La séance est ouverte à 10 heures 10.
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.
La Commission auditionne M. Laurent Ridel, directeur de l'administration pénitentiaire, à la suite de la tentative d'assassinat perpétrée contre Yvan Colonna à la Maison centrale d'Arles.
Chers collègues j'ai souhaité que nous nous réunissions, en présentiel et en visioconférence, à la suite de la tentative d'assassinat perpétrée à l'encontre d'Yvan Colonna, le 2 mars dernier, par un codétenu lié à la mouvance islamiste djihadiste. Après avoir échangé avec certains élus, de l'Hexagone comme de Corse, nous avons considéré que la commission des lois se devait de mener des auditions pour comprendre le déroulement des faits ; le parcours en détention d'Yvan Colonna, son classement en détenu particulièrement signalé (DPS) et les raisons de son non-transfèrement dans une prison en Corse ; ainsi que le parcours en détention de son agresseur, l'éventuelle évaluation de sa radicalisation, le traitement pénitentiaire qui lui a été réservé ou son classement en tant qu'auxiliaire dans la maison centrale d'Arles.
Comme vous le savez, une enquête judiciaire a été ouverte, qui comprend une mise en examen. Une enquête administrative a également été diligentée, ce qui n'empêche pas la commission des lois et l'Assemblée nationale de poser des questions légitimes et d'attendre certaines réponses.
C'est pourquoi j'ai choisi d'auditionner Laurent Ridel, directeur de l'administration pénitentiaire, qui semble être la personne la plus à même de répondre sur ces trois volets. Vous êtes libres de lui poser toutes les questions que vous souhaitez, dans le champ de compétences de notre commission et la sérénité qui caractérise son travail, dont personne ne se départira.
Au préalable, je souhaite adresser à Yvan Colonna, à sa famille et à ses proches l'expression de ma plus sincère compassion dans l'épreuve très douloureuse qu'ils traversent.
Je sers depuis trente-sept ans au sein des services pénitentiaires – établissements, direction interrégionale, administration centrale. Le monde pénitentiaire est profondément humain, avec tout ce que cela recèle de meilleur ou de plus difficile. Il est confronté assez régulièrement à des drames. L'agression dont nous parlons en est un.
Ce qui s'est passé n'est pas dans l'ordre des choses. L'article 44 de la loi pénitentiaire prévoit que « l'administration pénitentiaire doit assurer à chaque personne détenue une protection effective de son intégrité physique en tous lieux collectifs et individuels ». Un tel événement est très rare dans les prisons françaises, mais il arrive. Il est normal de faire toute la vérité et la lumière sur les conditions, les circonstances et les modalités de cette très grave agression. Mme la présidente l'a dit, deux enquêtes sont en cours, l'une judiciaire, l'autre administrative, puisqu'une mission de l'Inspection générale de la justice a été diligentée.
Les faits se sont produits à la maison centrale d'Arles, l'une des treize maisons centrales ou quartiers maisons centrales de France, parmi 188 établissements et environ 250 structures car certains centres pénitentiaires peuvent héberger des quartiers de nature différente. Les maisons centrales, habilitées à accueillir des détenus condamnés à de très longues peines et censés être les plus dangereux, comptent environ 2 100 places. Ces établissements ne sont jamais entièrement remplis, afin de mieux gérer la détention et prendre en compte la dangerosité des publics affectés. Ils ne connaissent donc pas le surencombrement réservé aux maisons d'arrêt, ni le taux proche de 100 % d'occupation, qui est celui des centres de détention, que nous développons pour limiter le surencombrement en maisons d'arrêt. Le taux moyen d'occupation des maisons centrales avoisine 79 %. C'était le cas pour la maison centrale d'Arles, qui, le 2 mars, hébergeait 130 détenus, pour une capacité de près de 150 personnes. L'établissement n'était donc pas surencombré ou en pleine capacité.
Nous essayons que le taux de couverture des personnels soit aussi proche de 100 % que possible. Dans la maison centrale d'Arles, il avoisine 98 %, avec un personnel composé à la fois d'agents expérimentés et d'agents plus jeunes. L'effectif théorique est de 215 personnes de toutes catégories, dont 175 agents de surveillance, ayant accès aux détenus. Le taux moyen de couverture dans nos établissements, qui a augmenté depuis plusieurs années grâce à des recrutements, est de l'ordre de 95 %. Au vu de ces éléments statistiques, la maison centrale d'Arles présentait une situation plutôt satisfaisante.
Cet établissement moderne a connu une existence mouvementée : ouvert dans les années 1990, il a été victime d'une crue et d'une inondation en 2003, qui a nécessité d'évacuer l'ensemble des détenus en pleine nuit et de mener une opération de reconstruction. Désormais, le rez-de-chaussée n'héberge plus de détenus en cellule.
L'établissement, modernisé, a rouvert en 2009. Tous les détenus sont hébergés en cellule individuelle, comme c'est la règle en maison centrale. Les portes de cellule sont fermées ; les mouvements des détenus hors du bâtiment d'hébergement sont toujours accompagnés. Un détenu ne se rend normalement jamais seul au parloir, à l'unité sanitaire, aux unités de vie familiale (UVF) ou aux ateliers. En revanche, il peut circuler de manière autonome au sein du bâtiment d'hébergement à des horaires précis, une fois toutes les heures ou toutes les deux heures, pour se rendre dans un lieu particulier du bâtiment d'hébergement – salle d'activité, salle de sport, pour une audience avec un officier ou un conseiller d'insertion et de probation.
La maison centrale d'Arles hébergeait des détenus condamnés à des peines lourdes, ayant fait preuve d'une certaine dangerosité. Sur les 130 détenus présents le 2 mars, 54 % étaient incarcérés pour des faits de meurtre. Par nature, ces établissements hébergent des personnes dont la violence est avérée. En outre, la maison centrale accueillait quinze DPS.
Présent dans l'établissement depuis 2012, Yvan Colonna y avait ses habitudes et ses connaissances. Il partageait sa vie entre le travail – il était classé auxiliaire sport sur le terrain extérieur et dans le gymnase –, une pratique assidue du sport et d'autres activités, comme l'écriture de son courrier. Il menait donc une vie relativement réglée.
Son agresseur, Franck Elong Abé, dont le parcours avait été très chaotique en début d'incarcération, s'était, semble-t-il, stabilisé. Après avoir rejoint la maison centrale d'Arles en 2019, il avait fait un séjour au quartier d'isolement puis dans le quartier spécifique d'intégration pour détenus au comportement difficile. Durant neuf mois, il avait fait l'objet d'évaluations régulières. Il a intégré la détention classique en avril 2021. D'après les éléments que j'ai pu recueillir, il avait ensuite eu un comportement correct : il avait été classé au service général sport, pour l'entretien des salles d'activité de sport du bâtiment, en septembre 2021.
La maison centrale comporte deux bâtiments d'hébergement : le bâtiment B d'une centaine de cellules et le bâtiment A, qui compte une cinquantaine de cellules. Les deux détenus étaient placés dans le bâtiment A mais, n'étant pas dans la même aile, ils ne se côtoyaient pas dans le lieu d'hébergement. De plus, les cellules sont fermées à clé.
Il y avait en revanche des contacts dans les zones d'activités, puisque le rez-de-chaussée de ces bâtiments comporte des salles d'activité – bibliothèque, salle d'audience, salle de boxe, salle de sport, salle cardio, salle d'activités diverses, petite salle dite de rencontre, où quelques détenus peuvent se rencontrer, à des horaires déterminés.
Nous disposons de nombreuses observations pour ces deux détenus DPS, de la part des agents dont c'est la mission. Elles font état de rencontres épisodiques, assez régulières, qui n'avaient donné lieu à aucune anicroche, dispute ou conflit. Les deux détenus pratiquaient parfois le sport ensemble.
Le matin du 2 mars, vers dix heures trente, Yvan Colonna était en salle de sport, où il faisait des exercices – pompes, abdos. Comme cela doit être le cas, la salle était fermée à clé. Un agent de surveillance a ouvert la porte, pour permettre au détenu Elong Abé de nettoyer la salle, conformément à son activité. La porte est restée ouverte le temps qu'il travaille, comme habituellement à Arles – c'est une bonne chose, car l'activité ne devait pas durer longtemps. Le surveillant était seul, ce qui est normal : il n'y a qu'un poste de surveillant, qui gère l'ensemble des activités. Il est alors allé mettre en place ces activités. C'est là que Elong Abé a commis les actes que vous connaissez.
Au bout de neuf à dix minutes, le surveillant est revenu chercher Yvan Colonna. C'est à ce moment que Elong Abé est sorti de la salle et semble avoir indiqué qu'Yvan Colonna avait eu un malaise. Le surveillant l'a immédiatement placé en position latérale de sécurité et a commencé à prodiguer les premiers soins. Il a appelé les médecins de l'unité sanitaire, qui sont arrivés très vite, et ont permis au pouls de repartir.
Tels sont les éléments factuels, contextuels que je peux vous donner. Les deux enquêtes qui sont en cours iront beaucoup plus loin dans le degré de précision. À ce stade, je peux répondre à toutes vos interrogations sur le parcours de ces deux personnes, sur le fonctionnement de la maison centrale d'Arles ainsi que sur les conditions de surveillance des détenus en général et, plus particulièrement, de ces deux détenus.
Vous avez dit que ce qui s'est passé « n'est pas dans l'ordre des choses » dans l'histoire de l'administration pénitentiaire et pour la maison centrale d'Arles. Les faits sont d'une très grande gravité pour le détenu, Yvan Colonna, ainsi que sa famille, et ont des conséquences politiques énormes.
Vous avez insisté sur le fait que la maison centrale d'Arles avait un bon taux de couverture – il n'y a eu ni pénurie de personnel, ni suroccupation, avec toutes les conséquences qu'elle entraîne sur la nervosité des détenus et les animosités entre eux. La maison centrale est un établissement moderne avec des cellules individuelles. Elle dispose donc de meilleures conditions que d'autres établissements pénitentiaires.
Or deux des quinze détenus particulièrement signalés sont restés dans une pièce, porte ouverte, pendant neuf à dix minutes, sans qu'il n'y ait de surveillance. N'y a-t-il pas de caméras à l'intérieur de cette pièce ? Le cas échéant, qui était chargé d'observer les détenus durant ce laps de temps ?
Certes, des enquêtes sont en cours, notamment l'enquête administrative. Permettez tout de même que l'on s'étonne des faits eux-mêmes. Pourquoi a-t-on pu laisser deux détenus particulièrement signalés sans surveillance étroite pendant plusieurs minutes, dans une pièce à la porte non fermée ? Cela correspond-il à un règlement, qui aurait été appliqué, ce qui interroge le règlement lui-même ? À l'inverse, si cela ne correspond pas à un règlement, nous attendrons les résultats de l'enquête administrative.
Nous ne pouvons en effet pas mener d'enquête parlementaire car une enquête judiciaire a été diligentée. En revanche, l'enquête administrative ne nous est pas opposable : nous pouvons interroger le directeur de l'administration pénitentiaire sur ces points.
Pouvez-vous préciser comment deux détenus classés DPS, peuvent se retrouver seuls durant dix minutes dans un même lieu ? Cela est-il courant ? Y a-t-il eu un défaut de surveillance ? Comment cela s'est-il précisément passé ?
Au début de l'année, j'ai repris intégralement, pour les fondre dans un document unique et complet, les règles d'inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés et de mise en œuvre de la surveillance les concernant. Cette instruction ministérielle, que j'ai signée et adressé le 11 janvier dernier à l'ensemble des directions interrégionales et des établissements, a succédé à des textes multiples, qui remontaient à plusieurs dizaines d'années. Le texte rappelle non seulement les critères d'inscription au répertoire des DPS et la procédure à suivre, mais, surtout, il définit les modalités de prise en charge et de surveillance de ces détenus. On compte actuellement environ 240 détenus particulièrement signalés en France, dont 55 sont des terroristes islamistes radicaux.
Les DPS ne subissent pas de restriction de droits ; cela serait contraire à nos règles juridiques. On avait tenté d'introduire des restrictions, pour des raisons de sécurité, dans la réglementation précédente. L'instruction de 2012 prévoyait par exemple qu'un détenu inscrit au répertoire des DPS ne pouvait pas être affecté au service général d'une maison d'arrêt. La mesure était justifiée par la suroccupation de ces établissements et les difficultés qu'une telle affectation aurait suscitées. À la suite d'un recours, le Conseil d'État a enjoint à l'administration pénitentiaire, en 2015, d'abroger cette interdiction.
Néanmoins, des règles et des modalités particulières s'appliquent à l'égard de ces détenus. D'abord, dans chaque établissement – c'est le cas à Arles –, une note de service définit les modalités de surveillance et de prise en charge des DPS. Elle doit être déclinée de façon individuelle et adaptée pour chacun de ces détenus. Ces documents, qui doivent être revus régulièrement, existaient à Arles tant pour Yvan Colonna que pour Franck Elong Abé ; les notes en question remontaient à 2020.
Ensuite, il est demandé à l'ensemble des personnels de faire preuve d'une vigilance accrue à l'égard de ces détenus et de faire remonter toutes les observations utiles. Cela correspond à la mission générale des personnels de surveillance mais, en présence de DPS, ils sont soumis à une obligation encore plus poussée. C'est le cas à Arles, où de nombreuses observations ont été recueillies sur chacun des deux détenus ; on a constaté un certain nombre de rencontres et de moments partagés entre eux.
Par ailleurs, compte tenu des risques que peuvent présenter ces détenus, il est nécessaire de renforcer les escortes en cas d'extraction de l'établissement. On fait appel, le plus souvent, aux forces de l'ordre pour doubler l'escorte pénitentiaire.
Enfin, des règles particulières sont établies pour le contrôle des mouvements et l'inscription à des activités et à des ateliers. Les détenus doivent être accompagnés de façon régulière lorsqu'ils effectuent des mouvements hors de leur bâtiment d'hébergement. C'est le cas, à Arles, pour tous les détenus, puisque c'est une maison centrale, mais la règle est appliquée encore plus scrupuleusement pour les DPS. L'examen d'une demande d'inscription à une activité ou à un travail fait l'objet d'une vigilance accrue. Cet examen-ci a lieu, comme pour les autres détenus, au sein de la commission pluridisciplinaire unique, qui comprend le chef d'établissement, les responsables de la détention, les services de l'insertion et de la probation et un certain nombre d'autres personnes.
Il est indiqué très clairement que les raisons ayant conduit à classer le détenu comme DPS doivent être prises en compte lors de l'examen de la demande. Celle-ci peut être acceptée pour assurer un équilibre, réduire les tensions. Yvan Colonna était classé auxiliaire sport, activité dans laquelle il donnait satisfaction. Les DPS ont des profils très variés. Lors de l'examen d'une demande d'inscription à une activité ou à un travail, il faut aussi prendre en compte la présence éventuelle d'autres DPS. Le nombre total de DPS n'est toutefois pas précisé. Des établissements comme Condé-sur-Sarthe ou Vendin-le-Vieil en comptent plusieurs dizaines. Lors de la mise en place d'une activité, on assure donc un examen individualisé, très précis.
Tout classement d'un détenu DPS sur un poste de travail doit faire l'objet d'une information à la direction interrégionale. S'agissant des deux détenus en question, cela a été fait auprès de la direction de Marseille. Des mails ont été échangés et des consignes de vigilance ont été formulées.
La présence des deux détenus DPS en ce lieu au cours de cette matinée n'avait rien d'exceptionnel. On nous signale assez régulièrement qu'ils s'y trouvent ensemble, parfois avec d'autres détenus. La porte de la salle d'activités était fermée lorsque Yvan Colonna s'y trouvait. Le surveillant l'a ouverte et ne l'a pas refermée. En principe, les portes doivent être closes. Je suppose que le surveillant a considéré qu'il pouvait la laisser ouverte pendant les quelques minutes que Franck Elong Abé employait à nettoyer la salle, avant de la refermer.
La surveillance de cette zone est assurée, directement ou indirectement, par trois postes. Le premier est occupé par un surveillant dit de brigade, qui y est affecté assez régulièrement et connaît les détenus et les procédures. Comme le mentionne sa fiche de poste, il assume la surveillance, la sécurité et la gestion des activités du rez-de-chaussée, réparties – je ne connais pas les lieux – sur dix à quinze salles. Cet agent met en place les activités et circule dans ce périmètre. Il n'est pas affecté à la surveillance d'une activité. Les directeurs de la maison centrale d'Arles vous diront s'il est normal ou non que huit à dix minutes se soient écoulées avant que le surveillant ne revienne. Je ne peux pas vous le dire. Il y a parfois des salles où les détenus se rencontrent, jouent aux cartes, à des horaires bien déterminés, la porte fermée. Le fait qu'ils restent ensemble quelques minutes n'est pas, en soi, anormal – même si les conséquences ont été, en l'occurrence, gravissimes.
J'ai dirigé des établissements, notamment les maisons centrales de Saint-Maur et de Poissy. Je ne peux pas vous garantir que tous les détenus font l'objet d'une surveillance constante. Dans la maison centrale d'Arles, à un instant T, il doit y avoir, en détention, trente à trente-cinq surveillants. Cet établissement comporte des miradors, des postes de contrôle, un greffe, une série d'activités. Les surveillants sont astreints aux trente-cinq heures. L'effectif est complet, mais il n'y a pas de surveillance constante. Il peut y avoir une interrogation au sujet de la séquence qui a eu lieu et du délai de huit à dix minutes que j'évoquais.
Les deux autres postes sont des postes de sécurité, où se trouvent les renvois des caméras. La salle d'activités comporte, à ma connaissance, deux caméras. Le premier poste est un poste d'information et de contrôle (PIC), qui a pour mission première de gérer les accès et les mouvements au sein du bâtiment. Il se trouve un PIC dans chacun des deux bâtiments. Une personne désirant entrer ou sortir appuie sur un bouton et attend ; un agent procède aux vérifications, voit le visage, sait pourquoi la personne est là et déclenche l'ouverture de la porte. C'est une tâche assez prenante, d'autant plus qu'il y a cinquante-quatre caméras à surveiller : quarante-cinq dans le bâtiment en question et neuf à l'extérieur. Il est matériellement très difficile à l'agent d'opérer le contrôle des accès tout en visionnant cinquante-quatre renvois de caméras. En conséquence, on a recours à des choix de scénarios, en mode continu, à partir de l'évaluation établie par l'agent, le gradé ou l'officier en charge du bâtiment. Le scénario qui avait été retenu ce matin-là n'était pas la surveillance des salles d'activité – selon l'évaluation qui avait été faite, il y avait assez peu de monde, les détenus se connaissaient… – mais le contrôle des mouvements en détention. En effet, il y avait à ce moment-là des mouvements d'étage et la mise en place de cours de promenade. Puisque les détenus sont seuls en cellule, c'est à l'occasion des mouvements que les risques d'agression sont les plus importants entre détenus ou à l'égard du personnel.
Il existe également un poste de sécurité central, dit PCI (poste de centralisation de l'information). C'est le nerf vital de tous les systèmes de sécurité de l'établissement. Deux agents y sont présents : un surveillant et un gradé. Ce poste est en relation téléphonique directe avec les pompiers, l'aviation civile – en cas de tentative d'évasion par aéronef –, le commissariat de police… Il détient les clés qui sont remises aux agents lorsqu'ils prennent leur service ou lorsque quelqu'un veut se rendre en détention. Il centralise les moyens d'alarme et de contrôle. Lorsqu'une alarme se déclenche, une caméra se met en marche et les agents alertent les secours. Ils gèrent également la détection incendie. Ils ont un renvoi sur l'ensemble des caméras de la maison centrale, qui sont au nombre de 300. Il est, là aussi, impossible matériellement de les voir toutes, ce qui conduit à la définition de scénarios. Le scénario retenu ce matin-là ne portait pas sur la zone d'activités.
Je voudrais rappeler la doctrine d'utilisation des caméras en milieu pénitentiaire. Compte tenu de leur nombre, on ne peut les surveiller toutes vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il en va de même pour les conversations téléphoniques légales, à partir des postes téléphoniques que nous avons installés dans chaque cellule – et non des portables, que nous essayons de brouiller. On ne peut pas surveiller en temps réel les conversations téléphoniques de 70 500 détenus. Nous le faisons pour certains et nous effectuons pour d'autres un contrôle a posteriori des enregistrements.
Certaines caméras, qui sont centrées sur les lieux vitaux, sont surveillées constamment. D'autres sont des caméras de levée de doute pour la circulation. Lorsqu'un détenu souhaite entrer dans un bâtiment, il appuie sur le bouton, la caméra se déclenche, on l'identifie et on détermine s'il a le droit ou non d'y pénétrer.
Dans les systèmes modernes, les alarmes sont couplées à des caméras, qui se déclenchent immédiatement. C'est ce qui s'est produit, par exemple, lorsque deux agents ont été pris en otage à Condé-sur-Sarthe. Cela permet de visualiser instantanément le lieu de l'incident et de préparer, le cas échéant, une négociation ou une intervention.
Enfin, des caméras enregistrées permettent de comprendre les événements à l'issue d'un incident. Ce sont des éléments de preuve pour une enquête administrative liée à une procédure disciplinaire ou pour une enquête judiciaire.
Compte tenu du scénario qu'il avait retenu, le PIC ne visionnait donc pas la caméra qui filmait la salle de sport ?
Ce sont en effet les éléments qui ont été portés à ma connaissance.
Madame la présidente, je vous remercie d'avoir indiqué que la commission des lois doit aller le plus loin possible pour comprendre le déroulement des faits et favoriser la manifestation de la vérité. À la suite de cette tentative d'assassinat, qui a suscité beaucoup d'émotion et de colère en Corse, j'ai une pensée pour Yvan Colonna, qui est entre la vie et la mort, et pour sa famille.
Pour nous, le mot « dysfonctionnements » est très faible. Il faut revenir à la genèse de cette affaire, au refus obstiné de lever le statut de DPS, lequel – M. François Pupponi fera une démonstration qui me paraît imparable – présente, on le sait aujourd'hui, une dimension politique. Cet état de fait est lié au traumatisme réel causé par l'assassinat de Claude Érignac et par la haine qu'ont pu nourrir certaines personnes, au sein de l'appareil d'État. Il demeure des zones d'ombre béantes, qu'il faut éclaircir, car cela a des incidences sur le plan humain et politique dans la Corse d'aujourd'hui.
Nous avons une intime conviction, mais peut-être pourra-t-on nous rassurer et nous montrer qu'elle est erronée. La tentative d'assassinat d'Yvan Colonna a duré dix à onze minutes, jusqu'à l'appel des secours. Je vous remercie, monsieur le directeur, pour l'extrême précision de vos propos. Vous venez de décrire des faits qui rendent les choses encore plus choquantes, à savoir que la porte était ouverte et que l'agresseur a été accompagné. Michel Castellani et moi avons visité la centrale d'Arles. Nous connaissons la salle de sport, qui est très petite et très proche du couloir. Nous connaissons l'emplacement des caméras. Nous savons l'extrême rigueur de cet établissement. Le fait que personne n'ait rien vu nous paraît impossible, mais il faudra le démontrer – nous sommes là pour essayer de faire apparaître la vérité.
Aussi ai-je deux questions à poser sur le régime de faveur incontestable dont a bénéficié Franck Elong Abé. Tout d'abord, ce djihadiste confirmé, au parcours chaotique – guerrier en Afghanistan, il a été remis aux autorités françaises en 2014, a écopé d'une condamnation à neuf ans de prison pour terrorisme, puis d'une condamnation à quatre ans pour l'agression d'une jeune femme médecin, et a changé cinq fois de prison –, avait un contrat de travail rémunéré, ce qui n'était pas le cas d'Yvan Colonna, auxiliaire bénévole. Or son statut de terroriste djihadiste ne lui permettait pas, en théorie, d'exercer une activité rémunérée ou de suivre une formation professionnelle. Pourquoi cette personne a-t-elle pu bénéficier d'un tel contrat ?
Ensuite, pourquoi a-t-on accordé à ce monsieur des réductions de peine ? Alors qu'il a été condamné à un total de treize ans et demi de prison, il devait sortir en 2023, soit neuf ans seulement après sa remise aux autorités françaises. Seuls des détenus modèles peuvent obtenir un tel traitement – certainement pas des djihadistes, encore moins lorsqu'ils ont provoqué plus de cinquante incidents en prison. Il faudra apporter des réponses aux questions que soulève ce qui s'apparente incontestablement à un régime de faveur.
Par ailleurs, pouvez-vous confirmer qu'il y a bien une commission de surveillance des djihadistes à la centrale d'Arles, censée rédiger deux rapports quotidiens comprenant l'évaluation minutée des activités de chaque djihadiste présent dans la centrale, ces rapports devant ensuite être transmis à la DGSI ? Si tel est le cas, comment se fait-il que la scène du blasphème n'ait pas fait l'objet d'une détection par la DGSI ? Si le cloisonnement entre celle-ci et l'administration pénitentiaire ne vous permet pas de répondre, nous serons peut-être amenés à demander à la présidente de la commission des lois l'audition du directeur de la DGSI.
Pour connaître la vérité, il faudra retracer les allées et venues avant l'acte et rechercher s'il y a bien eu blasphème. L'administration pénitentiaire a la possibilité de conserver les vidéos pendant trois semaines : le fera-t-elle en l'espèce, et pas uniquement en ce qui concerne le jour de l'agression, dans le but d'établir la vérité ?
Enfin, pouvez-vous nous garantir qu'il n'y a pas eu de témoin direct de la tentative d'assassinat d'Yvan Colonna ? C'est une question grave, à laquelle des réponses claires devront être apportées. Nous sommes tous ici pour que la vérité éclate et pour que la justice, la vraie, triomphe.
Monsieur le député, vos propos soulignent la gravité de la situation, dont j'ai parfaitement conscience. Je me suis associé à la douleur de la famille d'Yvan Colonna et de ses proches. En tant que responsable d'une administration républicaine qui a son utilité, qui a aussi son honneur, je souhaite que la vérité soit faite, d'abord parce que nous la devons aux victimes, ensuite pour faire en sorte que cela ne se reproduise pas – même si le travail de l'administration pénitentiaire porte sur de l'humain très compliqué. J'ai vécu des drames au cours de mes trente-sept années de carrière pénitentiaire. J'ai commencé ma carrière par la mutinerie de la maison centrale de Saint-Maur, où j'ai côtoyé des détenus de l'époque du FLNC – Luciani, Albertini. Je la termine avec un grand sentiment d'humilité.
Concernant les réductions de peine, je ne peux pas vous répondre parce qu'il s'agit d'une décision judiciaire, prononcée par le juge d'application des peines en matière antiterroriste.
S'agissant du nombre de détenus terroristes islamistes radicaux, que nous appelons TIS dans notre jargon, il n'y en avait que deux à Arles, dont un en quartier d'isolement. Ils sont bien évidemment extrêmement surveillés. Afin de rendre les consignes plus lisibles, j'ai récapitulé dans un document unique toute la stratégie de lutte contre la radicalisation dans l'administration pénitentiaire, avec des éléments très précis concernant le renforcement de la surveillance ; ce document a été envoyé en décembre dernier. J'ai également rédigé une note ciblée sur les questions et les modalités de surveillance des TIS. J'étais directeur interrégional des services pénitentiaires de Paris au moment de la vague d'incarcération des détenus TIS de 2016 à 2020. C'est donc un sujet dont je mesure l'importance et aussi les dangers.
Le dispositif de renseignement pénitentiaire qui fonctionne à la centrale d'Arles entretient des relations avec d'autres partenaires du monde du renseignement. La situation des TIS fait l'objet d'un examen très régulier par une commission pluridisciplinaire unique, qui se réunit pour faire le point sur les questions de radicalisation et de violence. Dans ce cadre, la situation d'Elong Abé était donc régulièrement examinée.
Concernant la présence ou non d'un témoin direct, je ne peux pas répondre à cette question car je n'étais pas présent le 2 mars. Il semble, d'après les éléments qui me sont remontés, que cela ne soit pas le cas mais je rappelle que deux enquêtes sont en cours : elles devront justement entrer dans ce degré de précision pour établir la vérité. À ma connaissance, il y avait d'autres détenus présents dans un certain nombre de salles d'activités, mais ils n'ont pas entendu de bruits suspects : je n'en sais pas plus à ce stade.
Je reviendrai sur le parcours de ce détenu avant d'évoquer son classement, que vous présentez comme une mesure de faveur. Elong Abé a été interpellé en Afghanistan par les forces américaines, remis aux autorités françaises et écroué, en 2014, à la maison d'arrêt de Rouen. Ensuite, son parcours devient extrêmement chaotique, avec un nombre très important de violences auto-agressives, de tentatives de suicide et de feux de cellule ayant à plusieurs reprises mis sa vie en danger. Au moment de sa condamnation, il est transféré dans une maison centrale sécuritaire, en quartier d'isolement – il s'agit d'une mesure purement disciplinaire. De plus, du fait de ses troubles de la personnalité, il fait un séjour en unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA), structure pénitentiaire en hôpital psychiatrique, près de Lille, où il commet une tentative de prise d'otage d'une interne, qui tournera court assez rapidement. Il est alors transféré à la maison centrale de Vendin-le-Vieil – une des plus sécuritaires de France –, où l'essai de mise en place d'un régime classique mais très sécuritaire se solde par un échec. Il est ensuite replacé très rapidement en quartier d'isolement, où il multiplie les feux de cellule.
L'établissement souhaitant son départ, il est transféré à la maison centrale de Condé-sur-Sarthe où il est de nouveau placé en quartier d'isolement. À l'automne 2019, il est affecté à la centrale d'Arles, où il reste six mois à l'isolement. La réponse de l'administration pénitentiaire est purement sécuritaire puisqu'il n'y a pas de travail possible tant que le détenu n'est pas stabilisé. Son comportement ne permettait pas de le placer en quartier d'évaluation de la radicalisation ; les autorités judiciaires y étaient défavorables en raison de l'importance de ses troubles de la personnalité et de son incapacité à intégrer un processus d'évaluation.
Puis son comportement va très nettement se stabiliser. Quasiment aucun incident disciplinaire n'est enregistré pendant six mois, ce qui conduit la direction de la centrale d'Arles et la direction interrégionale à proposer une levée de l'isolement. Celle-ci étant acceptée en avril 2020, le détenu est placé dans un quartier spécifique d'intégration (QSI), à mi-chemin entre l'isolement et la détention classique. La prise en charge y est très particulière, avec des évaluations tous les deux mois, afin de permettre une stabilisation progressive et un retour à une détention plus classique, même si c'est dans un quartier de petite dimension. Le détenu y restera neuf mois et demi. Au vu de ses résultats, il a été jugé apte à rejoindre la détention classique, avec un niveau de surveillance justifié par son statut de détenu particulièrement signalé.
Après six mois de détention classique au cours desquels il participe à certaines activités, et alors que l'incidentologie concernant ce détenu a diminué de façon très conséquente et durable, il demande un poste d'auxiliaire sport, puisque c'est le sport qui semble le stabiliser. Le droit pénitentiaire nous interdit de motiver un refus de classement à une activité ou à un travail au seul motif qu'un détenu est un terroriste islamiste radical : il doit y avoir d'autres motivations pour justifier un refus de travail. En application de cette procédure, il est donc classé au travail et gagne entre 200 et 300 euros par mois – c'est l'un des emplois les moins rémunérés. Son travail n'a pas donné lieu à une quelconque remarque.
Enfin, les remontées d'informations des surveillants d'Arles concernant ces deux détenus, qui étaient quasi quotidiennes, ne font pas état d'altercations entre eux. Voilà ce que je peux indiquer concernant l'affaire du blasphème ; les directeurs d'Arles pourront vous en dire plus et les deux enquêtes en cours permettront, je l'espère, d'aller au-delà.
Monsieur le directeur, je voulais vous remercier d'avoir facilité les visites que plusieurs de mes collègues et moi-même avons souhaité faire aux trois détenus corses, à Poissy et à Arles.
Je voudrais rappeler qu'un autre détenu a également fait l'objet d'une tentative d'assassinat, il y a quelques années. Les codétenus qui se sont rendus coupables de ces faits ont été condamnés à deux ans et quatre ans de prison : il me paraît important de le souligner.
J'ai quelques questions précises à vous poser. Des DPS ont-ils déjà été transférés à la prison de Borgo ? En effet, on a toujours opposé aux demandes de transfèrement de M. Colonna l'impossibilité pour l'établissement d'en accueillir, alors que certains y auraient pourtant été transférés. Il est regrettable, à ce sujet, qu'après plusieurs années d'avis favorables à la levée du statut de la part de votre administration et d'autres, cela ait finalement changé cette année. Était-ce le fait de considérations objectives ou d'une demande hiérarchique ? Si oui, laquelle ?
Est-il possible, par ailleurs, d'obtenir le calendrier de l'inspection de la justice ? A‑t‑elle démarré ? Est-elle programmée ?
Les vidéos décrites par un grand quotidien du soir font état d'une agression immédiate : dès que M. Elong Abé entre dans la salle de sport, il saute sur Yvan Colonna. La personne de vos services qui a fait entrer M. Elong Abé ne peut donc pas être à plus de cinq mètres.
Il est fait mention qu'un détenu, M. Mattei, accompagnait M. Colonna toute la journée – la solidarité corse est d'autant plus forte en milieu carcéral. Malheureusement, il n'était pas avec lui ce jour-là, puisqu'il était absent depuis une semaine. Quelles sont les raisons de son absence ? Comment expliquer une telle conjonction d'événements ?
Avec François Pupponi, nous avons visité M. Colonna le 17 février, soit le dernier jour de fonction de la chef d'établissement sortante. À quelle date est arrivé le nouveau chef d'établissement ? Était-ce le 18 février ou plus tard ?
Enfin, M. Colonna était auxiliaire non rémunéré. Était-ce à sa demande ou le statut d'auxiliaire rémunéré lui avait-il été refusé ?
D'après les éléments dont je dispose et que nous vérifierons, Yvan Colonna exerçait des fonctions d'auxiliaire rémunéré. Même s'il peut exister des circonstances particulières, j'ai du mal à concevoir qu'un tel poste ne soit pas rémunéré. Tout travail en détention doit l'être.
Le nouveau chef d'établissement, Marc Ollier, était arrivé le lundi précédent. Il était donc présent le jour de cette très grave agression, le mercredi 2 mars. C'est un homme extrêmement rompu aux directions d'établissement, puisqu'il a une soixantaine d'années et qu'il en a dirigé quatre ou cinq. Les fonctions de sa prédécesseure avaient pris fin la semaine précédente.
L'inspection dira pourquoi M. Mattei était absent. Il me semble que c'était pour une raison judiciaire, mais je ne pourrais pas l'affirmer. Je tiens également à préciser, pour donner l'ensemble des informations à la représentation nationale, qu'Yvan Colonna aurait pu ne pas être là non plus, puisqu'il avait déposé une demande d'aménagement de peine en début d'année – une libération conditionnelle précédée d'un placement sous bracelet électronique. Pour l'instruire, les magistrats avaient sollicité un séjour d'évaluation au centre national d'évaluation de la prison d'Aix-en-Provence, qui devait commencer le 28 février. Mais le 22 février, Yvan Colonna a renoncé à cette instruction de demande d'aménagement de peine, ce qui a annulé son départ.
S'agissant de la mission de l'Inspection générale de la justice (IGJ), vous comprendrez que je ne puisse pas vous en dire plus. La durée initiale de la mission a été fixée à quatre mois. Peut-être y aura-t-il des rapports intermédiaires.
Oui, elle est en cours.
Concernant le statut de DPS, vous comprendrez également que je ne puisse pas répondre sur les avis qui ont pu être émis et varier à Poissy. À ma connaissance, à Arles, ils n'ont jamais évolué. L'administration pénitentiaire assume les nombreux avis qu'elle a émis.
Borgo est un centre pénitentiaire avec une partie maison d'arrêt. Les maisons d'arrêt ont vocation à accueillir tous les détenus que l'autorité judiciaire y place. Aussi a‑t‑il pu y avoir à Borgo, de façon exceptionnelle et selon des modalités tout aussi exceptionnelles, un DPS dont l'écrou était nécessaire pendant un temps très limité, pour les besoins d'un procès en cour d'assises par exemple. Quand le cas se présente, des équipes régionales d'intervention et de sécurité sont envoyées, ce qui est extrêmement rare, dans la mesure où la prison de Borgo n'est pas considérée comme un établissement de très haute sécurité. En revanche, la partie établissement pour peines de Borgo, que je connais assez bien, puisque j'étais en poste à l'administration centrale lorsque nous avons créé ce quartier au début des années 2000, est un quartier centre de détention (CD), où sont actuellement plusieurs détenus corses. C'est, de mémoire, un quartier de quarante-huit places, qui n'a jamais accueilli de DPS, puisque, selon une règle constante depuis des décennies, il ne peut y avoir de DPS affectés durablement dans un quartier CD.
Lundi, je suis allé visiter la prison d'Arles. Selon la direction, il y a, me semble-t-il, non pas deux mais quatre TIS en prison. Par ailleurs, il y a un poste de centralisation de l'information (PCI) actif vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ainsi que des postes d'information et de contrôle (PIC) dans certains bâtiments. Il me semble – et c'est une question que l'on devra poser à la direction – que le PIC du bâtiment A ne permettait pas de basculer sur les caméras du gymnase au moment des faits, car il était en maintenance. Je suis allé voir les différentes cellules et la salle de sport. La porte de la salle de sport est fermée mais elle est ajourée, puisqu'il y a un trou d'une vingtaine de centimètres, où une main passe.
Pour moi, il existe des dysfonctionnements en amont de cette affaire. Comme à beaucoup de mes collègues, il me paraît incroyable qu'un détenu pour terrorisme islamiste puisse bénéficier d'un statut d'auxiliaire en prison. Il faut le motiver, dites-vous, mais ce n'est pas possible ! C'est le terrorisme islamiste qui oblige le Gouvernement à négocier sous pression en Corse. Et je sais, pour avoir auditionné plusieurs fois l'administration pénitentiaire, que pour vous les TIS ne sont pas plus dangereux que les autres détenus dans vos murs. Ils sont d'ailleurs souvent beaucoup moins dangereux entre les murs des prisons que certains réseaux criminels organisés. Néanmoins, il faut que vous puissiez entendre qu'en dehors de vos murs, ce sont les terroristes islamistes qui sont les plus dangereux pour nos sociétés. Ce sont eux qui tuent en masse dans les restaurants, dans les bars, dans les salles de spectacle, qui tuent les policiers, qui tuent les enseignants, qui tuent les journalistes. Comment faire pour qu'un terroriste islamiste ne puisse pas bénéficier d'un statut d'auxiliaire en prison ?
Ma deuxième question concerne le passé de Franck Elong Abé. Cet individu a été arrêté par les Américains en Afghanistan et remis aux autorités françaises. Il s'est distingué par sa violence dans différentes prisons et une prise d'otage à l'hôpital prison de Sequedin. Selon nos services de renseignement et le parquet national antiterroriste, Franck Elong Abé se serait particulièrement distingué, si vous me permettez l'expression, par sa violence en Afghanistan et il aurait été écarté d'Al Qaida pour son extrême violence. Les services pénitentiaires avaient‑ils reçu ces informations ?
Je vous confirme qu'il y a bien deux TIS à la centrale d'Arles, en dehors d'Elong Abé, et qu'il y a peut-être deux détenus de droit commun radicalisés. Actuellement, 430 TIS se trouvent dans nos établissements, un nombre qui est monté jusqu'à 560 en 2020, et environ 600 détenus de droit commun radicalisés repérés et surveillés pour cela. Il y a, à l'extérieur, plus de 250 terroristes islamistes qui ont purgé leur peine et font l'objet d'un dispositif de suivi par l'administration pénitentiaire.
Je ne peux, avec tout le respect que je vous dois, monsieur le député, ainsi qu'à votre mandat, vous laisser dire que l'administration pénitentiaire ne prend pas en compte le danger que représentent les TIS. Nous avons eu cinq attentats islamistes dont quatre dirigés contre les personnels, que j'ai rencontrés, puisque j'étais leur directeur interrégional, notamment à Osny, mais également à Condé, au Havre et à Vendin-le-Vieil, et nous avons aussi payé de notre chair, comme les autres serviteurs de l'État républicain que nous défendons au péril parfois de la vie des agents. Nous savons que ces gens-là peuvent être extrêmement dangereux, et c'est pourquoi nous créons de nouveaux dispositifs depuis six ans.
Depuis que je suis à l'administration pénitentiaire, j'essaie de les rendre plus lisibles et plus opérationnels, grâce à mon expérience à la direction interrégionale des services pénitentiaires de Paris. Le 31 janvier 2022, j'ai adressé une stratégie de lutte contre la radicalisation en milieu fermé, avec une note comportant des éléments très concrets. Quelqu'un qui négligerait ce terrorisme ne le ferait pas. Le 17 juillet 2021, j'ai rappelé la stratégie d'évaluation en quartier d'évaluation de la radicalisation (QER). Enfin, le 24 décembre 2021, avec un petit mot signalé, j'ai rappelé à tous les directeurs les mesures de sécurité à appliquer aux personnes incarcérées pour des faits de terrorisme en lien avec l'islamisme radical ou repérées comme radicalisées, en réinsistant sur des mesures spécifiques d'ouverture de cellules et d'accompagnement des mouvements de détenus ou en faisant établir des notes de gestion individualisée des mesures de sécurité à respecter. Je veux bien que l'on assigne à l'administration pénitentiaire une obligation de résultat là où, parfois, dans la société, d'autres ont échoué. Nous faisons le maximum. Ce maximum ne produit pas toujours les effets escomptés, je l'assume, mais je peux vous dire que la mobilisation de tous les fonctionnaires pénitentiaires, parfois au péril de leur vie, est totale, notamment sur ce sujet.
S'il faut modifier les règles de droit pour qu'aucun terroriste islamiste ne puisse bénéficier d'activités ou d'un travail en prison, cela ne m'appartient pas. En 2012, l'un de mes prédécesseurs avait instauré une interdiction partielle de classement à un poste de travail de service général en maison d'arrêt – ce n'est pas le cas de la maison centrale d'Arles – qui a été cassée par un arrêt du Conseil d'État en 2015. Le ministère de la justice respecte le droit. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu de défaillances – les enquêtes le démontreront, le cas échéant, et je l'assumerai. Certaines mesures nécessitent un examen redoublé du fait que la personne est TIS et DPS, et les critères d'inscription au répertoire des DPS, notamment l'appartenance à la mouvance islamiste radicale, doivent être pris en compte.
Quant à ce qu'a fait M. Elong Abé en Afghanistan, je n'ai pas d'éléments à porter à votre connaissance.
Monsieur le directeur, je voudrais vous assurer que le Parlement sait l'engagement de l'administration pénitentiaire dans cette lutte difficile contre les détenus radicalisés. Nous sommes tous allés dans des établissements pénitentiaires sécurisés. Je me suis moi-même rendue à plusieurs reprises à Condé-sur-Sarthe notamment. Nous n'avons aucun doute à émettre sur la qualité de votre travail et votre engagement au quotidien dans cette mission particulièrement difficile. La tâche est immense, nous en avons bien conscience.
Je souscris à ce que vous venez de dire, madame la présidente. Nous connaissons vos qualités et votre probité, monsieur le directeur.
En tant que citoyenne et ancien membre du corps préfectoral, l'assassinat du préfet Érignac m'avait profondément bouleversée. Je tiens à le rappeler par égard à sa famille qui est encore dans ce deuil terrible. Les services pénitentiaires sont un très grand service public de l'État. C'est pourquoi nous devons, à la commission des lois, nous interroger sur des situations paroxystiques. Je pense que demain sera différent, du fait du drame de la prison d'Arles.
En revanche, je ne comprends pas pourquoi c'est le parquet national antiterroriste qui a été saisi, alors même que, manifestement, c'est le fonctionnement du service public pénitentiaire qui doit être interrogé. C'est moins la nature terroriste présumée de l'intéressé, qui semblait être en rémission au point qu'on lui confie un emploi, que ses problèmes psychiatriques – comme en auraient d'ailleurs 30 % des détenus – qui posent question.
Je m'étonne que ce soit le parquet national antiterroriste (PNAT) qui soit saisi. Je ne voudrais pas que ce soit une manière de nous décharger des responsabilités qui sont les nôtres en tant que gardiens d'un service public pénitentiaire auquel nous tenons. Nous ne pourrons faire l'économie d'une réflexion sur ces dysfonctionnements qui ne tiennent peut-être pas tant à un défaut de surveillance qu'à des problèmes structurels.
J'en viens à des questions plus précises. La vidéo des dix minutes dramatiques a-t-elle été conservée ? D'autre part, sachant que le détenu était chargé de faire le ménage, je suppose qu'il était équipé d'objets potentiellement dangereux. Le sac plastique en faisait-il partie ? Enfin, est-il courant que le ménage se fasse pendant les horaires d'ouverture de la salle de sport ?
S'agissant de la saisine du PNAT, vous comprendrez qu'en vertu de l'indépendance de l'autorité juridictionnelle, je ne puisse pas m'exprimer. Le PNAT a fait un communiqué de presse et il pourra lui-même expliquer pourquoi il estime que cette affaire relève de sa compétence.
Je sais que tel n'était pas le sens de vos propos mais je rappelle qu'il n'est pas question que le service public pénitentiaire échappe à ses responsabilités ou à une critique que j'espère constructive. Il y aura, en effet, un avant et un après. L'enquête judiciaire prendra en considération l'ensemble des éléments. L'enquête administrative, confiée à l'inspection générale de la justice, sera centrée sur le fonctionnement de l'administration pénitentiaire.
Concernant la conservation des vidéos, les bandes sont très certainement entre les mains des enquêteurs ainsi que l'ensemble des enregistrements de cette journée. Les enregistrements pouvant être conservés durant trois mois, il leur sera possible de connaître le déroulement des jours précédents.
Quant à la nature des objets qu'Elong Abé a pu avoir entre ses mains du fait de son travail, l'enquête le déterminera. Par ailleurs, la direction de la maison centrale d'Arles répondra à votre question sur les horaires. En tout état de cause, Elong Abé était aussi inscrit à l'activité sportive et il aurait très bien pu se rendre dans la salle de sport indépendamment de son activité d'auxiliaire.
Monsieur le directeur, je vous avoue que cette audition me perturbe fortement.
Lorsqu'un DPS demande à être affecté à un poste d'auxiliaire, une commission spéciale se réunit et doit rendre un avis favorable. On peut espérer que, dans le cas d'Elong Abé, des échanges eurent lieu avec la structure locale interrégionale voire nationale qui suit les détenus de la mouvance djihadiste et que les données dont disposait la direction générale de la sécurité intérieure auront été transmises. Compte tenu du profil de cet individu, je serais curieux de connaître la motivation de cet avis.
D'autre part, si j'ai bien compris, un gardien de prison a ouvert la porte d'une salle de sport pour que deux DPS s'y trouvent réunis. Or, Jean-Baptiste Peyrat, sous-directeur de la sécurité pénitentiaire, a pu écrire, pour motiver le maintien du statut de DPS de M. Pierre Alessandri, que les détenus particulièrement signalés peuvent avoir accès aux mêmes types d'activités que les autres à condition que la vigilance des personnels soit renforcée dans des opérations de contrôle interne mais aussi externe et que la réunion, dans un même lieu, de personnes détenues particulièrement signalées soit, dans la mesure du possible, limitée, notamment dans les maisons d'arrêt.
Vous avez déclaré qu'il fallait motiver la décision de maintenir un détenu sous le statut de DPS. En 2020, l'administration pénitentiaire, dans ses différentes composantes locales et régionales, s'est déclarée favorable à la radiation du répertoire des DPS de Pierre Alessandri, notamment en raison de l'évolution positive de l'intéressé, de sa réflexion sur les faits, de son investissement dans son parcours d'exécution de peine et du faible risque d'évasion. Mais le 21 février 2022, cette même administration écrit qu'en raison de l'exceptionnelle gravité des faits ayant motivé sa condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité prononcée en 2003 par la cour d'assises de Paris, de la nature des victimes, de l'extrême retentissement médiatique de ces faits, de son appartenance à la mouvance nationaliste corse et du trouble à l'ordre public qui pourrait découler de cette décision, sans parler du risque d'évasion, M. Pierre Alessandri doit conserver son statut de DPS. En un an, votre administration a opéré un demi-tour complet ! Comment l'expliquez-vous alors que l'exemplarité de ce prisonnier était reconnue ? S'il a commis des actes particuliers, nous devons en être informés pour ne pas céder au sentiment qu'il pourrait y avoir deux poids deux mesures. Surtout lorsque vous affirmez que l'on ne peut motiver le maintien d'un détenu sous le statut de DPS au seul motif qu'il appartiendrait à la mouvance djihadiste ! Il semble que cela ne pose pas de problème lorsqu'il s'agit d'un nationaliste corse !
D'autre part, où en est l'enquête administrative ? Je ne pense pas qu'il faudra beaucoup de temps, en effet, pour comprendre ce qui s'est passé.
J'ai rendu visite, avec Bruno Questel, à Yvan Colonna quelques jours avant son agression. Je me dois de vous répéter ses propos au sujet du fameux centre national d'évaluation, à la convocation duquel il refusait de se rendre : « Pierre Alessandri et Alain Ferrandi sont passés devant le CNE, qui a rendu un avis favorable à leur aménagement de peine. Un premier tribunal a rendu un avis favorable à un aménagement de leur peine et à leur libération mais le PNAT a fait appel pour qu'ils ne sortent pas. Jamais ils ne nous laisseront sortir. » Nous n'avons pas réussi à le convaincre du contraire.
Le statut de DPS d'Elong Abé n'a jamais été levé. Je vous ai rappelé la réglementation et la pratique en vigueur pour affecter un DPS à un travail ou une activité. Selon l'instruction ministérielle que j'ai transmise le 11 janvier 2022, les DPS peuvent faire l'objet d'un classement sur un poste de travail en concession ou au service général. Les demandes des personnes détenues pour participer à une activité, un travail ou une formation sont examinées en commission pluridisciplinaire unique (CPU). La CPU d'Arles s'est réunie et elle a pris en considération les éléments qui ont conduit à inscrire Elong Abé au répertoire des DPS, en particulier son appartenance à une mouvance terroriste. Nous verrons bien quelles seront les conclusions de l'enquête mais cette donnée fait partie des éléments supplémentaires à prendre en compte lorsque l'on se penche sur le statut de DPS car elle donne une idée de la personnalité et de la dangerosité de l'individu, en plus des critères classiques d'appréciation valables pour les autres détenus. Il y est prêté une attention particulière même si notre droit ne prévoit pas d'exclure une catégorie de détenus de l'accès à ces activités.
Sont également pris en compte le profil des autres participants à l'activité considérée et le nombre de DPS déjà inscrits même si le nombre de participants n'est pas limité. J'en ai expliqué les raisons, notamment pour les maisons d'arrêt qui sont souvent surpeuplées. La décision est prise au cas par cas, en fonction de la dangerosité et de personnalité de chaque DPS. Si le détenu présente un caractère d'extrême dangerosité, il est placé en quartier d'isolement comme ce fut le cas pour Elong Abé.
Nous sommes nombreux à nous interroger sur la personnalité de M. Franck Elong Abé, agresseur de M. Colonna et détenu terroriste camerounais. C'est un ancien d'Afghanistan, passé par les geôles américaines de Bagram, remis aux autorités françaises en 2014 et libérable en décembre 2023. Il purgeait une peine de neuf ans d'emprisonnement du chef d'association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme. Cet individu a été plusieurs fois condamné durant sa détention, notamment pour avoir pris une personne en otage et avoir mis le feu à sa cellule lors de son incarcération à Condé-sur-Sarthe. Selon certaines sources, il a été condamné pour plus d'une dizaine de délits consécutifs, commis durant l'été 2019. Même s'il n'avait plus fait parler de lui durant sa détention à Arles, sa dangerosité semblait connue.
D'après les informations parues dans la presse, M. Elong Abé avait fait l'objet, dès 2014, lors de sa mise en détention en France, d'une obligation de soins médicaux et psychiatriques qu'il a toujours refusé de suivre. Du fait de son profil, il aurait été soumis au statut de DPS, une contrainte qui limite, en principe, la possibilité de travailler en prison ou d'être affecté au service général dont les tâches l'auraient placé en contact quotidien avec les autres détenus de l'établissement.
La dangerosité de M. Elong Abé aurait dû conditionner son suivi, surtout à un an de sa libération. Le choix des établissements pénitentiaires dépend davantage de la longueur de la peine et de la date de libération que de la dangerosité du détenu, l'objectif étant de maintenir les liens familiaux. Cette agression remettra-t-elle en cause cette règle ?
Le parcours de détention d'Elong Abé, surtout durant les cinq premières années, est émaillé de nombreux incidents qui ont justifié la mesure d'isolement, mesure suprême de sécurité. Une grande part des actes dont il s'était rendu coupable étaient tournés contre lui-même, qu'il s'agisse des feux de cellule ou des tentatives de suicide. Mais il avait également pris en otage une interne en 2015 à l'unité hospitalière spécialement aménagée de Lille.
Ce type de profil est connu au sein de l'administration pénitentiaire même si, fort heureusement, il est minoritaire. Arrivé à Arles le 17 octobre 2019, il a été placé à l'isolement les six premiers mois et a bénéficié d'un suivi très précis et régulier. Le risque était toujours prégnant, ce qui explique le maintien de son statut de DPS. En revanche, la levée de l'isolement a été demandée. Au regard des derniers événements, on peut penser que la décision qui a été prise alors n'était pas la bonne. Cependant, cette décision n'a pas été soudaine. Elle a été prise au bout de neuf mois et demi de placement dans un quartier spécifique d'intégration où le détenu a été accompagné et évalué. Plusieurs députés ont d'ailleurs pu visiter ce quartier. Les résultats de l'évaluation ayant été plutôt positifs, confirmés par l'absence d'incident, ce qui tranchait par rapport à son comportement dans les autres établissements, il a été décidé de le placer, en avril 2020, en détention classique, tout en maintenant son statut de DPS.
Les responsables de la maison centrale d'Arles vous en parleront mieux que moi, mais j'en ai fait l'expérience lorsque j'étais responsable pénitentiaire, une stabilisation est possible, pour certains détenus, grâce au sport ou à un lieu. De même, certaines dégradations de comportement sont difficilement explicables.
L'inquiétude concernant Elong Abé, tant aux niveaux pénitentiaires local, interrégional et national, portait sur les conditions de sa sortie de prison – vous avez travaillé, débattu et voté une loi à ce sujet. Celle d'Elong Abé était prévue en 2023, donc très prochainement. Il nous semblait important de la préparer au mieux. En effet, même si son parcours en détention s'était amélioré, son comportement restait celui d'une personne dont la stabilité psychologique n'était pas totale, et qui nécessitait un suivi particulièrement adapté et une évaluation avant sa sortie. Le risque qui était perçu était plus celui de sa sortie que celui de la poursuite de sa détention dans la maison centrale d'Arles, où les choses s'étaient très nettement améliorées depuis plus de deux ans, et ne présentaient, à ma connaissance, aucun signe objectif de dégradation.
Madame la présidente, je vous remercie d'avoir organisé cette audition. Je souhaite qu'il y en ait d'autres, notamment celle de M. le garde des sceaux. En effet, ce qui est en cause, dans le drame qui a amené à cette audition, relève d'une responsabilité politique. Outre les réponses que fournira M. le directeur de l'administration pénitentiaire, j'attends des réponses politiques.
Ce drame touche une famille. Il a soulevé une immense émotion en Corse, que nous devons entendre. Je me suis entretenu avec Jean-Hugues Colonna, le père d'Yvan Colonna, qui a été député des Alpes-Maritimes, il y a quelques années, et pour lequel j'ai du respect. Il a posé de vraies questions, au-delà de l'émotion d'une famille dans l'inquiétude. Elles portent bien sûr sur la politique pénitentiaire de notre pays.
À cet égard, je veux élargir la perspective et soulever à nouveau le problème de l'isolement et du regroupement des détenus islamistes, qu'il s'agisse des terroristes islamistes (TIS) ou des détenus de droit commun susceptibles de radicalisation (DCSR). La commission d'enquête sur la politique pénitentiaire, présidée par Philippe Benassaya et dont Caroline Abadie était rapporteure, dénombrait l'été dernier – vos chiffres sont plus récents, monsieur le directeur – 1 116 islamistes emprisonnés, dont 461 TIS et 655 DCSR. J'ai toujours prôné le regroupement des détenus islamistes, et défendu des amendements en ce sens. L'affaire qui nous occupe révèle non seulement une faille, mais aussi une faillite de notre politique pénitentiaire.
Les inquiétudes sont très fortes, et les menaces très lourdes. Nous avons auditionné, à de multiples reprises, des responsables judiciaires, qui ont souligné la menace de la radicalisation en prison et des sorties de prison, et la nécessité de tenir compte du profil des détenus. J'ai toujours prôné, quant à moi, la rétention de sûreté s'agissant de la sortie de prison de ces profils qui resteront dangereux à vie. Je considère que les conditions d'allégement de la détention de Franck Elong Abé sont empreintes d'une forme de naïveté. Ces personnes sont irrécupérables. La société doit se protéger avec les moyens adéquats.
Mes questions, qui portent sur la gestion de ces détenus, s'adressent plutôt au garde des sceaux. En 2018, le Premier ministre d'alors, Édouard Philippe, avait annoncé la création, dans le cadre du plan de lutte contre la radicalisation djihadiste, de 1 500 places de prison pour accueillir ces détenus au profil si dangereux et si spécifique. Combien de places ont été effectivement créées ? Combien de quartiers d'isolement pour ces détenus et d'établissements où ils pourraient être regroupés ont été effectivement créés ?
J'appelle de mes vœux l'ouverture de tels établissements. Je sais qu'ils suscitent des oppositions très fortes et des débats politiques. J'en ai récemment discuté avec le garde des sceaux à Mayotte, et je lui ai écrit à ce sujet. Il faut isoler les détenus islamistes en raison de leur forte dangerosité.
Jean-Hugues Colonna m'a rappelé que plusieurs élus corses ont signalé le danger induit par la cohabitation de condamnés pour terrorisme corses – je n'oublie pas l'assassinat du préfet Érignac – et de terroristes islamistes. Les familles ont souligné l'extrême dangerosité de cette mixité. Pourquoi ces observations n'ont-elles pas été prises en compte ? L'aggravation des risques due à l'absence d'une politique d'isolement bien plus stricte relève de l'évidence.
Monsieur le directeur, je vous remercie de vos réponses. Il faudra traiter ce problème. Nous l'avons beaucoup fait au cours de la présente législature, uniquement par des mots. Mme la présidente de la commission des lois a eu le courage et le mérite de soulever souvent ces questions. Malheureusement, le Gouvernement n'y a pas apporté de réponses.
Notre politique pénitentiaire devra être complètement revue, quantitativement et qualitativement. Bien entendu, cette observation ne remet pas en cause la qualité, le courage et le dévouement des personnels pénitentiaires, qui sont les premières victimes de la vacuité de cette politique.
. Vous le comprendrez, je m'en tiendrai à des considérations techniques, non sans rappeler à nouveau les efforts mis en œuvre depuis plusieurs années pour faire face à la radicalisation islamiste violente et la prendre en charge, en détention comme en milieu ouvert.
En cette matière, trop sérieuse et trop grave pour que l'on cède à la facilité, il est très compliqué d'atteindre un résultat totalement garanti. Nous sommes sur de la matière humaine complexe et évolutive, ce qui exige certes détermination et volontarisme, mais aussi modestie et humilité, comme nous l'apprenons dans la pénitentiaire.
Tout d'abord, tous les radicalisés ne l'ont pas été en prison. Le milieu carcéral peut avoir des effets nocifs. Il serait angélique ou naïf de dire le contraire. La surpopulation des prisons peut produire des conséquences néfastes en matière de prosélytisme. Toutefois, si la prison est un lieu de radicalisation, elle est loin d'être le seul. Internet, les mosquées clandestines, les clubs de foot et les pizzerias en sont d'autres. Ainsi, s'agissant des returnees, de ceux qui reviennent, 70 % des condamnés n'avaient pas séjourné en prison auparavant. Certes, il faut demeurer prudent et volontariste, mais je ne souhaite pas non plus, pour la société, que la question de la radicalisation en prison étouffe les autres. Il faut être vigilant partout.
Ensuite, nous sommes confrontés, en matière de terrorisme islamiste, à trois facteurs de risque, dont nous essayons de tenir compte : le prosélytisme, la commission d'un attentat en détention ou à l'extérieur, et la préparation à la sortie.
Cette dernière question se pose de plus en plus. À l'heure actuelle, le nombre de terroristes islamistes qui sortent de prison à l'expiration de leur peine est supérieur à celui de ceux qui y entrent. Le nombre de sorties va continuer à augmenter, le nombre d'entrées étant plus limité – je l'espère. Des dispositions ont été prises pour traiter ces risques, notamment la création de quartiers d'évaluation de la radicalisation (QER), de quartiers de prise en charge de la radicalisation (QPR) et de quartiers de préparation à la sortie (QPS), avant même qu'une loi ne sanctuarise tout cela. Auparavant, l'administration pénitentiaire assurait déjà le suivi précis de tous les aspects de la vie de ces personnes, grâce à 150 places dédiées, ainsi que des hébergements et des contrôles renforcés.
Par ailleurs, dans la philosophie du droit français, tout détenu a vocation à sortir de prison. Il ne m'appartient pas de trancher cette question, qui est très politique. Tel est aussi le cas des terroristes islamistes radicaux, dont certains sont extrêmement dangereux. Leurs profils étant très variés, il faut, comme pour d'autres catégories de détenus ou de délinquance, adopter une approche pertinente consistant à ne pas traiter tout le monde de la même façon. Par-delà les règles précises et les considérations de sécurité affirmées qui s'imposent, il faut parfois tenir compte de considérations psychiatriques. Des évolutions se produisent dans un sens ou dans l'autre. On ne traite pas un détenu écroué à seize ans comme un returnee de quarante ans… Il ne faut pas être naïf, et nous ne le sommes pas, mais il s'agit d'une matière très complexe.
S'agissant des places créées, nous avons sept QER, répartis sur quatre sites, en mesure de mener 280 évaluations par an, ce qui permet d'évaluer les détenus islamistes radicaux qui doivent l'être. À ce jour, 482 terroristes islamistes radicaux y ont été évalués. Dès lors qu'il ne s'agit pas de structures psychiatriques, y être admis suppose deux conditions : une personnalité à peu près stabilisée, dépourvue de troubles psychiatriques ; une absence de rejet complet et de risque sécuritaire élevé, lesquels sont traités par le placement à l'isolement.
Nous avons 230 places en QPR. À l'issue du processus d'évaluation en QER, trois issues sont possibles : la détention classique, assortie de mesures de prise en charge, d'accompagnement et de sécurité s'il est possible de tenir compte des risques que j'évoquais dans ce cadre ; le placement en QPR, si le détenu présente un risque avéré de prosélytisme ou de passage à l'acte, mais aussi des possibilités d'évolution, pour une durée allant de six à dix-huit mois renouvelables, ponctuée d'évaluations régulières ; le placement à l'isolement, si nous estimons que la personne concernée n'est pas en mesure d'enclencher une évolution positive et présente un risque élevé de prosélytisme ou de passage à l'acte.
Nous avons 1 100 places d'isolement. Nous allons en créer de nouvelles, notamment au centre pénitentiaire de Condé-sur-Sarthe. Le taux d'occupation des quartiers d'isolement est de 70 %. En leur sein, 170 cellules sont réservées aux TIS les plus dangereux, qui sont soumis à un régime encore plus sécuritaire. Parmi les détenus islamistes placés à l'isolement, 60 sont des islamistes radicaux et 60 des détenus de droit commun radicalisés.
Enfin, 271 TIS sont pris en charge par l'administration pénitentiaire en milieu ouvert. Chaque année, et de plus en plus en raison de l'arrivée à expiration des premières condamnations pour terrorisme et des retours de zones de guerre, nous dénombrons entre soixante et quatre-vingts sorties, ainsi que 320 personnes placées sous main de justice radicalisées et suivies par les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) en milieu ouvert, dont sortent quinze à vingt personnes par mois.
Depuis l'an dernier, ces dispositifs d'évaluation et de prise en charge concernent également les femmes, suivies à Fresnes et à Rennes.
Madame la présidente, je vous remercie de la tenue de ces auditions, qui sont si importantes pour le retour au calme et l'apaisement en Corse. Le peuple corse a exprimé, au cours des derniers jours, un désir profond et viscéral de justice et de vérité. Le drame qui est à l'origine de cette audition ne se serait pas produit si Yvan Colonna avait été incarcéré à la prison de Borgo, comme il aurait dû l'être.
La responsabilité de l'État dans cette affaire est immense. Depuis cinq ans, nous n'avons cessé, députés et sénateurs, d'œuvrer pour que les prisonniers corses fassent l'objet d'une juste application du droit. Le maintien réitéré de leur statut de détenu particulièrement signalé (DPS), fruit d'une décision politique inique, a été décidé en dépit de l'avis des commissions locales compétentes, du bon sens et surtout du droit. Yvan Colonna a toujours eu un parcours carcéral exemplaire et ne présentait aucun danger particulier. Tel est aussi le cas de Pierre Alessandri et d'Alain Ferrandi, comme nous l'ont indiqué tous les directeurs de prison que nous avons consultés.
Monsieur le directeur, j'ai plusieurs questions à vous poser.
Pourquoi la commission chargée de statuer sur le maintien du statut de DPS des détenus Ferrandi et Alessandri en 2021 ne s'est-elle pas réunie ? Cette commission émet des avis consultatifs, qui sont systématiquement suivis par le Gouvernement. Leur avis n'a cependant pas été suivi sur le dossier corse. Pour quelle raison ?
Il y a moins d'un mois, de nombreux députés ici présents se sont rendus à la maison centrale de Poissy. Nous avons échangé avec tous ses responsables, comme nous l'avions déjà fait par le passé. La directrice de l'établissement nous a bien spécifié que les deux détenus dont nous parlons ne posaient aucun problème de comportement. Vous avez rappelé qu'elle avait émis un avis favorable à toutes les demandes de levée du statut de DPS qui lui avaient été soumises au cours des deux années précédentes. Cette année, elle a émis un avis contraire. Avez-vous reçu ou donné des instructions en ce sens ?
S'agissant du détenu Elong Abé, comment son placement à l'isolement a-t-il pu être levé ? Compte tenu de votre expérience au sein de l'administration pénitentiaire, comment pensez-vous que cette décision a été prise ? À titre personnel, considérez-vous qu'elle était bonne ? On le sait, ces détenus appliquent les principes de la taqiya. Comment en est-on arrivé à faire en sorte que les chemins des deux personnes concernées se croisent ?
Vos réponses, monsieur directeur, avec tout le respect que je vous dois, sont très attendues en Corse pour contrer toute théorie du complot.
. S'agissant de la régularité de l'examen de la situation des DPS, il me semble, de mémoire, qu'il doit obligatoirement avoir lieu chaque année. À la maison centrale de Poissy, il me semble, sous réserve de vérification, que cet examen, assorti du recueil des avis prévus, a eu lieu en 2020 et en 2021.
Chers collègues, le champ de la présente audition couvre l'agression d'Yvan Colonna et le parcours de détention des deux détenus concernés. Il ne couvre pas le parcours de détention d'autres détenus. Les imprécisions que vous déplorez n'en sont pas forcément, d'autant qu'il s'agit d'un sujet qui n'entre pas dans le champ de la présente audition, auquel j'aimerais que nous nous tenions.
Chacun est libre de ses appréciations. M. le directeur de l'administration pénitentiaire nous a apporté les réponses les plus complètes et les plus honnêtes possible. Depuis plus de deux heures, il répond systématiquement à chaque question qui lui est posée. Chacun, me semble-t-il, peut lui en faire crédit et s'abstenir de l'interrompre.
. Je confirme que j'essaie, en toute honnêteté et en toute humilité, d'apporter les éléments de réponse les plus précis possible. Il subsiste peut-être des zones d'ombre ; les enquêtes en cours pourront les lever. Je n'en essaie pas moins de répondre le plus précisément possible à toutes vos questions, notamment celles qui s'inscrivent dans le champ de cette audition, qui porte sur des faits survenus à la maison centrale d'Arles.
Dans mon souvenir, l'examen du statut de DPS a bien eu lieu une fois par an, même si la décision rendue l'a été avec un décalage sur l'année calendaire, soit dit sous réserve de vérification.
Par ailleurs, les éléments portés à la connaissance des détenus concernés et de leur avocat, dans le cadre d'un débat contradictoire, constituent une synthèse de la dizaine d'avis émis par les membres de la commission locale DPS, dont chacun ici connaît la composition. Je n'ai reçu aucune instruction sur l'avis à émettre sur ces deux détenus, pas plus que sur d'autres.
J'ai détaillé le processus de levée d'isolement du détenu Elong Abé, qui prévoyait notamment neuf mois et demi d'accompagnement en petit comité, ainsi que de multiples évaluations. Fallait-il le faire ou non ? Honnêtement, en dépit des trente-sept ans que j'ai passés dans l'administration pénitentiaire, je ne peux répondre à cette question.
Il serait très prétentieux, s'agissant de comportements humains complexes, de dire « Oui, il aurait fallu » ou « Non, si j'avais été à la place de, je n'aurais pas fait ». Nous gérons des humains très compliqués, parfois très perturbés, qui évoluent parfois en bien, parfois en mal. Tous ont vocation à sortir de prison. On peut laisser quelqu'un à l'isolement pendant dix ans, et considérer, à la levée d'écrou, que l'administration pénitentiaire a fait son boulot ! Il y aura une récidive à la clé mais nous dirons que nous avons fait notre travail.
S'agissant d'Elong Abé, ce qui, jusqu'au 2 mars dernier, était perçu comme un problème, compte tenu de son évolution plutôt positive, était sa sortie de prison, prévue pour 2023. J'ignore ce que j'aurais fait si j'avais été à la tête de la maison centrale d'Arles. Je ne peux pas dire que toutes les décisions qui ont été prises sont parfaites, ce qui aurait évité le drame ; je n'aurai pas davantage l'outrecuidance et la prétention de dire que j'aurais su et que j'aurais agi autrement. Dans cette matière peut-être plus que dans d'autres, nous apprenons à faire preuve d'une grande humilité s'agissant des personnes qui nous sont confiées par l'autorité judiciaire, au bénéfice de leur sécurité, de celle des personnels et de la prévention de la récidive à leur sortie de prison.
Humainement et en tant que représentante de la nation française, je comprends la douleur et la colère qu'éprouvent la famille et les amis personnels de M. Colonna face à l'agression brutale dont il a été victime. Ces sentiments animent les proches de toutes les victimes d'agression brutale et à visée d'homicide. Ne nous mentons pas : l'attaque a été d'une brutalité telle que, sans être juriste ni chargée d'en décider, je considère que sa visée homicide est évidente.
Monsieur le directeur, je ne vous demanderai pas si elle vous semble de nature terroriste ou non, car il ne vous incombe pas de répondre à cette question. À titre personnel, j'en doute. Quoi qu'il en soit, nous devons aux victimes et à leurs familles les explications les plus exhaustives et les plus claires possible pour nourrir la compréhension de la commission des faits. Le jugement aura lieu, si nécessaire, plus tard.
Je vous poserai quelques questions, non sans faire appel à votre patience, ainsi qu'à votre souci constant d'exhaustivité et de précision.
Au sujet de la captation vidéo, notre collègue Untermaier a posé la question que je voulais poser, et notre collègue Diard en a posé une autre. Si j'ai bien compris, une vidéo de l'agression a été enregistrée, mais le système de vidéo était en cours de maintenance. A-t-il pu enregistrer la scène ou non ? Cette question peut sembler subsidiaire, mais la précision me semble importante. Plus généralement, lorsque j'ai voulu installer un système de vidéosurveillance dans la commune dont j'étais maire, j'ai renoncé à embaucher du personnel pour surveiller les écrans, en raison du coût que cela représentait.
Est-il de règle dans l'administration pénitentiaire qu'un seul agent soit affecté à la surveillance de 54 caméras vidéo ? Y a-t-il eu des postes non affectés, qui auraient dû être pourvus ? Dans la mesure où nous votons les budgets, nous devons en être avertis. J'entends qu'une priorité soit donnée, mais elle devrait viser les détenus particulièrement signalés.
Placer une personne devant 54 écrans ne semble pas suffisant pour pouvoir réagir. Est-ce le seul effectif dont disposait la prison d'Arles à ce moment ? Une norme d'effectifs supérieure est-elle prévue ? Auriez-vous des recommandations à faire à ce sujet – si vous pensez qu'il est de votre rôle de les présenter ?
Une opération de maintenance du dispositif vidéo a été menée dans la matinée du 2 mars. D'après ce que l'on m'a dit, elle aurait duré entre trente secondes et deux minutes, et n'aurait pas eu d'incidence sur l'enregistrement de la séquence la plus dramatique. L'ensemble des éléments vidéo a été remis aux enquêteurs.
L'effectif global de la maison centrale d'Arles était à peu près au complet : le taux de couverture était de l'ordre de 96 ou 97 %. Certes, il fluctue, par exemple lorsqu'une surveillante tombe enceinte ou qu'un agent est atteint du covid. Dans l'administration, il s'agit de postes affectés, où l'on rappelle l'agent. Dans le cas considéré, les postes étaient couverts.
Contrairement à certaines polices municipales, la maison centrale d'Arles ne compte pas de poste dédié, où les agents ne font que regarder un mur d'écrans. Il n'est d'ailleurs pas possible de regarder les 54 écrans du bâtiment d'hébergement A, ni les 300 caméras du dispositif de la maison centrale.
La doctrine – peut-être faut-il la revisiter – prévoit d'utiliser des caméras dans le milieu pénitentiaire avec des injonctions qui peuvent être, sinon contradictoires, du moins paradoxales. Filmer quelqu'un vingt-quatre heures sur vingt-quatre pose des difficultés en matière de libertés, de droits, et impose de déclarer les dispositifs à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).
Il existe quelques dispositifs permettant d'observer en permanence une personne. Un détenu connu, dont le procès est organisé à l'heure actuelle, est surveillé en temps réel par un dispositif spécifique. C'est le cas dans certains lieux particulièrement sensibles, mais non de la majorité des caméras. Le nombre d'agents ne le permettrait pas.
La deuxième utilité des caméras est de réaliser des contrôles ponctuels pour gérer les mouvements. Une caméra se déclenche lorsqu'une personne se présente à une porte. Celle-ci doit décliner le motif de son mouvement, qui est vérifié. S'il est exact, la porte s'ouvre. Elle reste fermée si un autre détenu, qui n'a pas rendez-vous, se présente. De tels postes, notamment celui à l'entrée du bâtiment, sont essentiellement conçus dans le but de gérer les accès et la circulation du bâtiment.
Alors que la surveillance et l'enregistrement sont permanents, les caméras donnent aussi une vision ponctuelle pour lever des doutes, si une altercation a eu lieu récemment entre deux détenus ou si une alarme a retenti. Lors de la prise d'otages à Condé-sur-Sarthe, la caméra a immédiatement zoomé sur le lieu de l'alarme – dans ce cas, sans grand succès, car le détenu avait tenté de casser la caméra. Des caméras antieffraction sont nécessaires.
Enfin, l'enregistrement fonctionne comme un juge de paix, lorsqu'un acte anormal s'est produit ou que les propos des surveillants et des détenus divergent : il permet alors de conforter la procédure disciplinaire ou judiciaire. C'est donc un élément central.
C'est ce qui explique que, hormis dans de grands établissements, sur des sites particuliers, il n'existe pas de mur d'images. Je vous laisse imaginer, s'il fallait 300 surveillants…
Les dispositifs permettent de faire des choix de scénarios, des choix humains, qui peuvent être contestés. Il existe par exemple un choix « activités » où il est possible de visualiser tout ce qui se passe dans la zone d'activités, sans voir le reste.
Le matin de l'agression – les directeurs de la maison centrale d'Arles pourront l'expliciter –, le choix « mouvements » avait été fait en raison d'un mouvement de promenade dans le bâtiment. Les mouvements créent des moments de tensions et de risques d'altercations entre détenus comme entre détenus et agents. Ce choix avait donc été privilégié.
De surcroît, le surveillant était présent dans la zone d'activités. Nous en avons vu les limites objectives. Je ne peux que vous expliquer les éléments : parmi ces trois postes, un seul est directement lié à la surveillance des activités, il s'agit de la personne qui se trouve dans le couloir des activités. Les trois postes étaient fonctionnels et tenus.
Monsieur le directeur, je vous remercie pour tous les éléments que vous apportez à notre commission. Il y a quelques jours, en apprenant l'agression d'Yvan Colonna, l'un des détenus les plus connus en France, nous nous sommes tout de suite dit qu'il avait fallu que cela tombe sur lui !
Mes questions visent à établir si l'événement est isolé ou s'il constitue le symptôme d'une réalité moins visible. Les éléments de l'enquête nous intéresseront car nous devons savoir ce qui s'est passé et si des erreurs ont conduit à cette situation. Je ne veux cependant pas qu'à partir d'un cas particulier, on puisse remettre en cause un protocole, qui fonctionne bien. Nous l'avons vu lors des auditions sur le rapport que j'ai rendu il y a quelques semaines. Ces protocoles sont semblables à ceux d'autres pays d'Europe. A priori, notre gestion n'est pas ubuesque. Il n'y a rien d'évident en la matière. La recherche du risque zéro est louable, mais assez utopique car il est question de matière humaine.
Certains collègues ont dit que des détenus étaient irrécupérables. Peut-être que certains le sont, mais la prison est là pour punir, protéger la société et, aussi, réinsérer. Lorsque l'on doit conjuguer ces trois missions, on a forcément des décisions à prendre. Parfois, l'une des missions l'emporte sur l'autre. La préparation à la sortie est indispensable. Pouvez-vous d'ailleurs confirmer qu'Yvan Colonna avait le droit d'être auxiliaire ?
La gestion hermétique de ces détenus n'est pas une solution. Comme nous l'avions indiqué dans notre rapport, 75 % des radicalisés islamistes l'ont été par internet, et non par la prison. Lorsque nous vous avions auditionné cet automne, vous nous aviez dit que 7 188 faits de violence avaient été comptabilisés au cours des trois premiers trimestres de 2021, contre environ 9 000 actes par an en 2019 et en 2020. Parmi ces faits, y a-t-il beaucoup de tentatives d'homicide ou l'agression survenue à Arles est-elle un cas isolé ? Les DPS sont-ils surreprésentés parmi les auteurs de ces actes ?
On a relevé 24 000 actes de violence sur les personnels en 2021, ce qui nous ramène au niveau de 2019. En 2020, le chiffre était un peu plus faible, en raison du covid et, surtout, de la diminution importante du nombre de détenus. En 2021, le nombre moyen de détenus était très supérieur à celui de l'année précédente. Sur les 24 000 faits de violence, 19 000 relèvent de la violence verbale et près de 4 500 de la violence physique sur personnels. Fort heureusement, dans la majorité des cas, ce sont plutôt des coups isolés, des bousculades, mais cela peut aller jusqu'à la prise d'otages ou des tentatives d'agression beaucoup plus violentes. Cela peut aussi se produire à l'extérieur des enceintes pénitentiaires, ce qui est un phénomène relativement nouveau – c'est pourquoi nous entendons sécuriser les domaines pénitentiaires et les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP).
S'agissant des actes de violence entre détenus, les chiffres sont beaucoup moins précis. Il y a certainement une zone grise. Nous travaillons sur les faits qui nous sont communiqués. Nous essayons d'être les plus exhaustifs possible. J'ai engagé, dès mon entrée en fonction, un plan de lutte contre les violences. Nous allons travailler sur des campagnes de victimation pour essayer de faire émerger ces faits. On a retrouvé en 2021, à peu de chose près, le chiffre de 2019. La très grande majorité des actes de violence sont des bousculades et des coups donnés en cellule. Ce n'est pas le cas, évidemment, en maison centrale ; cela concerne les maisons d'arrêt, qui sont parfois surencombrées. La grande majorité des agressions se produisent plutôt dans les maisons d'arrêt. À Arles, on a relevé une vingtaine d'agressions entre détenus sur l'année écoulée, essentiellement de faible intensité.
Nous lançons un grand plan de lutte contre les violences. Notre premier objectif est de mieux appréhender le phénomène. Nous analysons toutes les statistiques, à partir d'un outil de remontée d'informations, dénommé Prince, beaucoup plus performant, qui permettra d'agréger les données et de déterminer les lieux et les types de violence ainsi que les profils des détenus auteurs des faits. Sur cette base, le plan se déploiera dans trois dimensions.
La première dimension est la sécurité passive, par l'emploi d'outils technologiques comme les caméras, les émetteurs-récepteurs, les dispositifs d'alerte et, à l'extérieur, les mécanismes retardateurs.
La deuxième est la sécurité active, qui comprend toutes les procédures à appliquer.
La troisième, enfin, est la sécurité dynamique, qui implique des régimes de détention beaucoup plus adaptés et renvoie, notamment à la question de la remontée d'informations par les personnels. Le surveillant doit être un acteur. Il n'est pas seulement un porte-clés : il a un rôle essentiel à jouer grâce à sa connaissance des détenus, avec lesquels il vit jour et nuit. Le régime de détention doit être adapté au profil du détenu. L'isolement très ferme et très strict, le placement dans un quartier de prise en charge de la radicalisation, ou encore l'affectation dans un module de respect sont autant de dispositifs adaptés à la responsabilisation et à la dangerosité des détenus.
Les tentatives d'homicides et les homicides sur des détenus demeurent très rares : on dénombre une cinquantaine depuis 2011. Une part importante de ces actes sont commis dans des établissements ciblés, majoritairement ultramarins, en particulier en Guadeloupe et au centre de Remire-Montjoly, en Guyane. Ces faits doivent être mis en relation avec les troubles psychiatriques dont souffrent un certain nombre de détenus. Notre capacité à les identifier et à les prendre en charge doit être un élément central du plan de lutte contre les violences. Mon obsession est la sécurité de toutes les personnes se trouvant en détention. La nature du danger a évolué. Lorsque j'ai commencé ma carrière, à Saint-Maur, le principal risque auquel on faisait face était la mutinerie. Celui-ci est aujourd'hui beaucoup moins prégnant. Le principal risque encouru par les détenus et les personnels est l'agression isolée, qui peut être le fait de personnes ayant des troubles avérés du comportement. C'est un élément central d'accompagnement, qui ne dépend pas que de l'administration pénitentiaire, mais qui doit être présent dans notre plan de lutte contre les violences.
Le cœur de cette affaire au dénouement tragique est le statut de DPS. C'est un sujet qui est débattu de longue date concernant les détenus corses. Bien que ce soit un statut du détenu, il n'est pas fixé ni levé par votre seule administration. Cela a fait naître une expression que, personnellement, je déteste, mais sur laquelle il convient de s'interroger : celle de « prisonnier politique ». L'organisation de la vie en détention est aussi déterminée, dans le cadre de ce statut, par des acteurs extérieurs au milieu pénitentiaire. François Pupponi a rappelé que l'administration pénitentiaire s'est à peu près toujours prononcée en faveur de la levée du statut de DPS des deux détenus de Poissy, alors que d'autres personnes, extérieures à la détention, s'y sont opposées.
Afin de nous permettre de tirer des enseignements des erreurs du passé, j'aimerais connaître votre sentiment : à vos yeux, y a-t-il lieu de maintenir le statut de DPS ? On peut l'assimiler – c'était le cas pour les trois détenus corses – à une double peine, puisqu'il a empêché leur rapprochement. Il implique aussi une intervention du politique dans l'exécution d'une peine, ce qui peut nous amener à nous interroger sur la séparation des pouvoirs. Si ce statut a toujours lieu d'être, ne pourrait-on pas le confier à votre seule autorité ? Grâce à vos contacts avec les détenus, vous êtes en effet les sachants et les seuls à même de rendre des avis objectifs.
C'est une question complexe, qui relève essentiellement du champ politique, que je ne représente pas ici. J'ai toujours connu le statut de DPS, depuis mon entrée dans l'administration pénitentiaire en 1985. Il me paraît nécessaire, même s'il n'a pas produit d'effets suffisants s'agissant du détenu Elong Abé. Nous avons affaire à une matière humaine riche, variée et complexe. Nous devons avoir à notre disposition des outils réglementaires pour adapter notre prise en charge. Il me paraît important de pouvoir assurer un repérage d'un certain nombre de détenus, afin d'adopter des mesures de surveillance et de porter une attention redoublée aux mouvements, notamment à l'extérieur. Il appartient à l'autorité politique de réfléchir aux critères du DPS. Sur les six critères actuels, certains sont d'ordre strictement pénitentiaire – tels que l'évasion ou la tentative d'évasion, ainsi que le comportement en détention – tandis que d'autres, extérieurs au milieu pénitentiaire, concernent par exemple l'appartenance à une mouvance terroriste, le retentissement et la gravité des faits, ou l'ordre public.
Je vous remercie beaucoup, monsieur le directeur, d'avoir répondu de façon aussi complète à nos questions.
La séance est levée à 12 heures 45.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Jean-Félix Acquaviva, M. Pieyre-Alexandre Anglade, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Xavier Breton, Mme Blandine Brocard, Mme Marie‑George Buffet, Mme Émilie Chalas, M. Éric Ciotti, M. Éric Diard, Mme Coralie Dubost, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Camille Galliard-Minier, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. Dimitri Houbron, M. Sacha Houlié, Mme Catherine Kamowski, Mme Marie-France Lorho, Mme Emmanuelle Ménard, M. Jean-Michel Mis, M. Matthieu Orphelin, M. Didier Paris, M. Stéphane Peu, M. François Pupponi, M. Bruno Questel, M. Thomas Rudigoz, M. Antoine Savignat, M. Raphaël Schellenberger, M. Jean Terlier, Mme Alice Thourot, M. Alain Tourret, Mme Cécile Untermaier, M. Guillaume Vuilletet
Excusés. - M. Philippe Dunoyer, Mme Paula Forteza, M. Mansour Kamardine, Mme Marietta Karamanli, M. Ludovic Mendes, M. Rémy Rebeyrotte, M. Pacôme Rupin
Assistaient également à la réunion. - M. Michel Castellani, M. Paul-André Colombani, M. Jean-Jacques Ferrara