Intervention de Sophie Sakka

Réunion du jeudi 27 janvier 2022 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Sophie Sakka, maître de conférences à Centrale Nantes :

Je suis enseignant-chercheur au Laboratoire des Sciences du Numérique de Nantes, rattaché à l'École Centrale de Nantes. En 2014, j'ai fondé l'association d'intérêt général Robots! qui assume une fonction sociale entre les start-up de robotique, les chercheurs et les populations afin de proposer des usages sociaux à ces machines. Elles sont fabriquées et vendues sans que les impacts à long terme sur les populations concernées soient étudiés. Dans ce cadre, a été développé le projet Rob'Autisme, destiné aux personnes atteintes de divers handicaps cognitifs, pour les enfants autistes et les patients atteints d'Alzheimer. Je vais d'abord me concentrer sur la médiation robotique puis je vous parlerai de ce projet.

Officiellement, la médiation robotique apparaît dans les années 1990 quand une chercheuse anglaise, Kerstin Dautenhahn, constate l'attrait particulier d'enfants autistes pour les mécanismes robotiques. Elle développe alors le programme européen Aurora qui, dans un premier temps, regroupe une poignée de chercheurs européens travaillant avec différentes plateformes robotiques. Avec différents types de machines et d'exercices, ils essayent de déployer l'automate comme « acteur social » c'est-à-dire un robot compagnon. Cet interlocuteur mécanique fait faire à l'enfant autiste les exercices que le thérapeute aurait prescrits. L'enfant répond presque spontanément au robot alors qu'il reste sans réaction face aux sollicitations de l'humain. Des solutions logicielles ont été développées par la suite. Ce nouvel interlocuteur, programmé, fait suivre des séances d'exercices à l'enfant. Imaginons trois cartes qui sont simultanément montrées à l'humain, la carte à trouver disposant d'un élément d'identification. Si l'enfant la trouve, le logiciel le récompense ; dans le cas contraire, il doit recommencer.

À ses débuts, le robot compagnon a été mal perçu car il était vu par les médecins qui travaillent en thérapie d'accompagnement comme se substituant au thérapeute. Actuellement, il est principalement employé à deux types d'usage : soit en face-à-face – c'est la situation décrite précédemment –, soit en usage collectif – par exemple, dans une séance thérapeutique consacrée au mouvement, à la mobilité, un groupe d'enfants reproduirait les gestes de l'automate. Cette approche a été adoptée par une partie des professionnels internationaux. Ainsi, des entreprises développent ce qu'ils nomment des « auticiels » c'est-à-dire des logiciels dédiés à l'autisme reproduisant les exercices habituels du thérapeute. Il s'agit de sur-mesure. En face-à-face, le patient bénéfice d'une thérapie personnalisée adaptée à son trouble principal. Une difficulté se posait : comment fait-on pour que l'enfant autiste réponde de la même façon à une sollicitation humaine qu'à un stimulus de la machine, une fois qu'il a amélioré ses facultés grâce à celle-ci ? Dans le cadre des séances, une progression a été détectée en quelques mois et dans un cadre extérieur, en quelques années.

En 2014, l'association Robots! a mis en place une approche innovante qui a complètement renversé l'usage du robot. Désormais utilisé par le patient autiste pour communiquer avec le monde, il est devenu une sorte de prothèse en communication. Il s'insère aussi dans une dimension de médiation culturelle et artistique. Un programme Rob'Autisme, avec vingt séances d'atelier, permet à des adolescents autistes de monter un spectacle. La dernière séance est le moment de la restitution publique devant un public restreint comprenant notamment les familles, les mécènes et des partenaires potentiels. Ce programme accueille, dans une microsociété simplifiée et cadrée, six participants adolescents autistes et six accompagnants dont le rôle est très bien défini. Nous avons un responsable opérationnel qui dirige l'ensemble des séances du programme, trois accompagnants qui aident les jeunes à se concentrer et des référents techniques. Ils construisent ensemble un spectacle dont l'acteur est un robot auquel l'enfant prête sa voix préalablement enregistrée. Le défi consiste donc à programmer correctement les gestes du robot qui accompagnent cette histoire. Ce projet est mené en collaboration avec l'École Centrale de Nantes, avec le Laboratoire des Sciences du Numérique de Nantes pour la partie théorique et avec l'association Robots! pour le côté expérimental. Celle-ci est chargée de suivre les participants et leurs accompagnants sur le terrain, trouver des partenaires et les équipes. La partie recherche consiste à vérifier la rigueur de ce déploiement afin de pouvoir extraire des statistiques, faire des publications et systématiser l'approche. À terme, celle-ci devra être commercialisable et donc transférée vers le grand public. Le rôle de l'association est de stabiliser suffisamment longtemps ces ateliers complexes pour que le projet puisse être transmis à une entreprise en vue de sa commercialisation. L'organisation actuelle est donc intermédiaire et tient compte des contraintes des acteurs du programme.

Les résultats de ce programme sont spectaculaires en matière de transformation des habilités sociales. Le robot est identifié en tant qu'accélérateur thérapeutique : il joue un rôle primordial même s'il ne remplace pas le praticien. Le résultat obtenu en quelques semaines est similaire à celui que nous mettons des années à obtenir en thérapie classique. Scientifiquement, cette brièveté est remarquable. Ainsi des jeunes qui ne communiquaient pas sont devenus socialisables. Certains ont même acquis la capacité de commencer ou reprendre leurs études avec un objectif, c'est-à-dire de développer une capacité de projection temporelle qui pourtant fait défaut dans le cadre de cette maladie.

Nous avons reconstruit une microsociété simplifiée où chaque rôle est identifié, sauf celui des participants qui est autodéterminé. Rapidement, ils passent outre le robot pour s'exprimer eux-mêmes auprès des membres de cette société. La thérapie travaille sur trois niveaux de communication. La première est la communication duale, qui est la plus difficile à réaliser. Une attention soutenue y est nécessaire et certains patients ne sont pas capables de se concentrer plus d'une minute au cours d'un face-à-face au début du programme. La deuxième est la communication de groupe : nous y travaillons en donnant un exercice à un binôme enfant – robot. À la fin de chaque exercice, le résultat du travail est montré, ce qui entraîne des applaudissements des autres enfants et de l'équipe encadrante. Surpris au début, les participants travaillent ensuite plus rapidement afin d'obtenir à nouveau cette valorisation par la contribution et les applaudissements. La troisième, la communication publique, est extrêmement importante. La pièce de théâtre est jouée devant ce public restreint. Les applaudissements du public, auxquels ils ont été préparés pendant les séances, vont stabiliser et offrir une intronisation sociale aux efforts consentis par les participants autistes tout au long du processus. Actuellement, l'association pérennise les expérimentations et renvoie vers la recherche un certain nombre d'informations avec l'accord des participants. Systématiser cette approche pourrait constituer une solution d'accompagnement pour l'amélioration des habilités sociales de l'autisme.

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