Intervention de Corinne Puglierini

Réunion du mercredi 30 mars 2022 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Corinne Puglierini, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles :

M. Elong Abé a été écroué à la maison centrale d'Arles en octobre 2019. Il arrivait de Condé-sur-Sarthe, après avoir transité dans un établissement à Riom. Il avait été incarcéré précédemment à la maison centrale de Vendin-le-Vieil.

À son arrivée à Arles, il a été directement placé à l'isolement, comme c'était le cas à Condé-sur-Sarthe compte tenu de son parcours pénitentiaire assez chaotique. À Arles, sa période d'isolement a duré un peu plus de six mois et demi, puisqu'il est sorti du quartier d'isolement le 30 avril 2020.

Ce quartier est géré par une brigade de surveillants chargée des quartiers spécifiques – elle s'occupe du quartier des arrivants, du quartier spécifique d'intégration (QSI), du quartier d'isolement et du quartier disciplinaire. Ces surveillants effectuent quotidiennement des observations sur le comportement des détenus qu'ils côtoient au sein du QSI et du quartier d'isolement. J'ai relu l'ensemble de celles qui concernaient M. Elong Abé pendant son temps d'isolement : « discret », « calme », « correct », « aucune demande », « courtois », « ouvert aux discussions avec le personnel », « se rend régulièrement à la boxe » sont parmi les plus récurrentes. Aucune ne faisait état de difficultés particulières s'agissant de son comportement.

Pour toute personne détenue en isolement ou dans le QSI, chaque début de semaine, une commission constituée de l'équipe de direction et d'officiers étudie s'il y a lieu d'appliquer un protocole de gestion. Concernant M. Elong Abé, compte tenu des éléments en notre possession, nous avions effectivement pris des précautions au début : trois personnels et un gradé étaient présents pour chaque ouverture de porte ou déplacement. Progressivement, au vu de son bon comportement, ce protocole a été revu progressivement à la baisse.

M. Elong Abé fréquentait régulièrement la petite salle de sport installée dans le quartier d'isolement et une prise en charge individuelle par un moniteur de sport avait été mise en place. À l'isolement, en effet, la personne détenue ne peut pas participer à des activités communes, mais il est possible d'organiser des temps de prise en charge individuelle si le comportement du détenu le permet. Là encore, les observations et évaluations effectuées par les moniteurs montraient que M. Elong Abé avait une appétence pour le sport, qu'il participait avec intérêt à cette activité et avait de bons contacts avec le personnel.

Lorsqu'il s'est agi de décider de l'issue de cette période d'isolement, nous avons souhaité que la direction de l'administration pénitentiaire puisse la prolonger de trois mois, afin d'avoir une idée encore un peu plus précise de l'attitude et du comportement de l'intéressé dans la durée. Pendant cette période, une fois de plus, M. Elong Abé a montré de la patience et de l'écoute – aucun signe d'énervement.

Au bout de ces trois mois supplémentaires, un rapport a été fait pour demander la levée de l'isolement. Quand les périodes d'isolement dépassent un an – ce qui était le cas de M. Elong Abé puisqu'il avait été placé à l'isolement dans les établissements où il avait précédemment été incarcéré –, la décision relève de l'administration centrale. L'établissement pénitentiaire présente un rapport, qui fait l'objet d'avis du service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP), du juge de l'application des peines et du service médical. Ces éléments sont transmis à la direction interrégionale, qui émet elle aussi un avis et transmet le dossier à la direction de l'administration pénitentiaire.

Il a été décidé de lever l'isolement de M. Elong Abé.

Celui-ci a été placé dans le petit QSI de la maison centrale d'Arles. Ce quartier, qui n'existe pas dans toutes les maisons centrales, joue, entre autres, un rôle de sas pour les détenus qui sont restés relativement longtemps à l'isolement, avant une réintégration éventuelle en détention ordinaire – si les choses se passent mal, c'est le retour à l'isolement. Pendant cette période, l'observation de l'évolution du comportement de l'intéressé continue. M. Elong Abé a passé neuf mois et demi en QSI. La durée de placement s'apprécie individuellement, en fonction du profil et de l'attitude de la personne détenue. Nous avons donc pris en compte son parcours pénitentiaire émaillé d'incidents. Il nous fallait du temps pour pouvoir apprécier la sincérité de son comportement et l'évaluer sur la durée.

Pendant ces neuf mois et demi, M. Elong Abé a continué à avoir un comportement qui, sans être qualifié d'exemplaire, ne révélait pas de problèmes de conduite envers le personnel ou d'autres personnes détenues. L'évolution de la prise en charge au sein du QSI est très progressive et toujours individualisée. Elle est examinée à plusieurs reprises, notamment lors des réunions de la commission pluridisciplinaire unique (CPU), pour adapter au mieux le niveau de prise en charge de la personne détenue. En l'occurrence, M. Elong Abé a continué à bénéficier d'une prise en charge individuelle pour le sport ; puis, petit à petit, il a été autorisé à accéder au plateau sportif, y compris, une fois par semaine, avec d'autres personnes détenues, mais en petit groupe. Cela permettait d'évaluer son attitude et son comportement avec d'autres personnes détenues.

Durant la même période, il a intégré une formation professionnelle en jardins et espaces verts, qui a duré plusieurs mois et au cours de laquelle il était en contact direct avec d'autres personnes détenues. Il a fini par en être retiré du fait de ses absences et ayant reconnu que ce domaine l'intéressait assez peu. Néanmoins, pendant de nombreux mois il s'est astreint à cette formation.

J'ai oublié de vous dire qu'avant sa sortie de l'isolement, une mini-CPU avait été organisée pour discuter avec M. Elong Abé. Comme son nom l'indique, cette réunion regroupe un certain nombre de professionnels qui assistent à la CPU hebdomadaire habituelle. Y participaient une directrice de détention, le chef de bâtiment, un membre du SPIP et un moniteur de sport. Cette mini-CPU permet de regarder avec la personne détenue où elle en est, comment elle voit la suite de sa détention, d'établir éventuellement avec elle un programme de prise en charge et de lui expliquer comment l'administration envisage sa prise en charge. La réunion a eu lieu juste avant la proposition de lever l'isolement et une autre mini-CPU s'est tenue au mois de juillet de la même année, quelques semaines après sa sortie de l'isolement et alors que M. Elong Abé était en QSI, pour vérifier de nouveau où il en était et discuter de la suite de son parcours pénitentiaire.

Pendant neuf mois et demi en QSI, M. Elong Abé a été le sujet de nombreuses réunions et l'objet d'observations quasi-journalières par les personnels de surveillance – dans une maison centrale, ce sont eux qui font remonter les observations, particulièrement riches et éclairantes car ils côtoient tous les jours les détenus. L'ensemble de ces éléments nous a conduits à prévoir un retour en détention ordinaire.

La maison centrale comporte deux bâtiments ; M. Elong Abé a été affecté au bâtiment A. L'intégration en détention ordinaire s'est effectuée correctement.

Depuis son arrivée à la maison centrale, il avait régulièrement demandé à pouvoir travailler, ce qui ne lui avait pas été accordé pour plusieurs raisons. Au début, il s'agissait d'apprécier son comportement. Néanmoins, il avait pu travailler quelques semaines comme auxiliaire au sein du quartier d'isolement. Lors de son passage en QSI, il avait participé à la formation professionnelle dont j'ai parlé plus haut. De retour en détention ordinaire, il a continué à demander à pouvoir travailler, ne serait-ce que pour disposer d'un minimum d'argent Il a fait plusieurs demandes. Les premières ont été refusées. Il avait notamment souhaité être auxiliaire d'étage, mais, tant son profil que la latitude laissée dans un tel poste ne permettaient pas de lui donner satisfaction. Il avait aussi demandé de travailler dans les ateliers.

Finalement, il a obtenu le poste d'auxiliaire sport – « auxi-sport ». Comme il en existe plusieurs types, je précise que cela concernait les salles de musculation et les salles d'activités du rez-de-chaussée du bâtiment, ce qui donnait moins de liberté de mouvement.

J'ajoute que les décisions concernant les demandes d'emploi ou de participation à une activité sont prises en CPU. Elles font l'objet de discussions : un entretien a lieu entre la personne détenue et un responsable du domaine demandé, et une décision est prise à l'issue. De mémoire, M. Elong Abé a obtenu le poste d'auxi-sport au rez-de-chaussée du bâtiment À, à partir du mois de septembre 2021.

Comme il était également détenu particulièrement surveillé (DPS), il faisait l'objet d'observations journalières par les surveillants. Lorsque la décision de lui accorder le poste d'auxiliaire sport a été prise, on pouvait toujours s'appuyer sur les observations qui nous étaient remontées – et qui ont continué jusqu'au jour du drame, le 2 mars. Il y était mentionné que l'intéressé s'appliquait dans son emploi, qu'il n'y avait aucun reproche à lui faire et qu'il donnait entière satisfaction dans ses fonctions d'auxiliaire sport.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.