Intervention de Jean-Louis Constanza

Réunion du jeudi 27 janvier 2022 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jean-Louis Constanza, fondateur et directeur du développement de Wandercraft :

– L'histoire de la société Wandercraft commence avec mon jeune fils, atteint d'une pathologie neurologique. Lorsque je lui ai offert son premier fauteuil roulant, connaissant ma qualité d'ingénieur, il m'a suggéré de lui fabriquer un robot. La marche est un Graal en ce domaine car elle est l'un des phénomènes les plus complexes à reproduire en robotique. Rien ne laissait penser qu'il irait à l'université debout quelques années plus tard. Incapable de répondre à sa demande, j'ai eu la chance de rencontrer deux jeunes polytechniciens dont l'un était dans la même situation que moi. Ils avaient développé un ensemble de technologies s'appuyant sur des briques mathématiques et technologiques afin de fabriquer le premier exosquelette auto-équilibré. Autrement dit, le dispositif pouvait tenir debout et fournir une fonction de locomotion sans béquille et sans aide extérieure.

Je vais expliciter l'activité de Wandercraft et en tirer des idées qui pourraient inspirer vos travaux. Aujourd'hui, nous sommes considérés comme ayant trois à cinq ans d'avance sur l'industrie en ce qui concerne la fabrication de ce type de robot auto-équilibré. L'effectif de l'entreprise est de 95, dont 55 en recherche et développement (R&D) avec une part importante de mathématiciens du plus haut niveau mondial et des roboticiens.

Notre premier modèle d'exosquelette a obtenu une certification CE il y a deux ans et il est maintenant distribué dans les hôpitaux, dont ceux de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (APHP) et notamment celui de Garches. Il semble pouvoir fournir un outil de rééducation à la marche pour les patients victimes d'un AVC, d'une blessure de la moelle épinière ou d'une maladie neurologique. Un des acheteurs de cet exosquelette, le professeur Jean Michel Gracies, chef du service de rééducation neurolocomotrice de l'hôpital Albert-Chenevier (Henri-Mondor) de l'APHP l'explique très bien dans cette vidéo : « C'est le premier exosquelette mondial qui fonctionne sans que le patient ait besoin de canne. Il est auto-équilibré. L'ingénierie de cet exosquelette était de mettre le patient dans un robot humanoïde. Nous pouvons proposer la rééducation à la marche par ce dispositif à des tétraplégiques, à des parkinsoniens lourds et à des hémiparétiques très lourds au début de leur évolution. C'est une rééducation à la marche qui aura aussi l'avantage d'être une rééducation à la verticalité. L'un des gros problèmes de nos patients lourds, avec des maladies neurologiques avancées, est qu'ils passent de nombreuses heures en position horizontale. Cette position est très délétère pour à peu près tous les tissus du corps humain. Nous ferons une série d'études cliniques sur différents organes, qui seront menées à l'hôpital Albert-Chenevier, en comparant des patients qui auront bénéficié de l'exosquelette et ceux, malheureusement, qui n'en auront pas profité. » Malgré son caractère massif, ce dispositif permet à un patient même lourdement atteint, même très tôt après un AVC, de retrouver dès la première séance une position verticale en travaillant son équilibre et son système neuromusculaire. Unique en son genre, cet outil permet aux kinésithérapeutes et aux médecins de multiplier leurs compétences. Nous travaillons sur une deuxième version qui pourra assister, dès leur sortie de l'hôpital, les patients encore convalescents. L'exosquelette, beaucoup plus fin et agile, sera à même de gérer toutes les situations rencontrées sur un chemin de vie du matin au soir. La commercialisation de l'exosquelette en version « rééducation » démarre bien. Nous testerons cette année la dernière version du prototype d'exosquelette personnel avant d'envisager des essais cliniques à grande échelle aux États-Unis et, je l'espère, en France.

Je vais aussi faire quelques observations sur certains des sujets traités par le professeur Orlikowski. Aborder la mobilité pose la question du fauteuil roulant. S'il ne constitue pas une malédiction, il a des limites dont les utilisateurs voudront s'affranchir. Il peut entrainer des complications ; ce sont des maladies souvent graves de type cardiovasculaire ou cutané, fragilité osseuse ou spasticité, qui obligent l'usager à prendre des médicaments coûteux et risqués. La littérature médicale a pourtant prouvé que certaines d'entre elles sont curables par une activité quotidienne type exosquelette. Les autres devront l'être. Soulignons à nouveau l'importance de la « qualité de vie », terme usité pour parler du bonheur des individus. Elle est liée à l'inclusion qui, définie comme la capacité du patient à avoir des interactions sociales, a une valeur particulière. Une des premières fonctionnalités plébiscitées par les intéressés est celle qui permettrait de reprendre une vie normale, par exemple pour une jeune victime d'un grave accident, de pouvoir retourner à des fêtes et danser un verre à la main. Donc, l'approche de la technologie développée dans l'exosquelette sera très simple. Le cas de Kevin, notre pilote d'essai totalement paraplégique, en est une belle illustration. Il est capable de réaliser toutes les tâches imposées de la vie quotidienne avec un grand souci du détail, y compris faire la cuisine ou porter un plateau. Notre vie est faite de détails, tel que le fait de pouvoir se rapprocher d'une table une fois assis. Sur le plan robotique et mathématique, l'exécution de ces actions n'est pas complexe mais elle constitue un apport indispensable pour la qualité de vie des patients. Toutes les fonctionnalités de cet exosquelette personnel ont déjà été démontrées sur une version professionnelle réservée aux hôpitaux. Nous travaillons pour nos proches. Des millions d'individus sont dans leur situation et ont besoin d'un secours. Avec cette réalisation, nous avons démontré que nous sommes à la hauteur de cette tâche. Nous avons construit une maîtrise unique des algorithmes et de l'IA avec les meilleurs laboratoires spécialisés dans la commande de la marche, dont l'ISIR. Nous avons aussi travaillé avec les meilleures équipes médicales en France et aux États-Unis. Je vais me servir de cette histoire pour conclure en évoquant ce qu'il est nécessaire et ce qu'il est possible de faire.

En France, nous avons des forces certaines. Le terreau scientifique, particulièrement mathématique, est du plus haut niveau. Il faudrait le développer en prenant garde à ne pas l'abîmer. De surcroît, les équipes médicales sont extrêmement compétentes. Wandercraft a également pris en compte la réglementation dès le début en la considérant comme un outil et non comme une contrainte. Cette précaution nous a permis de mener des études cliniques et d'obtenir des autorisations sans difficulté. Nous considérons que la lourdeur de la réglementation reste nécessaire car l'on ne peut pas mettre n'importe quel produit entre les mains d'une population vulnérable. Enfin nous avons accès à des financements même pour des projets de long terme, depuis dix ans. Un bon projet peut trouver un financement en France.

Concernant ses faiblesses, il faut se souvenir que la France reste un petit marché. L'entreprise doit rapidement devenir mondiale. À défaut, elle n'atteindra pas les objectifs de qualité et de coût qui lui permettront d'être concurrentielle et donc de servir le marché français. Il s'agit plus d'une contrainte qu'une faiblesse mais c'est un fait. L'écosystème national de production s'est évanoui ces trente dernières années. La solution de facilité serait d'aller en Asie et de faire fabriquer nos produits sur place pour les exporter dans le monde. Ce n'est pas une bonne chose pour de multiples raisons. La production reste un facteur majeur car si nous voulons que cet exosquelette soit à la portée de tout le monde, il est impératif qu'il ne dépasse pas les coûts d'un fauteuil roulant électrique haut de gamme. Il s'agit du premier robot marcheur au monde à atteindre le stade commercial. Il est impératif que notre système de production national soit efficace. Ceci nécessitera encore des efforts. Je dirais que notre « équipe de France » n'est pas complètement formée. Nous sommes capables de travailler avec des chercheurs et des médecins du meilleur niveau mondial, mais la production fait défaut. Nous tentons de mettre en place une synergie entre les pouvoirs publics, le système de santé, les payeurs et la technologie, tout en défendant notre production, mais ce n'est pas simple. Enfin, voyageant partout dans le monde, je peux affirmer que nous avons une conscience collective du handicap qui est encore assez faible par rapport à l'étranger.

En 2021, le juge fédéral allemand a ainsi décidé que la capacité à marcher des personnes est dorénavant considérée comme un droit. Ce droit implique de rendre, par tous les moyens technologiques disponibles, la locomotion à ceux qui ne l'ont plus. Les exosquelettes utilisés pour l'usage personnel dans la vie quotidienne vont donc être remboursés par le système allemand de sécurité sociale. L'idée est intéressante. Les fonctions permettant de marcher, voir, écrire, et interagir socialement sont pour moi des droits fondamentaux. Ils deviennent concrets grâce à la science qui permet de les émuler, de les restituer. Mais notre société, le corps médical, l'administration, les scientifiques, les ingénieurs, les Français en général, ne sont pas encore conscients que si quelqu'un fait le choix de sortir de son fauteuil roulant, pour quelques heures ou pour toute la journée, il en a le droit et on doit lui en donner les moyens.

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