Vous n'imaginez pas, mes chers collègues, combien vos encouragements nous touchent après des années d'épreuves à combattre les adversaires de la loi de 2017 et, parfois, l'exécutif lui-même. Je le dis aux députés de la majorité : il y a des combats nécessaires sur des sujets qui, avant de susciter le consensus, rencontrent des résistances. Si je suis ému en vous écoutant, c'est que l'ambiance n'a pas toujours été celle-là : j'ai connu le mépris et l'adversité. Mais nous avons bien fait de tenir, et je me réjouis beaucoup que des collègues comme Mireille Clapot se soient investis à nos côtés.
Au-delà des pays, dont il vient d'être question, il faut saluer les organisations internationales qui s'appuient sur le devoir de vigilance. Ainsi, pour l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui m'a beaucoup sollicité, il s'agit d'un instrument très précieux pour lutter contre la traite des êtres humains. De même, la France s'est engagée, par la voix du Président de la République et des ministres Franck Riester, Élisabeth Borne et Adrien Taquet, à rejoindre les pays pionniers concernant l'ODD 8.7, qui porte sur le travail des enfants et la traite des êtres humains ; or les ONG de terrain nous disent que le devoir de vigilance est un important levier pour y parvenir.
D'une manière générale, nous avons beaucoup à apprendre des autres. L'approche pragmatique de l'Allemagne, fruit des coalitions, est instructive pour nous ; elle est parfois en retrait, parfois en avance. Voilà pourquoi je souhaite que le dialogue européen soit démocratique. Ce qui m'inquiète n'est pas que Thierry Breton demande six mois de plus, c'est qu'il ne dise pas pourquoi : la Commission européenne gère son calendrier comme une boîte noire, alors que le Parlement européen s'est prononcé. Cela agace beaucoup les syndicats, les ONG et de nombreux pays membres qui font valoir qu'il y a un contrat à honorer et qu'il ne faut pas manquer de ce point de vue l'occasion que représente la présidence française.
Je ne veux pas oublier de saluer le travail d'Éric Dupond-Moretti, qui s'est battu lors de l'arbitrage interministériel pour faire reconnaître la compétence de la juridiction civile et la spécialisation du tribunal de Paris. C'était une carence de la loi française que nous n'avions pas vue : les tribunaux de commerce pouvaient être sollicités comme les juridictions civiles, sans spécialisation, de sorte que les tribunaux de Nantes ou de Nancy pouvaient être saisis d'affaires relevant du commerce international ou des questions de concurrence ; cela posait un problème de compétence. Le courage du garde des Sceaux a permis de clarifier ce point.
Je salue enfin notre collègue Cendra Motin, qui a rédigé un amendement dont nous n'avions fait qu'émettre l'idée et qui permet d'exclure d'un marché public français une entreprise qui n'a pas établi son plan de vigilance – sans qu'il soit question de juger de la qualité de celui-ci, sinon on ne s'en sortirait pas.
Le sujet a ainsi prospéré pendant la présente législature, entraînant des avancées, et le dialogue n'est pas terminé.
Ainsi, nous avons enfin obtenu que la loi de 2017 fasse l'objet d'une évaluation, qui va durer deux mois – ce qui est très court. Coralie Dubost et moi-même engageons dès demain une première série d'auditions qui devraient déboucher en février sur la remise d'un rapport. Celui-ci servira à la fois à nourrir le débat européen et à préparer la mise en œuvre de la directive européenne de 2023 dans la loi française au cours de la prochaine législature. J'espère que nous serons témoins non de régressions, mais bien d'une évolution à la lumière de cette évaluation. Nous la centrerons sur le travail des enfants, en écho à l'initiative du Président de la République, et sur l'état de l'art des multiples productions intellectuelles dont l'innovation législative de 2017 a fait l'objet.
Quant à notre proposition de résolution, elle semble plutôt bien partie : si vous l'adoptez, elle devrait être reprise par le groupe Socialistes lors de sa niche parlementaire du 20 janvier 2022, ce qui nous donnera l'occasion de faire à nouveau chorus – une bonne manière de commencer l'année ensemble. En outre, dans le cadre de la fondation Jean-Jaurès, nous préparons avec nos collègues allemands, pour janvier ou début février, un travail d'approfondissement sur les lois allemande et française. Bref, nous n'avons pas fini de parler du sujet.
Enfin, le texte que nous présentons s'inscrit dans une architecture plus vaste. Le Président de la République et la présidente de la Commission européenne ont évoqué la lutte contre la déforestation par le biais des produits, à l'image du travail de notre collègue belge au Parlement européen sur les minerais de sang : l'idée est que les produits importés ne sauraient être issus de l'esclavage moderne ou d'écocides. Une autre approche consiste à actionner le levier juridique – c'est celle que nous proposons ici. Ce sont ces deux approches combinées qui finiront par faire de l'Europe l'acteur d'une mondialisation plus humaine. Il s'agit d'un processus global, non d'une démarche isolée : nous vivons un moment inédit de prise de conscience culturelle et politique ; c'est l'une des bonnes nouvelles de la sortie de crise. Il faut maintenant accélérer. De ce point de vue, votre unanimité et votre enthousiasme sont un très beau signe.