Intervention de Marguerite Deprez-Audebert

Réunion du mercredi 23 février 2022 à 14h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarguerite Deprez-Audebert, rapporteure :

C'est avec un peu d'émotion que j'ai l'honneur de vous présenter ce rapport d'information sur la défense commerciale européenne, le dernier de cette mandature.

Si le sujet revêt une certaine complexité du fait de sa technicité, il illustre, selon moi, parfaitement la mue endossée par l'Union européenne ces dernières années pour exiger une plus grande réciprocité dans ses rapports avec le reste du monde. La dernière plainte, déposée le 18 février dernier par l'Union auprès de l'OMC contre la Chine, qui est accusée d'avoir empêché des entreprises européennes de protéger leurs brevets, témoigne de la volonté de Bruxelles de défendre davantage nos intérêts économiques.

Ouverte au commerce, l'Union s'est en effet appuyée sur les instruments de défense commerciale à sa disposition pour s'affirmer face aux pratiques commerciales déloyales de pays tiers et réclamer des conditions de concurrence équitables pour ses producteurs. L'Union ne s'est d'ailleurs pas contentée de mobiliser ses instruments ; elle les a récemment profondément rénovés pour s'assurer de leur efficacité dans un contexte de tensions commerciales accrues et continues. Elle continue aujourd'hui d'élargir la palette d'outils dont elle dispose. Je vais tâcher de revenir sur chacun de ces points.

Stricto sensu, il existe trois instruments de défense commerciale : les mesures antidumping, les mesures antisubventions, les mesures de sauvegarde. Si l'on exclut les mesures de sauvegarde, qui représentent une infime partie des mesures en vigueur, les deux premiers instruments ont vocation à intervenir lorsque des produits importés au sein de l'Union sont vendus, du fait du dumping ou des subventions dont ils font l'objet, à des prix artificiellement bas. Ce faisant, ils exposent les producteurs européens des secteurs concernés à une concurrence déloyale.

Environ 150 mesures de défense commerciale sont aujourd'hui en vigueur dans l'Union. Ces mesures sont réparties de la façon suivante : 86 % sont des mesures antidumping, 12 % sont des mesures antisubventions, les 2 % restants représentent des mesures de sauvegarde.

En ce qui concerne les pays visés par ces mesures, je ne vous surprendrai pas, je crois, en vous indiquant que près de deux tiers des mesures en vigueur ciblent des produits chinois ; viennent ensuite les produits en provenance de Russie, d'Inde et des États-Unis.

Dans les faits, l'Union recourt moins aux instruments de défense commerciale que ses partenaires, mais cela ne signifie pas pour autant qu'elle fasse preuve d'une naïveté absolue en la matière. Par exemple, les États-Unis et l'Union présentent un volume d'importations de marchandises en provenance du reste du monde similaire, mais les États-Unis affichent pourtant un nombre de droits en vigueur quatre fois supérieurs. Toutefois, un des facteurs explicatifs de cet inégal recours réside dans l'approche différente des deux puissances en matière de défense commerciale : les États-Unis préfèrent imposer un très grand nombre de droits quitte à être déboutés par la suite par l'OMC, tandis que l'Union européenne n'impose des droits que lorsqu'elle est plus ou moins certaine de la régularité de ses mesures et préserve ainsi ses entreprises d'une forme d'instabilité réglementaire qui leur serait préjudiciable.

L'efficacité de la défense commerciale européenne est réelle : selon les estimations de la Commission, ce sont près de 350 000 emplois directs qui seraient protégés par les mesures en vigueur. Un rapport récent de la Cour des comptes européenne a souligné que le système de protection des entreprises de l'UE contre les importations faisant l'objet d'un dumping ou subventionnées fonctionnait bien.

Néanmoins, nous devons reconnaître que cette efficacité est partielle. Elle a besoin d'être améliorée car l'Union a longtemps eu tendance à aller au-delà des règles de l'OMC, faisant preuve parfois d'une attitude conciliante, voire naïve vis-à-vis des États tiers qui recourent au dumping ou aux subventions. Les instruments de la défense commerciale européenne ont donc été profondément révisés à partir de 2017, pour remédier aux lacunes et pour les adapter à certaines nouvelles réalités économiques, au premier rang desquelles la montée en puissance de la Chine. Concrètement, les mesures de défense commerciale sont désormais mises en œuvre de façon plus systématique, plus rapide et plus sévère pour défendre au mieux l'intérêt des entreprises européennes.

Une innovation majeure a également été la nomination en 2020, d'un procureur commercial au sein de l'Union qui permet d'incarner véritablement la défense commerciale européenne auprès de nos entreprises, mais également vis-à-vis du reste du monde. Cette nomination témoigne d'un revirement au niveau européen que je veux ici saluer : la Commission européenne ne cherche plus uniquement à multiplier les accords commerciaux avec des partenaires mais s'assure désormais aussi que ceux déjà signés aient des retombées sonnantes et trébuchantes pour les entreprises européennes.

Aujourd'hui, au-delà d'une modernisation, la défense commerciale européenne est sujette à un réel élargissement dans le cadre de la nouvelle stratégie commerciale de l'Union adoptée en février 2021. Sans constituer de véritables instruments de défense commerciale, de nouveaux instruments, dits autonomes, ont vocation, comme les IDC, à permettre à l'Union européenne et à ses États membres de mieux faire valoir leurs droits, lorsqu'ils sont confrontés à des pratiques commerciales déloyales ou à une absence de réciprocité dans les échanges commerciaux. Il m'a, ainsi, paru pertinent d'aborder ces instruments dans le cadre de ce rapport sur la défense commerciale européenne, en ce qu'ils poursuivent les mêmes objectifs que ceux habituellement assignés aux IDC.

Ces nouveaux instruments doivent permettre de mieux lutter contre les subventions sur les marchés tiers, d'exiger une plus grande réciprocité dans l'accès aux marchés publics ou encore de répliquer aux tentatives de coercition économique dont ferait l'objet l'Union ou l'un de ses États membres.

En ce qui concerne l'absence de réciprocité dans l'ouverture des marchés publics en défaveur des entreprises européennes, j'aimerais partager avec vous un exemple qui me paraît particulièrement révélateur et que j'emprunte à un rapport d'information publié récemment par la commission des Affaires étrangères et présenté par les députés Maud Gatel et Didier Quentin : alors que les chercheurs du CNRS travaillent avec des supercalculateurs américains, les industriels européens ne sont pas autorisés à répondre à la commande publique américaine pour ces mêmes équipements. Ce n'est pas normal !

Par ailleurs, d'autres instruments en train d'être créés, bien qu'ils poursuivent en priorité des objectifs différents, auront aussi une influence en matière de commerce extérieur. Cela illustre la place centrale qu'occupe désormais la politique commerciale et la nécessité de la mettre en cohérence avec la politique industrielle, nos efforts en matière d'écologie, mais aussi la protection des droits de l'homme. À ce titre, le règlement établissant un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'Union, proposé par la Commission européenne le 14 juillet dernier, fait partie des exemples les plus pertinents pour souligner le caractère transversal des enjeux climatiques et commerciaux. Plus récemment, le commissaire Thierry Breton a présenté sa proposition du Chips Act européen qui vise à renforcer la production de semi-conducteurs dans l'Union pour consolider notre autonomie industrielle et notre marge de manœuvre en matière commerciale. Au niveau des initiatives prises par l'Assemblée nationale ou notre commission des Affaires européennes, je pense aussi aux résolutions adoptées, en janvier dernier, concernant la situation des Ouïghours en Chine et le devoir de vigilance des multinationales.

La France est particulièrement investie sur la création des nouveaux instruments commerciaux et entend utiliser la PFUE pour faire avancer les négociations sur ces dossiers. Je salue cette volonté et m'y associe, tout en précisant que le seul élargissement des instruments dont dispose l'Union n'apporte qu'une réponse certes bienvenue mais partielle : il est absolument nécessaire, sur ce sujet, pour l'Union européenne et pour la France, de continuer à œuvrer à une réforme de l'OMC afin, notamment, de débloquer l'organe de règlement des différends, aujourd'hui paralysé, et d'adopter de nouvelles règles plus contraignantes en matière de contrôle des subventions.

En conclusion, je recourrai à cette maxime latine qui exprime parfaitement la philosophie avec laquelle l'Union européenne recourt aux instruments de défense commerciale et développe de nouveaux outils : si vis pacem, para bellum, « si tu veux la paix, prépare la guerre. » La défense commerciale européenne n'a, en théorie, pas vocation à être utilisée mais son « arsenal » est indispensable pour assurer à l'Union européenne et à ses États membres une crédibilité dans leur rapport avec leurs partenaires : son existence et son renforcement actuel doivent permettre de dissuader les États qui seraient tentés de le faire de recourir à des pratiques commerciales déloyales. Nous devons aujourd'hui renforcer cet arsenal en poursuivant la voie prise par la Commission européenne et les ambitions exprimées par la présidence française du Conseil de l'Union européenne.

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