Intervention de Liliana Tanguy

Réunion du mercredi 23 février 2022 à 14h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLiliana Tanguy, rapporteure :

La deuxième partie de notre communication porte sur le calendrier envisagé pour l'entrée en vigueur de l'accord.

L'OCDE a déterminé un plan de mise en œuvre extrêmement volontariste, pour une application concomitante des deux piliers en 2023. La déclaration du 8 octobre 2021 ne constitue pas l'accord final, mais un engagement politique ; les parties favorables à la déclaration poursuivent les négociations sur les projets de textes juridiques, de règles types et de commentaires.

Même si la même date d'entrée en vigueur est visée pour les deux piliers, les travaux techniques avancent à des rythmes différents. Le pilier II, qui ne nécessite pas de convention multilatérale mais des modifications des législations nationales ou européennes, est plus avancé. L'OCDE a publié fin décembre 2021 le modèle pour faciliter la transposition de ses règles en droit interne.

Le travail technique et politique restant à accomplir sur le pilier I est plus important. Il s'articule autour d'une douzaine de modules. L'un d'entre eux consiste à préciser le champ d'application. L'accord politique prévoit par exemple que le pilier I ne s'applique pas aux entreprises extractives, il reste à définir précisément les activités extractives. Un autre sujet à très fort enjeu financier et politique est la règle d'élimination des doubles impositions, qui consiste à déterminer à quel pays on prend l'argent qu'on va redistribuer aux pays de marché. Par exemple, pour un grand groupe de luxe français, va-t-on prendre les bénéfices à réattribuer aux juridictions de marché à la France, pays de siège, à tous les pays où le groupe a une profitabilité au-dessus de 10 % ou, parmi ces pays, prioritairement aux pays où la profitabilité est exceptionnelle, de fait les paradis fiscaux ?

L'objectif est de parvenir à un accord sur les différents modules au premier semestre pour que la convention multilatérale nécessaire à la mise en œuvre du pilier I puisse être signée pour la réunion des ministres des finances du G20 fin juillet. Une consultation publique vient tout juste de se terminer sur un projet de règles types pour le lien et la source du chiffre d'affaires.

Une fois signée, il faudra que les États ratifient la convention le plus tôt possible, pour permettre sa prise d'effet en 2023 après qu'une masse critique de juridictions l'aura ratifiée. La principale interrogation porte sur la ratification par le Congrès américain.

Quelles sont les conséquences pour la législation européenne ?

Comme Frédérique Dumas et Xavier Paluszkiewicz l'avaient montré dans leur rapport sur l'espace fiscal européen, un certain nombre d'États membres n'envisagent d'intervention de la législation européenne dans le domaine de la fiscalité des entreprises que dans le cadre d'accords au niveau international, pour préserver la compétitivité des économies européennes et des conditions de concurrence équitables. Cet accord est donc important pour l'Union européenne et aura plusieurs conséquences très directes.

La première, nous l'avons évoquée, est l'abandon de tout projet de taxe numérique européenne. Comme il s'agissait d'une des pistes prévues par l'accord interinstitutionnel de décembre 2020 pour de nouvelles ressources propres du budget de l'Union, la Commission a dû trouver une solution de repli. Elle a ainsi proposé le 22 décembre 2021 une nouvelle ressource propre constituée de 15 % de la part des bénéfices résiduels des entreprises multinationales réattribuée aux États membres dans le cadre du pilier I. Elle estime que cette ressource pourrait rapporter entre 2,5 et 4 milliards d'euros par an, mais il n'y a pas d'étude d'impact à proprement parler à ce stade, l'accord sur le pilier I n'étant pas finalisé. De lourdes incertitudes pèsent encore sur la mise en œuvre de cette ressource. Elle ne pourra en effet s'appliquer qu'après la prise d'effet de la convention multilatérale en cours d'élaboration à l'OCDE et l'adoption d'une directive relative à la mise en œuvre de l'accord mondial sur la réattribution des droits d'imposition, que la Commission ne pourra proposer qu'une fois que la convention multilatérale aura été rédigée. Le chemin est semé d'embûches, puisque, outre l'unanimité sur la directive, la mise en œuvre de cette ressource dépend de la ratification de la convention multilatérale par des pays n'appartenant pas à l'Union européenne. En outre, sur le plan européen, cette proposition peut soulever des interrogations. Il faudra en effet s'intéresser au montant net des bénéfices résiduels réattribués, et pas seulement aux bénéfices réattribués : certains États européens, comme le Danemark, devraient perdre plus de recettes qu'ils n'en gagneront. Sur le plan des principes, certains pays pourraient également faire valoir que, l'Union européenne n'ayant qu'une compétence résiduelle en matière de fiscalité directe, il n'est pas légitime de fonder une ressource propre du budget de l'Union sur l'impôt sur les sociétés, qui revient aux États. Souvenons-nous du serpent de mer de l'assiette commune consolidée pour l'impôt des sociétés (ACCIS).

Sur le pilier II, la Commission a d'ores‑et‑déjà présenté, fin décembre, une proposition de directive pour mettre en place l'imposition minimale des multinationales dans l'Union européenne de manière cohérente et compatible avec le droit de l'Union. Son adoption constitue une priorité pour la présidence française et pour la Commission. La proposition de la Commission reprend fidèlement les règles types adoptées par le cadre inclusif, sous réserve d'adaptations qui visent pour l'essentiel à éviter toute discrimination contraire à la liberté d'établissement au sein de l'Union entre situations internes et transfrontalières. Les adaptations les plus notables sont, d'une part, l'obligation pour les États membres d'appliquer l'impôt minimum, pour éviter toute distorsion sur le marché intérieur, et, d'autre part, l'extension du champ d'application du pilier II aux entreprises purement nationales dépassant les 750 millions d'euros de chiffre d'affaires, pour respecter la liberté d'établissement. La négociation entre États membres vient tout juste de commencer. Le principal obstacle pourrait venir de la volonté de quelques pays (Estonie, Hongrie et Pologne) d'attendre la finalisation du pilier I pour engager la transposition du pilier II. Même si les deux piliers sont indépendants juridiquement, ces pays estiment qu'ils sont liés politiquement. Ils n'ont consenti au pilier II, qui remet en cause leurs incitations fiscales à l'investissement, que parce qu'il y avait le pilier I. Plusieurs pays s'inquiètent en outre du calendrier très ambitieux de la présidence française, qui vise une adoption par le Conseil au premier semestre, alors que le projet de texte est techniquement compliqué et qu'il convient d'en mesurer les effets sur les entreprises nationales.

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