J'ai beaucoup cheminé avec Olivier Jacquin, sénateur et auteur d'une loi visant à requalifier les travailleurs employés par des plateformes. Nous venons tous deux d'un département où la lutte contre le travail forcé et contre l'esclavage est une longue histoire qui remonte à Henri Grégoire. Ayant travaillé sur le devoir de vigilance des multinationales et la lutte contre l'esclavage moderne, nous avons recherché quels sont les grands noms, au-delà de Grégoire, qui ont marqué les luttes sociales et collectives ayant permis l'émancipation dans le travail.
Un nom est revenu très souvent : celui de Martin Nadaud. Je relisais à l'instant, dans un article d'Alternatives économiques, les arguments des libéraux, ultralibéraux et conservateurs qui, dix-huit ans durant, se sont battus contre les lois relatives aux accidents du travail : tous faisaient référence à la liberté des travailleurs, à leur habileté, à leur agilité pour faire face aux risques professionnels. Il a fallu la force et la détermination, pendant dix-huit ans, des socialistes, notamment du courant solidariste incarné par Léon Bourgeois, pour que Martin Nadaud, ouvrier de la Creuse et député, fasse enfin adopter en France, comme Bismarck quelques années auparavant, les lois relatives aux accidents du travail. Ces lois ont requalifié le travail, ouvert de nouveaux droits collectifs, créé une assurance ; elles ont été un facteur de prospérité économique.
Quand j'entends les arguments des ultralibéraux, j'ai le sentiment d'entendre la même musique – celle d'une nouvelle forme de subordination, de servitude dans laquelle un consumérisme et des intérêts capitalistes absolument indécents placent un trop grand nombre de nos concitoyens. La conquête des droits est le gage d'une société équilibrée et prospère. Nous devons pour cela nous battre pour ceux qui n'ont pas de voix. Les rapports léonins que vous décrivez, madame la ministre, ne la leur donneront pas !