Je suis heureuse de pouvoir m'adresser une première fois à vous en tant que rapporteure spéciale sur les crédits relatifs au Budget opérationnel de la défense, soit les programmes 178 et 212.
Il me revient, de connaître et de suivre les conditions budgétaires de la préparation et l'emploi de nos forces armées, sur le territoire national comme à l'extérieur de nos frontières. Ces crédits doivent permettre de répondre à l'exigence imposée aux femmes et aux hommes de nos armées, dont je tiens à souligner l'engagement exemplaire. Le budget opérationnel de la défense, c'est également les crédits qui permettent aux armées de proposer un cadre adapté et propice à l'efficacité et l'épanouissement des personnels, via la politique de recrutement et de reconversion, les rémunérations et l'amélioration des conditions de vie. C'est toute l'ambition du plan famille.
Comme chaque rapporteur spécial, j'ai essayé, dans le peu de temps qui m'était imparti, d'appréhender les conséquences de la crise sanitaire sur les crédits et les politiques publiques de ce budget.
Mais avant de m'attacher à cette actualité brûlante, je vous propose de revenir sur l'année 2019 et son exécution budgétaire. Cette année 2019 constituait, en tant que première année d'exécution de la loi de programmation militaire, une étape charnière pour les armées.
L'année 2019 devait lancer sur de bons rails les trajectoires de remontée en puissance établies par la LPM et voulues par la Nation. Le Parlement et le ministère des Armées se sont montrés au rendez-vous et l'on peut se réjouir qu'en 2019 tant la programmation que l'exécution ont été conformes à la LPM.
La Cour des comptes attire notre attention sur deux points. Tout d'abord, la budgétisation des surcoûts liés aux opérations extérieures et missions intérieures se rapproche à nouveau des besoins, grâce à l'augmentation progressive de la dotation correspondante. L'écart entre crédits ouverts et surcoûts effectifs est à son plus bas niveau depuis 2012 à hauteur de 406 millions d'euros et le ministère est en mesure de le couvrir sans recourir à la solidarité interministérielle. L'amélioration de la programmation de ces surcoûts doit se poursuivre en incluant pour l'actualisation de la LPM en 2021, à l'article 4, les dépenses de personnels liées aux missions intérieures.
Le deuxième point concerne l'enjeu du recrutement et de la fidélisation des personnels militaires. La LPM prévoit un schéma d'emplois ambitieux de 6000 équivalents temps plein supplémentaires sur la période 2019-2025. Toutefois, on constate en 2019, comme en 2018, de réelles difficultés d'exécution des schémas d'emploi ciblant les personnels militaires. Pour cette année, le personnel militaire affichait un sous-effectif de 214 ETP par rapport à la cible corrigée en gestion. La Cour des comptes recommande ainsi d'étudier des alternatives aux modalités de pilotage des schémas d'emplois pour appréhender annuellement la trajectoire pluriannuelle en effectifs prévue en LPM.
Le problème est bien identifié par le ministère des armées. Il l'est même d'autant plus qu'il se voit aggravé par la crise sanitaire que nous affrontons, car celle-ci a paralysé et perturbe encore les campagnes de recrutement. L'étude d'impact du projet de loi portant diverses dispositions urgentes pour faire face aux conséquences de l'épidémie de covid-19, déposé le 7 mai, prévoit que le ralentissement des flux de recrutement va se traduire par un déficit d'environ quatre mille militaires sur une période de confinement estimée à trois mois. Cela représente 15 % des 26 000 personnes recrutées chaque année par les armées.
Lors de son audition le 6 mai par la commission de la défense, Thierry Burkhard, chef d'état-major de l'armée de Terre, a indiqué que ce retard ne sera pas rattrapé en intégralité, à tout le moins pour l'armée de Terre.
Cela se traduira certainement par une sous-exécution des crédits de personnel, crédits représentant 64 % des crédits du rapport spécial. Cette année, les importants crédits d'investissement prévus pour permettre la remontée en puissance des armées pourront également connaître une sous-exécution, au premier chef en raison du ralentissement d'activité que connaît la base industrielle et technologique de défense. Nous pouvons anticiper un effet plus nuancé sur les dépenses de fonctionnement. D'une part, la crise sanitaire pourrait occasionner des dépenses supplémentaires, tel l'achat de matériel de protection et de nettoyage spécifiques. D'autre part, une sous-consommation des crédits de préparation et d'emploi des forces est envisageable, notamment sur les surcoûts OPEX après le désengagement anticipé d'une partie des troupes de l'opération Chammal, même si les coûts inconnus de l'opération Résilience viendront atténuer cette sous-consommation.
Au-delà de ces impacts budgétaires, la crainte est que les effets de la crise ne viennent ébranler la capacité du ministère à rester en ligne avec les objectifs fixés par la LPM.
Cette LPM qui propose un modèle d'armée complet et équilibré, capable de remplir ses missions de manière soutenable et dans la durée, une LPM à hauteur d'homme garantissant l'autonomie stratégique de la France. Nous devrons être vigilants à ce que les prévisions budgétaires futures restent fidèles à cette volonté, conformes à la loi de programmation militaire, et il nous appartiendra de vérifier que les objectifs fixés seront bien atteints.