Intervention de Lamia El Aaraje

Séance en hémicycle du mardi 21 septembre 2021 à 15h00
Responsabilité pénale et sécurité intérieure — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLamia El Aaraje :

Monsieur le ministre de l'intérieur, je vous rejoins pleinement : le sujet dont nous allons débattre revêt une importance majeure pour notre société, une société du commun où chacun doit pouvoir trouver sa place et évoluer dignement, en toute sérénité, où chacun doit pouvoir se sentir en sécurité.

À l'heure de la surenchère sécuritaire, où les politiciens de tous bords manipulent ce sujet à des fins électoralistes, il convient de le redéfinir de façon précise et dépassionnée. La sécurité, sur le plan purement sémantique, consiste en l'état d'esprit confiant et tranquille d'une personne qui se croit et se sent à l'abri du danger. À l'origine, ce terme désigne avant tout un état d'esprit : la sérénité. Pendant longtemps, les écoles philosophiques helléniques, stoïciennes ou sceptiques, attiraient des élèves en mettant en exergue la sécurité qu'ils trouveraient en leur sein : un état mental d'ataraxie.

La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen évoque à cet égard, dans son article 2, un droit fondamental à la sûreté, dont le garant est le préfet, seul haut fonctionnaire auquel la Constitution fait référence et dont le rôle est clairement défini : assurer la sécurité, l'ordre public et la cohésion sociale, ce qui implique de définir la sécurité comme un moyen de vivre ensemble.

Un tournant s'est opéré il y a quelques années lorsque, en accolant le mot « publique » à celui de « sécurité », on a intégré la notion d'ordre public dans le champ de la sécurité, ce qui lui a conféré une dimension plus large. La sécurité publique vise donc à protéger la population d'un État contre les menaces internes.

De fait, de quoi parlons-nous exactement depuis quelque temps dans notre société ? Pourquoi certains s'évertuent-ils à dresser les gens les uns contre les autres, en considérant systématiquement que l'ennemi, c'est l'autre, surtout quand cet autre est différent ? Nous évoluons dans un environnement où, à force de chercher une pseudo-sécurité, nous exacerbons les haines, les tensions, le rejet de l'autre, parce qu'il est autre et non parce qu'il constitue une menace ; un environnement où, à force de vouloir établir le portrait-robot de ce qu'est une menace intérieure, nous nourrissons la bête immonde de la haine, du rejet des autres, du racisme et de l'antisémitisme.

À force de vouloir absolument désigner un coupable, nous désignons nos propres enfants, au motif qu'ils ne seraient pas nés au bon endroit, qu'ils n'auraient pas la bonne couleur de peau ou qu'ils n'auraient pas le bon prénom. À force de surenchère sécuritaire, certains se sentent autorisés à défiler fièrement avec, brandie au-dessus de la tête, une pancarte claire et explicite où, autour des mots : « Mais qui ? », figurent des noms désignant des pseudo-coupables d'on ne sait quoi alors que, en réalité, ces noms sont ceux de victimes, coupables de porter un nom qui pourrait laisser penser qu'elles croient en un Dieu, et d'une façon déplaisante pour certains.

Ces personnes sont les victimes d'un antisémitisme crasse qui rappelle les heures les plus sombres de notre histoire commune, un antisémitisme que nous pensions ne jamais revoir et qui pourtant resurgit. La responsabilité de cette immondice nous incombe, ainsi qu'à tous ceux qui considèrent les enjeux électoraux comme supérieurs à notre humanité, qui, courant après l'extrême droite, désignent notre modèle social comme l'ennemi à abattre, et qui, soucieux de leur élection ou de leur réélection, oublient le poids de notre passé le plus sombre.

En confondant tout, en considérant que tout peut faire l'objet de chamailleries politicardes et en occultant la responsabilité de ce que doit et de ce que peut l'État, on en arrive à ce type de situations : inacceptables, inentendables, indéfendables, bien loin de la cohésion sociale et de ce que prône ma famille politique en la matière.

Je tiens donc à vous alerter, mes chers collègues, de la menace qui pèse sur nous, et elle est intérieure. Nous sommes notre propre menace intérieure, la menace d'une explosion de la cohésion sociale de notre pays. Les dérives extrémistes s'insinuent dangereusement dans tous les foyers, dans toutes les têtes, sur nombre de chaînes de télévision, jusque dans des débats télévisés aux heures de grande écoute, comme tel sera le cas jeudi soir prochain, sur une chaîne télévisée très suivie, à une heure où nombre de nos concitoyens la regarderont, ce que je regrette et dénonce.

Je regrette et dénonce que certains cèdent aux sirènes populistes. Je regrette et dénonce que la tentation médiatique soit plus forte que la digue, que le rempart républicain. Nous sommes notre propre menace intérieure.

Le rempart républicain est seule capable de redonner du sens à notre action publique et d'éteindre le feu de haine de la bête immonde. La République est seule capable de nous réunir autour, au minimum – du moins je l'espère –, d'un objectif commun. Comment la préserver ? J'ose espérer que nous nous rejoindrons sur ce point, du moins sur certains bancs.

Je tiens donc à rendre un hommage particulier aux forces de l'ordre, qui sont objectivement mal en point, alors même que l'institution est extrêmement mobilisée et fait corps à chaque mise en cause, à chaque drame, à chaque atteinte à notre société. Or cette institution souffre. Elle souffre et recule dans les classements européens et internationaux, elle est devenue le parent pauvre de la République dont elle est pourtant la gardienne : suicides, manque de moyens, manque d'effectifs, culture de l'intervention encouragée par une obsession statistique délétère censée orienter l'action mais qui, additionnée au reste, dégrade l'image des forces de l'ordre, notamment vis-à-vis de ceux qu'elles sont supposées servir et protéger, les citoyens.

Ainsi, alors que les forces de l'ordre souffrent, qu'un nombre croissant de citoyens se sentent stigmatisés, que nous nous laissons entraîner dans une dérive sécuritaire par les plus extrémistes et les plus antirépublicains dans notre société, que nous nous engluons dans un débat public empêché et qui, par facilité et par manipulation, bascule dans une logique simpliste – pour ou contre la police –, nous nous devons de prendre de la hauteur.

Il est en effet insupportable d'établir un tel constat d'échec et de laisser filer la pelote de la haine, de considérer comme inéluctable l'opposition, dans le cadre d'un scrutin électoral, entre une force politique républicaine et une force politique extrémiste. C'est indigne de notre histoire politique, du moins de la mienne, l'histoire socialiste.

En 1903, Jaurès proclamait déjà : « Dans notre France moderne, qu'est-ce donc que la République ? C'est un grand acte de confiance. Instituer la République, c'est proclamer que des millions d'hommes sauront tracer eux-mêmes la règle commune de leur action ; qu'ils sauront concilier la liberté et la loi, le mouvement et l'ordre. » Ce débat nous met au défi de redonner du sens à la sécurité intérieure, en lien avec la République sociale. Il est de notre responsabilité de renouer avec une vision ambitieuse et respectueuse pour préserver notre commun le plus précieux : le lien social.

L'insécurité est en effet une source supplémentaire d'injustice sociale. Claire Hédon, Défenseure des droits, donne à cet égard une alerte explicite : « On entend une petite musique qui suggère que la solution aux problèmes que l'on rencontre serait de rogner sur les droits, les droits des étrangers, les droits sociaux, notamment des plus pauvres. » Les politiques de sécurité sont sans doute l'un des champs où les divergences idéologiques sont les plus frappantes entre la droite et la gauche. Le fameux « en même temps » du nouveau monde, prôné en 2017, ne s'applique clairement pas en la matière.

L'instrumentalisation du Beauvau de la sécurité en est un exemple cinglant. Constatant les difficultés de notre société sur le plan de la sécurité intérieure, le Président de la République s'est engagé dans un Beauvau global de la sécurité où, pendant sept mois, on a travaillé, auditionné, échangé en vue d'un texte majeur, susceptible de réformer les forces de l'ordre et notre approche de la sécurité. Au bout du compte, nous aboutissons à un texte avorté d'avance, tué dans l'œuf par l'ambition électoraliste du Président encore en exercice pour quelques mois, annoncé pour le prochain quinquennat, si ce Président est réélu… Une telle méthode est étonnante : la vision de l'intérêt commun qu'elle sous-tend n'est pas tout à fait la mienne, et elle ne correspond pas à la vision de l'État que nous défendons.

Chers collègues, les forces de l'ordre méritent mieux que des manipulations électoralistes ; nos enfants méritent mieux que ces renoncements ; nos concitoyens méritent mieux que la surenchère sécuritaire à laquelle nous sommes confrontés. Malgré la brièveté du texte, le groupe Socialistes et apparentés a une position globale en matière de sécurité, qu'il continuera à défendre dans le cadre du débat budgétaire : aucune excuse, alors, ne sera permise, ni aucun report à visée électoraliste. En revanche, des effets d'annonce, déjà distillés dans la presse, sont possibles. À l'heure du « quoi qu'il en coûte » et de l'argent magique, la démagogie à bas coût se fait reine tant que l'heure du passage à la caisse n'a pas sonné.

Notre groupe a échangé avec les élus territoriaux de toute la France et coconstruit des propositions avec eux, qui feront l'objet d'amendements au présent texte et dans le projet de loi de finances : je ne doute pas que vous y serez sensibles. En effet, la force des élus territoriaux, à laquelle je vous sais attachés, est de parfaitement connaître les réalités de terrain, les difficultés du quotidien, les souffrances de tout un chacun. Cette force est aussi leur faiblesse, tant leur pouvoir d'agir peut se trouver limité. Nous devons donc agir pour répondre à leurs justes besoins.

Nous défendrons ainsi plusieurs axes majeurs dans le cadre de ce texte. Le premier axe concerne la capacité des forces de l'ordre à agir, ce qui suppose des moyens concrets et des effectifs réels. Lorsque je constate que certains commissariats – notamment l'un d'entre eux, que je connais bien – n'ont pas de chauffage durant presque un an faute de budget de réparation, je suis stupéfaite. Comment peut-on laisser des agents du service public travailler dans ces conditions ? Lorsque les températures sont inférieures à zéro, comme tel a été le cas l'année dernière, comment penser que ces femmes et ces hommes puissent travailler dans de bonnes conditions ?

Le second axe concerne le rétablissement de la confiance entre les forces de l'ordre et les citoyens, un préalable indispensable qui demande courage et détermination. Réformer l'IGPN – Inspection générale de la police nationale –, pour plus de transparence dans l'action de la police, est une nécessité urgente. Il n'est pas acceptable que des dérives ou des erreurs potentielles – et elles existent – commises par un agent de police ne puissent être traitées en toute transparence et toute impartialité.

Il faut du courage pour reconnaître des défaillances et les surmonter : c'est à cela qu'on reconnaît l'honneur de l'engagement, et je ne doute pas que l'institution de la police nationale souscrira à ces objectifs. Je ne doute pas non plus que, parce qu'elle sera transparente et irréprochable, le récépissé de contrôle d'identité pourra être instauré : cette mesure forte serait une main tendue à nos enfants, à tous nos enfants, notamment à ceux qui se sentent stigmatisés ou exclus.

Le troisième axe concerne la lutte contre les rodéos urbains, qui pourrissent littéralement la vie de millions de personnes. Les élus locaux et les forces de l'ordre sont très engagés sur cette question, et nous devons leur donner les moyens de lutter contre de telles nuisances. Les drones avec caméras, dans un cadre judiciaire, sont à cet égard susceptibles de constituer une solution consensuelle, comme l'ont laissé penser les travaux en commission.

Les deux-roues motorisés ne sauraient rester dans l'angle mort de nos politiques publiques : rodéos urbains, non-respect du code de la route, non-respect des limitations de vitesse, non-respect des zones piétonnes, non-respect des abords des écoles, des hôpitaux ou des crèches, non-respect de la signalisation, non-respect des interdictions de stationnement : la liste des infractions qui rendent fous les riverains est longue. Je précise que je ne fais pas référence à tous les conducteurs de deux-roues motorisés.

Nous disposions, avec le contrôle technique, d'un outil pour endiguer ces problématiques et doter notre pays d'une capacité supplémentaire pour réglementer cet usage. Or, à des fins purement électoralistes, j'imagine – pour ne pas fâcher les motards –, vous avez reculé, ce qui est incompréhensible. Vous n'avez pas fâché les motards, certes, mais vous avez fâché des millions d'autres gens qui vous demandent d'instaurer le contrôle technique des deux-roues motorisés et de réglementer davantage leurs conditions de circulation.

Enfin, nous serons particulièrement vigilants à ce que les dispositions de la loi pour une sécurité globale censurées par le Conseil constitutionnel ne soient pas réinsérées dans le présent texte.

J'espère que nous réussirons, chers collègues, à travailler dans le sens de l'intérêt général. Je dénonce toutefois la restriction, apparemment sans limites, du droit constitutionnel d'amender, au profit d'un monologue gouvernemental : beaucoup de nos amendements ont été déclarés irrecevables juste avant le début de l'examen en séance publique, ce qui est édifiant alors qu'il s'agit, je le répète, d'un droit constitutionnel.

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