Intervention de Serge Picaud

Réunion du jeudi 27 janvier 2022 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Serge Picaud, directeur de l'Institut de la vision :

Je vais vous présenter le travail réalisé à l'Institut de la vision. Celui-ci fait partie de l'Institut hospitalo-universitaire (IHU) FOREsIGHT dirigé par le professeur José-Alain Sahel. Son objectif en matière de compensation du handicap est la restauration visuelle. Il s'agit de redonner une vision utile à des patients devenus aveugles. À l'Institut de la vision, les actions menées sont multiples, notamment la recherche d'une meilleure prévention des maladies. En effet, s'il est très souhaitable de pouvoir redonner la vue à des patients aveugles, il est tout aussi important de préserver la vision des personnes en bonne santé. Différentes approches thérapeutiques ont été testées à l'Institut. Des maladies complexes ou monogéniques et héréditaires peuvent y être traitées dès qu'elles débutent, par exemple via une thérapie génique pour les maladies héréditaires. Mis au point par une start‑up créée par l'Institut, un traitement fait actuellement l'objet d'une demande d'autorisation de mise sur le marché (AMM). Nous pouvons aussi intervenir dans le processus neurodégénératif grâce à des thérapies indépendantes du gène ou via la thérapie cellulaire. Ce matin, je parlerai surtout de la possibilité de redonner une vision utile à un patient atteint de cécité en utilisant une prothèse rétinienne ou la thérapie optogénétique. Dans les différents projets menés par l'IHU, un partenaire industriel a permis le transfert en clinique.

La rétine se situe au fond de l'œil et elle contient plusieurs couches de cellules : les photorécepteurs et les autres neurones. Certaines pathologies entrainent la dégénérescence des premiers. De ce fait, la rétine ne reçoit plus d'informations visuelles et ne peut donc pas les transmettre au cerveau. L'idée est d'introduire une puce électronique contenant des photorécepteurs électroniques sensibles dans l'infrarouge. La prothèse rétinienne devra générer au moins 600 pixels, donc comporter 600 photorécepteurs ou électrodes, pour que le patient aveugle reconnaisse un visage. L'Institut a participé au développement d'une puce électronique. Son efficacité est démontrée sur l'animal, particulièrement sur les primates non humains. Ce dispositif contient 378 photorécepteurs électroniques sensibles dans l'infrarouge. Il est placé au niveau de la lésion rétinienne d'un patient victime d'une dégénérescence maculaire liée à l'âge, qui n'a plus qu'une vision périphérique de très basse acuité – par exemple, il ne peut pas lire des lettres. Une barre supportant une caméra est fixée devant les lunettes que porte le patient. Derrière elles, du côté de l'œil, un dispositif projette une image infrarouge sur la rétine, donc sur la puce électronique. Grâce à cet ensemble, les patients sont à nouveau capables de lire des lettres et même des mots. Ils récupèrent une acuité visuelle comprise entre 20/460e et 20/565e et sont proches du seuil où l'on est considéré comme voyant. L'intérêt de ce dispositif est que le patient peut fusionner sa vision prothétique infrarouge avec sa vision périphérique naturelle. La difficulté est que les photorécepteurs électroniques sur cet implant mesurent chacun 100 micromètres alors que les récepteurs rétiniens mesurent 1 micromètre. Ce facteur 100 entre les photorécepteurs naturels et électroniques explique que nous n'arrivions pas à la même qualité que la vision naturelle. C'est la raison du développement de la thérapie optogénétique.

Certaines algues unicellulaires produisent une protéine sensible à la lumière. L'idée est d'introduire le code génétique de cette protéine dans un vecteur viral qui est injecté dans l'œil et qui le diffuse vers la rétine qui tapisse le fond de l'œil. Les neurones vont capter le code génétique de la protéine et l'exprimer. Les cellules de la rétine vont ainsi devenir sensibles à la lumière. Nous avons mis au point cette technologie en ciblant les cellules dites ganglionnaires, c'est-à-dire celles qui sont connectées au cerveau. Le patient va pouvoir retrouver une perception visuelle puisque ses cellules rétiniennes sont désormais photosensibles. Il va devoir cependant porter une paire de lunettes avec, à l'avant, une caméra et, à l'arrière, un projecteur en lumière rouge correspondant à la gamme de la sensibilité des protéines. L'optogénétique a révolutionné le domaine des neurosciences. En France, un patient a déjà été traité par cette technologie. Il est capable de reconnaître des petits objets et de les saisir. Nous avons donc réussi à redonner la vision à des patients atteint de dégénérescence maculaire liée à l'âge ou de rétinopathie diabétique.

Pour l'Institut, le prochain défi est de redonner la vue à des patients perdant les cellules ganglionnaires. Si l'on veut restaurer une vision utile, il faut alors directement interagir avec les neurones au niveau du cortex visuel. En Espagne, une équipe a montré que l'on peut insérer des électrodes dans celui-ci. Si certaines sont stimulées, le patient sera capable de distinguer divers éléments. Les approches de restauration visuelle au niveau cortical se développent. Il y a néanmoins une difficulté avec les électrodes situées dans le cerveau : peu à peu, le frottement détériore le contact. Nous avons donc essayé une approche sans contact en recourant à des protéines sensibles aux ultrasons. Elles sont exprimées dans les neurones afin de stimuler le cerveau avec des ondes ultrasonores. Nous avons prouvé l'efficacité de cette approche sur un modèle de souris et nous passerons bientôt à des modèles plus proches de l'homme tels les primates.

Nous travaillons enfin sur plusieurs stratégies de compensation du handicap. Citons la navigation GPS, les systèmes de casque immersif qui améliorent la perception des images et différentes applications visant à aider des patients malvoyants ou aveugles. L'objectif est de conférer un caractère inclusif aux Jeux olympiques 2024 en les y intégrant. L'évaluation de ces dispositifs est faite par l'entreprise Streetlab.

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