Intervention de Laurent Ridel

Réunion du mercredi 16 mars 2022 à 10h10
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Laurent Ridel, directeur de l'administration pénitentiaire :

Monsieur le député, vos propos soulignent la gravité de la situation, dont j'ai parfaitement conscience. Je me suis associé à la douleur de la famille d'Yvan Colonna et de ses proches. En tant que responsable d'une administration républicaine qui a son utilité, qui a aussi son honneur, je souhaite que la vérité soit faite, d'abord parce que nous la devons aux victimes, ensuite pour faire en sorte que cela ne se reproduise pas – même si le travail de l'administration pénitentiaire porte sur de l'humain très compliqué. J'ai vécu des drames au cours de mes trente-sept années de carrière pénitentiaire. J'ai commencé ma carrière par la mutinerie de la maison centrale de Saint-Maur, où j'ai côtoyé des détenus de l'époque du FLNC – Luciani, Albertini. Je la termine avec un grand sentiment d'humilité.

Concernant les réductions de peine, je ne peux pas vous répondre parce qu'il s'agit d'une décision judiciaire, prononcée par le juge d'application des peines en matière antiterroriste.

S'agissant du nombre de détenus terroristes islamistes radicaux, que nous appelons TIS dans notre jargon, il n'y en avait que deux à Arles, dont un en quartier d'isolement. Ils sont bien évidemment extrêmement surveillés. Afin de rendre les consignes plus lisibles, j'ai récapitulé dans un document unique toute la stratégie de lutte contre la radicalisation dans l'administration pénitentiaire, avec des éléments très précis concernant le renforcement de la surveillance ; ce document a été envoyé en décembre dernier. J'ai également rédigé une note ciblée sur les questions et les modalités de surveillance des TIS. J'étais directeur interrégional des services pénitentiaires de Paris au moment de la vague d'incarcération des détenus TIS de 2016 à 2020. C'est donc un sujet dont je mesure l'importance et aussi les dangers.

Le dispositif de renseignement pénitentiaire qui fonctionne à la centrale d'Arles entretient des relations avec d'autres partenaires du monde du renseignement. La situation des TIS fait l'objet d'un examen très régulier par une commission pluridisciplinaire unique, qui se réunit pour faire le point sur les questions de radicalisation et de violence. Dans ce cadre, la situation d'Elong Abé était donc régulièrement examinée.

Concernant la présence ou non d'un témoin direct, je ne peux pas répondre à cette question car je n'étais pas présent le 2 mars. Il semble, d'après les éléments qui me sont remontés, que cela ne soit pas le cas mais je rappelle que deux enquêtes sont en cours : elles devront justement entrer dans ce degré de précision pour établir la vérité. À ma connaissance, il y avait d'autres détenus présents dans un certain nombre de salles d'activités, mais ils n'ont pas entendu de bruits suspects : je n'en sais pas plus à ce stade.

Je reviendrai sur le parcours de ce détenu avant d'évoquer son classement, que vous présentez comme une mesure de faveur. Elong Abé a été interpellé en Afghanistan par les forces américaines, remis aux autorités françaises et écroué, en 2014, à la maison d'arrêt de Rouen. Ensuite, son parcours devient extrêmement chaotique, avec un nombre très important de violences auto-agressives, de tentatives de suicide et de feux de cellule ayant à plusieurs reprises mis sa vie en danger. Au moment de sa condamnation, il est transféré dans une maison centrale sécuritaire, en quartier d'isolement – il s'agit d'une mesure purement disciplinaire. De plus, du fait de ses troubles de la personnalité, il fait un séjour en unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA), structure pénitentiaire en hôpital psychiatrique, près de Lille, où il commet une tentative de prise d'otage d'une interne, qui tournera court assez rapidement. Il est alors transféré à la maison centrale de Vendin-le-Vieil – une des plus sécuritaires de France –, où l'essai de mise en place d'un régime classique mais très sécuritaire se solde par un échec. Il est ensuite replacé très rapidement en quartier d'isolement, où il multiplie les feux de cellule.

L'établissement souhaitant son départ, il est transféré à la maison centrale de Condé-sur-Sarthe où il est de nouveau placé en quartier d'isolement. À l'automne 2019, il est affecté à la centrale d'Arles, où il reste six mois à l'isolement. La réponse de l'administration pénitentiaire est purement sécuritaire puisqu'il n'y a pas de travail possible tant que le détenu n'est pas stabilisé. Son comportement ne permettait pas de le placer en quartier d'évaluation de la radicalisation ; les autorités judiciaires y étaient défavorables en raison de l'importance de ses troubles de la personnalité et de son incapacité à intégrer un processus d'évaluation.

Puis son comportement va très nettement se stabiliser. Quasiment aucun incident disciplinaire n'est enregistré pendant six mois, ce qui conduit la direction de la centrale d'Arles et la direction interrégionale à proposer une levée de l'isolement. Celle-ci étant acceptée en avril 2020, le détenu est placé dans un quartier spécifique d'intégration (QSI), à mi-chemin entre l'isolement et la détention classique. La prise en charge y est très particulière, avec des évaluations tous les deux mois, afin de permettre une stabilisation progressive et un retour à une détention plus classique, même si c'est dans un quartier de petite dimension. Le détenu y restera neuf mois et demi. Au vu de ses résultats, il a été jugé apte à rejoindre la détention classique, avec un niveau de surveillance justifié par son statut de détenu particulièrement signalé.

Après six mois de détention classique au cours desquels il participe à certaines activités, et alors que l'incidentologie concernant ce détenu a diminué de façon très conséquente et durable, il demande un poste d'auxiliaire sport, puisque c'est le sport qui semble le stabiliser. Le droit pénitentiaire nous interdit de motiver un refus de classement à une activité ou à un travail au seul motif qu'un détenu est un terroriste islamiste radical : il doit y avoir d'autres motivations pour justifier un refus de travail. En application de cette procédure, il est donc classé au travail et gagne entre 200 et 300 euros par mois – c'est l'un des emplois les moins rémunérés. Son travail n'a pas donné lieu à une quelconque remarque.

Enfin, les remontées d'informations des surveillants d'Arles concernant ces deux détenus, qui étaient quasi quotidiennes, ne font pas état d'altercations entre eux. Voilà ce que je peux indiquer concernant l'affaire du blasphème ; les directeurs d'Arles pourront vous en dire plus et les deux enquêtes en cours permettront, je l'espère, d'aller au-delà.

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