– Je suis David Gouailler, titulaire d'un doctorat en robotique et cofondateur de la société Aldebaran Robotics et j'ai réalisé ma thèse sur la conception du robot humanoïde NAO. Passionné par le mouvement, j'ai cherché à maîtriser la locomotion de cet automate. Pendant des années, j'ai également essayé de dupliquer l'Homme sur un robot, avec plus ou moins de succès. Sur ce sujet, il convient de saluer les avancées de Wandercraft. Par la suite, ces savoirs technologiques ont été mis au service de ma recherche de sens. La volonté de réparer l'Homme s'inscrit dans cette perspective et la raison d'être du projet Orthopus est d'user de la technologie dans cette direction.
Basés à Nantes, nous développons des dispositifs médicaux robotiques et nous faisons de l'innovation au service des personnes en situations de handicap, même s'il y a d'autres marchés possibles pour nos produits. Nous travaillons sur des exosquelettes destinés à des patients victimes de maladies neuromusculaires et dont la faiblesse musculaire ne leur permet pas de soulever les bras trop longtemps. Société titulaire de l'agrément « Entreprise solidaire d'utilité sociale » (ESUS), nous nous inscrivons dans l'économie sociale et solidaire. Le coût est notre problématique principale. Aujourd'hui, accéder à des technologies innovantes est très cher. En France, la lente évolution des systèmes de remboursement est un frein. Ceci crée des difficultés en matière d'autonomie de la personne handicapée. La mission d'Orthopus est d'essayer de changer un peu les choses, en travaillant sur la réduction du prix et sur leur transparence, qui doit remplacer l'opacité. Nous voulons remettre les patients au centre du dispositif et faire de l'innovation. Nous nous inspirons des fab labs, de l' open source et de l'impression 3D.
Dans la gamme de produits que nous développons, la clé est le « muscle artificiel ». La problématique est d'arriver à compenser la faiblesse du muscle humain avec de la technologie robotique. Celle-ci est assez mature pour les membres supérieurs, mais son usage reste compliqué pour les jambes, car la locomotion implique beaucoup de stabilité. Le procédé adéquat existe. Il est issu du milieu de la cobotique, le milieu industriel mettant en coopération hommes et robots, par exemple pour de la manutention dans les chaines d'assemblage. La difficulté est de ramener ce savoir-faire technologique sur un marché de niche. Sur cette base, Orthopus a développé sa propre brique technologique, le muscle artificiel pour le membre supérieur, et elle est déjà dupliquée sur plusieurs aides. En effet, nous nous adaptons à la spécificité de chaque situation de handicap. C'est la fonction de notre premier robot, le Supporter. Il s'agit d'un moteur qui aide l'usager à aller contre la gravité en annulant le poids du bras. Nous allons ensuite complexifier la robotique afin de compenser de plus en plus de handicaps. C'est à cette fin que nous avons construit l'Explorer, un bras robotique posé sur le fauteuil qui permet d'interagir avec l'environnement de la personne.
Ces produits existent déjà. Nous travaillons également à maintenir un prix attractif en proposant cette technologie sur d'autres marchés. Certains partenaires peuvent être intéressés par le moteur et décider de s'implanter sur un autre marché. Ceci permettra de générer un effet de volume sur le marché du handicap, qui reste un marché de niche difficile à financer. Nous allons bientôt proposer à la vente notre premier produit en travaillant avec des acteurs locaux tel le Centre hospitalier universitaire (CHU) de Nantes, mais aussi avec Garches. Nous proposons donc un produit moins cher car nous ne le limitons pas au marché du handicap.
Concernant l'innovation, comme je le disais précédemment, la cobotique constitue un marché important où nous pouvons trouver de nombreux financements. L'intelligence artificielle qui y est développée est de type reptilien, c'est-à-dire que la technologie utilise les réflexes musculaires pour percevoir l'environnement et interagir avec lui. Grâce à cela, on pourra créer des exosquelettes directement commandés par l'intention de l'utilisateur et non par des boutons électriques. Par ailleurs, afin de mettre l'utilisateur au centre et de lutter contre l'opacité, nos prix et nos coûts sont transparents et affichés sur le site internet.
Nous menons une politique d'appropriation importante vis-à-vis du design produit. Les designs, utilisés pour recréer l'univers des nombreux enfants avec qui nous travaillons sont en accès libre afin que les communautés se les approprient. Nous n'avons pas le temps nécessaire pour tous les traiter. Orthopus collabore également avec les acteurs académiques. Les chercheurs vont donc aussi pouvoir bénéficier de cette aide, la moins chère du marché, et vont la faire évoluer vers de nouveaux usages. Nous sommes le premier acteur français à proposer cette technologie. Sur cette courte vidéo, vous pouvez voir que nos deux patients, Pierre et Timao, arrivent à bouger les bras alors qu'ils ne pouvaient effectuer aucun mouvement sans aide technique. Ce sont les premiers prototypes qui les aident à se mouvoir, qui leur donnent de l'autonomie. Ils sont personnalisables selon l'univers de l'enfant. Cette approche innovante fonctionne bien.
Concernant les forces et faiblesses du secteur, le niveau scientifique français est un de nos principaux atouts. Il est aisé de recruter des ingénieurs, des roboticiens, des docteurs ou des doctorants. Sur ces projets qui portent du sens, comme chez Wandercraft ou Orthopus, il est facile de trouver des partenaires et des laboratoires de recherches qui s'investissent, même sur leur temps libre. Les équipes médicales sont d'un niveau satisfaisant. La dimension réglementaire, lorsqu'elle est prise en considération assez tôt, n'est pas gênante malgré certaines lourdeurs. Les difficultés concernent surtout le financement. En France, il est compliqué de travailler sur des projets gourmands en capitaux avec une start-up se positionnant sur un marché de niche. Les fonds d'investissement attendent une rentabilité trop importante à court terme : ils ne s'intéressent donc pas au marché du handicap et préfèrent le numérique.
Enfin, le fonctionnement du système français de prise en charge est obscur. La France est très organisée avec un système fondé sur une liste de produits et prestations remboursables (LPP ou LPPR) mais la procédure et les critères pour y inscrire une nouvelle technologie ne sont pas clairs. Orthopus propose un dispositif qui coûte 4 000 euros, qui est fabriqué en France et qui est moins cher que des matériels équivalents fabriqués à l'étranger, mais qui n'est pas inscrit à la LPPR, alors qu'un dispositif proposé par un groupe allemand est pris en charge à hauteur de 25 000 euros. Il est difficile d'échanger directement avec l'ANSM et nous sommes obligés d'adhérer au SNITEM pour obtenir des informations. Il est également difficile de savoir qui sont les acteurs et la prise en charge se fait au niveau départemental : les aides techniques que peut apporter Orthopus peuvent être couvertes par la prestation de compensation du handicap (PCH) auprès des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). J'aimerais contribuer à lever ces freins. Le réseau Envie Autonomie, qui propose des aides de seconde main à la location et à la vente, et avec qui nous serons certainement amenés à travailler puisque les patients évoluent et que nous devrons leur proposer d'autres solutions, a réussi à faire inscrire dans la loi la possibilité d'apposer le marquage CE sur des aides de seconde main. La situation peut donc évoluer, mais la tâche n'est pas aisée car cela passe par un lobbying quasi politique donc chronophage.