COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Lundi 6 décembre 2021
Présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente de la Commission et de Mme Yaël Braun-Pivet, Présidente de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République
La séance est ouverte à 14 h 40.
Monsieur le commissaire européen chargé de la justice, nous avons le plaisir de vous accueillir, avec la présidente de la commission des affaires européennes, en présentiel, un an après votre précédente audition, qui s'était tenue, quant à, elle en visioconférence.
Plusieurs de vos responsabilités concernent directement le champ des compétences de la commission des lois : la défense de l'État de droit, la protection des droits fondamentaux, l'organisation et la coopération dans le secteur de la justice, la mise en œuvre et le respect du règlement général sur la protection des données (RGPD) ou encore le parquet européen.
La justice est par essence au cœur du régalien et donc de la souveraineté des États membres. Mais nous ne pouvons agir seuls, chacun dans notre coin. Au moment où nous allons prendre la présidence semestrielle l'Union européenne, nous devons vraiment être conscients de cette dimension européenne indispensable, y compris dans le domaine de la justice.
Par ailleurs, l'Europe, ce sont des politiques communes mais aussi, peut-être et avant tout, des valeurs partagées. À cet égard, vous allez notamment nous présenter le rapport 2021 sur la situation de l'État de droit dans l'Union européenne. Nous serons particulièrement attentifs à vos observations sur ce sujet, tant certaines évolutions dans certains pays de l'UE où la protection de l'État de droit semble en danger nous inquiètent. Chacun a ici en tête, notamment, les menaces pesant sur l'indépendance du système judiciaire en Pologne.
À ce titre, il serait intéressant que vous nous rappeliez quels sont les outils contraignants dont dispose l'Union lorsqu'elle constate une violation de l'État de droit et que vous nous indiquiez où en est la procédure engagée au titre de l'article 7 du Traité sur l'Union européenne (TUE) contre la Pologne et la Hongrie.
Par ailleurs, compte tenu notamment de la situation sanitaire, nous ne pourrons pas nous désintéresser des constats que vous faites à l'égard de la France relativement à l'État de droit. Quelles faiblesses avez-vous relevées concernant l'État de droit en France ? Quelles recommandations pouvez-vous formuler pour les surmonter ?
Monsieur le commissaire Reynders, je vous remercie pour votre démarche consistant à rendre compte régulièrement devant les parlementaires nationaux de la situation de l'État de droit au sein de l'Union. Vous le faites, comme aujourd'hui, individuellement devant le Parlement d'un État membre mais également au sein de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC).
La pandémie qui continue représente un défi pour la résilience de l'État de droit de tous les pays de l'Union. Je salue à cet égard le travail de nos collègues Coralie Dubost et Philippe Benassaya, comme celui de Vincent Bru. Ils ont constaté que les parlements nationaux avaient vraiment souffert des règles mises en place dans l'Union.
Il est important que, dans un tel contexte, la crise sanitaire soit, non pas le signe d'un affaiblissement de nos régimes démocratiques mais l'occasion d'engager une réflexion sur leur renforcement. Le rapport annuel de la Commission sur l'État de droit apparaît comme une boussole pour évaluer l'évolution de nos régimes juridiques et démocratiques.
L'année dernière, vous aviez annoncé que cet instrument permettrait un débat permanent et renouvelé. Peut-être faudrait-il cependant le faire évoluer dans la mesure où ce sont souvent les États membres qui font remonter les sujets, et l'élargir également aux organisations non gouvernementales (ONG) ?
Vous aviez également déclaré au mois d'octobre dernier que le mécanisme de conditionnalité des fonds prévus dans le cadre des plans de relance pourrait être appliqué à l'encontre de la Hongrie et de la Pologne. Nous attendons l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Il faut veiller à ce que les mesures nécessaires soient prises afin que nous puissions continuer à nous unir autour de valeurs communes. Cette nouvelle approche de l'État de droit est, à terme, une bombe à fragmentation pour l'Union. Comment faire en outre pour ne pas sanctionner les bénéficiaires finaux quand un tel mécanisme est mis en place ?
Je tiens par ailleurs à souligner les résultats assez impressionnants obtenus par le parquet européen après ces premiers mois d'exercice. Comme en attestent les chiffres, le besoin que vient combler cette nouvelle institution est grand : plus de 1 700 signalements criminels et 350 enquêtes ouvertes pour un montant total de 4,5 milliards d'euros.
L'Europe dispose donc désormais d'un instrument solide pour renforcer sa crédibilité à la fois vis-à-vis des États membres et de ses partenaires extérieurs. Cependant seuls vingt-deux États membres font partie du dispositif : comment le faire évoluer dans un sens positif afin que tout le monde y adhère ? Des velléités d'élargir le champ de compétences du parquet européen vers la criminalité environnementale se sont manifestées : quelle est votre position à ce sujet ?
Je vous remercie de l'occasion qui m'est offerte de présenter le deuxième rapport annuel sur l'État de droit, le troisième devant paraître au mois de juillet prochain.
L'article 2 du TUE rappelle que l'État de droit est, avec la démocratie et le respect des droits fondamentaux, une des valeurs cardinales de l'Union. Son importance est fondamentale car d'une certaine manière il garantit la protection de toutes les autres valeurs.
En outre, l'État de droit joue un rôle crucial dans le fonctionnement de l'Union : il est essentiel pour la confiance mutuelle qui permet, entre États membres, une coopération judiciaire efficace en matière tant civile que pénale. Malheureusement, il est confronté à d'importants défis, et des efforts communs de la part des institutions de l'Union et des États membres sont nécessaires pour les surmonter.
Le premier tient dans la pandémie de covid-19 qui continue de mettre à l'épreuve nos systèmes nationaux. Plusieurs États membres ont ainsi été contraints de réinstaurer des mesures exceptionnelles pour gérer la situation de crise.
Par ailleurs, la situation de l'État de droit dans certains États membres continue de soulever des préoccupations. La Commission utilise tous les instruments à sa disposition non seulement pour le promouvoir mais également pour le défendre lorsque c'est nécessaire.
C'est notamment pour cette raison qu'en 2020 nous avons lancé le mécanisme européen de protection de l'État de droit. Comme annoncé l'an dernier devant vos commissions, la Commission européenne publie désormais chaque année un rapport sur la situation de l'État de droit dans l'Union, le but étant notamment de stimuler un débat permanent sur celui-ci, tant au niveau européen que national, afin de développer une véritable culture de l'État de droit et de sensibiliser davantage les citoyens de l'Union à ce thème.
C'est pourquoi nous organisons au sein du Conseil « Affaires générales » (CAG) à l'occasion du dépôt du rapport un débat général, puis un débat concernant chaque fois cinq États membres selon l'ordre protocolaire alphabétique. Sous présidence française, nous mènerons à nouveau un tel exercice puis, sous présidence tchèque, à partir du mois de juillet.
Nous organisons également des débats au sein du conseil « Justice » ainsi qu'au Parlement européen. Mais il importe également que ceux-ci se tiennent au sein des parlements nationaux, non seulement avec les formations de gouvernement mais aussi avec celles de l'opposition ainsi qu'avec la société civile.
Le deuxième rapport a donc été publié le 20 juillet dernier. Il s'accompagne d'un chapitre consacré à la situation de l'État de droit dans chaque État membre, y compris la France, avec les quatre mêmes piliers que le premier rapport de 2020 et une synthèse des évolutions significatives, tant positives que négatives depuis la publication du premier document le 30 septembre de l'année dernière.
Le rapport de 2021 a été élaboré suivant la même méthodologie. Il approfondit davantage l'évaluation propre à la Commission, même si nous consultons beaucoup d'intervenants. Il assure en particulier le suivi des défis identifiés dans le premier rapport et de ceux découlant de la pandémie de covid-19.
Outre les contributions écrites de tous les États membres, nous en avons reçu 200 autres émanant d'un large éventail de parties prenantes, y compris de la société civile – associations et ONG.
Nous avons également effectué des visites virtuelles au sein des États membres au cours desquelles nous avons eu plus de 400 réunions avec des autorités nationales, des organismes indépendants ainsi que toutes les parties prenantes qui l'ont souhaité.
Tous les États membres ont pu apporter des clarifications factuelles aux projets de chapitre les concernant. Cependant, l'appréciation des faits a été effectuée, comme l'année dernière, par la Commission elle-même.
Le rapport examine quatre domaines clés de l'État de droit : l'indépendance, mais aussi la qualité et l'efficacité des systèmes de justice, le cadre de la lutte contre la corruption, le pluralisme et la liberté des médias, et d'autres questions institutionnelles liées au système d'équilibre des pouvoirs. C'est notamment dans ce dernier chapitre que se trouve le débat sur l'espace public et sur le rôle des ONG dans le fonctionnement de la société civile.
Dans plusieurs États membres, des mesures ont été ou sont prises en vue de renforcer l'indépendance de la justice, grâce à des réformes touchant au conseil de la magistrature, à la nomination des juges ou à l'indépendance et à l'autonomie des parquets, y compris au travers de révisions constitutionnelles.
Quelques États membres ont néanmoins poursuivi des réformes qui affaiblissent les garanties d'indépendance judiciaire, ce qui aggrave les préoccupations existantes en ce qui concerne une influence grandissante des pouvoirs exécutif et législatif sur le fonctionnement de leur système de justice.
De plus, dans certains États membres, des attaques politiques et des tentatives répétées de fragiliser les juges ou les institutions judiciaires remettent en cause davantage encore l'indépendance de la justice.
Depuis l'adoption du rapport de 2020, la CJUE a réaffirmé l'importance d'une protection juridictionnelle effective pour que l'État de droit soit respecté. La pandémie de covid-19 a rappelé l'urgence de la modernisation des systèmes de justice et a mis en lumière leur potentiel d'informatisation.
Nous souhaitons appliquer à l'État de droit, comme à l'indépendance de la justice, le principe de non-régression. Bien entendu, lorsque le dialogue ne suffit pas pour faire progresser les systèmes garantissant l'indépendance de la justice, nous utilisons les autres instruments à notre disposition.
Pour prendre le cas de la Pologne, nous avons – comme la Commission précédente – introduit des recours contre les régimes disciplinaires figurant dans la loi à propos des magistrats et obtenu une première décision positive de la Cour le 15 juillet dernier, mais aussi, à deux reprises, en 2020 puis en 2021, des mesures provisoires.
Les mesures de 2021 n'ayant pas été mises en œuvre par les autorités polonaises, nous avons à nouveau introduit une demande de sanction financière journalière : la CJUE a condamné la Pologne à 1 million d'euros d'astreinte par jour pour non exécution des mesures provisoires. Je pourrais évoquer l'article 7 et le mécanisme de conditionnalité. Tous les instruments sont à notre disposition. Ce mois-ci, sous présidence slovène, il y aura ainsi à nouveau une réunion du Conseil « Affaires générales » sur les situations hongroise et polonaise. Nous avons en outre commencé à mettre en œuvre les dispositions du mécanisme de conditionnalité puisque des lettres administratives ont été adressées à la Hongrie et à la Pologne afin de leur demander des clarifications avant l'arrêt de la CJUE qui devrait intervenir prochainement sur le recours introduit par ces deux États membres.
L'avocat général près la Cour a d'ores et déjà recommandé le rejet de ce recours. Nous verrons une fois qu'il aura été traité par la Cour elle-même si des étapes ultérieures devront être franchies. Nous avons également mis en place des lignes directrices concernant la mise en œuvre de ce mécanisme, non seulement pour vérifier que nous allions travailler de manière tout à fait équilibrée en mettant tous les États membres sur un pied d'égalité, mais également en protégeant les bénéficiaires ultimes des financements concernés.
Il est évident que si des financements devaient être suspendus ou arrêtés dans le cas d'un risque de violation de l'État de droit ayant un impact sur le budget, le but n'est pas de supprimer les financements des ONG défendant l'État de droit et les droits fondamentaux. Nous avons débattu tant avec le Parlement européen qu'avec les États membres d'une façon de protéger ces bénéficiaires ultimes le jour où le dispositif sera d'application.
L'indépendance de la justice se trouve au cœur de tous ces débats parce qu'elle constitue la première garantie de respect de tous les autres droits et de toutes les autres valeurs comme la démocratie.
Dans le cadre de la lutte contre la corruption, les États membres de l'Union figurent toujours parmi les pays obtenant les meilleurs résultats à l'échelle mondiale : dix d'entre eux figurent en effet parmi les vingt États perçus comme les moins corrompus de la planète.
Plusieurs États membres adoptent ou révisent actuellement leur stratégie nationale ou leur plan d'action de lutte contre la corruption. Nombreux sont ceux qui ont pris des mesures pour renforcer les cadres relatifs à sa prévention et à l'intégrité notamment des règles en matière de conflit d'intérêts, de pantouflage entre secteur public et secteur privé, et de transparence dans les activités de représentation d'intérêts.
Des défis subsistent cependant dans certains États membres en ce qui concerne principalement les enquêtes pénales, les poursuites et l'application des sanctions pour des faits de corruption.
Ainsi, de nouvelles affaires de corruption de grande envergure ou très complexes ont été révélées dans divers États membres. Dans certains d'entre eux, les ressources affectées à la lutte contre la corruption ne sont pas toujours suffisantes, tandis que dans d'autres, des préoccupations demeurent quant à l'efficacité des enquêtes, des poursuites et des jugements dans les affaires de corruption à haut niveau.
La pandémie de covid-19 a globalement ralenti les réformes et les décisions de justice dans ces affaires dans quelques États membres.
Ce sujet continue de retenir notre attention.
En ce qui concerne l'état de la liberté et du pluralisme des médias, on constate à la fois des évolutions positives et négatives. L'une des préoccupations est que de nombreux journalistes continuent de faire l'objet de menaces et d'attaques, en particulier lorsqu'ils enquêtent sur des crimes et des actes de corruption.
Les récents assassinats de Giorgos Karaïvaz en Grèce et de Peter R. De Vries aux Pays-Bas ont mis en évidence la nécessité de veiller davantage à la sécurité des journalistes à travers l'Union, à l'encontre non seulement de violences physiques mais aussi de propos particulièrement virulents, notamment à travers les réseaux sociaux ou de multiples plaintes en justice visant à les empêcher de lutter contre un certain nombre de phénomènes liés au crime organisé par exemple.
En ce qui concerne l'équilibre des pouvoirs entre les institutions, depuis l'an dernier certains États membres ont continué de mettre en œuvre des réformes destinées à renforcer les contre-pouvoirs et les garanties. Plusieurs d'entre eux ont récemment adopté des mesures pour rendre le processus législatif plus transparent et améliorer la participation citoyenne. Le système d'équilibre des pouvoirs au niveau national – notamment entre les parlements, les juridictions, les médiateurs et d'autres autorités indépendantes – a été d'une importance capitale pendant la pandémie de covid-19, qui a soumis l'État de droit à un test de résistance.
Parallèlement, nous avons assisté à une mise à l'épreuve du processus législatif – avec des modifications soudaines ou l'accélération des procédures – ainsi que du système de contrôle de constitutionnalité. La société civile jouit quant à elle généralement d'un environnement favorable dans la majorité des États membres, mais elle est exposée dans certains d'entre eux à de graves remises en cause. Il peut s'agir de menaces délibérées des autorités, d'une protection insuffisante contre les agressions physiques ou verbales – que j'évoquais aussi à propos des journalistes –, ou d'un mauvais niveau de protection des droits fondamentaux. Ces difficultés ont parfois été exacerbées par le contexte de la pandémie de covid-19.
Plusieurs prises de position récentes ont suscité des inquiétudes pour le respect de la primauté du droit de l'Union, qui est essentielle pour le fonctionnement de l'ordre juridique de l'UE et pour l'égalité des États membres.
Quelques mots sur ce qui figure dans le rapport à propos du système judiciaire français. Celui-ci continue de faire l'objet d'un certain nombre de réformes visant à améliorer sa qualité et son efficience. Nous avons relevé que les initiatives destinées à renforcer l'indépendance de la justice – et portant notamment sur les compétences du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) – n'ont pas progressé vers leur adoption. Les ressources allouées à la justice ont nettement augmenté. Les projets concernant la numérisation de l'ensemble de la procédure pénale et de certains aspects de la procédure civile continuent d'avancer. Le rapport relève que deux projets de loi visant à renforcer la confiance dans le système de justice sont en cours de discussion – mais, si je ne me trompe pas, ils ont depuis lors été adoptés, le 18 novembre dernier, et sont examinés par le Conseil constitutionnel.
Le Président de la République a demandé un avis au CSM sur les moyens d'améliorer le régime de responsabilité et de protection des magistrats. Cet avis a été présenté le 24 septembre dernier et il comprend trente propositions.
En matière de la lutte contre la corruption, la France a continué à renforcer son cadre institutionnel destiné à prévenir et à combattre la corruption dans les secteurs public et privé. Les institutions spécialisées dans la lutte contre la corruption, telles que la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et l'Agence française anticorruption (AFA) continuent d'exercer leurs fonctions. Des règlements relatifs aux conflits d'intérêts et à la protection des lanceurs d'alerte sont en vigueur. Bien que la législation en matière de défense d'intérêts – le lobbying – ne couvre pas les rencontres avec des hauts fonctionnaires, le Gouvernement n'a pas encore présenté de propositions à ce sujet. Une évolution en la matière serait souhaitable. Les déclarations de patrimoine sont publiées et régulièrement vérifiés. Le parquet national financier (PNF) a été réorganisé et continue à enregistrer de très bons résultats en ce qui concerne l'obtention de condamnations, notamment au moyen de conventions judiciaires d'intérêt public, y compris à l'égard de hauts fonctionnaires et dans des affaires portant sur des biens de grande valeur.
Les ressources humaines de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) semblent insuffisantes au regard de sa charge de travail – elle ne va pas en manquer dans les mois à venir.
Des mesures spécifiques ont été prises dans le domaine des marchés publics en réaction à la pandémie de covid-19.
Le rapport 2021 relève que la France dispose d'un cadre juridique généralement solide s'agissant du pluralisme et de la liberté des médias. Nous avons noté qu'une modification législative à venir pourrait entraîner une réorganisation institutionnelle de l'autorité nationale de régulation des médias et la création d'un organe unique chargé de la communication audiovisuelle et numérique. Cependant, les journalistes continuent d'être exposés à différents types de menaces. Compte tenu de l'augmentation du nombre d'attaques perpétrées lors de manifestations, le Gouvernement entend prendre des mesures pour améliorer la communication entre les journalistes et les forces de police durant de tels événements. Nous avons également noté que les autorités françaises envisageaient un plan de relance pour les médias, afin d'atténuer les effets de la pandémie de covid-19 et de soutenir la transformation du secteur. Les difficultés économiques des médias sont générales en Europe, et elles ont été accentuées par la crise du covid-19.
Le rapport souligne que les études d'impact et les consultations des parties prenantes sont courantes dans le cadre du processus législatif. Toutefois, nous avons relevé que le Gouvernement a considérablement augmenté le recours à la procédure accélérée, limitant ainsi le débat parlementaire sur certains projets de loi sensibles.
Les autorités indépendantes ont continué à jouer un rôle très actif dans la protection des droits fondamentaux pendant la pandémie.
Enfin, le rapport note que de récentes lois engendrent des préoccupations en raison de leurs effets potentiels sur le paysage de la société civile – on évoquait précédemment la situation des ONG.
Avant de conclure, je voudrais répondre aux questions que vous avez posées dans vos propos introductifs.
La première concerne la manière dont le parquet européen vient compléter notre arsenal. Les opérations ont commencé le 1er juin 2021. Les chiffres que vous avez cités sont exacts, même s'ils ont depuis lors encore évolué à la hausse. Nous avons d'abord dû travailler à la bonne organisation de ce parquet et à son lancement – il est prévu de tripler son budget dans le cadre financier pluriannuel en cours. Nous avons aussi dû adapter les réglementations pour permettre la composition complète du collège des procureurs, installé à Luxembourg. Il a fallu insister pour que tous les États qui participent au parquet européen nomment leurs procureurs délégués ; la Slovénie est le dernier État à l'avoir fait, tout récemment. Le parquet européen est désormais à même d'agir dans les vingt-deux État qui participent à cette coopération. Nous entamons avec les États membres de l'Union qui n'y ont pas adhéré des processus destinés à conclure des arrangements administratifs pour permettre une bonne collaboration, et nous le ferons également avec des pays tiers.
Vous m'avez également interrogé sur l'éventualité de la participation d'autres États membres de l'Union au parquet européen. C'est un choix qui leur appartient. La Suède a annoncé vouloir le faire dès l'année prochaine. Lors de mes récentes visites, j'ai insisté pour que la Hongrie et la Pologne réfléchissent à une telle participation, tout comme je l'ai fait en Irlande et au Danemark. Il est important d'essayer de développer cette démarche.
Dès le début, il avait été envisagé d'élargir les compétences du parquet européen aux crimes transfrontaliers liés au terrorisme ; c'était évidemment en rapport avec la vague d'attentats qui donne notamment lieu à un procès important à Paris. Il est désormais également proposé une extension de ses compétences aux crimes environnementaux. Je ne suis pas opposé à cette réflexion, mais il faut d'abord bien vérifier que ce parquet est à même de remplir correctement les missions dont il est déjà chargé. Il est donc nécessaire d'évaluer son fonctionnement et ses résultats au cours des deux premières années d'activité. Le débat sur les compétences peut débuter, étant entendu qu'il doit aussi porter sur les moyens humains, technologiques et financiers nécessaires – car poursuivre des crimes terroristes ou des infractions environnementales n'est évidemment pas la même chose que veiller aux intérêts financiers de l'UE.
Pour conclure, les sujets relatifs à l'État de droit continuent à occuper une place importante dans le débat public et au sein de votre assemblée. Ces discussions contribuent à la promotion d'une véritable culture de l'État de droit, et c'est finalement à cela qu'est destiné le rapport annuel de la Commission sur le sujet. J'insiste sur le fait que ce rapport vise à développer une discussion avec les sociétés civiles au sein de l'ensemble des États membres, avec pour objectif d'améliorer sans cesse l'État de droit. Je le répète, nous sommes ouverts au dialogue, pour améliorer les choses. Si nous constatons des blocages ou des régressions, d'autres instruments sont bien entendu à notre disposition, qu'il s'agisse des procédures d'infraction ou de l'article 7 ainsi que, depuis le 1er janvier dernier, du mécanisme de conditionnalité.
Vous avez fait état de la condamnation de la Pologne à une amende d'1 million d'euros par jour en octobre de cette année. La Pologne paie-t-elle cette amende ? Quelle est sa position au sujet de cette condamnation ? Quels sont les moyens dont disposent la Commission et l'Union si d'aventure la Pologne indiquait ne pas vouloir acquitter l'amende ?
Non seulement nous n'avons pas reçu de paiement des autorités polonaises, mais en outre le ministre de la justice a saisi le Tribunal constitutionnel polonais pour s'opposer à la décision de la CJUE. Nous aurons peut-être à réagir, comme nous le faisons à chaque fois que le caractère contraignant des décisions de la Cour ou la primauté du droit de l'UE est remis en cause.
Cela étant, je vous rassure : si elle constate à la fin de la procédure qu'une amende résultant du non-respect d'une décision au fond de la CJUE n'a pas été payée, la Commission doit récupérer son montant ; elle peut le faire en prélevant ce dernier sur les dotations accordées à l'État membre concerné. Le dossier va suivre son cours. Nous cherchons bien entendu d'abord à faire respecter la décision de justice au fond. Mais si tel n'était pas le cas, nous disposons des moyens de récupérer les sommes concernées.
En septembre 2019, la présidente de la Commission européenne vous a adressé une lettre de mission qui mentionnait de nombreux grands projets sur lesquels elle souhaitait vous voir avancer : la justice et la protection des consommateurs, l'État de droit – auxquels a ensuite été ajouté la mise en place du passe sanitaire européen. Parmi ces différents chantiers, la présidente mettait l'accent sur la défense de l'État de droit. Vous nous avez précisé que vous étiez prêt à sanctionner les États qui ne respectaient pas ce dernier.
Le procureur général de la CJUE a recommandé de rejeter les recours de la Hongrie et de la Pologne relatifs aux mécanismes de conditionnalité du versement des fonds européens au respect de l'État de droit. Ce mécanisme avait été présenté comme une condition sine qua non à l'adoption du plan de relance européen. De quelle manière entendez-vous prendre en compte les recommandations de la Cour sans diviser les vingt-sept États membres ? Quelle stratégie souhaitez-vous mener avec la France dans le cadre de sa présidence de l'Union européenne lors du 1er semestre 2022 pour réussir à fédérer les États autour de cet objectif commun ?
Vous avez mentionné la possibilité d'étendre les compétences du parquet européen. C'est l'une des propositions formulées dans mon rapport d'information pour observations sur le projet de loi relatif au parquet européen. C'est également un souhait des députés européens du groupe Renew Europe, une question écrite ayant été posée à ce sujet par Mme Fabienne Keller. Pensez-vous que la compétence du parquet européen pourrait-être rapidement étendue aux crimes terroristes ? Quelle est la position de la Commission européenne en la matière ?
Comme vous l'avez rappelé, l'Union européenne est bâtie sur des valeurs fondamentales, parmi lesquelles l'État de droit. Il est essentiel à la protection des autres valeurs européennes. Or nous savons qu'elles sont remises en cause par certains États membres, en particulier par la Hongrie et la Pologne. Toutes deux ont été visées par ce deuxième rapport annuel sur l'État de droit dans l'Union, publié par la Commission européenne le 20 juillet dernier. Il a notamment souligné les dérives de la Pologne concernant l'indépendance de la justice et celles de la Hongrie s'agissant de la liberté de la presse et de la corruption.
Lors des négociations sur le plan de relance européen, en 2020, plusieurs États membres ainsi que le Parlement européen avaient exigé qu'il soit possible de bloquer le versement des fonds communautaires à un pays qui ne respecterait pas l'État de droit. Varsovie et Budapest ont bien entendu contesté cette mesure et ont formé un recours en annulation du règlement concerné devant la CJUE.
Les Vingt-Sept avaient alors décidé que la Commission devrait attendre la décision de la CJUE avant d'activer le nouveau mécanisme de conditionnalité, qui est pourtant officiellement entré en vigueur le 1er janvier 2021. Le 2 décembre dernier, l'avocat général de la Cour, Manuel Campos Sánchez-Bordona, a recommandé aux juges de rejeter le recours de la Hongrie et de la Pologne. La décision définitive de la Cour devrait intervenir un peu plus tard, le ministre hongrois de la justice indiquant que cela pourrait prendre des mois. Pensez-vous qu'il faille attendre la décision finale de la CJUE pour que le mécanisme de conditionnalité soit activé par la Commission ?
On observe au fil des années que l'article 7 du TUE est peu efficace pour garantir une réelle protection de l'État de droit. Estimez-vous nécessaire de faire évoluer cette procédure, afin que cette arme qui n'est pour l'instant que dissuasive devienne réellement efficace ?
Le Parlement européen soumet la Commission une certaine pression. Le 29 octobre 2021, le président du Parlement a annoncé avoir engagé une action contre la Commission car elle n'applique pas le règlement sur la conditionnalité des fonds européens. La Commission a alors adressé aux gouvernements hongrois et polonais, le 19 novembre, une lettre leur demandant des explications. Y ont-ils répondu ?
Votre visite à Varsovie, les 18 et 19 novembre derniers, est intervenue après la décision de la CJUE du 27 octobre condamnant la Pologne à une astreinte d'1 million d'euros par jour, tant qu'elle ne se sera pas conformée à l'ordonnance du 14 juillet 2021 enjoignant de supprimer la chambre disciplinaire de la Cour suprême polonaise. Il semblerait que la Pologne évolue sur ce point. Mais il y a une autre menace : la réduction drastique du nombre de juges, qui permettrait éventuellement de se débarrasser d'anciens juges pour ne garder que ceux qui ont été nommés par le pouvoir en place – comme on le fait de manière classique dans un régime autoritaire. Lors de votre déplacement, avez-vous obtenu davantage de précisions sur les réformes de la justice engagées ou envisagées par la Pologne ?
Vous avez présenté la position de la Commission au sujet de la Pologne et de la Hongrie, ainsi que les derniers éléments en votre possession, en particulier sur la conditionnalité des aides au respect de l'État de droit.
Le sujet est aussi sensible en France. En effet, certains candidats remettent en cause la primauté du droit européen. À mes yeux, ce ne sont pas les traités européens qui pèsent sur les traditions constitutionnelles des États ; en adhérant à l'Union, ces derniers ont consenti à cette primauté.
L'Union européenne compte-t-elle prendre des initiatives pour mettre fin aux conflits d'intérêts et établir des règles déontologiques dans les médias afin de restaurer la confiance des citoyens ?
Où en sont les travaux menés conjointement par l'Union européenne et la Cour européenne des droits de l'homme en vue d'une adhésion de la première à la convention du même nom ?
Mes questions sur la Pologne et sur sa contestation de la primauté du droit européen ont déjà été posées par mes collègues. Pouvez-vous faire un point sur le cas hongrois ?
Qu'attendez-vous de la présidence française du Conseil de l'Union européenne qui débute le 1er janvier ? Quelles doivent être ses priorités ?
S'agissant du parquet européen, je suis tout à fait ouvert à un débat sur l'extension des compétences à de nouveaux domaines : les actes liés au terrorisme transfrontalier, évidemment, mais aussi l'environnement – j'entends des demandes en ce sens. Je souhaite ouvrir le débat dès que possible, car il faudra du temps pour mettre tout le monde d'accord sur une éventuelle extension – sur le principe même ainsi que sur les moyens à y consacrer, lesquels devront probablement être bien plus importants et diversifiés compte tenu des types de crimes ou de délits susceptibles d'être poursuivis ou de faire l'objet d'investigations. Il faut également consolider le fonctionnement actuel du parquet. Il est possible de mener en parallèle, d'une part, une évaluation après deux années de fonctionnement du parquet, préalable à d'éventuelles mesures pour consolider son activité et, d'autre part, une réflexion sur l'extension éventuelle des compétences. Il ne s'agit pas simplement d'ajouter une compétence, cela emporte des conséquences fortes sur les moyens à mettre en œuvre.
En ce qui concerne la Hongrie et la Pologne, les recours pendants devant la Cour de justice et les procédures en cours, y compris celle prévue par l'article 7 du traité sur l'Union européenne, ne sont pas une coïncidence. Ils traduisent une préoccupation systémique à l'égard de ces deux pays, de la part de la Commission dans le cas de la Pologne et du Parlement européen dans celui de la Hongrie qui justifie le recours à l'article 7. Il faut vraiment bien distinguer plusieurs éléments. La Commission peut saisir la Cour de justice : c'est une première voie qu'elle utilise régulièrement. Je ne reviens pas sur les dossiers liés à l'indépendance de la justice en Pologne. Nous venons d'adresser à la Hongrie un avis motivé, dernière étape avant la saisine de la Cour de justice, sur la loi dite de protection des mineurs qui comporte à nos yeux des discriminations à l'égard de la communauté LGBTIQ. Nous souhaitons agir quand il le faut, en allant devant la cour, y compris pour obtenir une sanction financière en cas de non-respect d'une de ses décisions.
L'autre voie consiste à aller devant le Conseil. Mais, ne nous y trompons pas, le plan de relance est soumis à l'approbation du Conseil. S'agissant de la conditionnalité, la majorité qualifiée du Conseil est requise pour qu'une décision soit prise. Quant à l'article 7, le Conseil doit se prononcer, soit aux quatre cinquièmes pour estimer qu'il existe un risque de violation de l'État de droit, soit à l'unanimité, sauf l'État membre concerné, pour décider de sanctions.
Il ne faut pas confondre la conditionnalité et les exigences des plans de relance. Pour ces derniers, qui sont financés par une dette commune de l'Union européenne, nous demandons aux États membres de respecter deux principes : dépenser au moins 30 % dans la transition écologique – le fameux green deal – et consacrer au moins 20 % à la transition numérique – en tant que commissaire à la justice, j'insiste beaucoup sur la numérisation de la justice. Parallèlement, nous demandons aux pays de mettre en œuvre les réformes qui figurent dans les recommandations spécifiques par pays, adoptées par le Conseil dans le cadre du semestre européen. Nous rappelons ainsi aux États membres la nécessité de présenter des projets de réforme avant d'obtenir le paiement des sommes prévues en matière de relance et de résilience.
Dans le cas de la Hongrie et de la Pologne les discussions sont toujours en cours. Les demandes formulées en matière de lutte contre la corruption notamment à la suite des remarques de l'Office européen de lutte antifraude (OLAF) n'ont pas encore reçu de réponse de la part de la Hongrie. Pour la Pologne, nous attendons l'application des décisions de la Cour de justice sur l'indépendance de la justice. La présidente de la Commission a clairement indiqué que notre demande portait sur la suppression des chambres disciplinaires au sein de la Cour suprême, mais aussi sur la suppression ou la réforme de la procédure disciplinaire pour la mettre en conformité avec les règles européennes ainsi que sur la réintégration des juges qui ont été sanctionnés. Les débats sont toujours en cours, l'approbation des plans de relance dans le cas où des réformes seraient présentées est encore une question prématurée.
Quant à la conditionnalité, la Commission a choisi d'écouter un peu la position du Conseil, à savoir attendre la décision de la Cour de justice. Nous avons malgré tout déjà lancé les procédures internes de suivi de la situation dans les États membres. Des lettres administratives ont été adressées à la Hongrie et à la Pologne pour demander des clarifications dans un délai de deux mois. Nous n'avons pas encore reçu de réponse. En outre, l'avocat général auprès de la cour s'est prononcé mais pas la Cour elle-même. Nous espérons qu'elle le fera dans un délai assez bref, peut-être pas avant la fin de l'année, mais au début de l'année prochaine au plus tard – je suis assez confiant sur la solidité de la base juridique de notre action depuis que l'avocat général a fait part de sa position. Cela nous permettrait de franchir une autre étape, si nous le jugeons nécessaire, c'est-à-dire passer à des notifications et déclencher la procédure. Le choix sera fait le moment venu en fonction de l'évolution d'ici là dans les pays concernés.
En résumé, sur le plan de relance, le débat se poursuit ; sur la conditionnalité, le processus avance. Vous avez mentionné le recours introduit par le Parlement européen : il faut évidemment tenir compte de la position du Parlement européen, mais je le répète, le dossier finira sur la table du Conseil ; pour y dégager une majorité qualifiée, il importe de respecter le calendrier qu'il a fixé.
En ce qui concerne les nouvelles réformes polonaises en matière de justice, je n'ai pas plus d'informations que les échos dans la presse. Nous nous prononcerons le jour où nous recevrons des projets de textes. Nous serons très attentifs à ce que les réformes retrouvent le chemin des standards européens.
Dans le débat sur la primauté du droit européen qui resurgit, je souhaite rappeler deux grands principes qui régissent les relations au sein de l'Union européenne. Le premier est la primauté du droit européen sur les dispositions nationales, y compris constitutionnelles. Ce principe n'est pas imposé par une instance européenne, il relève du choix délibéré de chaque État membre : lorsque l'on participe à l'Union européenne, on adhère aux traités, on adhère au principe de primauté et à l'idée d'une souveraineté partagée. L'autre principe est le caractère contraignant des décisions de la Cour de justice. Dans le cadre d'une souveraineté partagée, la Cour de justice se voit confier l'interprétation du droit européen. Nous avons réagi à la suite d'une décision de la cour constitutionnelle allemande, nous avons envoyé une lettre politique après une décision de la cour constitutionnelle de Roumanie et nous continuerons de réagir lorsque la primauté du droit européen ou le caractère contraignant des décisions de la Cour de justice seront remis en cause. Toutefois, dans le cas polonais, notre inquiétude porte sur l'indépendance de la justice. Ce sont deux démarches qui peuvent être concomitantes mais qui sont néanmoins très différentes. Il faut éviter l'amalgame avec des remarques qui peuvent être entendues dans d'autres États membres, quelle que soit la période, électorale ou non.
Les conflits d'intérêts et, de façon plus générale, le pluralisme et l'indépendance des médias ainsi que la liberté des journalistes sont une préoccupation de plus en plus forte à travers l'Europe. Nous préparons un acte législatif – mon collègue Thierry Breton, pourrait vous en parler plus en détail – pour tenter de renforcer les garanties en la matière. Une autre initiative concerne les SLAPP – strategic lawsuit against public participation –, ces attaques multiples en justice contre des journalistes qui visent à les faire taire ou à limiter leurs capacités d'action. Nous essayons par ces biais de faire évoluer la législation européenne dans le domaine des médias, pour lequel les outils dont nous disposons ne sont pas très nombreux. Cette préoccupation sera très présente dans les prochains rapports.
S'agissant de la Cour européenne des droits de l'homme, sa jurisprudence en matière d'État de droit a évolué un peu dans le même sens que celle de la Cour de justice, à un rythme plus ou moins rapide selon les cas. Nous devons poursuivre les négociations en cours en vue de l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme. C'est un débat difficile. Nous avons fait des progrès pour tenter de répondre aux préoccupations de la Cour de justice. Maintenant il s'agit de convaincre les États membres du Conseil de l'Europe, qui ne sont pas dans l'Union européenne ou ne le sont que depuis très peu de temps, de participer au débat. L'adhésion est une priorité. Faute d'y parvenir pour l'instant, nous pouvons utiliser d'autres instruments. Ainsi, face à la forte augmentation des violences domestiques que nous avons observée pendant la pandémie, nous souhaitons doter l'Union européenne de dispositions en la matière qui s'appliqueront aux États qui refusent de ratifier la convention d'Istanbul, convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique.
Quant aux priorités de la présidence française, j'attendrai jeudi prochain les annonces du Président de la République, mais il est évident que certains points que je viens d'évoquer figureront automatiquement au programme car les présidences travaillent en trio pour assurer la continuité du travail législatif. La discussion sur l'activation de la procédure prévue par l'article 7 pour cinq États membres dans le cadre du rapport annuel aura lieu pendant la présidence française. Une série de sujets seront automatiquement mis sur la table. Ainsi, l'acte législatif sur les violences domestiques que j'évoquais correspond à une priorité au niveau national. D'autres initiatives de la Commission viendront à l'ordre du jour, d'autres textes poursuivront leur parcours législatif – la révision de la directive relative au crédit à la consommation ou la directive relative à la sécurité générale des produits seront soumises au Conseil et au Parlement avant les trilogues. La présidence française aura donc à s'en occuper.
La France portant une attention particulière à qui se passe à Strasbourg, j'espère que nous aurons l'occasion de progresser sur l'accession à la Convention européenne des droits de l'homme – sept réunions techniques ont déjà eu lieu dont une cette semaine – mais cela ne dépend pas que de l'Union européenne, en dépit de l'obligation inscrite dans le traité de Lisbonne.
Il est bien agréable d'entendre parler aujourd'hui des performances du parquet financier européen. Pendant mes jeunes années de magistrat, nous étions plusieurs juristes européens à travailler sur la lutte contre les atteintes aux intérêts financiers de l'Europe. C'était il y a plus de trente ans et je me félicite des résultats en la matière que vous avez évoqués.
Ma question porte sur les rapports entre le droit de l'Union européenne et le droit des États membres, et plus particulièrement sur le droit constitutionnel. Le cas de la Pologne a été largement abordé : dans sa décision du 7 octobre 2021, le tribunal constitutionnel de Pologne a déclaré contraire à la constitution polonaise l'article 19 du traité sur l'Union européenne au motif que les voies de recours pour assurer une protection juridictionnelle effective constituaient un attribut de la souveraineté polonaise – en conséquence de quoi il appartenait aux autorités nationales de les organiser. La Cour de justice de l'Union européenne considérait pour sa part que dans la mesure où on appliquait le droit de l'Union européenne, ce n'était pas le cas.
Je voudrais mentionner la décision de la Cour constitutionnelle fédérale d'Allemagne du 5 mai 2020 : la cour a contesté la conformité aux traités d'un arrêt du 11 décembre 2018 de la Cour de justice de l'Union européenne, qui avait validé des décisions de la Banque centrale européenne (BCE) prises dans le cadre du programme d'achat de titres du secteur public – afin de maintenir une inflation à taux bas, il était prévu de racheter de la dette publique. Elle a enjoint à la Bundesbank de ne plus recourir à de nouveaux achats de titres tant que la BCE n'aurait pas démontré la proportionnalité des effets économiques et budgétaires, jugés excessifs, du programme avec les objectifs monétaires recherchés.
J'en discutais avec notre présidente tout à l'heure. Elle me disait que l'Allemagne, depuis, était un peu revenue en arrière. C'est vrai, mais elle l'a fait par la voix de Mme Angela Merkel. C'est l'exécutif qui est intervenu, et non la Cour constitutionnelle de Karlsruhe.
Je pense aussi à des décisions récentes du Conseil constitutionnel français, s'agissant des reconduites à la frontière. Si la validation de la procédure n'a pas posé de problème, le Conseil constitutionnel français s'est tout de même réservé la possibilité – ces décisions ne sont pas toujours faciles à interpréter – d'apprécier la conformité du droit européen à « l'identité constitutionnelle de la France ». Bref, je me demande si ces décisions n'entraînent pas une remise en cause du principe d'attribution, auquel vous avez fait allusion, et qui est un principe fondateur de l'Europe.
Vous nous avez dit que dix États membres de l'Union faisaient partie des vingt pays les moins corrompus de la planète. Est-il envisageable, et envisagez-vous, de faire un classement du même type au sujet de l'État de droit ? Cette notion est plus englobante, puisqu'elle renvoie notamment au système judiciaire, au pluralisme des médias et aux questions institutionnelles d'équilibre des pouvoirs. Un tel classement, au niveau européen ou mondial, est-il seulement possible ? Ces classements sont ce qu'ils sont, ils sont parfois caricaturaux, mais ils ont le mérite de donner une image de la situation à un moment donné et d'observer des évolutions dans le temps, dans un sens ou dans l'autre.
Au sujet de l'État de droit, nous avons aussi des discussions entre parlementaires au sein de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires. Or on nous oppose souvent que l'État de droit n'est pas défini à l'article 2 du Traité sur l'Union européenne. Il est vrai que la Commission de Venise en a donné une définition, mais elle n'a fait que reprendre les éléments du Conseil de l'Europe. Ne faudrait-il pas faire un travail de définition un peu plus poussé ?
Dans le cadre de la présidence française, nous envisageons, avec mon homologue du Sénat, M. Jean-François Rapin, de créer un groupe de travail sur le sujet, comme nous y autorise l'article 2 du règlement de la COSAC. Des parlementaires de tous les États pourraient se mettre autour de la table et réfléchir à une définition commune de l'État de droit. Nos collègues polonais et hongrois ne pourraient plus la rejeter, sous prétexte qu'elle vient de Bruxelles. Il faut un dialogue plus poussé pour mettre fin à certaines attitudes et à certaines confusions, comme celle qui est faite, en Hongrie notamment, entre principes démocratiques et État de droit. On peut être en démocratie et élire librement ses représentants sans être, pour autant, dans un État de droit. Or c'est l'argumentation des élus hongrois : ils disent que, parce qu'ils ont été élus librement, ils sont légitimes.
Il est vrai que la primauté du droit européen est souvent mise à mal en ce moment, y compris en France, notamment sur les questions de défense et de sécurité. La directive sur le temps de travail et certaines décisions de la Cour de justice de l'Union européenne pourraient empêcher nos soldats en opération extérieure, nos pompiers et nos gendarmes de faire leur travail. Il faudrait une discussion plus approfondie sur ces questions même si, pour l'instant, le Conseil d'État a trouvé une manière de ne pas remettre en cause le principe de la primauté du droit européen, tout en affirmant quelques principes constitutionnels français.
Lorsque le tribunal constitutionnel polonais a rendu sa décision, j'ai réagi immédiatement, tout comme la présidente de la Commission, en disant que nous allions agir. Nous prenons le temps de définir le mode d'action le plus efficace, car nous voulons obtenir un succès. Il faut préparer un dossier très robuste, avant de nous présenter, soit devant la Cour, soit devant le Conseil.
Le cas polonais est très particulier, puisque c'est le Premier ministre qui a lui-même saisi le tribunal constitutionnel, comme il en a la possibilité, pour mettre en cause le traité sur l'Union européenne, notamment son article 19. En 2017, si nous avons utilisé l'article 7, c'est parce que nous doutions déjà de l'indépendance de la justice polonaise.
S'agissant du cas allemand, la Commission a réagi en adressant une lettre de mise en demeure à l'Allemagne. Nous l'avons adressée à l'exécutif, car nous n'écrivons jamais directement aux juridictions, ni même aux assemblées. Je viens volontiers m'exprimer devant vous, mais nos interlocuteurs, à l'échelon étatique, ce sont les exécutifs. Le gouvernement allemand nous a adressé une réponse, dans laquelle il réaffirme le principe de la primauté du droit européen. Cela ne nous empêchera pas d'être vigilants dans les mois et les années à venir, mais l'Allemagne a réaffirmé fortement le principe de primauté.
J'ajoute que la décision allemande n'a été suivie d'aucun effet. La Cour constitutionnelle, saisie d'une demande d'exécution forcée, a refusé l'exécution forcée de sa première décision, et rien n'a été modifié dans la politique monétaire, ni de la Banque centrale européenne, ni de la Banque centrale allemande.
La réponse très claire du gouvernement allemand et l'absence d'effet de la décision de la cour constitutionnelle nous ont conduits à clore ce dossier, lors de l'une des dernières réunions du collège des commissaires de l'Union européenne. La Cour de justice de l'Union européenne avait elle-même réagi tout de suite, en réaffirmant le principe de primauté du droit européen et en rappelant qu'elle avait la compétence exclusive pour interpréter les décisions et prendre attitude à l'égard des institutions européennes, notamment la Banque centrale européenne.
Dans ce contexte, j'ai proposé au président de la Cour de justice de l'Union européenne et à celui de la Cour européenne des droits de l'homme de participer à des réunions avec les présidents des cours suprêmes et des cours constitutionnelles. Certaines ont déjà eu lieu et il y en aura d'autres sous la présidence française. Il me paraît important que le dialogue qui existe entre assemblées et entre gouvernements ait lieu aussi au niveau des plus hautes juridictions. Ces réunions ne concerneront pas seulement la primauté du droit européen, mais toutes les questions touchant au fonctionnement de l'Union et des différentes cours en relation les unes avec les autres. Je répète que le cas polonais est très particulier, puisque c'est l'indépendance même du tribunal constitutionnel polonais qui pose question, et non une décision de justice en particulier.
La question de la primauté du droit ne se pose pas de la même manière dans tous les États, en fonction des sensibilités nationales. En France, par exemple, elle concerne davantage la sécurité et la défense, alors qu'en Allemagne, elle s'est posée à propos des financements européens. Nous lisons des arrêts, des décisions, et voyons s'il y a lieu de réagir. S'agissant par exemple de la décision du Conseil d'État sur la conservation des données de connexion, nous avons constaté qu'il y avait à la fois une application du droit européen, à travers l'application de la décision de la Cour de justice, et la demande d'une législation. Ce que nous analysons, c'est la nouvelle législation française et sa conformité aux standards européens.
L'objectif du rapport annuel n'est pas d'établir un classement entre les pays, mais de dialoguer et d'améliorer les choses. Toutefois, nous avons choisi de nous référer à certains classements, dont certains sont relatifs à la perception qu'ont les citoyens de certains sujets, par exemple de la justice. La manière dont ils perçoivent son indépendance et son efficacité est une donnée très importante. Parfois, le comportement des autorités peut avoir un impact sur cette perception. Si les institutions judiciaires fonctionnent correctement, mais qu'elles subissent des attaques permanentes de l'autorité publique, cela peut induire, chez nombre de citoyens, l'impression qu'il y a peut-être un dysfonctionnement de la justice. La perception, même si elle ne correspond pas toujours à la réalité, est donc un élément important.
Les classements internationaux montrent que la situation de l'Union européenne, même si elle peut être préoccupante à certains égards, est sans commune mesure avec ce que l'on vit dans beaucoup d'autres régions du monde. Alors, de grâce, ne tombons pas dans une description trop négative de la situation ! J'ai participé, au début du mois d'octobre, à la Nuit du droit au Conseil constitutionnel français, à l'invitation de son président. Étaient présents Mme Svetlana Tikhanovskaïa, la candidate à l'élection présidentielle en Biélorussie en 2020, et le docteur Denis Mukwege qui, comme on l'écrit souvent, « répare » les femmes dans l'est du Congo. Après les avoir écoutés, j'étais un peu mal à l'aise pour faire des remarques sur l'état du droit dans l'Union européenne... Il importe toutefois de continuer à travailler sur cette notion d'État de droit au sein de l'Union européenne, d'abord pour améliorer la situation et éviter qu'elle ne se détériore, pour éviter des dérives graves, mais aussi pour être crédibles quand nous voulons intervenir sur la scène internationale.
Je reviens d'une réunion en Slovénie avec les six États des Balkans candidats à l'entrée dans l'Union européenne. Si nous ne réagissons pas lorsque l'État de droit est mis à mal quelque part dans l'Union, comment exiger de ces pays le respect de certains principes ? Il en va de même avec nos partenaires orientaux, comme la Moldavie ou la Géorgie, avec nos partenaires du sud de la Méditerranée, et avec le reste du monde. Nous ne faisons pas de classement, mais nous devons être exemplaires si nous voulons, au plan international, défendre nos valeurs efficacement. Beaucoup d'Européens ont tendance à oublier que ce qui se passe quelque part en Europe affecte l'image de l'Europe entière. Je rappelle souvent qu'un juge français, allemand ou polonais est un juge européen, mais il est vrai aussi qu'un dirigeant allemand, français ou polonais est un dirigeant européen.
Dans notre réflexion sur l'État de droit, nous avons d'emblée adopté une méthodologie très robuste, en discutant avec les États membres. Avant même la publication du premier rapport, j'avais demandé que chaque État désigne une personne de contact. Quelle est la définition de l'État de droit ? Nous pourrions reprendre des définitions proposées par certains auteurs mais nous avons l'article 2 du traité, et l'indépendance de la justice est probablement la première garantie de la protection de toutes les valeurs. L'article 19 du traité prévoit l'obligation, pour les États membres, de mettre en place une justice indépendante. C'est ce que nous vérifions dans notre rapport et c'est aussi ce qui fait que la Cour de justice intervient.
L'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne donne à chaque citoyen le droit à un juge indépendant. J'ajoute qu'il doit être, si possible, de qualité et efficace, et rendre sa décision dans un délai qui soit acceptable, ou raisonnable. C'est là que se trouve le cœur de l'État de droit, comme dans la jurisprudence de la Cour de justice ou de la Cour européenne des droits de l'homme, comme aussi dans des décisions et des orientations du Conseil de l'Europe. Quand on parle de la composition des conseils de la justice ou du Conseil supérieur de la magistrature en France, c'est sur la base de critères fixés par le comité des ministres du Conseil de l'Europe. Et si l'on n'est pas d'accord avec la définition actuelle, il est possible d'en débattre et d'envisager des adaptations, à condition bien sûr qu'il y ait un accord à l'échelle européenne.
Des principes très clairs sont inscrits dans notre charte fondamentale européenne, qui sont d'ailleurs très comparables aux principes inscrits dans les constitutions nationales : on retrouve les mêmes principes à travers l'Europe. Il importe de dialoguer pour constater cet ensemble de principes communs. Ce dialogue doit se faire entre parlements, entre gouvernements, entre juridictions, mais aussi avec les citoyens : c'est un principe démocratique.
L'une des difficultés que nous rencontrons dans ce travail sur l'État de droit, c'est qu'il paraît bien souvent abstrait, éloigné de la vie quotidienne. Il faut expliquer que cette question a une influence sur la vie quotidienne des citoyens, et les parlements nationaux peuvent nous y aider. L'accès à la justice est un élément fondamental de la protection des droits individuels, de même que le fonctionnement du marché intérieur, c'est-à-dire la protection des capacités d'investissement d'un pays à un autre, ou les collaborations entre autorités administratives et judiciaires. Les débats sur l'État de droit ou l'indépendance de la justice peuvent sembler abstraits à nos concitoyens : il faut leur montrer, par des exemples concrets, que cela a un impact sur leur vie. C'est ce que nous tentons de faire, à travers des rencontres comme celle-ci, mais aussi à travers des rencontres avec des étudiants ou des organisations non gouvernementales.
La séance est levée à 16 heures.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Vincent Bru, Mme Maud Gatel, Mme Marietta Karamanli, M. Didier Quentin, Mme Liliana Tanguy, Mme Sabine Thillaye
Excusée. - Mme Constance Le Grip
Assistaient également à la réunion. - Mme Yaël Braun-Pivet, Mme Nicole Dubré‑Chirat, M. Christophe Euzet, M. Victor Habert-Dassault, Mme Élodie Jacquier-Laforge, Mme Naïma Moutchou, M. Bruno Questel, M. Rémy Rebeyrotte