Intervention de Mireille Clapot

Réunion du mardi 14 décembre 2021 à 18h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMireille Clapot, rapporteure :

Vous l'avez compris, l'alignement des astres nous paraît propice à la promotion du sujet au niveau européen, mais, sur plusieurs aspects, il s'agit – c'est une question de réglage – de déterminer comment aller le plus loin possible dans la chaîne de valeur pour que le respect des droits humains et environnementaux soit réellement sous contrôle, tout en permettant un consensus des différents États membres, qui ne sont pas tous au même niveau de maturité dans la société civile comme au sein des entreprises. Dominique Potier vous a énuméré quelques-uns de ces champs à propos desquels il subsiste un débat.

Une autre question qui a occupé une place importante dans nos travaux est la manière d'assurer l'application effective du devoir de vigilance. Deux écoles existent en la matière. L'une repose sur la responsabilité civile des entreprises pour les atteintes commises au long de leur chaîne de valeur du fait de manquements à leur devoir de vigilance ou de défaillances prouvées dans leur stratégie de vigilance. Cette approche est celle de la loi française, pour laquelle seule la voie judiciaire permet aux victimes de faire valoir leurs droits, contraint les entreprises à ce que leur responsabilité soit engagée et rend possible l'indemnisation des préjudices causés.

L'autre approche consiste à instituer une autorité administrative chargée de recevoir les plans de vigilance des entreprises, voire, comme dans certains pays, d'imposer aux entreprises des sanctions. Cette option, retenue par exemple par les Pays-Bas et l'Allemagne, a été critiquée par certaines ONG qui sont à l'initiative de nombreux contentieux judiciaires en France. Elles craignent un contournement du rôle central de l'autorité judiciaire et redoutent que l'absence de sanction au terme d'une procédure ne revienne à donner un blanc-seing aux entreprises en cas d'atteinte aux droits fondamentaux ou à l'environnement.

Pour notre part, nous ne sommes pas opposés à la création d'une autorité administrative, qui peut au contraire aider à renforcer le devoir de vigilance dans le cadre d'une directive européenne, en permettant d'agir en amont. Mais cette création ne doit se faire qu'à certaines conditions. La voie judiciaire doit demeurer, nous en sommes convaincus, le cœur de l'application du devoir de vigilance et la première façon d'assurer le respect des obligations des entreprises.

Une future directive européenne pourrait prévoir une supervision administrative, à condition d'être complémentaire et non concurrente de la voie judiciaire, afin d'assurer dans chaque État membre l'accompagnement des entreprises, la mise à disposition de ressources et la prévention des atteintes. Sans nous prononcer sur l'opportunité d'un pouvoir de sanction, nous pensons qu'il serait positif que les pouvoirs publics, associés à des ONG au sein de collèges d'experts, créent une véritable politique publique de prévention – nous insistons sur ce terme de politique publique, qui n'a pas été suffisamment employé – et accompagnent de manière exigeante les entreprises. L'accompagnement préventif pourrait ainsi renforcer le devoir de vigilance et faire des pouvoirs publics des acteurs de celui-ci, qui concerne aujourd'hui essentiellement les entreprises, les ONG et syndicats impliqués dans des contentieux. Ces autorités administratives nationales, dont la forme reste à définir, devraient à notre avis être organisées en un réseau européen pour aboutir à l'application la plus homogène possible du devoir de vigilance sur le marché intérieur, malgré les spécificités juridiques de chaque État membre.

L'Union européenne se trouve à une étape décisive pour affirmer sa volonté de suivre une politique ambitieuse, respectueuse de l'environnement – dans le sillage du Green Deal (Pacte vert) – et des droits fondamentaux, de façon à promouvoir ses valeurs au niveau mondial. Les citoyens européens, la société civile et de nombreux acteurs économiques sont prêts à franchir cette étape cruciale pour instituer au niveau européen un devoir de vigilance. Nous pensons que celui-ci doit être exigeant et ambitieux pour être à la hauteur des attentes de nos concitoyens ; nos propositions s'inscrivent dans cette optique, relèvent de cette éthique.

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