Intervention de Hélène Sauzéon

Réunion du jeudi 27 janvier 2022 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Hélène Sauzéon, psychologue et chercheuse INRIA :

En introduction, je vais faire un bref état des lieux des handicaps mentaux. Je traiterai ensuite des solutions numériques que l'on peut leur apporter.

Evaluer la prévalence du handicap mental n'est pas chose aisée. On récolte énormément de données issues de différents acteurs, mais il est difficile de les rendre cohérentes. Chacun utilise des critères ou des méthodes de recensement très différentes. En France, on a l'habitude de catégoriser les handicaps ainsi : handicaps moteurs, sensoriels, cognitifs, intellectuels, psychiques et maladies invalidantes. Afin de catégoriser les handicaps, nous, chercheurs, utilisons les outils de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) qui s'appuie sur la Classification internationale du fonctionnement du handicap et de la santé (CIF). Sur cette base, nous regroupons les troubles cognitifs, intellectuels et psychiques dans la notion de « handicaps mentaux » car ils correspondent à des dysfonctionnements ou à des fonctionnements atypiques du cerveau. Cela concerne près de 36 % du nombre total d'adultes affectés par un dysfonctionnement pour cause de handicap. L'on trouve ces déficiences mentales associées à de nombreuses situations de handicap moteur ou sensoriel. Elles sont aussi présentes dans ce qui est appelé les « maladies invalidantes », dont la démence ou la sclérose en plaques. Ces chiffres sont plus élevés chez les enfants. Selon les données du ministère de l'Éducation nationale, de la jeunesse et des sports, environ 80 % des enfants scolarisés en cours préparatoire (CP) qui déclarent une situation d'incapacité trouvent l'origine de celle-ci dans une déficience mentale. Cette proportion est très importante. De plus, ces handicaps sont invisibles, donc mal compris par la société et associés à de nombreux stéréotypes. C'est un problème qui n'aide ni la recherche ni les personnes concernées.

Les tableaux cliniques sont très complexes et hétérogènes et le contexte est assez protéiforme. Les déficiences sont présentes dès la naissance – elles sont dites « développementales » – ou acquises au cours de la vie. Affectant les fonctions mentales globales, comme le fonctionnement intellectuel ou les habilités sociales, elles créent des difficultés dans tous les domaines de la vie quotidienne. À l'inverse, certaines incapacités sont sélectives, comme l'agraphie ou la dysgraphie. L'intensité des troubles est extrêmement variable, le panel des expressions allant du « très léger » au « très sévère ». Dès lors, nous recourons de plus en plus à la notion de spectre (autistique, schizophrénique, etc.). Le tableau est rendu encore plus complexe par la présence fréquente de comorbidités. Ainsi il n'est pas rare d'observer des déficiences cumulatives chez les enfants autistes.

Enfin, ces déficiences sont souvent évolutives. Quand les prises en charge sont bonnes, on observe des rebonds, des améliorations, mais les échecs demeurent. Ils sont particulièrement nombreux dans le cas des processus neurodégénératifs.

Ces situations particulières de handicap sont extrêmement complexes. Découvrir des solutions technologiques pour essayer de répondre à ces besoins est un grand défi. Quels sont-ils ? Là encore, je vais m'appuyer sur la CIF afin de les décrire. Le premier est un besoin de participation sociale : dans la famille, à l'école, sur le lieu de travail et dans les différentes activités de loisirs. Le deuxième est la capacité à réaliser les activités quotidiennes en autonomie et de manière autodéterminée. Le troisième est la restauration, partielle ou totale, des capacités mentales. De nombreuses technologies numériques sont apparues ces dix dernières années dans le but de répondre à ces trois grands besoins. Globalement, elles visent à apporter une aide environnementale.

On distingue quatre grandes familles d'aides numériques. En premier lieu, celles qui concernent les interfaces et visent à rendre accessibles les produits et services du numérique. Un grand progrès vient du standard World Wide Web Consortium (W3C). Les règles élaborées par cet organisme international visent à harmoniser les standards afin de réduire la fracture numérique. Celle-ci est justement très importante entre les neurotypiques et les « atypiques ». La deuxième famille est la plus connue : ce sont les technologies d'assistance visant à faire participer à nouveau l'individu à la vie sociale. Elles sont couvertes par des normes ISO. Il s'agit d'un véritable progrès directement issu de la classification internationale. Les deux autres familles sont plutôt utilisées en matière de rééducation. D'une part, les cliniciens utilisent des logiciels d'entraînement afin de restaurer l'aptitude des patients à pratiquer certaines activités. D'autre part, sont développées des applications de suivi et de surveillance de la santé mentale, cognitive ou psychoaffective des personnes en situation de handicap mental.

Les technologies existantes sont très nombreuses, particulièrement les applications mobiles. Bien que la forme logicielle des assistants soit très variée, ils s'adressent essentiellement aux besoins de santé, de vie à domicile, de communication, d'engagement social, de mobilité et de transport. L'offre est moindre pour l'éducation, le travail et les loisirs. Cependant, les études d'usage auprès du public ciblé montrent que ces technologies sont peu adoptées : le taux d'adoption à long terme semble buter sur un plafond de verre à 30%, ce qui n'est pas satisfaisant. Il y a plusieurs raisons à ceci. Tout d'abord, l'offre est illisible car les technologies proposées sont très nombreuses donc peu connues par les publics cibles. Ensuite, un dispositif est conçu pour ne répondre qu'à un seul besoin ; or, les patients n'ont pas toujours la capacité d'orchestrer plusieurs technologies. De plus, elles sont encore développées de manière techno-centrée, donc éloignée des besoins concrets. En définitive, il y a beaucoup d'outils pour améliorer les fonctions cognitives, mais il y en a peu qui permettent d'assister réellement les personnes dans leur vie quotidienne pour leur apporter de l'autonomie et améliorer leur participation sociale. C'est pourtant le premier besoin exprimé et il n'est pas pris en compte. Enfin, l'efficacité de ces technologies n'est pas toujours démontrée. Cela ne peut que réduire leur attrait, tant pour les éventuels bénéficiaires que pour les prescripteurs que sont les cliniciens.

Afin de conclure sur une note positive, je précise que la communauté scientifique émet plusieurs recommandations. La première consiste à encourager les approches centrées sur l'humain pour combattre les stéréotypes et la stigmatisation du handicap et éviter d'adopter une approche médicale focalisée davantage sur les fonctions mentales que sur la participation sociale. Les progrès à faire sont encore nombreux en ce qui concerne le développement d'interfaces : il faut encourager à penser davantage en termes de capacité que d'incapacité. La deuxième recommandation consiste à veiller à l'accessibilité de ces solutions. Cela passe notamment par une uniformisation des interfaces de commande, à laquelle le respect des normes et des standards contribuerait beaucoup. De nombreux progrès faciliteront bientôt l'utilisation des interfaces, notamment l'IA et l'apprentissage automatique, ouvrant la voie à des fonctionnalités adaptatives et adaptées à chaque besoin. Ceci permettra une meilleure appropriation et une meilleure adaptation face aux nouveautés incessantes dans le domaine des technologies numériques. La troisième recommandation consiste à réduire le caractère intrusif de ces technologies. Il ne faut pas seulement respecter la vie privée au regard du Règlement général sur la protection des données (RGPD). Les produits doivent être conçus selon une démarche qui respecte l'autodétermination des personnes. Un facteur de progrès viendra des capteurs, portés ou environnementaux, qui augmenteront la « conscience » que le dispositif technique a de l'utilisateur. La quatrième recommandation consiste à démontrer l'utilité, subjective et objective, de ces technologies. Sur le plan subjectif, il faut réaliser des évaluations qualitatives auprès des bénéficiaires. Sur le plan objectif, on manque malheureusement de démonstrations scientifiques quant à la valeur ajoutée de ces dispositifs. La cinquième recommandation consiste à fournir une offre plus compréhensible et accessible. Une information plus pertinente passera par un meilleur référencement de l'existant et par un référencement de l'état de développement des technologies émergentes. Soulignons enfin que ces technologies coûtent cher. Il faut donc une politique visant à améliorer les transferts des laboratoires vers les start-up et veiller à la solvabilité des bénéficiaires. Ceci implique que les projets de recherche soient réalisés de manière beaucoup plus transversale, avec des collaborations transdisciplinaires, et avec davantage d'horizontalité dans les démarches. Il faut impliquer plus les parties prenantes, les futurs bénéficiaires et les aidants. La forte implication de ces derniers dans le handicap mental nécessite d'envisager des solutions visant à soulager leur fardeau.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.