Intervention de Evelyne Klinger

Réunion du jeudi 27 janvier 2022 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Evelyne Klinger, chercheuse, membre de la Fedrha :

Je tiens à signaler que je suis l'un des membres de la Fedrha. À ce titre, je précise que de nombreux réseaux de recherche voient le jour. Ils mêlent chercheurs, technologies, et industriels. En l'occurrence, je pourrai citer le réseau Approche qui travaille autour de la rééducation.

Ma présentation va être centrée sur la réalité virtuelle. Notons que le discours public ou scientifique peut aussi user de la terminologie serious games et exergame[1] – il existe une grande variété de termes en la matière. Je vais me placer du point de vue général. Pourquoi s'intéresser à la réalité virtuelle dans le champ du handicap et de la santé ? Dans ces univers virtuels, l'on peut donner à la personne la possibilité d'être actrice dans des objectifs variés qui vont concerner la récupération ou l'acquisition de capacités, et l'on se place aussi dans un contexte d'évaluation de ces capacités. De façon plus générale, ces outils peuvent aider et former ; nous verrons dans quel cas c'est possible.

Il y a trois éléments importants dans une expérience virtuelle. Tout d'abord l'individu qui expérimente l'activité proposée : dans ce contexte, on s'appuie sur ses capacités cognitives et motrices. Considérons ensuite l'activité générée par l'ordinateur : ces contenus jouent un rôle essentiel par rapport aux objectifs visés. On est contraint de faire appel à des interfaces, motrices ou sensorielles, permettant à l'individu d'utiliser les produits proposés. Dans le contexte qui nous intéresse, sa participation va se trouver confrontée à des restrictions ou limitations. On s'appuie donc sur ses besoins mais aussi sur ses capacités actuelles. Si cette personne est victime du déficit moteur d'un membre, on développe des applications visant soit à rééduquer le membre déficitaire, soit à permettre de réaliser des actions sans trop le solliciter. Enfin, l'ordinateur apporte des contenus. Ceux-ci sont développés de façon à être adaptés aux besoins, ils sont scénarisés et graduels. On va en fait se concentrer sur ce que peut faire la personne afin de la faire progresser et l'amener à une meilleure expérience de sa vie quotidienne. Les interfaces proposées doivent être adaptées aux besoins réels des personnes.

Ces applications sont apparues dans le domaine de la santé dans les années 1990. Nous avons donc du recul. Elles ont énormément évolué, notamment sur un plan visuel. Comment proposer aux utilisateurs un contenu visuel immersif ? Nous pouvons travailler avec des écrans d'ordinateur ou de projection, des visiocasques, mais aussi des espaces Cave Automatic Virtual Environment (CAVE) dans lesquels le corps de la personne est totalement immergé. Il y a également un large panel de dispositifs d'interaction : certains sont très simples, comme le clavier ou la souris ; d'autres sont des dispositifs à retour d'effort ou des systèmes de capture de mouvement comme la Kinect ; d'autres sont des plateformes très sophistiquées comme le Computer Assisted Rehabilitation Environment (CAREN), qui permettent une interaction optimale. En parallèle nous utilisons d'autres outils, comme les interfaces cerveau-machine qui permettent de commander et de communiquer avec l'univers virtuel. Je confirme ce qui a été dit des problèmes actuels liés à l'utilisation de ces interfaces. Les interfaces de réalité virtuelle connaissent un développement continu pour reproduire au mieux la situation d'un humain dans le monde réel avec des interfaces manuelles. Ces interfaces montrent des degrés de technicité, de complexité et de coût très différents. Le panel des choix possibles est très large et il faut donc s'appuyer sur les capacités résiduelles des personnes à accompagner afin d'identifier les meilleures interfaces. Par ailleurs, le contexte d'usage de ces outils doit être pris en compte : en centre de rééducation, dont certains sont bien équipés et proposent un accompagnement avec une équipe d'ingénieurs, ou à domicile, où des outils très faciles d'utilisation sont privilégiés pour répondre au besoin d'autonomie. Dans ce dernier cas, il s'agit quasiment de plug and play, autrement dit l'utilisateur doit avoir la capacité de les installer et de les faire fonctionner seul à son domicile.

Depuis les années 1990, deux grands champs ont émergé en matière de contextes de santé. Le premier concerne les affections neurologiques. Celles-ci peuvent être présentes dès l'enfance, et l'enfant va alors devoir apprendre avec ces incapacités identifiées ; elles peuvent aussi survenir du fait de pathologies neurodégénératives ou d'accidents de la vie tels que traumatismes crâniens ou AVC. Le volume des informations venant du monde réel que doit traiter un individu touché par une affection neurologique est trop important pour le cerveau endommagé. Ce dysfonctionnement emporte des conséquences sur la vie quotidienne. L'objectif des mondes virtuels est d'améliorer le traitement de ces informations en proposant des situations graduées : elles seront simples au départ, permettant à la personne de les réaliser et de ne pas se trouver en situation d'échec ; la difficulté sera augmentée peu à peu afin de l'amener, si possible, au plus près la vie réelle. Les simulations concernent la vie quotidienne, comme faire ses courses, qui est une tâche très complexe. Un autre exemple est ce travail, mené en collège avec une classe d'Unités localisées d'inclusion scolaire (ULIS), sur le thème de l'apprentissage du déplacement. L'idée est aussi de prolonger jusqu'au domicile le processus d'entrainement. Les personnes ayant des déficiences cognitives sont très encadrées dans les centres de rééducation, mais l'accompagnement est plus léger après le retour à domicile et leurs perspectives d'évolution sont moindres.

Le second champ est celui des affections psychiatriques. Il inclut notamment les troubles d'anxiété et d'anxiété sociale ainsi que les troubles liés aux addictions et au stress post-traumatique. Ici, nous utilisons les thérapies cognitives et comportementales dans des situations d'exposition définies. Il s'agit là aussi de proposer des situations virtuelles graduées afin que les patients apprennent à leur faire face et modifient la façon dont ils les traitent. De cette façon, ils progresseront dans leur vie quotidienne. Il est nécessaire de susciter des émotions ; cela est fait en présence d'un thérapeute, dans un cadre sécurisé apte à la prise en charge du patient si nécessaire.

J'aimerais évoquer deux autres contextes, en commençant par celui lié au bien-être et à l'estime de soi. Les expériences virtuelles doivent procurer aux personnes du bien-être et de la détente grâce à la réalisation des tâches considérées comme ludiques, mêlant activité physique et stimulation cognitive, notamment dans le contexte du vieillissement. Le projet « Balade à l'EPHAD » en est une illustration. Il s'adresse à des patients atteints de la maladie d'Alzheimer, dont la condition physique se dégrade et qui ne sont donc plus autonomes. L'objectif est de leur permettre de conserver une activité physique et de rendre possible une « évasion » hors du monde de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EPHAD). En fait, ces outils ont toujours un double public : d'une part les personnes porteuses de handicap, qui ont besoin d'être amenées à une situation meilleure ; d'autre part les encadrants, qui doivent pouvoir planifier la thérapie et suivre la progression du patient. Les outils informatiques permettent de documenter les expériences vécues par les utilisateurs et permettent aux aidants de les accompagner en graduant les situations proposées.

Le second contexte est lié à l'usage de la réalité virtuelle dans le champ de la santé. Je fais ici référence à une expérience de chirurgie éveillée, par exemple une situation où un chirurgien opère une tumeur. Le but est que le patient ait le moins de séquelles possibles. L'utilisation de la réalité virtuelle permet au thérapeute d'examiner immédiatement les réactions du patient. Il s'agit d'une ouverture vers d'autres usages, qui concernent aussi le handicap.

Ces technologies sont utilisées depuis une trentaine d'années car elles permettent de simuler des activités qui font sens pour les patients et pour les thérapeutes. Elles génèrent des réactions physiologiques, comportementales, donc des émotions, ce qui les rend intéressantes pour la psychothérapie. Elles permettent de manipuler l'information et de développer des méthodes variées d'évaluation et d'apprentissage. Les séances peuvent être adaptées aux besoins et aux capacités des personnes, ou les documenter afin de suivre leur progression. Les outils peuvent être accompagnés de multiples capteurs permettant une évaluation multiparamétrique du comportement, ce qui ouvre à une vision globale du fonctionnement de l'individu. Enfin, ces expérimentations visent à transférer et généraliser les acquis du monde virtuel aux situations réelles. De nombreuses publications ont été faites sur le sujet. Toutes ces activités supposent une grande pluridisciplinarité.

Il y a, à l'heure actuelle, beaucoup d'applications disponibles et un intérêt notable des thérapeutes et formateurs pour la réalité virtuelle. Son essor nécessite une consolidation, de la rigueur scientifique ainsi qu'une cohérence technologique. Par exemple, de nombreuses applications ont recours à des casques et le cybersickness est encore sous-étudié. Il faut donc informer et former sur ces notions. Le développement des usages aura des répercussions en matière de réglementation. Les moyens financiers sont encore difficiles à trouver et cela freine le transfert des outils du laboratoire vers la société civile. Cependant, ces outils deviennent de moins en moins onéreux, ce qui contribue à leur démocratisation et pose de ce fait la question du mésusage, tant sur un plan éthique que sur un plan sanitaire car il y a des impacts potentiellement nuisibles pour la santé. Afin de prendre connaissance des précautions et recommandations qu'appellent les outils de réalité virtuelle, je vous invite à consulter le rapport de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) publié en 2021 qui a regroupé une trentaine de chercheurs ayant travaillé sur ces sujets.

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