Intervention de Élisabeth Toutut-Picard

Réunion du jeudi 23 septembre 2021 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlisabeth Toutut-Picard, députée, présidente de la commission d'enquête :

Merci de m'accueillir. Monsieur le Président, lorsque je vous avais sollicité pour parler d'un « retour » sur les travaux de la commission d'enquête, ceux-ci venaient de s'achever. Depuis, le Plan National Santé-Environnement 4 (PNSE 4) a été rendu public, en mai de cette année. Ma présentation va donc être un peu modifiée puisqu'il me semble que ce qui est surtout intéressant, c'est de savoir ce que la commission d'enquête a pu apporter au PNSE qui s'est enrichi des conclusions de nos travaux. Je vais devoir vous dire beaucoup de choses en peu de temps et je m'excuse donc si je survole beaucoup de données.

Je ne vais pas vous faire le déshonneur de vous présenter ce qu'est la santé environnementale, mais simplement rappeler que c'est un concept qui date d'une trentaine d'années, qui a été défini par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Sa définition est extrêmement large, ce qui rend son approche d'autant plus complexe. Sont projetés à l'écran quelques éléments sur les enjeux chiffrés, les enjeux sanitaires : les carences en santé environnementale représentent environ 14 % de la mortalité mondiale et donc nationale. C'est un énorme enjeu. La dégradation de l'environnement est ainsi l'une des premières causes de mortalité sur notre planète. Si l'on précise les conséquences de la pollution de l'air sur la santé en France, on évoque habituellement 48 000 décès prématurés par an ; en particulier, les cancers des enfants connaissent une augmentation assez inquiétante, certainement corrélée à la dégradation de l'environnement. L'impact économique est de 7,5 % du PIB. J'aurais pu ajouter que le coût de la non-action est lui aussi considérable.

La notion de santé environnementale s'est élargie avec le concept One Health. Je pense que la crise de la Covid-19 a confirmé l'importance de l'ouverture du champ de la recherche, non seulement aux interactions entre santé humaine et environnement, mais aussi entre santé humaine, santé animale et santé des écosystèmes. C'est le fameux concept One Health, une seule santé, qui nous amène à reconsidérer les politiques de santé publique sous un angle beaucoup plus préventif et beaucoup moins curatif. Ceci rend la démarche de santé environnementale encore plus compliquée puisque, par exemple, 70 % des maladies infectieuses émergentes chez l'humain sont d'origine animale.

Comment l'État répond-il à ces problématiques de santé environnement ? À travers un Plan national santé environnement (PNSE) qui est un plan quinquennal programmatique ayant pour but d'actionner toutes les connaissances scientifiques pour tenter de parer aux risques les plus urgents. Le contenu du PNSE fait l'objet d'un travail important de la part des sous-groupes du Groupe Santé Environnement (GSE). Celui-ci est un comité interministériel de pilotage national des politiques de santé environnementale. Le GSE a ses avantages et ses inconvénients, le principal avantage étant qu'il réunit 150 parties prenantes issues du milieu de l'environnement, de la santé environnementale, avec un haut niveau d'expertise et une approche assez « grenellienne » des problématiques.

J'en arrive à la commission d'enquête.

Celle-ci résulte d'une proposition de résolution déposée par le groupe Liberté et Territoires et examinée à la mi-juin 2020. La commission a réellement commencé ses travaux en septembre 2020. En tant que présidente, j'ai voulu lui donner une dimension « grenellienne » en élargissant au maximum le panel de personnes à auditionner. C'est pour cela que sur douze semaines, nous avons auditionné 64 personnes qui représentaient les parties prenantes de la santé environnementale : ministres, députés, experts, administrations centrales, collectivités territoriales, société civile, organisations professionnelles. L'idée était que la commission tente de répondre à quelques questions sur des problèmes de gouvernance impliquant les ministères et les collectivités territoriales, ainsi que sur la problématique des données, les incertitudes de la science, la définition des seuils de toxicologie, les engagements de la société civile, puis une meilleure prise en compte du concept One Health.

À l'issue de ces auditions, un sentiment d'impuissance collective est apparu, face à des enjeux qui sont encore mal connus et sur lesquels la science tâtonne encore. Mais le point extrêmement positif est que la France est l'un des premiers, ou des seuls pays d'Europe à avoir une politique nationale affichée en santé environnementale, même si, souvent, cette politique reste de l'ordre de l'incantatoire et peine à être mise en œuvre de façon efficace.

En tant que présidente, j'ai fait mon propre rapport, que vous trouverez en annexe au rapport officiel. J'ai présenté une soixantaine de propositions que j'ai regroupées en cinq thématiques structurantes sur les grands axes des problématiques que j'avais pu relever :

- un énorme problème de gouvernance. Il nous faut vraiment une colonne vertébrale solide, que ce soit à Paris ou dans les territoires ;

- un problème de gestion de données. Une base de données devrait être consolidée pour améliorer l'interopérabilité avec un observatoire des données ;

- un problème scientifique. Le XXIe siècle doit être celui de l'hygiène chimique, portée par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), dont les missions sont extrêmement exigeantes ;

- des problèmes de formation en santé environnementale. C'est le serpent de mer des cursus de formation, notamment des professions médicales. Nous allons voir que dans le PNSE 4, il y a une amorce de réflexion ;

- ce que j'ai appelé les risques les plus urgents pour y parer, notamment tout ce qui relève des 1 000 premiers jours de la vie, en renforçant les actions du site de santé publique « Agir pour bébé ».

Le PNSE 4 a répondu partiellement aux deux premier sujets.

Il faut savoir que parallèlement à la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, il y a eu aussi une mission d'information au Sénat sur les mêmes thématiques. Les conclusions auxquelles les deux chambres sont arrivées sont assez concordantes, sauf une légère nuance, notamment sur la gouvernance territoriale. Vous voyez maintenant à l'écran les deux prises de position des deux ministres qui sont concernés par les questions de santé environnementale. J'avais négocié avec eux, en tant que présidente de la commission d'enquête, que le PNSE 4 ne soit rendu public qu'après la publication du rapport de la commission pour faire en sorte d'enrichir le contenu du PNSE 4 avec les conclusions du rapport.

Je rappelle que le PNSE 4 définit quatre objectifs pour cinq ans :

- régler les problèmes d'information et de formation ;

- continuer à travailler sur les expositions environnementales ;

- impliquer davantage les collectivités territoriales ;

- soutenir la recherche, avec l'éternel problème de l'exposome dont vous parliez, monsieur le président.

Voici maintenant quelques exemples de recommandations essentielles du PNSE 4 avec trois outils numériques pour répondre aux interrogations de la population, notamment sur la qualité de l'environnement, avec des données immédiates : un outil permettra d'identifier la présence de substances chimiques dangereuses dans les produits du quotidien, la lisibilité de l'étiquetage du produit ménager sera améliorée, une surveillance des zoonoses sera établie en relation avec le monde des vétérinaires, ainsi qu'une information sur les risques liés à une surutilisation des biocides. Sont évoqués quelques problèmes ponctuels comme les phénomènes de mousse ou les interrogations sur les effets de lumière bleue, en vue de protéger les enfants. Il faut prendre bonne note d'une enveloppe de 90 millions d'euros destinée à financer la recherche sur l'exposome et sur tout ce qui est lié aux pathogènes émergents en lien avec le monde animal, ainsi que le partage des données.

Ce sont les grandes lignes du PNSE 4. Bien sûr, il n'y a pas que cela. Il y aurait beaucoup d'autres choses à dire.

Pour faire la connexion avec la commission d'enquête, je vois qu'un certain nombre des propositions que j'ai pu faire ont été reprises dans le PNSE 4, notamment sur la gouvernance territoriale :

- la création d'un comité d'animation des territoires, que je préside et que j'ai déjà commencé à animer ;

- la mise en place du Toxiscore, qui intègre les perturbateurs endocriniens pour une meilleure connaissance des consommateurs ;

- un investissement massif sur la recherche et la formation. Cela n'a pas été facile, mais nous avons décroché un accord sur le principe d'intégrer dans la formation des étudiants en médecine, dans leur premier cycle, une formation à la santé environnementale ;

- la création d'un Green Data Hub qui permettra de recueillir et d'analyser les données à la fois d'un côté sanitaire et d'un côté environnemental ;

- des plateformes numériques pour informer la population ;

- un groupe de travail sur Une seule santé ;

- une stratégie de sensibilisation sur la protection des mille premiers jours de la vie.

C'est ce qui a pu être repris de mes propres propositions dans le cadre du PNSE 4. Cependant, bien des choses n'ont pas été reprises, ce qui fait notamment que le problème de la gouvernance nationale n'est toujours pas résolu. Il faut absolument créer une instance de coordination nationale, et d'ailleurs, le PNSE 4 a été positionné comme le plan chapeau des 34 plans sectoriels qui, actuellement, de près ou de loin, touchent à la santé environnementale, sans coordination et sans harmonisation. Il devrait donc viser à introduire une cohérence dans toutes ces démarches.

En matière de gouvernance territoriale, une amorce de réponse est apportée avec la création du comité d'animation des territoires, mais elle doit impérativement être renforcée. Un autre problème fondamental n'a pas été résolu, celui de la révision des procédures d'autorisation de mise sur le marché des produits potentiellement nuisibles pour la santé. J'aurais aimé que l'on questionne la toxicologie réglementaire qui est devenue inadaptée aux connaissances scientifiques les plus récentes, notamment celles relatives aux perturbateurs endocriniens. J'aimerais aussi que l'on parle des registres de données sur les cancers et que l'on regarde d'un peu plus près les phénomènes de clusters.

En conclusion, j'ai beaucoup d'espoir sur la prochaine présidence française de l'Union européenne pour faire avancer des sujets qui ne trouvent pas encore de solution à l'échelle territoriale, mais qui pourraient en trouver à l'échelle européenne.

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