– Monsieur le Président, monsieur le premier vice-président, chers collègues, je suis très heureuse de présenter ce matin les conclusions de l'audition publique que j'ai organisée, à la fin du mois de janvier, sur les progrès récents des technologies au service de la prise en charge du handicap.
En 2008, la députée Bérengère Poletti présentait, au nom de l'Office, un rapport sur les apports de la science et de la technologie à la compensation du handicap. Un peu plus d'une décennie plus tard, j'ai souhaité faire le point sur les progrès techniques qui ont émergé depuis.
L'audition a rassemblé à l'Assemblée nationale des chercheurs, des industriels, un médecin et la directrice de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) dans l'objectif de dresser un panorama des besoins des personnes en situation de handicap, qu'il s'agisse de handicap moteur, sensoriel, mental ou cognitif, et des moyens d'y répondre. Les personnes auditionnées ont présenté un éventail de technologies disponibles ou en cours de développement et ont proposé des pistes dans l'objectif d'améliorer la compensation des déficiences dont souffrent les personnes en situation de handicap. Les conclusions que je présente ce matin en font la synthèse.
L'audition a tout d'abord été l'occasion de voir le fruit de la recherche française, de très haut niveau, avec la présentation des innovations de l'Institut de la vision en matière de restauration de la vue. L'audition a ensuite mis en exergue le fait que la diffusion des techniques a grandement bénéficié au secteur du handicap. Il s'agit par exemple des progrès du numérique et des technologies développées pour la téléphonie ou pour les jeux vidéo. Ceci a permis une nette amélioration des performances et de l'ergonomie des aides. L'exosquelette de l'entreprise Wandercraft, dont nous avons eu une démonstration par vidéo, en est un exemple édifiant. En effet, le numérique offre de nombreuses possibilités, de la simple « application » à l'expérience d'immersion que permet la réalité virtuelle. Les professionnels au contact des personnes en situation de handicap nous ont affirmé que celles-ci souhaitent avant tout retrouver une vie sociale et accéder à un logement, ou s'y maintenir, en autonomie. Certains professionnels ont regretté que les aides techniques soient encore trop techno-centrées. Ils ont prôné un changement de paradigme, une meilleure prise en compte des besoins, des capacités et des contraintes des utilisateurs, pour que les aides techniques soient adoptées avec plus de succès et soient réellement utiles dans la vie quotidienne.
L'audition a révélé le besoin d'évaluer leur apport afin qu'elles soient efficaces, adéquates et proposées aux personnes qui en auraient l'utilité. En effet, leur proposer une aide inefficace ou inadéquate peut causer une perte de chance. Un exemple d'évaluation concernant les aides destinées à la prise en charge de l'autisme a été présenté. Par ailleurs, l'évaluation doit être réalisée régulièrement faute de quoi elle deviendrait rapidement obsolète, au détriment des personnes en situation de handicap. Les personnes auditionnées ont également attiré l'attention sur l'existence de risques liés à un mésusage des technologies numériques : elles peuvent avoir des effets sanitaires préoccupants, tels le développement d'une addiction aux écrans ou un isolement social.
Les chercheurs et les industriels auditionnés ont présenté leur parcours et ont fait état des enseignements qu'ils en tirent. Tous rendent hommage à l'excellence de la recherche scientifique française et au fait qu'elle est une source d'innovation. Les chercheurs ont néanmoins regretté que le secteur académique souffre d'un manque d'attractivité. Ils ont également exprimé la crainte que le mode de financement par appel à projets limite la créativité des chercheurs. La coopération entre le secteur académique et les industriels a été saluée, car elle est jugée mutuellement bénéfique et permet de stimuler la recherche et développement (R&D) industrielle. Cependant, les acteurs industriels ont fait état de difficultés de financement par des capitaux privés car le secteur du handicap n'est pas porteur. Les difficultés concernent également la production, le terreau industriel français s'étant affaibli.
Une partie des acteurs industriels s'inscrit dans une tendance de fond : celle du low tech, qui vise à faire bénéficier le plus grand nombre d'aides utiles et onéreuses. La possibilité de disposer d'aides techniques de pointe en location s'inscrit également dans ce mouvement et trouve sa pertinence dans le fait que, pour beaucoup de handicaps, la déficience est évolutive et justifie que la compensation technique mise en place soit régulièrement réévaluée. La contribution des sciences humaines et sociales pourrait être davantage mise en avant, notamment pour aider à une meilleure inclusion des personnes handicapées dans la société.
J'avais souhaité que l'audition soit l'occasion d'aborder le sujet de l'accessibilité des personnes handicapées à des aides techniques. La directrice de la CNSA, Mme Virginie Magnant, a présenté l'éventail des aides financières destinées à réduire le reste à charge des personnes en situation de handicap. Elle a estimé que la solvabilité des personnes en situation de handicap ne peut pas être le seul sujet de préoccupation. D'après elle, les difficultés rencontrées dans la mise en place d'une assistance technique pertinente tiennent plutôt à la mauvaise connaissance des solutions disponibles, carence partagée par les professionnels médicaux et paramédicaux qui les entourent. Il a été souligné au cours de l'audition que la France offre beaucoup afin que les personnes qui en ont besoin puissent bénéficier d'aides techniques. Il y a donc un travail important à réaliser pour qu'elles y aient plus facilement accès.
Sur le chantier de l'information, la CNSA a lancé deux expérimentations : le déploiement de centres d'information et de conseil sur les aides techniques (CICAT) puis celui d'équipes locales d'accompagnement sur les aides techniques (EqLAAT). Il est important que les professionnels bénéficient d'une bonne information quant aux techniques existantes, mais aussi d'une bonne formation, de sorte qu'ils soient en mesure de les utiliser ou d'en expliquer l'utilisation à leurs usagers. Un référencement des technologies, régulièrement mis à jour, identifiant les spécificités des aides et évaluant celles-ci, devrait être le principal élément d'un système permettant aux usagers et à leur entourage de connaître l'éventail des aides techniques possibles. Après analyse des expérimentations actuellement menées par la CNSA, la filière pourrait être réorganisée pour faire reposer l'information des professionnels de terrain sur un tel référencement, avec un rôle central donné aux maisons départementales des personnes handicapées (MDPH).
J'en viens maintenant aux recommandations. Celles-ci s'organisent autour de deux axes.
En premier lieu, je propose de donner toutes les clefs aux personnes en situation de handicap, aux aidants et aux professionnels qui les épaulent pour que soit mise en place, à chaque fois, l'aide technique la plus adéquate. Pour cela, il faut intégrer pleinement les sciences humaines et sociales à la mise au point des solutions, techniques ou non, permettant de répondre aux besoins des personnes concernées et d'améliorer leur intégration dans la société. De plus, il convient de mettre en place un recensement des aides techniques existantes qui ne soit pas limité aux aides inscrites sur la Liste des produits et prestations (LPP). Ce recensement doit intégrer les spécificités de chaque aide ainsi qu'une évaluation selon plusieurs critères, dont leur efficacité. Il faut également organiser sur la base de ce recensement la formation continue des professionnels au contact des personnes en situation de handicap, en donnant un rôle central aux MDPH ou aux CICAT. Enfin, il faut développer une offre locative pour faciliter l'adaptation des aides techniques à l'évolution des déficiences.
Le second axe des recommandations appelle à conforter l'écosystème français des technologies du handicap. Pour ce faire, il faudrait, d'une part, remédier aux fragilités de la recherche académique dans ce domaine, notamment en améliorant l'attractivité des postes de chercheurs, ingénieurs et techniciens permanents de la recherche académique. D'autre part, il convient de lever les freins au financement des industriels innovateurs, notamment en créant un fonds public, piloté par la Banque publique d'investissement (BPI), dédié au financement du développement d'aides techniques pour les personnes en situation de handicap ou de perte d'autonomie due à l'âge. Enfin, le bon fonctionnement de cet écosystème nécessite de renforcer les synergies entre la recherche académique et les industriels innovateurs, tant en matière de financements que d'échanges scientifiques.