C'est en ma qualité de rapporteur spécial pour les affaires européennes en charge de l'évolution du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne que j'ai le plaisir de m'adresser à vous, vous rappelant ainsi que la contribution française au budget de l'Union représente de fait la quatrième mission budgétaire de l'État.
En 2019, ce prélèvement a atteint 21,02 milliards d'euros alors que la prévision en loi de finances initiale l'établissait à 21,4 milliards d'euros. La différence s'explique par l'enregistrement de recettes exceptionnelles en fin d'exercice, acté par le dernier budget rectificatif pour l'exercice 2019 de l'Union.
Cette année encore se pose la question des restes à liquider, qui sont les engagements budgétaires pris par l'Union, qui n'ont pas été abondés par des crédits de paiement. Ils s'élevaient à 300 milliards d'euros à la fin de l'année 2019, soit 30 % du budget pluriannuel, alors même que 2020 constitue la dernière année du cadre financier pluriannuel.
Ce volume important d'arriérés de paiement impactera évidemment le prochain cadre financier pluriannuel, et pourrait nécessiter une augmentation des contributions des Etats-membres pour apurer les comptes. Une augmentation de notre contribution pourrait donc s'avérer plus que nécessaire.
J'en viens aux mesures inédites prises par l'Union européenne pour limiter les conséquences de la crise sanitaire et pour redresser économiquement une Europe bouleversée par la pandémie de covid-19. Fidèle à l'esprit de Jean Monnet, la Commission européenne a rapidement mobilisé l'ensemble de ses outils, juridiques comme budgétaires, pour mettre en œuvre la solidarité à l'échelle de l'Union européenne. Le premier geste fort fut l'assouplissement temporaire du régime des aides d'État. Sur les 1 900 milliards d'euros d'aides accordées par les Etats, c'est l'Allemagne qui en a distribué le plus : elle représente 52 % des aides accordées, contre 17 % seulement pour la France, et 16 % pour l'Italie. Ces aides dérogent au régime d'aides d'Etat prévu par les traités.
La Commission a ensuite activé la clause dérogatoire générale du Pacte de stabilité, qui entraîne la suspension temporaire des règles budgétaires. Les Etats ne sont donc plus tenus de respecter les règles budgétaires de Maastricht, sur le niveau de la dette public ou du déficit pendant la crise. Elle a également permis aux États membres de réorienter les fonds structurels qui n'avaient pas encore été utilisés, vers le financement de mesures de lutte contre la pandémie.
Les institutions européennes se sont également mobilisées. La Banque européenne d'investissement (BEI) a augmenté sa capacité d'investissement à hauteur de 200 milliards pour soutenir les petites et moyennes entreprises (PME). La Banque centrale européenne (BCE) a annoncé un nouveau programme d'achat de titres à hauteur de 750 milliards d'euros pour garantir le bon fonctionnement des marchés.
Lors de la réunion de l'Eurogroupe du 9 avril, plusieurs mesures fortes ont été adoptées par les États membres. Le premier est un plan de soutien aux régimes nationaux de chômage partiel grâce au mécanisme appelé SURE : l'Union européenne protège l'emploi face à la crise et empêche la réalisation d'un scénario avec de nombreux licenciements, comme c'est le cas aux Etats-Unis. Le deuxième concerne le Mécanisme européen de stabilité (MES), mobilisable à hauteur de 240 milliards d'euros sous forme de prêts accordés aux Etats-membres, à la condition que ces prêts financent des mesures en lien avec la crise sanitaire.
Après la gestion immédiate de la crise, l'Union soutient aujourd'hui la relance de l'économie européenne.
Le Président de la République et la chancelière allemande ont présenté une initiative commune qui marque un tournant dans la réponse européenne à la crise : ils proposent que 500 milliards d'euros puissent être mobilisés pour aider les pays les plus touchés par la crise sanitaire. Les dirigeants souhaitent que ces fonds puissent être financés, au moins en partie, par l'émission d'une dette commune.
Le 27 mai, la Commission européenne a été à la hauteur de cette proposition en présentant son propre plan de relance, qui reprend certains éléments de la proposition franco-allemande. La présidente von der Leyen a ainsi proposé l'émission d'une dette de 750 milliards d'euros par l'Union européenne, dont 250 milliards seraient accordés sous forme de prêts et 500 milliards sous forme de subventions en direction des pays les plus touchés par la crise. Ce plan de relance s'appuie sur le prochain cadre financier pluriannuel (CFP) et les fonds renforceront des programmes déjà existants, comme Horizon 2020 dans le domaine de la recherche. L'Union européenne souhaite s'impliquer davantage dans le domaine de la santé, qui demeure une compétence nationale. La Commission propose ainsi de créer un nouveau programme doté de 9,5 milliards d'euros qui seraient notamment fléchés vers la prévention.
Le remboursement de cette dette ne commencerait pas avant 2028. Les modalités de remboursement ne sont pas encore tranchées, même si la Commission s'est prononcée en faveur de l'augmentation des ressources propres de l'Union européenne par l'instauration par exemple d'une taxe carbone, ou d'une taxe digitale. C'est un véritable tournant puisque la mise en œuvre de la proposition de la Commission se traduirait par des transferts budgétaires entre États‑membres. Les pays les plus touchés par la crise, comme l'Italie, recevraient des volumes de fonds sans lien avec leur poids économique. Toutefois, les négociations seront complexes, puisque certains pays sont très réticents à l'idée de transferts budgétaires entre Etats membres. Les pays dits frugaux, c'est-à-dire la Suède, les Pays-Bas, le Danemark et l'Autriche ont ainsi fait une proposition alternative à la proposition franco-allemande qui repose uniquement sur un mécanisme de prêts. Malgré cela, je salue la présentation du plan de la Commission et j'espère que ces négociations pourront aboutir avant l'été. Pour conclure, je pense qu'il est important de présenter autre chose que l'éternelle fable de la cigale et de la fourmi, qui sert trop souvent à caricaturer l'Europe, en proposant la variante européenne des trois mousquetaires : un pour tous et tous pour un. L'Europe doit être à la hauteur de la situation : le temps du chacun pour soi est terminé et la relance ne peut être qu'européenne. Je suis convaincu que l'Union vit son moment « hamiltonien », soit l'étape vers une Union davantage intégrée, qui travaille pour tous, et je ne peux que m'en féliciter.