Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Réunion du mercredi 30 mars 2022 à 10h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

Source

La séance est ouverte à 10 heures 05.

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente.

La Commission auditionne Mme Corinne Puglierini, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles et M. Marc Ollier, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles.

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Nous reprenons les auditions destinées à faire la lumière sur les circonstances qui ont conduit à l'assassinat d'Yvan Colonna à la maison centrale d'Arles. Compte tenu de son décès des suites de ses blessures, le 21 mars dernier, nous avions jugé indispensable de repousser à aujourd'hui l'audition, initialement prévue la semaine dernière, des deux personnes qui se sont succédé à la direction de cette maison centrale d'Arles.

Mme Corinne Puglierini, qui était cheffe d'établissement jusqu'en février 2022, venait de quitter ses fonctions au moment de l'agression. Elle est toutefois la plus à même de répondre aux questions qui se posent sur la façon dont étaient gérés les deux détenus, sur l'évolution du comportement de M. Elong Abé et sur les conditions de détention de M. Colonna. M. Marc Ollier, est chef d'établissement de la maison centrale depuis fin février 2022 ; il était donc en poste au moment des faits.

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Corinne Puglierini, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles

Je voudrais avant tout présenter mes condoléances à la famille et aux très proches d'Yvan Colonna, et les assurer que je m'associe entièrement à leur souffrance. Je suis présente avec mon collègue pour aider à la compréhension du drame qui s'est joué dans la maison centrale d'Arles ; je ferai donc au mieux pour répondre à vos questions de la manière la plus précise possible.

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Marc Ollier, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

Je précise tout d'abord que je n'ai pris mes fonctions que le 1er mars, donc la veille des faits.

J'ai vu la vidéo de surveillance, ce qui n'est pas le cas de ma collègue. Elle ne laisse pas froid. J'ai une pensée pour la famille d'Yvan Colonna.

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Madame la directrice, pouvez-vous détailler quel a été le parcours en détention de M. Elong Abé depuis la date de son arrivée à la maison centrale d'Arles, sous votre responsabilité, jusqu'au moment de l'agression ? Nous savons qu'il était incarcéré à la maison centrale de Condé-sur-Sarthe et qu'il avait été transféré à la maison centrale d'Arles à la suite d'un certain nombre d'incidents. Lors de son audition, M. Ridel, directeur de l'administration pénitentiaire, a expliqué que la situation de M. Elong Abé s'était améliorée, ce qui a conduit à une détention classique et lui a permis accéder au statut d'auxiliaire, facilitant beaucoup ses déplacements dans la maison centrale.

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Corinne Puglierini, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles

M. Elong Abé a été écroué à la maison centrale d'Arles en octobre 2019. Il arrivait de Condé-sur-Sarthe, après avoir transité dans un établissement à Riom. Il avait été incarcéré précédemment à la maison centrale de Vendin-le-Vieil.

À son arrivée à Arles, il a été directement placé à l'isolement, comme c'était le cas à Condé-sur-Sarthe compte tenu de son parcours pénitentiaire assez chaotique. À Arles, sa période d'isolement a duré un peu plus de six mois et demi, puisqu'il est sorti du quartier d'isolement le 30 avril 2020.

Ce quartier est géré par une brigade de surveillants chargée des quartiers spécifiques – elle s'occupe du quartier des arrivants, du quartier spécifique d'intégration (QSI), du quartier d'isolement et du quartier disciplinaire. Ces surveillants effectuent quotidiennement des observations sur le comportement des détenus qu'ils côtoient au sein du QSI et du quartier d'isolement. J'ai relu l'ensemble de celles qui concernaient M. Elong Abé pendant son temps d'isolement : « discret », « calme », « correct », « aucune demande », « courtois », « ouvert aux discussions avec le personnel », « se rend régulièrement à la boxe » sont parmi les plus récurrentes. Aucune ne faisait état de difficultés particulières s'agissant de son comportement.

Pour toute personne détenue en isolement ou dans le QSI, chaque début de semaine, une commission constituée de l'équipe de direction et d'officiers étudie s'il y a lieu d'appliquer un protocole de gestion. Concernant M. Elong Abé, compte tenu des éléments en notre possession, nous avions effectivement pris des précautions au début : trois personnels et un gradé étaient présents pour chaque ouverture de porte ou déplacement. Progressivement, au vu de son bon comportement, ce protocole a été revu progressivement à la baisse.

M. Elong Abé fréquentait régulièrement la petite salle de sport installée dans le quartier d'isolement et une prise en charge individuelle par un moniteur de sport avait été mise en place. À l'isolement, en effet, la personne détenue ne peut pas participer à des activités communes, mais il est possible d'organiser des temps de prise en charge individuelle si le comportement du détenu le permet. Là encore, les observations et évaluations effectuées par les moniteurs montraient que M. Elong Abé avait une appétence pour le sport, qu'il participait avec intérêt à cette activité et avait de bons contacts avec le personnel.

Lorsqu'il s'est agi de décider de l'issue de cette période d'isolement, nous avons souhaité que la direction de l'administration pénitentiaire puisse la prolonger de trois mois, afin d'avoir une idée encore un peu plus précise de l'attitude et du comportement de l'intéressé dans la durée. Pendant cette période, une fois de plus, M. Elong Abé a montré de la patience et de l'écoute – aucun signe d'énervement.

Au bout de ces trois mois supplémentaires, un rapport a été fait pour demander la levée de l'isolement. Quand les périodes d'isolement dépassent un an – ce qui était le cas de M. Elong Abé puisqu'il avait été placé à l'isolement dans les établissements où il avait précédemment été incarcéré –, la décision relève de l'administration centrale. L'établissement pénitentiaire présente un rapport, qui fait l'objet d'avis du service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP), du juge de l'application des peines et du service médical. Ces éléments sont transmis à la direction interrégionale, qui émet elle aussi un avis et transmet le dossier à la direction de l'administration pénitentiaire.

Il a été décidé de lever l'isolement de M. Elong Abé.

Celui-ci a été placé dans le petit QSI de la maison centrale d'Arles. Ce quartier, qui n'existe pas dans toutes les maisons centrales, joue, entre autres, un rôle de sas pour les détenus qui sont restés relativement longtemps à l'isolement, avant une réintégration éventuelle en détention ordinaire – si les choses se passent mal, c'est le retour à l'isolement. Pendant cette période, l'observation de l'évolution du comportement de l'intéressé continue. M. Elong Abé a passé neuf mois et demi en QSI. La durée de placement s'apprécie individuellement, en fonction du profil et de l'attitude de la personne détenue. Nous avons donc pris en compte son parcours pénitentiaire émaillé d'incidents. Il nous fallait du temps pour pouvoir apprécier la sincérité de son comportement et l'évaluer sur la durée.

Pendant ces neuf mois et demi, M. Elong Abé a continué à avoir un comportement qui, sans être qualifié d'exemplaire, ne révélait pas de problèmes de conduite envers le personnel ou d'autres personnes détenues. L'évolution de la prise en charge au sein du QSI est très progressive et toujours individualisée. Elle est examinée à plusieurs reprises, notamment lors des réunions de la commission pluridisciplinaire unique (CPU), pour adapter au mieux le niveau de prise en charge de la personne détenue. En l'occurrence, M. Elong Abé a continué à bénéficier d'une prise en charge individuelle pour le sport ; puis, petit à petit, il a été autorisé à accéder au plateau sportif, y compris, une fois par semaine, avec d'autres personnes détenues, mais en petit groupe. Cela permettait d'évaluer son attitude et son comportement avec d'autres personnes détenues.

Durant la même période, il a intégré une formation professionnelle en jardins et espaces verts, qui a duré plusieurs mois et au cours de laquelle il était en contact direct avec d'autres personnes détenues. Il a fini par en être retiré du fait de ses absences et ayant reconnu que ce domaine l'intéressait assez peu. Néanmoins, pendant de nombreux mois il s'est astreint à cette formation.

J'ai oublié de vous dire qu'avant sa sortie de l'isolement, une mini-CPU avait été organisée pour discuter avec M. Elong Abé. Comme son nom l'indique, cette réunion regroupe un certain nombre de professionnels qui assistent à la CPU hebdomadaire habituelle. Y participaient une directrice de détention, le chef de bâtiment, un membre du SPIP et un moniteur de sport. Cette mini-CPU permet de regarder avec la personne détenue où elle en est, comment elle voit la suite de sa détention, d'établir éventuellement avec elle un programme de prise en charge et de lui expliquer comment l'administration envisage sa prise en charge. La réunion a eu lieu juste avant la proposition de lever l'isolement et une autre mini-CPU s'est tenue au mois de juillet de la même année, quelques semaines après sa sortie de l'isolement et alors que M. Elong Abé était en QSI, pour vérifier de nouveau où il en était et discuter de la suite de son parcours pénitentiaire.

Pendant neuf mois et demi en QSI, M. Elong Abé a été le sujet de nombreuses réunions et l'objet d'observations quasi-journalières par les personnels de surveillance – dans une maison centrale, ce sont eux qui font remonter les observations, particulièrement riches et éclairantes car ils côtoient tous les jours les détenus. L'ensemble de ces éléments nous a conduits à prévoir un retour en détention ordinaire.

La maison centrale comporte deux bâtiments ; M. Elong Abé a été affecté au bâtiment A. L'intégration en détention ordinaire s'est effectuée correctement.

Depuis son arrivée à la maison centrale, il avait régulièrement demandé à pouvoir travailler, ce qui ne lui avait pas été accordé pour plusieurs raisons. Au début, il s'agissait d'apprécier son comportement. Néanmoins, il avait pu travailler quelques semaines comme auxiliaire au sein du quartier d'isolement. Lors de son passage en QSI, il avait participé à la formation professionnelle dont j'ai parlé plus haut. De retour en détention ordinaire, il a continué à demander à pouvoir travailler, ne serait-ce que pour disposer d'un minimum d'argent Il a fait plusieurs demandes. Les premières ont été refusées. Il avait notamment souhaité être auxiliaire d'étage, mais, tant son profil que la latitude laissée dans un tel poste ne permettaient pas de lui donner satisfaction. Il avait aussi demandé de travailler dans les ateliers.

Finalement, il a obtenu le poste d'auxiliaire sport – « auxi-sport ». Comme il en existe plusieurs types, je précise que cela concernait les salles de musculation et les salles d'activités du rez-de-chaussée du bâtiment, ce qui donnait moins de liberté de mouvement.

J'ajoute que les décisions concernant les demandes d'emploi ou de participation à une activité sont prises en CPU. Elles font l'objet de discussions : un entretien a lieu entre la personne détenue et un responsable du domaine demandé, et une décision est prise à l'issue. De mémoire, M. Elong Abé a obtenu le poste d'auxi-sport au rez-de-chaussée du bâtiment À, à partir du mois de septembre 2021.

Comme il était également détenu particulièrement surveillé (DPS), il faisait l'objet d'observations journalières par les surveillants. Lorsque la décision de lui accorder le poste d'auxiliaire sport a été prise, on pouvait toujours s'appuyer sur les observations qui nous étaient remontées – et qui ont continué jusqu'au jour du drame, le 2 mars. Il y était mentionné que l'intéressé s'appliquait dans son emploi, qu'il n'y avait aucun reproche à lui faire et qu'il donnait entière satisfaction dans ses fonctions d'auxiliaire sport.

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Monsieur le directeur, pouvez-vous décrire le déroulement précis de l'agression ?

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Marc Ollier, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

À 8 h 20, Colonna arrive au rez-de-chaussée du bâtiment A, pour aller à la salle d'activités. Le surveillant moniteur de sport lui propose de se rendre à l'endroit où il devait travailler normalement, à l'entretien des espaces verts. Mécontent de la réorganisation des mouvements résultant d'une réunion qui avait eu lieu la veille, dans le cadre d'une réforme en cours depuis deux mois, Colonna refuse et décide de rester en salle de musculation, ce qui ne pose pas de problème.

À 10 h 10, Elong Abé arrive au rez-de-chaussée. Le surveillant en poste arrive derrière lui ; il ouvre la porte, qui était verrouillée – ce verrouillage est important –, de la salle de musculation où Colonna se trouvait et la laisse ouverte pour qu'Elong Abé puisse faire son travail d'entretien de la salle. Celui-ci va chercher son matériel ; le surveillant repart – je vous expliquerai en quoi consiste son poste. Elong Abé rentre dans le local entretien à 10 h 11 puis en ressort. L'agent est toujours dans l'aile mais, appelé, il s'éloigne ; à 10 h 12, il est à la grille de l'aile. Ensuite, un agent des unités de vie familiale (UVF), qui sont situées en bout de bâtiment, va prendre son poste. Logiquement, il ne voit pas Elong Abé qui est dans le local d'entretien à ce moment-là, et qui en sort juste derrière lui, à dix mètres. L'agent passe et on n'en entend plus parler.

Elong Abé entre dans la salle de musculation ; il regarde tout de suite si l'agent, qui est parti à la grille depuis plusieurs minutes, n'est pas à proximité puis se jette sur Colonna. Il lui donne des coups de pied dans la tête, puis des coups de poing. Colonna était en train de faire des pompes entre deux instruments en se servant de leurs pieds fixés au sol, il n'avait donc pas la possibilité de beaucoup bouger. Pendant dix minutes Elong Abé l'agresse violemment. On voit que Colonna essaie de se défendre, mais il était sans doute déjà en partie KO. À un moment donné, Elong Abé essaye de l'étrangler, puis lui met un pied sur la gorge et l'autre sur la cheville. On voit qu'Yvan Colonna bouge de moins en moins. L'agression se termine lorsque Elong Abé, semblant avoir entendu un bruit, se retourne vers la porte, qui est poussée mais pas verrouillé – je dis bien : « pas verrouillée » ; elle est poussée, l'agent n'a pas tourné la clé. Il regarde et, en effet, c'est l'agent qui revient dans l'aile.

Elong Abé attend, va chercher son chariot de petit matériel de nettoyage et se met derrière la porte. Quand le surveillant vient pour chercher Colonna, qui était convoqué par le surveillant-chef pour la notification d'un document, Elong Abé lui dit : « Chef, Yvan a fait un malaise. »

Tout de suite, le surveillant donne l'alerte par émetteur-récepteur. L'unité sanitaire, c'est-à-dire les infirmières en compagnie du surveillant en poste au service médical, arrive au bout de trois minutes. D'autres renforts font sortir Elong Abé, puisqu'à ce moment-là on pense encore qu'il s'agit d'un malaise. Une de mes adjointes va dans la salle de crise et nous appelle, ma troisième adjointe et moi-même, pour dire que ce n'est pas un malaise mais une agression. Je prends la décision de faire mettre Elong Abé immédiatement au quartier disciplinaire. Entre-temps, les pompiers et le SAMU ont été appelés et sont venus. Le cœur est reparti.

On connaît la suite : Elong Abé extrait, le transfert à l'hôpital par les pompiers et le SAMU, avec l'accompagnement du RAID etc.

Pour revenir au secteur dont le surveillant avait la charge, il s'agit d'une aile classique de 30 mètres de long, comptant dix locaux plus ou moins occupés par des détenus. Au moment des faits, en plus de Colonna et d'Elong Abé, cinq autres détenus s'y trouvaient : un en face, à la bibliothèque, deux dans un lieu de convivialité que les détenus appellent traditionnellement « le gourbi », et deux autres ailleurs. Outre cette aile, où la salle de musculation se trouve à l'opposé de l'entrée, le surveillant a la charge des deux tiers d'une autre aile comprenant sept salles. S'y trouvaient alors sept détenus et cinq intervenants, parmi lesquels des femmes. Le surveillant prêtait davantage d'attention à cette zone où, avec une bonne part de détenus condamnés à perpétuité, notamment pour des meurtres, les risques étaient plus manifestes que dans celle où se trouvaient les cinq autres détenus, Colonna et Elong Abé qui, d'habitude, s'entendaient bien. Il se trouvait donc initialement à 30 mètres de la salle de musculation, auxquels il faut ajouter les 8 mètres du poste d'information et de contrôle (PIC) du bâtiment A, qui fait fonction de sas entre les deux ailes, et les 20 mètres de la deuxième aile.

Voilà les faits tels qu'ils se sont déroulés, dont j'ai établi le minutage.

Pour ce qui est de l'attitude d'Elong Abé, elle est dégueulasse – je n'ai pas d'autre terme. Dans notre métier, nous avons l'occasion d'assister à des agressions ; j'en ai déjà vu, soit filmées par des caméras, soit à quelques mètres, lors de promenades. Là, c'est très froid : Elong Abé rentre dans la salle, se tourne pour voir si le surveillant n'est plus là puis, porte poussée – et non verrouillée –, sans un mot à Colonna, il se jette tout de suite sur lui. On ne perçoit pas d'éclats de voix – les caméras n'ont pas de prise de son, mais on voit quand même lorsque quelqu'un crie. Elong Abé est parfaitement froid, ne manifeste aucune émotion. C'est hyperagressif. Même si le terme n'est pas très correct en français, je le répète : c'est dégueulasse. Et Colonna n'a rien pu faire.

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Madame Puglierini, avec François Pupponi, nous sommes venus vous voir le 17 février, dernier jour de votre présence en tant que cheffe d'établissement. Confirmez-vous qu'entre le 18 février et le 1er mars, date de l'entrée en fonction de votre successeur, le poste de direction était vacant ?

Notre objectif n'est pas de mener une enquête judiciaire mais la question de la préméditation et, surtout, de la dissimulation peut en l'occurrence se poser. Comment est-il possible de détecter ce type de comportement de la part de détenus radicalisés ? Était-ce le cas de M. Elong Abé ?

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Marc Ollier, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

Entre le 18 février et le 1er mars, le poste de chef d'établissement était en effet vacant mais l'équipe de direction est composée de quatre personnes et l'adjointe, en poste depuis trois ou quatre ans, connaît bien la maison centrale d'Arles. Elle « tient la route » et l'établissement était donc « couvert », si je puis dire. Un intérim de quinze jours est relativement court et fréquent dans l'administration pénitentiaire lors des campagnes de mutations.

De plus, durant cette période, aucun changement n'est intervenu dans la situation d'Yvan Colonna ou d'Elong Abé : ils sont restés affectés à leur poste, ils n'ont pas changé de cellule et aucun incident ne s'est produit.

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Corinne Puglierini, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles

M. Elong Abé a fait l'objet d'observations quotidiennes de la part du personnel et de regards croisés de la part de différents professionnels, même si la période d'isolement n'est pas propice pour mener des échanges approfondis avec le détenu.

En tant que détenu particulièrement signalé (DPS) et radicalisé, M. Elong Abé se voyait appliquer un régime de prise en charge individualisé particulier : audiences et entretiens réguliers, fouilles approfondies de sa cellule – nous prenons même des photos afin de mieux détecter d'éventuels changements. En 2021, il s'est également entretenu avec une psychologue de la mission de lutte contre la radicalisation violente. Certes, la dissimulation est toujours possible, mais rien ne nous a permis de la déceler.

De plus, M. Elong Abé devait être libéré à la fin de 2023 et l'administration pénitentiaire se doit aussi de préparer la sortie des détenus. Dans cette perspective, des audiences avaient eu lieu avec le SPIP et un rendez-vous avait été pris avec Pôle emploi. M. Elong Abé suivait d'ailleurs des cours d'anglais.

Autant d'interlocuteurs, autant de regards croisés nous permettent, normalement, de faire un point sur la situation effective de la personne concernée. Reste que M. Elong Abé souffrait de troubles du comportement.

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Avait-il été condamné à une mesure de suivi sociojudiciaire ? Sinon, une mesure de sûreté, telle que nous l'avons votée récemment, était-elle envisagée pour accompagner sa sortie ?

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Marc Ollier, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

Je vais rechercher cela. Je suis allé voir les personnels du SPIP après l'agression de M. Colonna. La conseillère pénitentiaire d'insertion et de probation (CPIP) et l'assistante sociale m'ont assuré que rien ne permettait de prévoir un tel acte. L'une et l'autre, jeunes femmes âgées d'une trentaine d'années tout au plus, n'avaient aucune crainte en sa présence. Selon la CPIP, il n'était ni agressif ni violent et, au contraire, se montrait charmeur. Elles le décrivent toutefois comme un homme « ancré dans son autosuffisance », persuadé de tout savoir. Selon l'assistante sociale, ses demandes étaient purement utilitaires : il voulait refaire sa carte d'identité mais il refusait de demander des documents à sa mère, au Cameroun, parce qu'elle ne partageait pas son intégrisme religieux.

La psychologue de la direction interrégionale de la mission de lutte contre la radicalisation violente a également noté qu'il restait « ancré dans ses idées », qu'il se montrait « autosuffisant » et charmeur mais que rien ne laissait présager un passage à l'acte violent.

Tout le monde s'est interrogé sur la perspective d'une sortie relativement proche, envisagée d'abord en mai 2023 puis en décembre, en raison de peines complémentaires dont il a écopé suite à de « petites infractions ».

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Lors de son audition, M. Laurent Ridel, directeur de l'administration pénitentiaire, a affirmé que la maison centrale d'Arles ne comptait que deux terroristes islamistes (TIS). Or il me semble que vous en avez mentionné quatre.

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Marc Ollier, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

En effet. Après le départ de M. Elong Abé, il en reste trois.

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Pourquoi les gardiens n'ont-ils pas vu les images de vidéosurveillance et pourquoi aucun d'entre eux n'était présent dans la salle de sport ?

Lors de ma visite à la maison centrale d'Arles, j'ai constaté que la salle de surveillance comporte deux écrans divisés en neuf tuiles – de petits écrans – et que l'établissement compte 280 caméras. Vous m'avez également fait part de l'existence de trente scénarios, sur lesquels vous nous donnerez des précisions. Le poste de centralisation de l'information (PCI) se concentre en particulier sur les mouvements des détenus, les accès et les ateliers, le PIC du bâtiment A permettant d'accéder aux images de quarante-six caméras internes et de neuf caméras externes. Or, à l'heure du drame, une opération de maintenance aurait empêché les surveillants de visionner la salle de sport. Que s'est-il passé ?

Par ailleurs, selon la presse de ce jour, Elong Abé a comparu devant dix commissions pluridisciplinaires uniques entre le 17 octobre 2019 et le 24 janvier 2022. Pourquoi, malgré leurs recommandations, n'a-t-il jamais été en quartier d'évaluation de la radicalisation (QER) ?

Selon vous, Mme Puglierini, il serait auxi-sport depuis septembre 2021, or il l'aurait été depuis avril 2020. Qu'en est-il précisément ?

D'après les évaluations dont il a fait l'objet, Elong Abé serait dans la simulation, il parlait de religion, il s'était laissé pousser la barbe, il faisait l'éloge des talibans, il voulait mourir en héros et aller au paradis ! Ne sont-ce pas là autant de signaux forts ?

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Marc Ollier, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

Lors du drame, comme à l'ordinaire, vingt-cinq agents et deux gradés étaient dans le secteur des détenus, auxquels s'ajoutent des agents dits en poste fixe – vaguemestre, bureau de gestion de la détention, cuisine, vestiaire, unité sanitaire –, soit quarante-trois personnels pour un établissement qui comprend douze ailes, dont quatre abritent des salles d'activité, les autres étant composées de cellules, où sont notamment détenus quinze DPS. Il est matériellement impossible d'affecter un agent à un, deux, trois ou quatre DPS – le règlement ne le prévoit d'ailleurs pas. Le seul moyen de séparer effectivement les DPS est de les placer en isolement, ce qui en l'occurrence n'était justifié ni pour M. Colonna, ni pour M. Elong Abé. Chacune des six ailes d'hébergement, plus les quartiers d'isolement et disciplinaire (QI et QD), comporte un DPS : il y en a deux au QI, les autres étant détenus dans des conditions ordinaires.

Le visionnage des images n'a pas été possible de trente secondes à deux minutes – la société de maintenance n'a pas pu être plus précise mais, quoi qu'il en soit, cela n'aurait rien changé.

PCI et PIC datent de la réouverture de l'établissement, en 2009, après l'inondation de 2003 : ergonomie des postes, matériels et matériaux, tout est en train de changer. Les travaux de maintenance et de modernisation du PIC du bâtiment A ont commencé en septembre et ils ne sont pas encore achevés. Le débranchement des ordinateurs a été nécessaire pendant non pas trente secondes mais, selon moi, une à deux minutes. Quoi qu'il en soit, l'incident était déjà en cours et Yvan Colonna n'a pas pu se déplacer jusqu'au bouton d'alarme « coup de poing », ce qui aurait permis à la caméra de se focaliser sur la scène.

Un agent et un gradé sont affectés au PCI, où ils font face à deux écrans d'un mètre sur 60 centimètres, divisés en neuf tuiles, où les images défilent en permanence. Ils surveillent ainsi les appels de portes, les alarmes ou les erreurs d'alarme éventuelles et la périmétrie – chemins de ronde, zones interdites aux détenus. Dans ce dernier cas, une caméra fixe permet de détecter les incidents. En tout, le PCI contrôle une quarantaine de portes et environ autant de caméras. Si les PIC des bâtiments ne fonctionnent pas, par exemple faute de personnels, le PCI en prend le contrôle. Il peut donc accéder aux 280 caméras de l'établissement et à la trentaine d'alarmes volumétriques à hyperfréquence des chemins de ronde. La situation diffère de celle des centres de sécurité urbaine, qui sont dotés d'un écran immense. Le défilement permanent des images rend quasiment impossible la détection de quoi que ce soit, sauf pour la périmétrie. En journée, les agents de ce poste n'ont pas vocation à prendre le contrôle des bâtiments, à ouvrir portes et grilles, à regarder les caméras dans telle ou telle salle ou dans les escaliers. Ils ne le font que si un PIC ne fonctionne pas.

Deux agents sont affectés au PIC du bâtiment A, respectivement de 7 heures à 13 heures et de 13 heures à 20 heures. Ils disposent de trois écrans afin de vérifier les alarmes, les demandes d'ouverture de portes et de grilles électriques – une quinzaine, ce qui est beaucoup –, et les scénarios. L'écran réservé à ces derniers mesure 50 centimètres sur 30 et est divisé en neuf tuiles où défilent les images de quarante-six caméras intérieures et trois caméras extérieures, soit à la demande de l'agent, soit à travers le système de scénarios.

Le scénario nuit est simple – pas de mouvements, à l'exception de ceux des agents rondiers ; le scénario jour se focalise sur les descentes d'escaliers et sur les ailes, en particulier les deux étages où sont les détenus, dont les QI-QD. Cela permet de vérifier s'il y a des incidents lors des déplacements collectifs, par exemple pendant les promenades.

La salle de sport comporte deux caméras mais l'agent n'avait pas de raison particulière de s'y focaliser. Comment aurait-il pu deviner qu'une agression s'y déroulerait, avec ces deux détenus qui s'entendaient bien, qui faisaient du sport ensemble ? Le réglage était celui du scénario jour, en vigueur depuis la réouverture de 2009 et dont personne ne s'est plaint jusqu'ici.

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Confirmez-vous les conclusions des commissions pluridisciplinaires ? Elong Abé devait-il aller en QER ?

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Corinne Puglierini, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles

M. Elong Abé n'était pas auxi-sport en avril 2020, puisqu'il était encore en isolement, mais il y avait été auxi-nettoyage pendant quelques semaines. Je vous confirme qu'il a bien été auxi-sport à partir de septembre 2021.

Les CPU hebdomadaires généralistes visent à étudier les demandes des détenus et permettent de faire un point. Le cas de M. Elong Abé a été étudié plus de treize fois. Comme je vous l'ai dit, il a demandé à travailler, à avoir une formation professionnelle, à se rendre aux ateliers, à être auxi-sport.

Les CPU « dangerosité » sont de deux types, pour les DPS et les personnes radicalisées dont, systématiquement, les TIS. M. Elong Abé, avec d'autres, a fait l'objet de neuf réunions, où la question de son entrée en QER a en effet été abordée. En 2014, date de son incarcération, il a fait l'objet d'une expertise psychiatrique. Selon le directeur de l'administration pénitentiaire, « son comportement était tel que sa situation ne permettait pas une évaluation en QER, ses troubles étant trop importants. À plusieurs reprises, la question s'est posée. Les autorités judiciaires étaient défavorables en raison de troubles de la personnalité trop importants et de son incapacité à intégrer un processus d'évaluation ». Or, selon le règlement régissant les QER, revu et complété à la fin de 2021 et en janvier 2022, il est essentiel que le détenu soit à même de participer à cette évaluation.

J'ajoute que plusieurs temps d'évaluation sont prévus.

Compte tenu des éléments dont nous disposions, nous ne craignions pas un passage à l'acte en détention mais nous devions surtout préparer sa sortie, dont nous pouvions légitimement être inquiets puisque l'intéressé n'avait pas de réel projet. Lors d'une des dernières réunions de la CPU « dangerosité », j'ai donc demandé que M. Elong Abé puisse bénéficier de cette évaluation. La direction interrégionale a étudié ensuite cette demande, qui est remontée à la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) afin que la mission de lutte contre la radicalisation violente examine l'issue qu'il convient de lui donner.

Lorsque les détenus ne sont pas orientés vers le QER en raison de leurs troubles de comportement, des binômes prennent le relais sur un plan local, de même que des psychologues de la mission de lutte contre la radicalisation violente. C'est ce qui a donc été fait, mon collègue ayant rappelé que la psychologue n'a pas formulé d'inquiétudes particulières à ce moment-là.

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Qu'en est-il, monsieur Ollier, d'éventuelles mesures de suivi sociojudiciaire ou de sûreté ?

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Marc Ollier, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

Sur la fiche pénale, il n'y a aucune trace d'un quelconque suivi.

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À vous entendre, on a le sentiment que Franck Elong Abé était un détenu quasiment classique ou du moins qu'il était en train de le devenir !

La circulaire de la direction de l'administration pénitentiaire du 18 décembre 2007, qui concerne l'application de l'instruction ministérielle relative au répertoire des détenus particulièrement signalés, précise que la candidature des DPS aux activités offertes en détention doit faire l'objet d'un examen attentif. Il me semble que le parcours de ce garçon, qui paraît s'être calmé par miracle en arrivant à Arles, justifiait beaucoup de précautions. Placé en détention classique en avril 2021, il a été affecté, au bout de seulement cinq mois, en septembre 2021, à l'entretien des salles d'activités de sport de la centrale, à la suite d'une décision en CPU. Cette affectation répond-elle à l'exigence d'un examen attentif, compte tenu de sa qualité de TIS et des incidents majeurs qui émaillent son parcours entre 2014 et 2019 ? Je ne sais pas à quels propos Éric Diard faisait allusion pour la période plus récente, mais il ne les a pas inventés, même si vous dites que vous n'en trouvez pas trace dans les commissions disciplinaires.

La circulaire précise aussi que la réunion dans un même lieu de DPS doit, dans la mesure du possible, être limitée. Or, compte tenu de son affectation, Franck Elong Abé devait structurellement se retrouver avec Yvan Colonna dans cette salle de sport. En matière de surveillance des détenus particulièrement signalés, n'y a-t-il pas eu une négligence, en contradiction avec les prescriptions de la circulaire ?

Enfin, lors de son audition, le directeur de l'administration pénitentiaire a fait état de la note de service, qui existe dans chaque maison centrale, pour la surveillance des détenus particulièrement signalés. Il n'a pas été fait droit à ma demande de recevoir ce document. Pour quelles raisons ? Cette note de la maison centrale d'Arles pourrait-elle être communiquée aux commissaires aux lois ?

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Marc Ollier, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

J'ai ces notes ici, avec moi. Dès que votre demande m'a été transmise, je l'ai fait remonter à ma hiérarchie à la direction interrégionale, qui a fait de même auprès de l'administration pénitentiaire. Je n'avais pas reçu de réponse hier soir. Je comprends votre demande, comme la position de ma hiérarchie, mais il ne m'est pas possible de vous fournir le document tant que je n'en ai pas reçu l'ordre. Je vous confirme toutefois que ces documents existent.

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Corinne Puglierini, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles

Classé à la fois DPS et TIS, M. Elong Abé ne pouvait pas être considéré comme un détenu classique, ni même presque classique – certainement pas. J'ai rappelé le nombre de fois où sa situation a été étudiée, ne serait-ce que par les instances de la maison centrale. Sa prise en charge et les décisions qui sont prises le concernant répondent à notre corpus réglementaire, notamment aux textes relatifs aux détenus particulièrement signalés.

L'instruction ministérielle du 11 janvier 2022 a abrogé certains textes, dont la circulaire du 15 octobre 2012 relative à l'instruction ministérielle relative au répertoire des détenus particulièrement signalés. D'une circulaire à l'autre, les dispositions ne sont toutefois pas modifiées profondément.

La maison centrale d'Arles n'est pas le premier établissement dans lequel M. Elong Abé a travaillé : il avait suivi une formation cuisine dans un autre établissement et avait également été classé aux ateliers. Tout au long de son parcours pénitentiaire, plusieurs tentatives ont été faites dans différents établissements pour le faire évoluer, conformément à ce qui est requis dans le parcours d'exécution de peine de toute personne détenue. M. Elong Abé a travaillé ou participé à des formations dans certaines périodes. A la maison centrale d'Arles, il a été donné satisfaction à sa demande au bout d'un certain temps, après une réponse négative pour travailler dans les ateliers et une autre pour être auxiliaire d'étage. Dans le premier cas, on a estimé qu'il ne satisfaisait pas aux exigences du corpus réglementaire, dans le second, il n'a pas semblé opportun de lui laisser une marge de manœuvre qui aurait été encore plus importante.

M. Colonna, également DPS, était classé auxiliaire sport sur la zone extérieure, donc sur le plateau sportif, depuis 2014. M. Elong Abé a été affecté aux salles de musculation du rez-de-chaussée du bâtiment A. Chaque décision est soupesée au regard de l'environnement des DPS.

Quant à la présence de deux DPS dans une même salle, ce jour-là, M. Elong Abé aurait pu faire sa séance de musculation et ne pas être dans son rôle d'auxiliaire sport. Il aurait aussi été avec Yvan Colonna dans la salle de sport. Une mesure de séparation aurait eu un sens s'il y avait eu le moindre indice ou doute sur une difficulté entre ces deux personnes. Or ce n'était pas le cas ; M. Colonna et M. Elong Abé se fréquentaient.

S'agissant des personnes détenues radicalisées, nous sommes très vigilants sur leur entourage et leurs fréquentations. Celles de M. Elong Abé n'incluaient pas seulement des personnes détenues radicalisées. Plutôt solitaire, il fréquentait des personnes détenues qui ne partageaient pas forcément ses idées. Comme le demandent les textes, notamment la nouvelle circulaire de janvier 2022, nous leur avons porté une attention particulière pour prendre des décisions : pour classer M. Elong Abé comme auxi-sport, sa situation a été pesée et soupesée. Lorsqu'il n'existe aucun élément alarmant ou soupçon permettant d'écarter de l'emploi un détenu TIS, on ne peut pas décider qu'il ne pourra pas prétendre à un poste. Toutefois, nous n'avons pas donné satisfaction à d'autres demandes qu'il avait adressées auparavant.

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Marc Ollier, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

Avant d'être classé à ce poste, M. Elong Abé avait demandé six fois des postes de travail – deux fois aux ateliers, deux fois comme auxiliaire d'étage. Tout cela lui a été refusé.

Certes, le meurtre a eu lieu en salle d'activité mais, dans la mesure où il n'y a qu'une cour de promenade dans le bâtiment A et que les deux détenus avaient le droit d'y aller à leur libre choix, M. Elong Abé aurait aussi bien pu y retrouver M. Colonna. La promenade est naturellement surveillée, mais une agression va très vite.

Le délégué local au renseignement pénitentiaire, qui dispose de compétences très pointues en matière de détention, participe aux CPU. Je n'étais pas arrivé à l'époque, mais il avait bien été repéré que M. Elong Abé conservait ses idées djihadistes et qu'il se vantait d'avoir été en Afghanistan. Rien ne laissait penser, toutefois, qu'il agresserait Yvan Colonna, un autre détenu ou un membre du personnel. Sinon, connaissant l'officier, il aurait demandé fermement, et à raison, que cela soit noté.

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On mesure la difficulté des missions que la société vous confie.

Dans le parcours pénitentiaire d'Yvan Colonna, y avait-il la moindre raison expliquant que le rapprochement qu'il demandait depuis des années lui soit refusé ou bien s'agit-il d'une décision extérieure ? La question se pose depuis des années, la centrale d'Arles n'étant pas la même prison que celle dans laquelle il souhaitait être accueilli en Corse.

L'assassin d'Yvan Colonna, transféré, a le statut d'auxiliaire sport alors que d'autres lui ont été refusés et qu'il a un passé de djihadiste et un parcours de détenu comportant des incidents. Est-il classique que, malgré plusieurs incidents en cours d'incarcération et une radicalisation non dissimulée, un détenu bénéficie ainsi d'une certaine latitude de mouvement, alors même qu'il est particulièrement signalé et a aussi prouvé, hélas, qu'il était particulièrement dangereux ?

Je m'étonne qu'un détenu comme Yvan Colonna, auquel était attachée une symbolique politique importante, liée à sa participation à l'assassinat d'un préfet de la République et au contexte politique qui entourait le crime qu'il a commis et sa condamnation, ne soit pas plus surveillé ou plus protégé. On a vu les conséquences de son assassinat et on les subira sans doute longtemps. Peu de détenus portent une charge aussi symbolique. Je m'étonne vraiment que, compte tenu des répercussions politiques importantes qu'une agression contre lui pouvait avoir, il n'y ait pas eu, à la maison centrale d'Arles, de mesure particulière pour assurer sa protection et sa sécurité.

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Marc Ollier, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

En tant que chef d'établissement pénitentiaire, je n'ai pas à juger de la décision concernant le rapprochement d'Yvan Colonna, qui est prise au plus haut niveau. Je comprends la demande, je comprends le refus. D'un point de vue purement technique, les DPS sont affectés prioritairement dans les maisons centrales – il y en a peut-être quelques-uns dans des centres de détention longues peines, mais je n'ai pas de nom en tête –, et la centrale sécuritaire la plus proche de la Corse est celle d'Arles. La distance est certes importante, et je comprends la famille et les amis d'Yvan Colonna. Arles est toutefois moins éloignée que Lannemezan, Moulins, Saint-Maur, Condé-sur-Sarthe, Vendin-le-Vieil ou le quartier de Valence.

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. Ce que je voulais savoir, c'est si son comportement en détention aurait pu justifier des mesures de cette nature.

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Corinne Puglierini, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles

M. Colonna était un détenu, non pas modèle, mais peu difficile au quotidien. Il avait son caractère ; il savait exprimer ses positions. Durant plusieurs années, je l'ai fréquenté notamment à l'occasion des retours de la commission locale DPS. Celle-ci est composée de représentants de la préfecture, des forces de gendarmerie ou de police, de magistrats du parquet, du juge d'application des peines, et de professionnels de l'administration pénitentiaire, dont le représentant du directeur interrégional, le chef d'établissement et le délégué local au renseignement pénitentiaire. Les commissions se sont toujours prononcées à l'unanimité pour maintenir l'inscription d'Yvan Colonna au répertoire des DPS. Il s'agit d'un avis que la direction de l'administration pénitentiaire décide ensuite de suivre ou pas. Je l'ai évoqué avec les députés que j'ai reçus en février 2022, M. Colonna savait ce qu'il en était de son parcours : des points de discipline lui étaient reprochés, que la commission locale prendrait en compte. La synthèse des avis ainsi formulés par les divers professionnels est présentée à l'avocat, donc au détenu, et fait ensuite l'objet d'un débat contradictoire.

Les textes n'interdisent pas de donner une suite favorable à une demande de travail émanant d'un détenu TIS ou d'un DPS. La décision est prise après le recueil en commission pluridisciplinaire des avis et points de vue de chacun. Comme pour la levée de la mesure d'isolement, la demande de travail n'est pas validée s'il y a un doute sur la personne détenue. Sans que M. Elong Abé soit perçu comme un détenu quasi classique, aucun signe ne justifiait de ne pas donner une suite favorable à sa demande de travail, en veillant à l'assortir de mesures de surveillance. Depuis son classement en septembre 2021, aucune des observations à son sujet n'était négative. Elles faisaient toujours état d'un travail correctement accompli, l'intéressé ne posant aucune difficulté et répondant aux demandes des personnels. Aucun signe ne nous permettait de ne pas lui donner satisfaction ou de lui retirer le poste, ce que nous aurions fait si nous avions eu le moindre doute, bien évidemment.

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À quelle date s'est tenue la dernière commission locale qui a examiné le statut de DPS d'Yvan Colonna et de Franck Elong Abé, avant l'agression ?

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Marc Ollier, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

Le jeudi 3 mars 2022, on a examiné le cas des quinze DPS de l'établissement, dont M. Franck Elong Abé – il s'agissait de prendre en compte les événements survenus en 2021. Je n'ai pas la date de la commission précédente.

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Corinne Puglierini, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles

Je ne l'ai pas non plus mais, les calendriers changeant peu d'une année sur l'autre, la commission s'était vraisemblablement réunie en mars 2021.

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Je n'ai pas eu de réponse sur une éventuelle protection particulière accordée aux détenus à forte charge politique.

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Corinne Puglierini, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles

En l'état, non. Par « protection particulière », entendez-vous qu'il s'agissait de mettre M. Colonna à l'isolement pour le protéger ?

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Cela signifie être davantage accompagné que les autres détenus lorsqu'il pratique des activités extérieures.

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Mme la directrice vous a répondu : il n'y a pas de protection particulière.

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Je remercie Mme la présidente de nous permettre de tenir ces auditions sur un dossier douloureux, qui a de nombreuses implications humaines et politiques. Chacun dans nos rôles, nous sommes tous assoiffés de justice et de vérité. Même si cela n'est pas simple, nous essayerons de nous départir de l'émotion, pour être le plus factuel possible.

Vos raisonnements semblent tautologiques. Tout ce que vous avancez paraît normal : par exemple, que les 280 caméras vidéo ne soient pas au bon endroit ou que la promenade fasse l'objet d'une surveillance vidéo alors qu'un gardien dédié était présent –pourquoi ce choix ?

Deux agents, au PIC et au PCI, n'ont rien vu – évidemment.

Il est aussi normal qu'une maintenance de trente secondes à deux minutes se déroule à 10 heures du matin, alors que, dans n'importe quel service, hospitalier ou de sécurité, elle est effectuée à des horaires appropriés. À moins que vous ne le confirmiez, je ne suis pas sûr qu'il soit usuel de conduire une telle opération dans ces horaires-là. Je n'ai d'ailleurs pas compris les conséquences de cette maintenance sur le visionnage et l'enregistrement, notamment des allées et venues, avant et autour de l'agression.

Nous sommes là pour traiter de la possibilité d'une préméditation mais aussi de celle qu'un tiers ait pu commanditer cet assassinat. Nous sommes dans notre rôle pour savoir si les dysfonctionnements – le mot est faible – vont jusqu'au laisser-aller, volontaire ou coupable, voire la connivence, et pourquoi. Compte tenu des zones d'ombre, ces questions se posent. Par exemple, sur les vidéos que, malheureusement, nous avons pu voir dans la presse, Elong Abé est déterminé : on a l'impression qu'il sait déjà, avant d'entrer dans la pièce, qu'Yvan Colonna y sera dans la position la plus faible. Ces questions liées à la maintenance sont donc très importantes.

Il paraît aussi normal que l'agent n'ait rien vu, qu'il soit allé vers d'autres occupations, qu'il ait choisi d'autres priorités. Selon nos informations, sur les cinq DPS du bâtiment A, trois seulement se seraient trouvés au même endroit à cette heure-là : les deux dans la même salle, et M. Hakim Tahir dans la salle à côté. Et on a décidé qu'il n'y aurait pas de surveillance, ni physique ni vidéo. Vous trouvez cela normal ; nous sommes nombreux à trouver que non eu égard aux textes et à la réalité du statut de DPS. Pourquoi ce choix ? Nous n'avons pas de réponse satisfaisante à cette question.

Vous parlez de l'impossibilité du passage à l'acte : qu'a fait la cellule de surveillance des djihadistes d'Arles, qui fait des rapports quotidiens, transmis à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ? De quelles informations disposiez-vous ?

Éric Diard l'a rappelé, certains dires ou actes de M. Elong Abé auraient pu inquiéter. Quelques jours avant son passage à l'acte, la presse s'est fait l'écho de ce qu'il s'était laissé pousser la barbe. C'était le signe d'un risque de passage à l'acte. Pourquoi n'a-t-il pas été détecté ? En juin 2021, un courrier de M. Sébastien Mattei notamment faisait état d'une menace d'être poignardé car il se douchait nu avec Yvan Colonna. Un agent, témoin, a transmis ces menaces à sa hiérarchie huit mois avant l'événement qui nous occupe ; il y avait bel et bien eu détection de risque.

S'agissant de vos arguments concernant l'intervention physique, dans son courrier, M. Mattei évoque une intervention en vingt secondes suite à un petit problème en octobre 2021. Pourquoi, en l'espèce, onze minutes?

À comparer les parcours d'Yvan Colonna et d'Elong Abé, on cherche les justifications qui permettent au second d'avoir un contrat rémunéré, mais aussi des remises de peine durant son passage à Arles. Il avait été condamné à treize ans et demi de prison – neuf ans pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, plus quatre ans pour prise d'otages à l'unité hospitalière de surveillance aménagée de Lille-Seclin –, or il sortait en octobre 2023. Il aurait donc fait près de neuf ans. Avez-vous été amenés à donner des avis pour qu'il bénéficie de ces remises de peine exceptionnelles, quand Yvan Colonna, sans être un détenu modèle – il avait son petit caractère –, recevait des avis unanimement défavorables de la commission locale à ses demandes de retrait du registre des DPS ?

Quelle était la motivation de ces avis défavorables ? Était-elle liée à son parcours ou à l'acte qu'il avait commis ? S'il s'agit de l'acte, on a deux poids deux mesures, et M. Elong Abé est « chouchouté » dans son parcours. Vous n'avez pas fourni d'information sur son comportement en Afghanistan, ce qui est étonnant car, nous, nous en avons. Éric Diard l'a dit la semaine dernière, il était d'une extrême cruauté. Comment quinze mois peuvent gommer cinquante incidents, une prise d'otages, une attitude de sauvage en Afghanistan ? Comment, en face, maintient-on un régime forcené de DPS, qui s'accompagne d'un excès de zèle, notamment lors des fouilles, différentes selon les uns ou les autres ?

Enfin, je vous le demande solennellement, pouvez-vous affirmer avec certitude qu'il n'y a pas eu de témoin physique de l'agression ?

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Marc Ollier, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

Je vous confirme à 200 % que personne n'était présent, ni dans la salle, ni dans le couloir. Il est dommage que vous n'ayez pas eu accès à la vidéosurveillance, mais vous pourrez le constater par vous-mêmes quand elle vous sera transmise.

S'agissant du comportement de M. Elong Abé en Afghanistan, en tant que chef d'établissement, je n'ai eu strictement aucune information sur ses agissements là-bas, hormis qu'il y avait été arrêté par les Américains.

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Marc Ollier, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

C'est pourtant la vérité – il n'y a aucun intérêt à cacher ce type d'information.

N'étant pas en poste à l'époque, il m'est difficile de vous répondre sur les remises de peines supplémentaires. Sachez cependant qu'il s'agit d'une décision du juge d'application des peines en matière de terrorisme (JAPAT), l'administration pénitentiaire n'émettant qu'un avis.

Chez nous, les opérations de maintenance ont toujours lieu en journée, jamais la nuit, car ne sont présents qu'un gradé et treize agents – en cas de problème, on est vite dans la panade. Ces opérations ont commencé en septembre et durent encore. C'est un hasard si elles se déroulaient dans le bâtiment A ce jour-là. La coupure a duré entre trente secondes et deux minutes trente – je penche plutôt pour une minute à deux minutes trente. Les opérations sont réalisées par une entreprise privée, mandatée par l'administration, et non par le personnel pénitentiaire.

Je vous le confirme, les agents ne voient pas toutes les images des quarante-six caméras intra muros et des trois caméras installées en dômes pour la surveillance des promenades. Les écrans sont trop petits. Un système de scénarios choisit donc les images prioritaires. En journée, c'est le scénario « promenades et déplacements pour les activités » qui est retenu. Il n'a pas été modifié depuis 2009.

Pourquoi, alors qu'il y a un agent, surveiller par vidéo les promenades plutôt que d'autres zones ? Tout simplement parce que c'est souvent à l'occasion des promenades que se produisent des agressions collectives, des refus de remonter ou des tentatives d'évasion. Le système est identique dans toutes les prisons – Guéret, Tulle, Fleury-Mérogis ou Arles. En cas d'agression, je peux vous dire, pour l'avoir vécu, qu'on est très satisfait d'avoir des caméras : elles n'évitent pas l'incident mais permettent de prouver les faits.

En maison d'arrêt, voire en centre de détention (CD), il n'y a pas de caméra dans les salles d'activités. À Arles, il y en a deux dans celle dédiée à l'activité cardio, car c'est une maison centrale. Alors que l'établissement est relativement petit, il dispose tout de même de 280 caméras au total. Le centre de détention de Tarascon, que j'ai dirigé il y a quelques années, n'en avait pas autant alors qu'il est trois fois plus gros.

S'agissant de l'accompagnement et de la surveillance de Colonna, il n'existe pas de régime dérogatoire de surveillance ; en France, c'est interdit. On surveille les cellules, on les fouille, ainsi que les détenus ; on fait attention quand ces derniers sortent, mais on ne peut accompagner un détenu en permanence, à moins qu'il ne soit isolé. Seul Salah Abdeslam, à Fleury-Mérogis, est accompagné et surveillé en permanence. Que Colonna ait été un détenu médiatique, je n'en disconviens pas, mais il n'existe pas de régime particulier pour ce type de détenus en France. Tel est l'état du droit, qui peut bien sûr évoluer.

Pourquoi n'y avait-il pas d'agent au moment de l'agression ? Il y avait bien, en effet, ces deux DPS au même endroit, et quatre autres dans cette partie de l'aile mais, dans l'autre partie, se trouvaient des personnels féminins en présence de sept détenus, parmi lesquels des cas psychiatriques lourds. Si agression il devait y avoir, c'était a priori plutôt de la part d'un détenu « cas psy » sur une femme, d'autant que Colonna et Elong Abé se connaissaient bien, faisaient du sport et discutaient souvent ensemble. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'ils étaient amis, mais ils se fréquentaient.

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Corinne Puglierini, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles

Je n'ai pas d'information particulière sur le fait que M. Elong Abé ait laissé pousser sa barbe, car je suis partie dix jours avant l'agression.

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Marc Ollier, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

Il avait une belle barbe, c'est indiscutable.

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Corinne Puglierini, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles

Je n'avais pas l'information, pas plus que nous n'avons eu de détails sur les agissements de M. Elong Abé en Afghanistan.

Quant à une cellule dédiée aux djihadistes…

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Ne disposez-vous pas d'une cellule de renseignement interne ?

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Marc Ollier, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

Il n'existe pas de cellule particulière de renseignement. Un délégué local au renseignement pénitentiaire est affecté à Arles, mais ne dépend pas du directeur d'établissement. Bien sûr, nous travaillons en partenariat, mais il fait remonter les informations dont il dispose à sa hiérarchie, à la cellule interrégionale du renseignement pénitentiaire (CIRP). Ce sont les textes ; s'ils doivent être modifiés, ce n'est pas mon problème.

En outre, je vous confirme qu'il n'existe pas de remontées quotidiennes à qui que ce soit et que nous n'avons pas de contacts particuliers avec la DGSI ou la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Il peut nous arriver d'avoir des contacts ponctuels sur un détenu, mais ce n'est ni quotidien ni organisé.

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Dans le cadre légal que vous évoquez, que s'est-il passé ?

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Marc Ollier, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

Je suis incapable de vous le dire. Je le répète, le renseignement pénitentiaire ne dépend pas des chefs d'établissement. Certes, un officier est basé dans l'établissement et nous passe des informations en cas de risque d'évasion ou d'attaque ; là, rien n'est remonté, car il n'avait sans doute pas d'information. En outre, il n'a pas de relation avec la DGSI, c'est la CIRP qui s'en charge et, au niveau national, il serait logique que ce soit le service national du renseignement pénitentiaire.

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Quand on revisite les événements a posteriori, il est facile de dire « il aurait fallu ». C'est pourtant notre rôle. Le risque zéro n'existe pas, certes, mais peut-être aurait-il fallu que les effectifs soient plus complets. Où en sont ceux de la prison ? Qu'en est-il du taux d'occupation de l'établissement ? Même si nous nous sommes évertués au cours des dernières années à vous fournir les moyens de recruter davantage, la situation n'est pas encore idéale, ni les conditions de travail toujours confortables.

Après coup, on voit bien qu'il y a eu dissimulation de la part de M. Elong Abé. Dans une première phase, il montre des troubles de la personnalité, est très virulent, a du mal se mettre dans le cadre puis, soudainement, dans une deuxième période, son attitude s'arrondit et, à force de patience, il obtient différents avantages pour préparer sa réinsertion. Je ne serai jamais de ceux qui disent qu'il ne faut pas préparer la sortie et donner la chance de se réinsérer à tous les détenus. Néanmoins, une question me taraude : comment accorder autant de libertés – retour à la détention de droit commun, poste d'auxiliaire de sport – à quelqu'un qui n'a pas voulu se prêter à l'évaluation de sa radicalisation ? On ne peut pas dire que cet outil fantastique, inventé par l'administration pénitentiaire face à la montée de l'islam radical en France, en 2014, a échoué ; il n'a même pas été utilisé.

Pourriez-vous nous expliquer ce qu'est une mini-CPU, madame la directrice ? Est-ce une CPU en comité réduit ou une initiative du directeur de la prison ? Selon quel protocole se réunissent-elles et quelles en sont les conséquences ?

Pour revenir sur le système vidéo de la prison, il n'avait pas été révisé depuis treize ans. Sous l'autorité de la présidente de la commission des lois, nous sommes allés à Fresnes et avons vu les écrans – le must du must – installés partout dans cette prison. Bien sûr, nous aimerions que tout le monde en soit équipé, mais avec une mise à niveau au bout de treize ans, on en est loin ! Ce n'est pas du tout rassurant.

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Marc Ollier, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

Les maisons centrales et tous les établissements pour peine ne sont pas surpeuplés. Au 2 mars, Arles comptait 130 détenus pour 140 places ; ils sont 127 aujourd'hui. Nous disposons d'un effectif théorique de 151 surveillants et étions à 145 ce jour-là, dont 17 premiers surveillants, et même 18, et 10 officiers sur 10 théoriques. Il n'y avait donc pas de problème de couverture. Toutefois, il faut prendre en compte le taux d'absentéisme, lié aux congés maladie, aux accidents du travail, de trajet et aux agressions, qui représentent cinquante jours en moyenne par an et par agent.

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Marc Ollier, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

Bien sûr, certains agents ne sont jamais malades. Je ne porte pas de jugement, et encore moins, évidemment, quand il s'agit d'agressions, mais il faut le prendre en compte, car cela représente trente à trente-cinq agents absents en permanence ; c'est énorme effectivement. Malgré cela, nous couvrons les postes grâce aux heures supplémentaires – les brigades de renfort venant d'ailleurs, cela n'existe pas dans la pénitentiaire.

Le système vidéo date de 2009 mais il est en cours de modernisation. Les travaux prennent du temps et cela ne me satisfait pas, mais nous travaillons au rythme des entreprises, que nous ne pouvons pas forcer. Quant à faire les travaux nous-mêmes, nous n'en avons pas les compétences.

Nous évaluerons ce système à la lumière, malheureusement, de ce meurtre pour éventuellement revoir les scénarios. Après coup, on peut estimer qu'ils ne sont pas bons. Ils simplifient le travail du personnel mais peut-être d'autres mesures sont-elles à étudier. Doit-on laisser la main aux surveillants afin qu'ils sélectionnent l'une des 280 caméras ? Cela risque d'être totalement aléatoire. Le système actuel me semble le moins mauvais.

En dehors de quelques établissements, dont celui que vous avez cité, nos systèmes de vidéosurveillance sont sans doute à revoir, mais il faut des budgets pour cela – j'assume de le dire, je ne suis pas un homme politique. La pénitentiaire ne peut pas sortir l'argent de sous les fagots, si vous me permettez l'expression…

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Corinne Puglierini, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles

Dans le cadre des travaux évoqués par mon collègue, les éléments de sûreté de la maison centrale ont également été modernisés, ainsi que le cœur du système, mais pas le dispositif vidéo.

Une mini-CPU n'est pas une CPU réduite. Elle est souvent réunie à la demande des membres de la CPU pour un dossier particulier, mais elle peut aussi l'être à la demande d'une personne détenue qui souhaite faire un point sur son parcours de détention et sur l'accompagnement qui peut lui être proposé. On emploie ce terme, car n'y sont présents, en fonction du thème abordé, que quelques membres de la CPU qui organisent un temps d'échange avec le détenu. En général, la mini-CPU réunit la directrice de secteur concernée, l'officier du bâtiment, un membre du service pénitentiaire d'insertion et de probation, le psychologue, dit PEP, en charge du projet d'exécution de la peine, et un autre professionnel – moniteur de sport, enseignant, etc.

J'ai cité deux mini-CPU concernant M. Elong Abé : la première était essentielle, car elle visait à évaluer les enjeux de la levée, ou non, de son isolement ; la seconde, quelques mois plus tard, en juillet, visait à faire le point avec lui sur sa situation et à envisager les orientations pour l'avenir. Ces mini-CPU sont importantes, car elles permettent de dialoguer en face-à-face avec le détenu, de valider des engagements et de définir un programme d'accompagnement de la personne durant sa détention.

Comment a-t-on pu accorder autant de liberté à quelqu'un qui n'était pas coopératif pour réaliser une évaluation au quartier d'évaluation de la radicalisation ? En réalité, ce n'est pas qu'il n'était pas coopératif – ce n'est pas le détenu qui prend la décision d'aller au QER. En l'état du droit, l'orientation en quartier d'évaluation de la radicalisation est possible dans tous les types d'établissements – maison d'arrêt, centre de détention ou maison centrale –, mais la lecture des textes diffère selon qu'on est en début d'incarcération ou à l'arrivée en maison centrale. Quand le détenu arrive en maison centrale, il a déjà un parcours carcéral conséquent. On sollicitera une orientation en QER s'il est repéré ou s'il est susceptible de s'être radicalisé dans l'établissement, bien entendu.

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Dans le cadre des auditions que nous avions réalisées avant l'incident, il nous avait semblé que l'administration pénitentiaire souhaitait évaluer systématiquement tous les détenus TIS en QER. Bien entendu, le faible nombre de places disponibles conduit à établir des priorités, mais l'objectif n'est-il pas d'évaluer 100 % des TIS ?

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Corinne Puglierini, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles

Si tant est que cette orientation soit possible au vu des troubles de comportement du détenu. Le directeur de l'administration pénitentiaire l'a évoqué lors de son audition, la question s'était posée à plusieurs reprises pour M. Elong Abé, et il avait été acté que ses troubles de comportement ne permettaient pas une telle orientation. Dans ce cas, le relais est pris au niveau local, notamment par le biais des psychologues de la mission de lutte contre la radicalisation violente. C'est toujours préférable à l'arrivée en QER d'un détenu qui a la ferme intention de ne pas participer à l'évaluation.

Cela ne signifie donc pas que rien n'est fait et, en tout état de cause, ce n'est jamais un choix du détenu.

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Ce qui nous surprend, c'est qu'il présentait, dites-vous, des troubles du comportement trop importants pour permettre un passage en QER mais qu'il a quand même pu accéder à un classement d'auxiliaire, avec une relative liberté de mouvement et des moments où il était laissé seul. Vous comprendrez que cela puisse nous paraître à tout le moins contre-intuitif, d'où les questions récurrentes de mes collègues.

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Corinne Puglierini, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles

Lors d'une des dernières CPU radicalisation que j'ai présidée, en vue de la préparation de la sortie et parce que le détenu s'était stabilisé, nous avons redemandé cette évaluation, car elle avait alors du sens.

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À quelle date s'est tenue cette CPU ? Avez-vous pu retrouver celle du dernier examen du statut de DPS d'Yvan Colonna en 2021 ?

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Marc Ollier, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

Non, je ne l'ai pas retrouvée.

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J'aimerais mettre en parallèle le comportement des deux protagonistes de cette douloureuse affaire. Elong Abé, a d'abord présenté un comportement particulièrement agité puis a semblé s'être calmé, ce qui a provoqué une amélioration de son statut : retour à une détention ordinaire, statut d'auxiliaire et même remises de peine. De son côté, Colonna a-t-il eu un comportement problématique ? A-t-il provoqué des incidents, agressé une infirmière, mis le feu à sa cellule, provoqué du tapage, pratiqué des automutilations ? En somme, a-t-il eu une attitude de nature à empêcher la levée de son statut de DPS ?

Quand bien même le délit de blasphème n'existe pas en droit français, l'assertion selon laquelle Colonna aurait blasphémé vous semble-t-elle crédible ? Était-ce dans son caractère d'être provocateur à l'égard des détenus de religion musulmane ? Avait-il seulement intérêt à créer l'incident avec eux ?

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Marc Ollier, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

. Je n'ai pas connu Yvan Colonna, mais je n'ai pas vu mention dans son dossier d'une attitude agressive. Il a parfois répondu à un détenu ou un agent, ce qui, dans une vie en collectivité carcérale de plusieurs années, peut se comprendre, à défaut d'être excusable. Il n'a jamais été violent, du moins à la maison centrale d'Arles. Il n'a commis ni prise d'otage ni dégradation de cellule.

Que Colonna ait blasphémé ne semble pas crédible, d'après tous les comptes rendus dont nous disposons à son sujet. Il était très ouvert, avec les détenus musulmans comme avec tous ceux dont il ne partageait pas les opinions. Je n'ai pas de preuve sur ce point, mais mon sentiment est qu'il s'agit d'un prétexte. Je me permettrai de livrer mon sentiment sur la raison pour laquelle Elong Abé a agressé Colonna.

Elong Abé, jusqu'au 2 mars, qui en avait entendu parler ? Personne ici, sinon ma collègue et moi-même. Les djihadistes – ceux du 11 septembre, ceux qui ont frappé à Paris et les autres – veulent être reconnus comme tels, ce qui suppose de provoquer quelques dégâts. Que pouvait faire Elong Abé pour ne pas rester un inconnu parmi les quelques centaines de djihadistes qui se trouvent en France ? Agresser un surveillant, le tuer ? De telles tentatives ont déjà eu lieu : les médias en auraient parlé deux ou trois jours. Agresser le directeur de l'établissement ? On en aurait parlé trois ou quatre jours. Alors qui ? Le détenu le plus connu de la prison : Yvan Colonna. Qu'il ait blasphémé ou non, qu'il ait déclaré que si Dieu existait, la guerre n'existerait pas, peu importe, ce n'est pas crédible. Il voulait se payer quelqu'un de connu. Tel est mon sentiment, à défaut de preuve.

Je n'ai pas connu Yvan Colonna, mais j'en parle avec émotion car il s'agit d'une agression particulièrement violente contre un être humain qui ne pouvait pas se défendre. Peut-être en verrez-vous les images dans le cadre d'une commission d'enquête.

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Nous comprenons votre émotion et vous remercions de vous livrer à cette audition de manière aussi sincère et complète. La commission des lois travaille sur les questions relatives à la détention depuis le début de la législature et nous savons que votre tâche est très difficile, combien la gestion des détenus djihadistes représente un défi immense et que vous travaillez quotidiennement pour assurer notre sécurité. La représentation nationale, par ma voix, vous assure de sa plus grande reconnaissance.

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En raison des opérations de maintenance, le personnel ne pouvait pas passer des images d'une caméra à celles d'une autre. Après l'agression, alors que M. Elong Abé avait dit très calmement au surveillant que M. Colonna avait fait un malaise, très vite, avez-vous dit, l'un de vos collaborateurs a affirmé qu'il s'agissait d'une agression. Sur quel fondement ? Qu'entendez-vous par « très vite » ?

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Marc Ollier, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

. Elong Abé a dit au surveillant qui venait chercher Colonna pour une notification : « Yvan vient de faire un malaise ». Le surveillant n'avait pas de raison de mettre en doute ses propos. Le hasard a fait que je n'étais pas très loin, au rez-de-chaussée du bâtiment A, avec ma troisième adjointe, et je suis arrivé tout de suite après les premiers intervenants. Ma deuxième adjointe, quant à elle, se trouvait dans la partie administrative de l'établissement, plus spécialement dans la cellule de crise. En cas d'incident, surtout dans les maisons centrales, les réactions sont normées, sinon modélisées. Ma deuxième adjointe a donc immédiatement visionné les enregistrements vidéo et nous a téléphoné pour nous informer qu'il ne s'agissait pas d'un malaise, mais d'une agression, violente qui plus est. Cette opération lui a pris deux ou trois minutes, le temps d'allumer le système et d'y entrer les codes d'accès.

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Lors de la précédente audition menée par cette commission, Yvan Colonna était entre la vie et la mort. Aujourd'hui, Yvan Colonna n'est plus, ce qui est tout sauf anodin. Il est le premier prisonnier politique en Europe à perdre la vie depuis Bobby Sands, en 1981, sous le régime de Margaret Thatcher. Contrairement à Bobby Sands, M. Colonna n'a pas choisi de mettre fin à ses jours ; Franck Elong Abé l'a assassiné.

Vous n'étiez pas tenu de connaître le parcours de ce dernier en Afghanistan, mais son parcours carcéral est assez éloquent. Il a pris des gens en otage et mis le feu à des cellules. Il s'est laissé pousser une barbe. Par radicalité, il refuse de parler à sa mère et reste ancré dans ses idées. En dépit de tout cela, on lève son isolement, on lui permet d'être auxiliaire, on devait le libérer dans quelques mois et, bien entendu, on lui trouve un rendez-vous à Pôle emploi. Cela me semble très inquiétant. Les faits disciplinaires opposés à Colonna s'agissant de la levée de son statut de DPS sont-ils de même nature que ceux commis par Elong Abé ? Pouvons-nous les connaître précisément ?

Au moment de l'agression, cinq DPS se trouvaient dans le bâtiment A, dont trois dans deux pièces contiguës. Deux agents étaient en poste au PIC, deux autres au PCI. Comment se fait-il que, pendant douze minutes, avec près de 300 caméras, quatre gardiens n'aient pas eu la moindre possibilité ni de se rendre compte qu'une agression était en cours, ni d'intervenir physiquement ? Pourquoi n'avait-on pas prévu, sachant que Colonna pouvait être une cible, d'enfermer les DPS dans leurs cellules au cours de l'opération de maintenance ? Sachant, de surcroît, que les contraintes liées au covid-19 ont conduit à réduire les déplacements des prisonniers, je ne comprends pas, en dépit de vos réponses, comment on a pu en arriver là.

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Marc Ollier, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

. Il y a, au PCI, un agent et un gradé. L'un et l'autre surveillent les images des caméras, mais le gradé doit en plus donner les clés, les émetteurs-récepteurs et les alarmes individuelles aux agents et aux intervenants extérieurs. Le PCI traite les images envoyées par les 280 caméras de l'établissement, dont celles des soixante-dix consacrées à la sécurité périmétrique, ainsi que les alarmes. Au PIC, par contre, ne se tient qu'un seul agent – il n'y aurait pas de place pour accueillir deux postes. Si ces agents ne sont pas intervenus, c'est qu'ils n'ont pas vocation à quitter leur poste pour intervenir physiquement. En outre, le PCI est situé à plus de 200 mètres du bâtiment A.

S'agissant des douze minutes qu'a demandées la réaction, je répète que l'agent en poste au rez-de-chaussée du bâtiment A doit gérer une aile de 30 mètres plus 20 mètres représentant les deux tiers d'une autre aile de même longueur, soit dix-sept salles en tout. Ce jour-là, douze détenus s'y trouvent, ainsi que des professeures des écoles intervenant auprès de détenus également à risques, même s'ils ne sont pas classés DPS. Son attention se porte logiquement sur elles plutôt que sur deux détenus qui, au demeurant, s'entendent bien.

Enfermer les détenus dans leurs cellules pendant une opération de maintenance n'est pas envisageable – on les y enfermerait vingt-quatre heures sur vingt-quatre, car les opérations se succèdent sur le chauffage, les circuits d'eau chaude, l'électricité, la téléphonie et les PIC.

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Nous parlons de la vidéosurveillance, pas de l'eau chaude.

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Marc Ollier, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

. Nous ne pouvons pas enfermer les détenus dès que nous intervenons sur la vidéosurveillance. Cela ne tiendrait pas dans la durée.

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Corinne Puglierini, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles

. Réduire l'avis de la commission locale DPS au dossier disciplinaire est inexact. Le comportement en détention est certes pris en compte lors de l'étude du maintien ou non au répertoire des DPS, mais il représente un critère parmi six pour la décision.

Les personnes détenues susceptibles d'être inscrites au répertoire des DPS sont celles appartenant à la criminalité organisée locale, régionale, nationale ou internationale ou aux mouvances terroristes, appartenance établie par la situation pénale ou par un signalement des autorités judiciaires et administratives ou des forces de sécurité intérieur ; ayant été signalées pour une évasion réussie, tentée ou projetée ; susceptibles de mobiliser, par tous moyens, un soutien humain, logistique ou financier extérieur en vue de s'évader et/ou de causer un trouble grave au bon ordre des établissements ; dont la soustraction à la justice, en raison de leur personnalité et/ou des faits pour lesquels elles sont écrouées, pourrait avoir un impact important sur l'ordre public ; susceptibles d'actes de grande violence ou avoir commis des atteintes graves à la vie d'autrui ; signalées pour avoir été à l'initiative d'un mouvement collectif, d'une mutinerie ou d'actes de dégradation de grande ampleur en établissement ou avoir participé à plusieurs reprises à de tels incidents.

Ces critères, énumérés dans la circulaire du 15 octobre 2012 relative à l'instruction ministérielle relative au répertoire des détenus particulièrement signalés (DPS), s'appliquent à tout le monde. Ils servent de base à l'avis rendu par la commission locale DPS, en sus du comportement en détention du détenu au cours de l'année écoulée depuis sa dernière réunion. La décision d'inscription, de maintien ou de retrait est prise, avec un léger décalage, par la direction de l'administration pénitentiaire.

De mémoire, le dossier d'Yvan Colonna comportait un refus de changer de cellule dans le cadre d'une rotation de sécurité. Les détenus DPS doivent changer de cellule régulièrement, ce qui est plus ou moins possible dans un établissement qui en compte entre seize et dix-huit. Depuis le mois de janvier 2022, la périodicité de ces rotations est passée de trois à six mois. L'architecture de certains établissements ne permet pas toujours de la respecter. Un autre incident consistait en la découverte d'une montre GPS connectée.

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Marc Ollier, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

. J'ai sous les yeux la liste complète des incidents : le 12 février 2015, Colonna a été sanctionné de six jours de confinement en cellule, dont quatre avec sursis, suite à la découverte d'un couteau de marque Laguiole en cellule. De 2016 à 2020, il n'a fait l'objet d'aucune procédure disciplinaire. Le 20 mai 2020, il a reçu un avertissement pour détention de carte SD et d'un lecteur MP3. Le 28 janvier 2021, vingt jours de privation d'activité sportive lui ont été infligés pour détention d'objets interdits, en l'espèce une montre GPS dont le dossier indique qu'elle était connectée. Le 4 février 2021, il a été placé trois jours en cellule disciplinaire pour refus de se soumettre à une mesure de sécurité, en l'espèce réintégrer sa cellule dans le cadre du changement périodique que ma collègue vient d'évoquer. Le 25 mars 2021, il a été sanctionné de cinq jours de cellule disciplinaire avec sursis pour refus de se soumettre une mesure de sécurité, en l'espèce refus de réintégrer après une promenade.

Au cours des douze derniers mois, le principal incident est daté du 2 février 2021, lorsque le détenu Colonna, conjointement au détenu Mattei, a refusé d'intégrer sa nouvelle cellule, dans le cadre d'une rotation de sécurité, ce qui a entraîné des réactions à l'extérieur.

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Elong Abé devait faire le ménage dans la salle de musculation où se trouvait Yvan Colonna. Pour ce faire, un gardien en a ouvert la porte puis est parti. Elong Abé a-t-il attendu son départ pour entrer dans la salle ou est-il entré immédiatement ?

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Marc Ollier, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

. À 10 heures 11 minutes, Elong Abé constate par l'oculus de la porte de la salle de musculation, qui est fermée, que Colonna s'y trouve. Il s'arrête devant le local d'entretien, où se trouvent ses affaires, qui est situé juste en face. L'agent lui en ouvre la porte et la laisse ouverte. À 10 heures 11 minutes 37 secondes, l'agent lui ouvre la porte de la salle de musculation et part au bout du couloir. À 10 heures 12 minutes, il atteint la grille qui en ferme l'accès, à 30 mètres de la salle de musculation. Au même moment, un agent d'unité de vie familiale passe devant le local d'entretien, où Elong Abé se trouve toujours. Cet agent quitte l'aile du bâtiment à 10 heures 12 minutes 37 secondes. C'est alors qu'Elong Abé pénètre dans la salle de musculation.

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Est-il habituel de permettre à un auxiliaire de procéder à l'entretien, en l'occurrence de la salle de sport, pendant qu'un détenu classé DPS, et pas n'importe lequel puisqu'il s'agit d'Yvan Colonna, y fait du sport ? La pratique n'est-elle pas plutôt d'attendre que la salle soit vide ?

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Marc Ollier, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

. En effet. Toutefois, en raison de la crise du covid-19, les mesures de nettoyage ont été multipliées, et Elong Abé, comme ses prédécesseurs, devait nettoyer la salle trois ou quatre fois par jour. Avec le recul, cela peut sembler un peu stupide, mais aucun incident n'était à déplorer avant le 2 mars dernier. La priorité était de nettoyer souvent pour éviter une épidémie de covid-19 en prison.

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Pouvez-vous confirmer qu'en détention, Colonna était systématiquement accompagné ou à proximité d'un autre détenu corse, en l'espèce Mattei, conformément à une pratique courante pour les détenus corses et basques visant à éviter les agressions ? Pouvez-vous confirmer que cette semaine-là, comme par hasard, Mattei n'était pas là ?

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Marc Ollier, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

. Le détenu Mattei n'était pas là pour une bonne raison : il était à l'unité hospitalière sécurisée interrégionale (UHSI). Ne me demandez pas de quoi il souffrait, je ne le sais pas, cette information relève du secret médical. Il a réintégré la maison centrale d'Arles le 3 mars. La décision de transfert pour nécessité d'hospitalisation est prononcée par un médecin.

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Corinne Puglierini, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles

. M. Mattei était souvent en compagnie de M. Colonna, mais pas systématiquement. Par ailleurs, M. Elong Abé faisait aussi partie de son entourage.

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La presse a rapporté – il est d'ailleurs choquant qu'elle ait eu accès au dossier d'instruction, même si ce n'est ni la première ni la dernière fois –, qu'Yvan Colonna a crié. Ces cris ont-ils été entendus par des gardiens ou des prisonniers ? Par ailleurs, avez-vous été informés d'un éventuel problème entre M. Elong Abé et M. Mattei quelques jours avant l'agression de M. Colonna ?

Plus généralement, j'ai été un peu étonné de vos réponses, que je ne mets aucunement en doute. Elong Abé fait partie des détenus qui ont été sur des théâtres d'opérations, en Afghanistan, en Syrie ou en Irak, qui ont donc été amenés à tuer des personnes. Les psychiatres s'accordent à dire que quiconque a tué a tendance à recommencer, sous l'effet de pulsions sanguinaires pathologiques. Que vous, responsables de la prison où était enfermé Elong Abé, n'ayez pas eu connaissance de ce qu'il avait fait en Afghanistan est pour moi impensable. D'après les spécialistes que j'ai consultés, les agents du service national du renseignement pénitentiaire (SNRP) sont en contact presque quotidien avec ceux de la DGSI pour échanger leurs vues respectives sur ces détenus. J'ai même appris que toute demande d'un détenu classé DPS pour devenir auxiliaire est transmise à la DGSI.

Si l'on consulte le dossier d'Elong Abé, on constate qu'il a sauvagement tué des personnes. On ne peut qu'en déduire qu'il est potentiellement dangereux. Il a déjà tué, il y a de grandes chances qu'il recommence. Partout où il a été incarcéré, il a semé la panique et, comme par hasard, il se calme le jour où il arrive à la maison centrale d'Arles et, comme par hasard, il approche Yvan Colonna. On en vient à se demander s'il ne s'est pas fait enfermer à Arles exprès : une fois dans la place, il approche Colonna, parvient à se faire affecter à l'entretien de la salle de sport et le tue. Je ne veux pas verser dans la paranoïa aiguë, mais cela commence à faire beaucoup ! Elong Abé parlait-il avec de nombreux autres détenus ou entretenait-il avec Colonna une proximité particulière ?

Quoi qu'il en soit, que la DGSI n'ait jamais informé le SNRP et que celui-ci n'ait jamais informé le chef d'établissement de ce qu'a fait Elong Abé par le passé constitue une faille terrible du système de renseignement. Un assassin sanguinaire, on le surveille différemment des autres. Si vous ne saviez pas qu'il l'était, il est évident que vous ne pouviez rien faire. Qu'on ne vous l'ait pas dit est à mes yeux surréaliste.

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Marc Ollier, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

. Les cris évoqués par la presse n'ont pas été entendus. Nous avons interrogé les détenus qui se trouvaient à proximité. Ils nous ont dit avoir entendu de petits bruits caractéristiques de quelqu'un qui fait du sport et halète en faisant de la musculation. Nous avons interrogé le détenu chargé de la bibliothèque, bon truand bien connu dans la pénitentiaire. Il nous a répondu : « Il arrivait à Yvan de crier quand il faisait du sport ». Au demeurant, il était capable de défoncer la porte s'il avait entendu un bruit inhabituel.

Nous savions qu'Elong Abé avait été arrêté en Afghanistan et détenu par les Américains à Bagram, mais pas ce qu'il y a fait. J'ignore s'il s'agit d'un défaut d'information, je ne suis pas à votre place. En tout cas, nous n'avions aucune information à ce sujet, et je suis certain à 99 % que le SNRP n'en avait pas davantage.

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Par-delà le cas Colonna, nous avons, dans les prisons françaises, des gens qui ont été en Afghanistan, en Syrie ou en Irak, et qui ont éventuellement décapité et tué des gens. J'ai recueilli le témoignage de certains d'entre eux, qui m'ont dit qu'on les habituait à ensevelir des personnes vivantes. Ils ont fait tout cela et ils sont en prison, où personne ne le sait. On les juge, on envisage leur sortie de prison et on évalue leur dangerosité, sans savoir qu'ils ont tué des dizaines de personnes.

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L'évaluation des détenus en vue de leur sortie n'est pas faite uniquement par le directeur de la maison d'arrêt. Elle suit tout un processus. Nous en avons adopté un, il y a quelques mois, pour la sortie des détenus qui ont été sur les théâtres d'opérations. Dorénavant, il existe une vraie procédure pour évaluer leur dangerosité avant leur sortie.

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Marc Ollier, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

. Mon propos n'est pas d'accuser quiconque. Sans doute d'autres services ou d'autres autorités, en France, disposent de ces informations, mais pas le SNRP et, en dessous, nous encore moins.

La DGSI n'intervient en aucun cas dans le classement d'un détenu, qu'il s'agisse d'un DPS ou d'un TIS. Nous devons informer la direction interrégionale des services pénitentiaires pour validation. En cas de refus, nous ne classons pas le détenu, ce qui serait suicidaire. Cette procédure a été suivie pour Elong Abé.

S'agissant des relations d'Elong Abé avec les autres détenus, d'après les informations que j'ai reçues depuis le 1er mars, il était plutôt de tempérament solitaire, contrairement à Colonna, qui était d'abord facile et plutôt communicatif. Je n'ai connaissance d'aucun incident entre lui et Mattei.

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Corinne Puglierini, ancienne cheffe d'établissement de la maison centrale d'Arles

. Elong Abé était un homme plutôt solitaire. Les détenus qu'il côtoyait se comptent sur les doigts d'une main. Ses fréquentations n'étaient pas forcément ciblées ; Yvan Colonna en faisait partie. Avec ces quatre ou cinq détenus, dont faisait également partie le bibliothécaire, détenu au profil encore différent, il avait développé une proximité.

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Marc Ollier, chef d'établissement de la maison centrale d'Arles

. J'ai retrouvé la date de la dernière CPU consacrée à Elong Abé avant l'agression. Elle a eu lieu le 24 janvier 2022. En voici la synthèse : « Libérable en mai 2023. Retourne au sport. Travaille toujours comme auxiliaire des salles de sport. Propos complotistes au sujet de la gestion politique de la crise sanitaire. Jamais étudié en QER. À préconiser (deux étoiles). Son projet à la sortie serait d'élever des chèvres. Envoie des virements ponctuels à sa mère. Déclare au SPIP avoir arrêté toutes ses démarches. Souhaite une sortie sèche ».

La séance est levée à 12 heures 45.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Caroline Abadie, M. Jean-Félix Acquaviva, M. Erwan Balanant, M. Ugo Bernalicis, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Xavier Breton, Mme Blandine Brocard, Mme Émilie Chalas, M. Éric Ciotti, M. Éric Diard, Mme Camille Galliard-Minier, M. Dimitri Houbron, M. Stéphane Mazars, M. Paul Molac, M. Stéphane Peu, M. Jean-Pierre Pont, M. François Pupponi, M. Bruno Questel, M. Antoine Savignat, Mme Laurence Vichnievsky, M. Jean-Luc Warsmann

Excusés. - Mme Marietta Karamanli, M. Guillaume Larrivé, M. Ludovic Mendes

Assistaient également à la réunion. - M. Michel Castellani, M. Paul-André Colombani, M. Jean‑Jacques Ferrara