Intervention de Marc Le Fur

Réunion du mardi 2 juin 2020 à 10h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarc Le Fur, rapporteur spécial (Aide publique au développement ; Prêts à des États étrangers) :

Chacun se souvient des objectifs de l'aide au développement : atteindre les 0,55 % du PIB, ce qui implique un effort supplémentaire annuel de 5 milliards d'euros sur cinq ans, ainsi qu'un effort vers les dix-neuf pays prioritaires, essentiellement africains, vers plus de bilatéral et plus de dons.

En 2019, nous observons deux bonnes nouvelles, avec des économies réalisées sur les crédits de bonification de prêts, en raison des faibles taux d'intérêt, à hauteur de 261 millions d'euros, et du décalage de la restructuration de la dette somalienne, pour 63 millions d'euros.

Je veux d'abord saluer la présence constante de nos diplomates et de nos agents de l'AFD qui, à la différence de ceux d'autres agences et pays, sont restés en poste au long de la crise.

Les pays africains sont particulièrement touchés, pas tant par la crise sanitaire, à laquelle ils semblent échapper pour le moment, mais par la crise économique, de façon terrible. Cette crise se traduit en effet par un effondrement du prix des matières premières et de l'apport financier des diasporas, ainsi que par des problèmes de transport et de logistique, en particulier pour les pays enclavés et les plus fragiles – je rappelle que 94 % des produits pharmaceutiques distribués en Afrique sont produits à l'extérieur. La situation est particulièrement préoccupante au sein de la zone sahélienne, alors que, par ailleurs, la crise alimentaire se renforce. Ce sont désormais 265 millions de personnes qui souffrent de difficultés alimentaires selon le Programme alimentaire mondial (PAM), contre 135 millions avant crise.

La réaction principale à cette crise a été le moratoire sur la dette – il ne s'agit pas d'annulation. L'intérêt de cette décision est qu'elle a été prise par le Club de Paris, suivie par les autres grands créanciers : Inde, Brésil, Chine – c'est à noter – ainsi que certains pays du Golfe. Par contre, pour le moment, cette décision n'est suivie ni par les grandes banques multilatérales ni par les créanciers privés. Ce moratoire conduit à un décalage de recette pour la France de l'ordre de 900 millions d'euros, sur un décalage total au niveau mondial de 13 milliards.

L'annulation des dettes est une volonté exprimée par le président de la République, mais elle ne concernerait que les seuls pays africains. Pour l'instant, aucune décision n'a encore été prise ; il semblerait d'ailleurs qu'un certain nombre de pays hésiteraient à demander cette annulation.

Au niveau bilatéral, il a été décidé d'allouer 1,2 milliard d'euros à la situation du moment. Ce sont des redéploiements sous forme de prêts pour un milliard d'euros ou de dons pour 200 millions d'euros, qui financent des actions essentiellement d'ordre alimentaire et sanitaire. En particulier, des subventions de deux fois deux millions d'euros ont été accordées aux 32 Instituts Pasteur, réseau animé par la France.

Concernant l'OMS, la donne a changé du fait de la crise et du retrait américain. Qu'en sera-t-il de la présence française ? Actuellement, nous sommes un très modeste contributeur – le dix-septième contributeur national – avec 35 millions d'euros par an. Le président de la République a annoncé une contribution supplémentaire de 50 millions d'euros, mais aucune décision n'est formellement prise à ce stade.

La question de la participation de la France au PAM, au sein duquel nous sommes très peu présents – nous versons 18 millions d'euros, qu'il faut rapporter aux 515 millions d'euros des Allemands – se pose également puisque, à l'évidence, le Programme sera plus mobilisé à l'avenir.

D'autres acteurs sont également demandeurs, en particulier l'Alliance mondiale pour les vaccins, qui doit pouvoir jouer un rôle conséquent dans cette période compliquée.

En ce qui concerne l'autorisation parlementaire, il faut s'interroger sur la loi de programmation pour l'aide au développement, qui change de nature du fait de la crise. Celle-ci doit nous inciter à faire plus de sanitaire et plus d'alimentaire et pose la question des 0,55 %. Est-ce qu'un pays comme le nôtre, qui devrait connaître une baisse de 11 % de son PIB en 2020, pourra tenir des engagements ? D'autant que nous allons avoir un « effet dénominateur » surprenant : du fait de la baisse du PIB, la part relative de notre aide s'accroît mécaniquement, et dépasserait les 0,50 % dès 2020.

Les annulations de dettes pèseront également beaucoup sur notre aide. Le Président de la République s'est prononcé en faveur de ces annulations pour les pays africains. Certains dossiers – Somalie, Zimbabwe, Soudan – restent ouverts ; il faudra se demander si d'autres pays rejoindront cette liste. Or, ces annulations ne bénéficieront probablement pas à nos pays prioritaires : les pays dont la dette pourrait être annulée sont des pays capables de porter une dette avant la crise, ceux en situation intermédiaire, mais pas les pays les plus fragiles. Ainsi, les pays de la zone sahélienne sont peu endettés. Or, nous devons garder notre priorité géographique, en plus de l'ambition des 0,55 %, vers les dix-neuf pays prioritaires, en particulier les cinq de la bande sahélienne – ceci fait consensus. Les annulations de dette reposeront donc la question de la répartition de notre apport entre les différents pays.

Cette crise sanitaire, et plus encore économique, dans les pays qui bénéficient traditionnellement de l'aide au développement, remet en cause un certain nombre de fondamentaux, que ce soit dans les taux, dans l'orientation vers les pays jugés prioritaires et dans la nature des aides, avec une priorisation du sanitaire et de l'alimentaire.

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