Intervention de Laurent Ridel

Réunion du mercredi 16 mars 2022 à 10h10
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Laurent Ridel, directeur de l'administration pénitentiaire :

Au début de l'année, j'ai repris intégralement, pour les fondre dans un document unique et complet, les règles d'inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés et de mise en œuvre de la surveillance les concernant. Cette instruction ministérielle, que j'ai signée et adressé le 11 janvier dernier à l'ensemble des directions interrégionales et des établissements, a succédé à des textes multiples, qui remontaient à plusieurs dizaines d'années. Le texte rappelle non seulement les critères d'inscription au répertoire des DPS et la procédure à suivre, mais, surtout, il définit les modalités de prise en charge et de surveillance de ces détenus. On compte actuellement environ 240 détenus particulièrement signalés en France, dont 55 sont des terroristes islamistes radicaux.

Les DPS ne subissent pas de restriction de droits ; cela serait contraire à nos règles juridiques. On avait tenté d'introduire des restrictions, pour des raisons de sécurité, dans la réglementation précédente. L'instruction de 2012 prévoyait par exemple qu'un détenu inscrit au répertoire des DPS ne pouvait pas être affecté au service général d'une maison d'arrêt. La mesure était justifiée par la suroccupation de ces établissements et les difficultés qu'une telle affectation aurait suscitées. À la suite d'un recours, le Conseil d'État a enjoint à l'administration pénitentiaire, en 2015, d'abroger cette interdiction.

Néanmoins, des règles et des modalités particulières s'appliquent à l'égard de ces détenus. D'abord, dans chaque établissement – c'est le cas à Arles –, une note de service définit les modalités de surveillance et de prise en charge des DPS. Elle doit être déclinée de façon individuelle et adaptée pour chacun de ces détenus. Ces documents, qui doivent être revus régulièrement, existaient à Arles tant pour Yvan Colonna que pour Franck Elong Abé ; les notes en question remontaient à 2020.

Ensuite, il est demandé à l'ensemble des personnels de faire preuve d'une vigilance accrue à l'égard de ces détenus et de faire remonter toutes les observations utiles. Cela correspond à la mission générale des personnels de surveillance mais, en présence de DPS, ils sont soumis à une obligation encore plus poussée. C'est le cas à Arles, où de nombreuses observations ont été recueillies sur chacun des deux détenus ; on a constaté un certain nombre de rencontres et de moments partagés entre eux.

Par ailleurs, compte tenu des risques que peuvent présenter ces détenus, il est nécessaire de renforcer les escortes en cas d'extraction de l'établissement. On fait appel, le plus souvent, aux forces de l'ordre pour doubler l'escorte pénitentiaire.

Enfin, des règles particulières sont établies pour le contrôle des mouvements et l'inscription à des activités et à des ateliers. Les détenus doivent être accompagnés de façon régulière lorsqu'ils effectuent des mouvements hors de leur bâtiment d'hébergement. C'est le cas, à Arles, pour tous les détenus, puisque c'est une maison centrale, mais la règle est appliquée encore plus scrupuleusement pour les DPS. L'examen d'une demande d'inscription à une activité ou à un travail fait l'objet d'une vigilance accrue. Cet examen-ci a lieu, comme pour les autres détenus, au sein de la commission pluridisciplinaire unique, qui comprend le chef d'établissement, les responsables de la détention, les services de l'insertion et de la probation et un certain nombre d'autres personnes.

Il est indiqué très clairement que les raisons ayant conduit à classer le détenu comme DPS doivent être prises en compte lors de l'examen de la demande. Celle-ci peut être acceptée pour assurer un équilibre, réduire les tensions. Yvan Colonna était classé auxiliaire sport, activité dans laquelle il donnait satisfaction. Les DPS ont des profils très variés. Lors de l'examen d'une demande d'inscription à une activité ou à un travail, il faut aussi prendre en compte la présence éventuelle d'autres DPS. Le nombre total de DPS n'est toutefois pas précisé. Des établissements comme Condé-sur-Sarthe ou Vendin-le-Vieil en comptent plusieurs dizaines. Lors de la mise en place d'une activité, on assure donc un examen individualisé, très précis.

Tout classement d'un détenu DPS sur un poste de travail doit faire l'objet d'une information à la direction interrégionale. S'agissant des deux détenus en question, cela a été fait auprès de la direction de Marseille. Des mails ont été échangés et des consignes de vigilance ont été formulées.

La présence des deux détenus DPS en ce lieu au cours de cette matinée n'avait rien d'exceptionnel. On nous signale assez régulièrement qu'ils s'y trouvent ensemble, parfois avec d'autres détenus. La porte de la salle d'activités était fermée lorsque Yvan Colonna s'y trouvait. Le surveillant l'a ouverte et ne l'a pas refermée. En principe, les portes doivent être closes. Je suppose que le surveillant a considéré qu'il pouvait la laisser ouverte pendant les quelques minutes que Franck Elong Abé employait à nettoyer la salle, avant de la refermer.

La surveillance de cette zone est assurée, directement ou indirectement, par trois postes. Le premier est occupé par un surveillant dit de brigade, qui y est affecté assez régulièrement et connaît les détenus et les procédures. Comme le mentionne sa fiche de poste, il assume la surveillance, la sécurité et la gestion des activités du rez-de-chaussée, réparties – je ne connais pas les lieux – sur dix à quinze salles. Cet agent met en place les activités et circule dans ce périmètre. Il n'est pas affecté à la surveillance d'une activité. Les directeurs de la maison centrale d'Arles vous diront s'il est normal ou non que huit à dix minutes se soient écoulées avant que le surveillant ne revienne. Je ne peux pas vous le dire. Il y a parfois des salles où les détenus se rencontrent, jouent aux cartes, à des horaires bien déterminés, la porte fermée. Le fait qu'ils restent ensemble quelques minutes n'est pas, en soi, anormal – même si les conséquences ont été, en l'occurrence, gravissimes.

J'ai dirigé des établissements, notamment les maisons centrales de Saint-Maur et de Poissy. Je ne peux pas vous garantir que tous les détenus font l'objet d'une surveillance constante. Dans la maison centrale d'Arles, à un instant T, il doit y avoir, en détention, trente à trente-cinq surveillants. Cet établissement comporte des miradors, des postes de contrôle, un greffe, une série d'activités. Les surveillants sont astreints aux trente-cinq heures. L'effectif est complet, mais il n'y a pas de surveillance constante. Il peut y avoir une interrogation au sujet de la séquence qui a eu lieu et du délai de huit à dix minutes que j'évoquais.

Les deux autres postes sont des postes de sécurité, où se trouvent les renvois des caméras. La salle d'activités comporte, à ma connaissance, deux caméras. Le premier poste est un poste d'information et de contrôle (PIC), qui a pour mission première de gérer les accès et les mouvements au sein du bâtiment. Il se trouve un PIC dans chacun des deux bâtiments. Une personne désirant entrer ou sortir appuie sur un bouton et attend ; un agent procède aux vérifications, voit le visage, sait pourquoi la personne est là et déclenche l'ouverture de la porte. C'est une tâche assez prenante, d'autant plus qu'il y a cinquante-quatre caméras à surveiller : quarante-cinq dans le bâtiment en question et neuf à l'extérieur. Il est matériellement très difficile à l'agent d'opérer le contrôle des accès tout en visionnant cinquante-quatre renvois de caméras. En conséquence, on a recours à des choix de scénarios, en mode continu, à partir de l'évaluation établie par l'agent, le gradé ou l'officier en charge du bâtiment. Le scénario qui avait été retenu ce matin-là n'était pas la surveillance des salles d'activité – selon l'évaluation qui avait été faite, il y avait assez peu de monde, les détenus se connaissaient… – mais le contrôle des mouvements en détention. En effet, il y avait à ce moment-là des mouvements d'étage et la mise en place de cours de promenade. Puisque les détenus sont seuls en cellule, c'est à l'occasion des mouvements que les risques d'agression sont les plus importants entre détenus ou à l'égard du personnel.

Il existe également un poste de sécurité central, dit PCI (poste de centralisation de l'information). C'est le nerf vital de tous les systèmes de sécurité de l'établissement. Deux agents y sont présents : un surveillant et un gradé. Ce poste est en relation téléphonique directe avec les pompiers, l'aviation civile – en cas de tentative d'évasion par aéronef –, le commissariat de police… Il détient les clés qui sont remises aux agents lorsqu'ils prennent leur service ou lorsque quelqu'un veut se rendre en détention. Il centralise les moyens d'alarme et de contrôle. Lorsqu'une alarme se déclenche, une caméra se met en marche et les agents alertent les secours. Ils gèrent également la détection incendie. Ils ont un renvoi sur l'ensemble des caméras de la maison centrale, qui sont au nombre de 300. Il est, là aussi, impossible matériellement de les voir toutes, ce qui conduit à la définition de scénarios. Le scénario retenu ce matin-là ne portait pas sur la zone d'activités.

Je voudrais rappeler la doctrine d'utilisation des caméras en milieu pénitentiaire. Compte tenu de leur nombre, on ne peut les surveiller toutes vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il en va de même pour les conversations téléphoniques légales, à partir des postes téléphoniques que nous avons installés dans chaque cellule – et non des portables, que nous essayons de brouiller. On ne peut pas surveiller en temps réel les conversations téléphoniques de 70 500 détenus. Nous le faisons pour certains et nous effectuons pour d'autres un contrôle a posteriori des enregistrements.

Certaines caméras, qui sont centrées sur les lieux vitaux, sont surveillées constamment. D'autres sont des caméras de levée de doute pour la circulation. Lorsqu'un détenu souhaite entrer dans un bâtiment, il appuie sur le bouton, la caméra se déclenche, on l'identifie et on détermine s'il a le droit ou non d'y pénétrer.

Dans les systèmes modernes, les alarmes sont couplées à des caméras, qui se déclenchent immédiatement. C'est ce qui s'est produit, par exemple, lorsque deux agents ont été pris en otage à Condé-sur-Sarthe. Cela permet de visualiser instantanément le lieu de l'incident et de préparer, le cas échéant, une négociation ou une intervention.

Enfin, des caméras enregistrées permettent de comprendre les événements à l'issue d'un incident. Ce sont des éléments de preuve pour une enquête administrative liée à une procédure disciplinaire ou pour une enquête judiciaire.

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