Monsieur le ministre de l'intérieur me fait l'honneur de rester dans l'hémicycle quand je prends la parole, contrairement au garde des sceaux. Voici donc votre énième projet de loi sécuritaire – j'ai renoncé à les compter –, en forme de véritable pot-pourri, ou de fourre-tout. En effet, ce texte n'a pas de sens en lui-même ; c'est une superposition de propositions, plus ou moins pertinentes, relevant de différentes problématiques concrètes.
Ce projet de loi est symptomatique de vos obsessions et de vos angoisses. Vous voulez gouverner par la peur ; vous voulez faire peur et répondre à cette peur par toujours plus de « sécurité » – je mets des guillemets, puisque, comme chacun sait, celle-ci n'est pas au rendez-vous.
À l'origine du premier thème du texte qu'est l'irresponsabilité pénale, il y a, pour résumer à gros traits, le meurtre de Sarah Halimi, meurtre antisémite abject qui a suscité un émoi légitime dans le pays – émoi partagé par le Président de la République, puisqu'il s'est permis d'intervenir au cours du débat judiciaire, suscitant un communiqué du Conseil supérieur de la magistrature lui demandant de jouer son rôle de garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire.
On nous a ensuite expliqué qu'il y avait un trou dans la raquette. Il manquait quelque chose dans la loi pour pouvoir punir quand même le meurtrier de Sarah Halimi, lequel a été jugé irresponsable pénalement pour abolition totale du discernement.
On fait donc la proposition, non pas de juger l'acte de « folie », ni les « fous » – termes dont on sait désormais qu'ils ne sont pas adéquats, mais que j'utilise pour que tout le monde comprenne bien l'enjeu –, mais de créer un délit permettant de juger ce qui a pu se passer avant, c'est-à-dire ce qui a pu conduire à la folie. On essaie donc de tordre ce que les professionnels appellent l'animus necandi – moi aussi, j'apprends des mots au détour de ce genre de débat au demeurant passionnant.
Il s'agit donc d'essayer de condamner à dix ou quinze ans de prison celui qui aurait consommé des stupéfiants, des psychotropes ou autres substances psychoactives et qui aurait commis un acte sous le coup de la folie induite par ces substances, alors qu'il serait jugé pénalement irresponsable pour cet acte dans le cadre de la législation actuelle. Ce délit obéira à des conditions cumulatives importantes, si bien qu'en définitive, il est possible que les victimes n'aient pas gain de cause, ce qui risque de créer une nouvelle source de défiance envers l'institution judiciaire.
Cerise sur le gâteau, on nous dit que ce texte, censé combler un trou dans la raquette, n'aurait rien changé à l'affaire Sarah Halimi, et que c'est pour cette raison que nous devrions le valider ! Voilà qui est assez extraordinaire. Vous recevez une commande politique du Président de la République, et vous n'y répondez même pas. À votre place, je me serais abstenu de proposer un tel texte.
Le reste du projet de loi se résume à une deuxième chance devant le Conseil constitutionnel. Vous êtes mauvais joueurs, aussi tentez-vous une nouvelle fois de faire passer certaines mesures, notamment pour tout ce qui touche à la technopolice, c'est-à-dire à la surveillance généralisée : les caméras dans les cellules de garde à vue, les drones, les caméras embarquées… Filmer tout, tout le temps, partout : c'est cela, votre projet politique. Est-ce censé nous rassurer ? Je ne suis pas bien certain que cela soit très rassurant.
Vous avez dit vous-même à la tribune, monsieur le ministre, qu'il fallait mieux sécuriser et mieux encadrer l'usage des drones, y compris celui qui en est fait dans un cadre judiciaire, alors que l'usage judiciaire avait justement été retiré des cas de figure dans lesquels l'utilisation des drones est possible. C'est assez cocasse. Au demeurant, il s'agissait sans doute du cas de figure le plus encadré, puisqu'un magistrat pouvait contrôler l'usage de ces technologies. Sur ce point, notre position sera tout aussi ferme que lors de la proposition de loi pour une sécurité globale.
Enfin, vous ajoutez quelques infractions tout à fait clientélistes pour répondre aux organisations policières factieuses qui sont venues nous expliquer en mai dernier, devant l'Assemblée nationale, que le problème, c'était la justice. Message reçu par vous-même, monsieur le ministre : puisque si vous considérez que le problème, c'est la justice, il suffit de donner aux policiers le droit de distribuer directement des amendes sans passer par la case magistrat. Verbalisons tout de suite celui qui a commis une infraction ! Je pense notamment à l'amende forfaitaire pour les vols à l'étalage, laquelle va sans doute créer d'autres problèmes et alimenter l'argumentaire de M. Xavier Bertrand, qui déplorera que les amendes ne soient pas assez souvent payées et suggérera d'en retenir le montant sur les minima sociaux. Bravo, beau projet politique ! Je ne suis pas sûr que l'on fasse reculer la délinquance de la sorte ; ce serait plutôt le contraire.
Par ailleurs, vous créez une infraction autonome sur les violences commises à l'encontre des policiers et vous augmentez l'échelle des peines applicables en cas de refus d'obtempérer, en vertu de la croyance jamais étayée – ou, pour être plus exact, dont nous avons amplement démontré la fausseté – selon laquelle, quand on commet une infraction, on le fait le code pénal à la main. Personne, aujourd'hui, ne refuse d'obtempérer en se disant : « Ça va, ce n'est pas cher payé, un refus d'obtempérer », pas plus que cette personne ne se dira demain : « Ah, zut ! Maintenant, c'est deux ou trois ans de prison en fonction des circonstances : jamais je ne commettrai un refus d'obtempérer. » C'est totalement ridicule. À la fin, il n'y aura pas moins de refus d'obtempérer. Avec ces méthodes, vous êtes en train de flouer les policières, les policiers et les gendarmes qui sont au quotidien sur le terrain et qui font ce qu'on leur demande de faire.
Pour nous, ce sera donc un vote d'opposition contre un projet de loi pot-pourri.