. Vous le comprendrez, je m'en tiendrai à des considérations techniques, non sans rappeler à nouveau les efforts mis en œuvre depuis plusieurs années pour faire face à la radicalisation islamiste violente et la prendre en charge, en détention comme en milieu ouvert.
En cette matière, trop sérieuse et trop grave pour que l'on cède à la facilité, il est très compliqué d'atteindre un résultat totalement garanti. Nous sommes sur de la matière humaine complexe et évolutive, ce qui exige certes détermination et volontarisme, mais aussi modestie et humilité, comme nous l'apprenons dans la pénitentiaire.
Tout d'abord, tous les radicalisés ne l'ont pas été en prison. Le milieu carcéral peut avoir des effets nocifs. Il serait angélique ou naïf de dire le contraire. La surpopulation des prisons peut produire des conséquences néfastes en matière de prosélytisme. Toutefois, si la prison est un lieu de radicalisation, elle est loin d'être le seul. Internet, les mosquées clandestines, les clubs de foot et les pizzerias en sont d'autres. Ainsi, s'agissant des returnees, de ceux qui reviennent, 70 % des condamnés n'avaient pas séjourné en prison auparavant. Certes, il faut demeurer prudent et volontariste, mais je ne souhaite pas non plus, pour la société, que la question de la radicalisation en prison étouffe les autres. Il faut être vigilant partout.
Ensuite, nous sommes confrontés, en matière de terrorisme islamiste, à trois facteurs de risque, dont nous essayons de tenir compte : le prosélytisme, la commission d'un attentat en détention ou à l'extérieur, et la préparation à la sortie.
Cette dernière question se pose de plus en plus. À l'heure actuelle, le nombre de terroristes islamistes qui sortent de prison à l'expiration de leur peine est supérieur à celui de ceux qui y entrent. Le nombre de sorties va continuer à augmenter, le nombre d'entrées étant plus limité – je l'espère. Des dispositions ont été prises pour traiter ces risques, notamment la création de quartiers d'évaluation de la radicalisation (QER), de quartiers de prise en charge de la radicalisation (QPR) et de quartiers de préparation à la sortie (QPS), avant même qu'une loi ne sanctuarise tout cela. Auparavant, l'administration pénitentiaire assurait déjà le suivi précis de tous les aspects de la vie de ces personnes, grâce à 150 places dédiées, ainsi que des hébergements et des contrôles renforcés.
Par ailleurs, dans la philosophie du droit français, tout détenu a vocation à sortir de prison. Il ne m'appartient pas de trancher cette question, qui est très politique. Tel est aussi le cas des terroristes islamistes radicaux, dont certains sont extrêmement dangereux. Leurs profils étant très variés, il faut, comme pour d'autres catégories de détenus ou de délinquance, adopter une approche pertinente consistant à ne pas traiter tout le monde de la même façon. Par-delà les règles précises et les considérations de sécurité affirmées qui s'imposent, il faut parfois tenir compte de considérations psychiatriques. Des évolutions se produisent dans un sens ou dans l'autre. On ne traite pas un détenu écroué à seize ans comme un returnee de quarante ans… Il ne faut pas être naïf, et nous ne le sommes pas, mais il s'agit d'une matière très complexe.
S'agissant des places créées, nous avons sept QER, répartis sur quatre sites, en mesure de mener 280 évaluations par an, ce qui permet d'évaluer les détenus islamistes radicaux qui doivent l'être. À ce jour, 482 terroristes islamistes radicaux y ont été évalués. Dès lors qu'il ne s'agit pas de structures psychiatriques, y être admis suppose deux conditions : une personnalité à peu près stabilisée, dépourvue de troubles psychiatriques ; une absence de rejet complet et de risque sécuritaire élevé, lesquels sont traités par le placement à l'isolement.
Nous avons 230 places en QPR. À l'issue du processus d'évaluation en QER, trois issues sont possibles : la détention classique, assortie de mesures de prise en charge, d'accompagnement et de sécurité s'il est possible de tenir compte des risques que j'évoquais dans ce cadre ; le placement en QPR, si le détenu présente un risque avéré de prosélytisme ou de passage à l'acte, mais aussi des possibilités d'évolution, pour une durée allant de six à dix-huit mois renouvelables, ponctuée d'évaluations régulières ; le placement à l'isolement, si nous estimons que la personne concernée n'est pas en mesure d'enclencher une évolution positive et présente un risque élevé de prosélytisme ou de passage à l'acte.
Nous avons 1 100 places d'isolement. Nous allons en créer de nouvelles, notamment au centre pénitentiaire de Condé-sur-Sarthe. Le taux d'occupation des quartiers d'isolement est de 70 %. En leur sein, 170 cellules sont réservées aux TIS les plus dangereux, qui sont soumis à un régime encore plus sécuritaire. Parmi les détenus islamistes placés à l'isolement, 60 sont des islamistes radicaux et 60 des détenus de droit commun radicalisés.
Enfin, 271 TIS sont pris en charge par l'administration pénitentiaire en milieu ouvert. Chaque année, et de plus en plus en raison de l'arrivée à expiration des premières condamnations pour terrorisme et des retours de zones de guerre, nous dénombrons entre soixante et quatre-vingts sorties, ainsi que 320 personnes placées sous main de justice radicalisées et suivies par les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) en milieu ouvert, dont sortent quinze à vingt personnes par mois.
Depuis l'an dernier, ces dispositifs d'évaluation et de prise en charge concernent également les femmes, suivies à Fresnes et à Rennes.