Nous discutons d'un texte de loi faisant suite à la tragique affaire Sarah Halimi. Mon propos se limitera à ce sujet. La commande présidentielle a pour objectif de déterminer s'il faut modifier l'article 122-1 du code pénal afin d'établir une distinction fondée sur l'origine du trouble psychique et donc introduire la responsabilité pénale dès lors que l'abolition du discernement résulte de la prise de substances psychoactives. D'autres drames récents, tels l'assassinat du prêtre Olivier Maire ou les crimes commis par Clément Guérin, nous obligent tout autant à une large réflexion.
Le projet de loi ne modifie pas l'article 122-1 qui fonde l'irresponsabilité pénale. Selon nous, l'article 1er ne pose pas de difficulté, il énonce ce que la jurisprudence a finalement d'ores et déjà acté, à savoir que l'abolition du discernement résultant d'une intoxication volontaire dans le dessein de commettre une infraction n'entre pas dans le champ de l'irresponsabilité pénale. En d'autres termes, on n'organise pas son irresponsabilité pénale en se donnant les moyens de commettre un crime ; il était sans doute utile de le rappeler.
En revanche, l'article 2 interroge. Il est d'une tout autre nature en ce qu'il vient à notre sens complexifier l'analyse de l'irresponsabilité pénale en créant deux infractions autonomes intentionnelles antérieures aux faits commis. Il est clair que celui qui consomme illégalement des substances illicites en faisant preuve de discernement doit encourir une condamnation sans attendre même la commission d'un crime. Tous les spécialistes que nous avons entendus nous disent la très grande imbrication entre troubles psychiques et recours à des psychotropes. Le caractère volontaire d'une intoxication et le discernement quant aux effets de celle-ci qui se produiront bien plus tard peuvent-ils être fondés sur les temps calmes d'une vie de schizophrène ?
Les experts psychiatres et les juges doivent résoudre une véritable énigme lorsqu'il leur faut déterminer si l'intéressé a été, à un moment, conscient, dans un temps antérieur, que les psychotropes ingérés pouvaient le conduire à commettre un tel crime. Aucun acteur ne rechigne devant la difficulté, elle existe déjà lorsqu'il faut reconstituer, deux ans après les faits, l'état mental de leur auteur. On peut, en revanche, redouter de vaines batailles d'experts, qui vont fragiliser l'analyse globale du dossier en cours et, à terme, créer, selon nous, une brèche dans le principe de l'irresponsabilité pénale.
Le principe de l'irresponsabilité pénale n'est pas remis en question par les citoyens, dès lors que celle-ci ne signifie pas une remise en liberté : nous devons rappeler ici que les malades mentaux sont placés dans des centres psychiatriques ou des unités de malades difficiles pour des durées qui peuvent être bien plus longues qu'une incarcération.
Il est admis qu'on ne juge pas les fous, monsieur le ministre ; en revanche, la société et les proches des victimes doivent être protégés du fou. C'est ce qui ressort de l'atelier législatif citoyen que j'avais organisé dans ma circonscription, avec un avocat pénaliste et un expert psychiatre et en présence de citoyens : tous nous ont fait part de leurs attentes sur ce point eu égard à certaines situations gravissimes – l'effroyable affaire Clément Guérin dont ma circonscription a été le théâtre et dont j'ai parlé en commission des lois, ou le drame d'Olivier Maire, assassiné par une personne ayant séjourné un mois en hôpital psychiatrique.
Ce texte de loi doit, à notre sens, apporter les garanties qu'attendent les citoyens sur la permanence des soins que requiert l'état mental de la personne. Si on n'apporte pas cette garantie, c'est l'irresponsabilité pénale qui, à terme, sera en danger. C'est donc l'objet de la majorité de nos amendements : compétence d'une chambre d'instruction sur la levée de l'hospitalisation d'office, bien sûr proposée par les psychiatres et appréciée par les juges ; possibilité de rendre obligatoires des soins en dehors de l'hôpital, véritable demande des experts psychiatres.
Ce texte a finalement le mérite de poser, sans le vouloir, la question de la psychiatrie et de mettre en évidence combien la santé mentale est maltraitée depuis des années. La démographie des psychiatres est en chute libre, ce qui emporte de nombreuses conséquences : allongement des délais de dépôt des rapports d'expertise ou encore, dans l'effroyable affaire Clément Guérin, la levée d'une hospitalisation d'office faute d'avoir trouvé un expert psychiatre extérieur dans le temps procédural.
L'irresponsabilité pénale est au croisement de deux politiques publiques fondamentales, la justice et la santé mentale. Or force est de constater que ce lien ne sort pas renforcé de ce texte. Pourtant irresponsabilité pénale et soins marchent ensemble, et la justice ne peut pas abandonner ainsi des affaires aussi graves. Cet abandon nous est d'ailleurs confirmé avec les assises de la santé mentale – vous n'y êtes pour rien, monsieur le ministre, puisque c'est ministère de la santé qui les organise : elles se tiennent ce mois-ci, et rien n'est prévu sur la thématique qui nous oblige aujourd'hui.
Ce texte ne sera donc pas voté par le groupe Socialistes et apparentés. Il est considéré comme une non-réponse aux questions qui se posent, s'agissant en particulier de la cohésion sociale, en lien avec la sécurité, et de la situation de la santé mentale en France.