. Il repose sur trois piliers. Des contrôles aux frontières mieux organisés et plus poussés, davantage de coopération avec les pays d'origine et le mécanisme de solidarité intra-européenne sur la question des flux migratoires. Face à cette dernière proposition, les positions des États membre divergent. Cette inaction résulte de ce qui s'apparente selon nous à une erreur d'appréciation majeure. Certains États membres estiment plus bénéfique une absence d'accord sur la réforme plutôt qu'un accord qui ne satisfait pas pleinement leurs propres attentes. Rappelons que sur le thème de l'asile, les États membres sont extrêmement divisés : les pays de première entrée (pour ne pas citer les pays membres du groupe de Visegrád) et les pays destinataires des mouvements secondaires. Je parle ici d'erreur puisqu'aucun État n'a intérêt au statut quo.
Le système actuel, qui repose très largement sur le règlement de Dublin, est moribond. Il fait peser sur les États du pourtour méditerranéen la responsabilité de presque toutes les demandes d'asile en Europe. L'absence d'équité dans la répartition de la charge de l'accueil n'a pas que des conséquences sur les États membres et leur population. Ces pays ne sont pas incités à effectuer l'enregistrement des demandeurs ou à les prendre en charge lorsqu'un autre État membre le leur demande. Surtout le maintien des demandeurs dans des conditions de vie indigne, lié notamment à la saturation des structures dédiées, compromet grandement leur chance d'intégration sur notre continent.
Pour avancer, nous avons besoin de renforcer le contrôle aux frontières extérieures de l'espace Schengen et de plus de solidarité intra-européenne. C'est cet équilibre qui permet de répondre au défi migratoire qui se pose à nous.
Je vais donner deux exemples importants pour illustrer cet équilibre, à partir de deux déplacements que j'ai effectués aux frontières de l'Europe ces derniers temps. Le premier était en Grèce, à Lesbos. Nous avons rencontré nos homologues du parlement grec. Ils avaient tous une position homogène sur la réponse à apporter, par-delà les partis politiques. Leur message est au fond assez clair : rien n'est obligatoire tant que tout n'est pas obligatoire. Pour le dire autrement, en tant que pays de première entrée, la Grèce n'acceptera pas le renforcement de sa responsabilité dans la surveillance des entrées tant qu'il n'y aura pas de mécanisme de solidarité clair et ambitieux.
Le deuxième cas concerne la Lituanie. Je m'y suis déplacé à titre individuel la semaine passée, à la frontière avec le Belarus. Et là, comme en Grèce, la question migratoire est devenue extrêmement prégnante dans un État qui n'était pas exposé il y a de cela quelques mois à la question migratoire. Aujourd'hui, si la Lituanie et la Pologne se retrouvent extrêmement vulnérables, c'est parce que ces dictateurs que j'ai évoqués savent que nous n'avons pas de politique migratoire commune et que nous n'allons pas être capables d'absorber le choc auquel ils nous exposent. Par ailleurs, ils savent aussi nous avons des opinions publiques qui sont extrêmement sensibles à cette question, justement du fait de l'absence de réponse européenne harmonisée. Nous voyons au travers de ces deux exemples, quoi que très différents, que nous avons tout intérêt à avancer ensemble sur ce sujet.
Enfin, la France a évidemment des intérêts à défendre car elle est un pays destinataire d'importants mouvements secondaires. Ces mouvements sont préjudiciables à l'ensemble des pays de l'Union. Les demandeurs se voient accorder une chance de protection en déposant leur demande dans plusieurs États membres successivement. Cette pratique contribue à la saturation des procédures d'asile et augmente le coût global de gestion. Elle mine la confiance des États membres dans le régime européen de l'asile, ce qui peut avoir pour corollaire le rétablissement des contrôles aux frontières au sein de l'espace Schengen. Nous voulons à tout prix éviter cela.
Nous avons souhaité dans ce rapport rappeler notre attachement à l'espace Schengen et à l'acquis important en termes de libertés qu'il représente pour les citoyens européens. C'est aussi pour cela qu'un système d'asile cohérent et résilient est absolument indispensable.