Intervention de Barbara Pompili

Réunion du vendredi 1er avril 2022 à 9h30
Commission des affaires économiques

Barbara Pompili, ministre de la transition écologique :

L'invitation de la commission des affaires économiques me permet, en cette fin de législature, d'évoquer les conséquences du conflit en Ukraine sur notre système énergétique et, plus largement, sur notre économie.

Je tiens, avant toute chose, à rappeler la solidarité du Gouvernement à l'égard du peuple ukrainien, qui subit une offensive injustifiée sur son territoire. Afin de renforcer l'État ukrainien et la résilience de son réseau électrique, nous avons raccordé ce dernier au réseau européen dès que cela a été possible. Au cours de cette opération, la France était à la manœuvre : nous pouvons en être fiers.

Ce conflit a des conséquences sur notre économie, notamment en raison de la hausse des prix de l'énergie. Cette hausse risque de peser sur l'activité des entreprises, en augmentant leurs coûts de production et, finalement, sur le pouvoir d'achat de nos concitoyens, notamment des plus démunis, du fait de l'inflation qu'elle induit. Il n'y a pas de raison, à court terme, de nous inquiéter pour notre approvisionnement énergétique, mais cette question est examinée avec la plus grande attention par l'ensemble des États membres de l'Union européenne, dans la mesure où 30 % du pétrole et 40 % du gaz consommés en Europe venaient jusqu'à présent de Russie. L'invasion de l'Ukraine par la Russie ne rend que plus évidente la nécessité d'aller rapidement vers une énergie qui ne dépende pas des énergies fossiles. Elle nous invite, d'une part, à réduire leur consommation et, d'autre part, à diversifier nos sources d'approvisionnement.

La guerre en Ukraine provoque, à court terme, une hausse des prix de l'énergie et souligne notre dépendance au gaz et au pétrole russes importés – même s'il faut rappeler que la hausse des prix de l'énergie a précédé la crise ukrainienne et que le conflit n'a fait que l'accentuer. Le prix des carburants est ainsi repassé au-dessus de 2 euros le litre en début de semaine, après une baisse ponctuelle la semaine dernière. Le prix du gaz a également augmenté et, avec lui, celui de l'électricité – le second étant lié au premier. L'indisponibilité d'une partie de notre parc nucléaire, du fait de la détection de défauts sur certaines tuyauteries, n'a pas arrangé les choses.

Pour son approvisionnement énergétique, l'Europe se trouve dans une situation de dépendance élevée vis-à-vis de la Russie, mais la position de la France est relativement plus favorable, par rapport à la moyenne de l'Union. Le gaz russe, je l'ai dit, représente 40 % du gaz importé en Europe, mais seulement 20 à 30 % du gaz importé en France, contre 100 % dans certains pays d'Europe de l'Est – et 55 % pour l'Allemagne. En tout état de cause, les solutions pour réduire cette dépendance ne peuvent se concevoir qu'à l'échelle européenne, dans un esprit de solidarité qui est la raison même de la construction européenne. S'agissant du pétrole, si 30 % des volumes importés en Europe sont d'origine russe, cette part n'est que de 20 % environ pour la France, en fonction des produits et des années. Il est néanmoins clair qu'une interruption totale nous mettrait face à des difficultés importantes dès l'hiver prochain, notamment pour le gazole.

Face à ces deux difficultés – la hausse des prix de l'énergie et la nécessité de réduire notre dépense énergétique –, le Gouvernement agit résolument. Nous avons adopté plusieurs mesures d'urgence afin de limiter la hausse brutale des prix de l'énergie, sur les ménages comme sur les entreprises. D'abord, les mesures décidées avant la crise ukrainienne pour limiter la hausse des prix du gaz et de l'électricité sont maintenues. S'agissant du gaz, je rappelle que les tarifs réglementés sont bloqués au niveau des tarifs d'octobre 2021 et que, sans ce blocage, le niveau moyen des tarifs réglementés de vente au 1er avril 2022 aurait été supérieur de 39,10 % HT, soit 35,30 % TTC, par rapport au niveau en vigueur au 1er octobre.

S'agissant de l'électricité, le « bouclier tarifaire » que vous avez voté en loi de finances pour 2022 permet de limiter la hausse des tarifs réglementés à 4 %, alors qu'elle aurait atteint 35 % en l'absence de ces mesures. Je rappelle également l'octroi de « l'indemnité inflation » de 100 euros pour 38 millions de Français et le chèque énergie exceptionnel de 150 euros à l'automne dernier pour tous les bénéficiaires de ce chèque, dont la campagne 2022 vient d'ailleurs d'être lancée. L'ensemble de ces mesures représente déjà un effort de plus de 20 milliards d'euros pour l'État.

Par ailleurs, le Gouvernement a lancé un plan de résilience pour apporter des réponses ciblées aux acteurs économiques les plus touchés par les conséquences du conflit en Ukraine, afin de protéger à court terme l'activité des entreprises comme le pouvoir d'achat des ménages. Ce plan, qui a été présenté par le Premier ministre le 16 mars, s'adresse tant aux particuliers qu'aux professionnels et il s'inscrit dans le cadre d'une réponse européenne coordonnée. Il s'adaptera aux évolutions de la crise et de ses conséquences – y compris dans l'éventualité de nouvelles sanctions contre la Russie, comme de mesures de rétorsion de la part de la Russie. Ce plan s'est nourri des concertations et des remontées des représentants des différentes filières professionnelles et des partenaires sociaux et il devra continuer d'associer, dans sa mise en œuvre, toutes les parties prenantes. En matière d'énergie, d'abord, nous introduisons à partir d'aujourd'hui – et jusqu'au 31 juillet – une remise sur le carburant à la pompe de 15 centimes hors taxes par litre de carburant, soit 18 centimes TTC, en métropole. À côté de cette remise qui s'adresse à tous, particuliers comme professionnels, nous apportons un soutien plus ciblé aux secteurs plus exposés, comme la pêche, l'agriculture, le BTP et les transports.

Enfin, nous créons une subvention spécifique pour les entreprises les plus énergo-intensives ; cette aide financière concernera les entreprises dont les dépenses de gaz et d'électricité représentent au moins 3 % du chiffre d'affaires et qui, du fait de l'augmentation de leurs dépenses en énergie, deviendraient déficitaires en 2022. Cette mesure d'urgence temporaire, ciblée et plafonnée, s'appliquera dès que possible, pour une période allant du 1er mars au 31 décembre 2022. S'agissant du financement, ce plan de résilience sera pris en charge par un décret d'avance, pour un total de 5,8 milliards d'euros de crédits. Sur ce total, 3,5 milliards d'euros initialement prévus dans le plan d'urgence pour la crise sanitaire sont redéployés. Comme vous le savez sans doute, ce texte a été présenté avant-hier à la commission des finances du Sénat et hier à la commission des finances de l'Assemblée nationale.

Par l'ensemble de ces mesures, nous mobilisons tous nos efforts pour limiter les effets de la hausse des prix de l'énergie sur le plan économique. Je suis convaincue que, ce faisant, nous protégeons efficacement nos entreprises et nos concitoyens. Par ailleurs, et c'est absolument indispensable, nous agissons aussi au niveau européen pour renforcer notre souveraineté énergétique. Lors du Conseil européen qui s'est tenu il y a une semaine, les chefs d'État et de Gouvernement ont acté le principe d'une obligation commune de stockage de gaz pour assurer un niveau de remplissage minimal avant l'entrée dans la période hivernale à 80 % cette année, puis à 90 % en 2023. Cette solution permet de mutualiser les capacités de stockage sans multiplier les nouvelles infrastructures.

La sécurisation de notre approvisionnement passe aussi par la diversification de nos sources d'importation, notamment en gaz. À l'issue de ce Conseil, les États-Unis se sont engagés à livrer des volumes supplémentaires de gaz naturel liquéfié à l'Europe, de l'ordre de 15 milliards de mètres cubes cette année, soit environ 10 % de nos importations de gaz russe à l'échelle européenne. Par ailleurs, les États-Unis et la Commission européenne ont annoncé la création d'un groupe de travail pour réduire la dépendance de l'Europe aux énergies fossiles.

Enfin, nous travaillons également au niveau national à consolider notre indépendance et notre approvisionnement sur le long terme, en accélérant résolument notre transition énergétique, qui est la priorité absolue. Nous poursuivons et accélérons l'effort de déploiement des énergies renouvelables (ENR), en parfaite cohérence avec la trajectoire fixée par le Président de la République au mois de février. Notre stratégie est simple ; elle repose sur un triptyque alliant efficacité énergétique, développement des énergies renouvelables et maintien d'un socle d'énergie nucléaire. Dans cette perspective, nous avons prévu de déployer massivement les énergies renouvelables d'ici à 2050 : en multipliant par dix nos capacités solaires pour atteindre 100 gigawatts ; en multipliant par deux nos capacités d'éolien terrestre pour atteindre 40 gigawatts ; en arrivant à 50 parcs d'éoliennes en mer, pour un total de 40 gigawatts.

Nous investissons dans le développement de technologies prometteuses et consacrons 1 milliard d'euros, dans le cadre du plan « France 2030 », à l'industrialisation, à la recherche et au développement. Enfin, nous estimons que le rythme de déploiement des ENR peut être accéléré en agissant sur les procédures, qui sont trop longues : c'est l'une des conclusions du rapport Guillot, qui a été récemment remis au Gouvernement. Nous travaillons actuellement, au sein de mon ministère, à identifier les leviers susceptibles de simplifier et d'accélérer les procédures dès les prochains mois.

Plusieurs actions du plan de résilience visent également à renforcer notre souveraineté énergétique en développant les énergies décarbonées. Il s'agit notamment d'augmenter la production de biométhane et d'électricité décarbonée, afin d'utiliser moins de gaz pour produire notre électricité – puisque nous en aurons besoin pour nous chauffer. Nous cherchons également à sécuriser notre approvisionnement en pétrole, en maintenant le rythme de transition rapide de la voiture thermique vers la voiture électrique, avec les aides à l'investissement qui ont déjà bénéficié à plus d'un million de ménages et les aides à l'installation et au raccordement d'infrastructures de recharge.

Nous entendons également améliorer l'efficacité des aides à la rénovation énergétique des logements, afin d'inciter encore davantage les ménages les plus modestes à remplacer leur chaudière au gaz par une pompe à chaleur, y compris hybride, ou par une chaudière biomasse. J'ai ainsi annoncé une augmentation de 1 000 euros de MaPrimeRénov' pour l'installation d'un système de chauffage vertueux qui permet de sortir du gaz ou du fioul et une hausse de la dotation du fonds « Chaleur » à hauteur de 150 millions d'euros supplémentaires. Enfin, nous allons évidemment accélérer la décarbonation de notre industrie en mobilisant le plan « France 2030 ».

Nous devons voir loin. C'est en accélérant la transition, par tous les moyens à notre disposition, que nous protégerons efficacement notre pays. Le décret relatif au délestage est sur le point d'être signé. Il va permettre d'organiser le délestage en gaz, qui ne peut passer que par la coupure ciblée de gros consommateurs. Pour délester une zone ou un quartier en électricité, il suffit d'appuyer sur un bouton. Pour des raisons évidentes de sécurité, on ne peut pas procéder de la même manière avec le gaz. Une fois que l'on a coupé le gaz, il faut énormément de temps – plusieurs semaines, voire plusieurs mois – pour le remettre en service. Le décret doit permettre de réagir à des situations où, faute d'injection dans le réseau, la pression baisserait trop. Au-delà du décret, nous avons déjà lancé la préparation opérationnelle, notamment l'identification des consommateurs à couper en cas de nécessité et l'organisation des processus.

Les effets de la crise ukrainienne sur la situation énergétique et économique de la France sont considérables, mais nous agissons en responsabilité pour protéger notre système énergétique, le potentiel de notre économie et le pouvoir d'achat de nos concitoyens.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.