S'agissant du parquet européen, je suis tout à fait ouvert à un débat sur l'extension des compétences à de nouveaux domaines : les actes liés au terrorisme transfrontalier, évidemment, mais aussi l'environnement – j'entends des demandes en ce sens. Je souhaite ouvrir le débat dès que possible, car il faudra du temps pour mettre tout le monde d'accord sur une éventuelle extension – sur le principe même ainsi que sur les moyens à y consacrer, lesquels devront probablement être bien plus importants et diversifiés compte tenu des types de crimes ou de délits susceptibles d'être poursuivis ou de faire l'objet d'investigations. Il faut également consolider le fonctionnement actuel du parquet. Il est possible de mener en parallèle, d'une part, une évaluation après deux années de fonctionnement du parquet, préalable à d'éventuelles mesures pour consolider son activité et, d'autre part, une réflexion sur l'extension éventuelle des compétences. Il ne s'agit pas simplement d'ajouter une compétence, cela emporte des conséquences fortes sur les moyens à mettre en œuvre.
En ce qui concerne la Hongrie et la Pologne, les recours pendants devant la Cour de justice et les procédures en cours, y compris celle prévue par l'article 7 du traité sur l'Union européenne, ne sont pas une coïncidence. Ils traduisent une préoccupation systémique à l'égard de ces deux pays, de la part de la Commission dans le cas de la Pologne et du Parlement européen dans celui de la Hongrie qui justifie le recours à l'article 7. Il faut vraiment bien distinguer plusieurs éléments. La Commission peut saisir la Cour de justice : c'est une première voie qu'elle utilise régulièrement. Je ne reviens pas sur les dossiers liés à l'indépendance de la justice en Pologne. Nous venons d'adresser à la Hongrie un avis motivé, dernière étape avant la saisine de la Cour de justice, sur la loi dite de protection des mineurs qui comporte à nos yeux des discriminations à l'égard de la communauté LGBTIQ. Nous souhaitons agir quand il le faut, en allant devant la cour, y compris pour obtenir une sanction financière en cas de non-respect d'une de ses décisions.
L'autre voie consiste à aller devant le Conseil. Mais, ne nous y trompons pas, le plan de relance est soumis à l'approbation du Conseil. S'agissant de la conditionnalité, la majorité qualifiée du Conseil est requise pour qu'une décision soit prise. Quant à l'article 7, le Conseil doit se prononcer, soit aux quatre cinquièmes pour estimer qu'il existe un risque de violation de l'État de droit, soit à l'unanimité, sauf l'État membre concerné, pour décider de sanctions.
Il ne faut pas confondre la conditionnalité et les exigences des plans de relance. Pour ces derniers, qui sont financés par une dette commune de l'Union européenne, nous demandons aux États membres de respecter deux principes : dépenser au moins 30 % dans la transition écologique – le fameux green deal – et consacrer au moins 20 % à la transition numérique – en tant que commissaire à la justice, j'insiste beaucoup sur la numérisation de la justice. Parallèlement, nous demandons aux pays de mettre en œuvre les réformes qui figurent dans les recommandations spécifiques par pays, adoptées par le Conseil dans le cadre du semestre européen. Nous rappelons ainsi aux États membres la nécessité de présenter des projets de réforme avant d'obtenir le paiement des sommes prévues en matière de relance et de résilience.
Dans le cas de la Hongrie et de la Pologne les discussions sont toujours en cours. Les demandes formulées en matière de lutte contre la corruption notamment à la suite des remarques de l'Office européen de lutte antifraude (OLAF) n'ont pas encore reçu de réponse de la part de la Hongrie. Pour la Pologne, nous attendons l'application des décisions de la Cour de justice sur l'indépendance de la justice. La présidente de la Commission a clairement indiqué que notre demande portait sur la suppression des chambres disciplinaires au sein de la Cour suprême, mais aussi sur la suppression ou la réforme de la procédure disciplinaire pour la mettre en conformité avec les règles européennes ainsi que sur la réintégration des juges qui ont été sanctionnés. Les débats sont toujours en cours, l'approbation des plans de relance dans le cas où des réformes seraient présentées est encore une question prématurée.
Quant à la conditionnalité, la Commission a choisi d'écouter un peu la position du Conseil, à savoir attendre la décision de la Cour de justice. Nous avons malgré tout déjà lancé les procédures internes de suivi de la situation dans les États membres. Des lettres administratives ont été adressées à la Hongrie et à la Pologne pour demander des clarifications dans un délai de deux mois. Nous n'avons pas encore reçu de réponse. En outre, l'avocat général auprès de la cour s'est prononcé mais pas la Cour elle-même. Nous espérons qu'elle le fera dans un délai assez bref, peut-être pas avant la fin de l'année, mais au début de l'année prochaine au plus tard – je suis assez confiant sur la solidité de la base juridique de notre action depuis que l'avocat général a fait part de sa position. Cela nous permettrait de franchir une autre étape, si nous le jugeons nécessaire, c'est-à-dire passer à des notifications et déclencher la procédure. Le choix sera fait le moment venu en fonction de l'évolution d'ici là dans les pays concernés.
En résumé, sur le plan de relance, le débat se poursuit ; sur la conditionnalité, le processus avance. Vous avez mentionné le recours introduit par le Parlement européen : il faut évidemment tenir compte de la position du Parlement européen, mais je le répète, le dossier finira sur la table du Conseil ; pour y dégager une majorité qualifiée, il importe de respecter le calendrier qu'il a fixé.
En ce qui concerne les nouvelles réformes polonaises en matière de justice, je n'ai pas plus d'informations que les échos dans la presse. Nous nous prononcerons le jour où nous recevrons des projets de textes. Nous serons très attentifs à ce que les réformes retrouvent le chemin des standards européens.
Dans le débat sur la primauté du droit européen qui resurgit, je souhaite rappeler deux grands principes qui régissent les relations au sein de l'Union européenne. Le premier est la primauté du droit européen sur les dispositions nationales, y compris constitutionnelles. Ce principe n'est pas imposé par une instance européenne, il relève du choix délibéré de chaque État membre : lorsque l'on participe à l'Union européenne, on adhère aux traités, on adhère au principe de primauté et à l'idée d'une souveraineté partagée. L'autre principe est le caractère contraignant des décisions de la Cour de justice. Dans le cadre d'une souveraineté partagée, la Cour de justice se voit confier l'interprétation du droit européen. Nous avons réagi à la suite d'une décision de la cour constitutionnelle allemande, nous avons envoyé une lettre politique après une décision de la cour constitutionnelle de Roumanie et nous continuerons de réagir lorsque la primauté du droit européen ou le caractère contraignant des décisions de la Cour de justice seront remis en cause. Toutefois, dans le cas polonais, notre inquiétude porte sur l'indépendance de la justice. Ce sont deux démarches qui peuvent être concomitantes mais qui sont néanmoins très différentes. Il faut éviter l'amalgame avec des remarques qui peuvent être entendues dans d'autres États membres, quelle que soit la période, électorale ou non.
Les conflits d'intérêts et, de façon plus générale, le pluralisme et l'indépendance des médias ainsi que la liberté des journalistes sont une préoccupation de plus en plus forte à travers l'Europe. Nous préparons un acte législatif – mon collègue Thierry Breton, pourrait vous en parler plus en détail – pour tenter de renforcer les garanties en la matière. Une autre initiative concerne les SLAPP – strategic lawsuit against public participation –, ces attaques multiples en justice contre des journalistes qui visent à les faire taire ou à limiter leurs capacités d'action. Nous essayons par ces biais de faire évoluer la législation européenne dans le domaine des médias, pour lequel les outils dont nous disposons ne sont pas très nombreux. Cette préoccupation sera très présente dans les prochains rapports.
S'agissant de la Cour européenne des droits de l'homme, sa jurisprudence en matière d'État de droit a évolué un peu dans le même sens que celle de la Cour de justice, à un rythme plus ou moins rapide selon les cas. Nous devons poursuivre les négociations en cours en vue de l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme. C'est un débat difficile. Nous avons fait des progrès pour tenter de répondre aux préoccupations de la Cour de justice. Maintenant il s'agit de convaincre les États membres du Conseil de l'Europe, qui ne sont pas dans l'Union européenne ou ne le sont que depuis très peu de temps, de participer au débat. L'adhésion est une priorité. Faute d'y parvenir pour l'instant, nous pouvons utiliser d'autres instruments. Ainsi, face à la forte augmentation des violences domestiques que nous avons observée pendant la pandémie, nous souhaitons doter l'Union européenne de dispositions en la matière qui s'appliqueront aux États qui refusent de ratifier la convention d'Istanbul, convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique.
Quant aux priorités de la présidence française, j'attendrai jeudi prochain les annonces du Président de la République, mais il est évident que certains points que je viens d'évoquer figureront automatiquement au programme car les présidences travaillent en trio pour assurer la continuité du travail législatif. La discussion sur l'activation de la procédure prévue par l'article 7 pour cinq États membres dans le cadre du rapport annuel aura lieu pendant la présidence française. Une série de sujets seront automatiquement mis sur la table. Ainsi, l'acte législatif sur les violences domestiques que j'évoquais correspond à une priorité au niveau national. D'autres initiatives de la Commission viendront à l'ordre du jour, d'autres textes poursuivront leur parcours législatif – la révision de la directive relative au crédit à la consommation ou la directive relative à la sécurité générale des produits seront soumises au Conseil et au Parlement avant les trilogues. La présidence française aura donc à s'en occuper.
La France portant une attention particulière à qui se passe à Strasbourg, j'espère que nous aurons l'occasion de progresser sur l'accession à la Convention européenne des droits de l'homme – sept réunions techniques ont déjà eu lieu dont une cette semaine – mais cela ne dépend pas que de l'Union européenne, en dépit de l'obligation inscrite dans le traité de Lisbonne.